Miscellanees.net - blog prolixe pub, marketing & conso, high tech, innovations - Mot-clé - Cranach2023-11-09T22:14:23+00:00urn:md5:e7ec1fbd7729b619d22bab365af406cbDotclear"Nous sommes tous des cannibales"urn:md5:39d6e187f98a52aae084a936ba4b77622011-02-28T19:10:00+01:002011-02-28T22:42:32+01:00Capucine CousinAnthropophagieCannibalismeCranachMaison RougeTranshumanisme <p><img src="https://blog.miscellanees.net/public/.diable_m.jpg" alt="diable" title="diable, fév. 2011" /></p>
<p>Lady Gaga qui se présente aux MTV Video Music Awards vêtue d'une robe de
viande saignante, le succès auprès des ados de <em>Twilight</em> et des romans
de vampires, les 33 mineurs qui "auraient <a href="http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5iJxsqjaS9QlXaVK95ZaB7-iSfEMg?docId=CNG.dc40971e705c15d56d4aff2de625132f.611">
songé au cannibalisme</a>", sans compter de récents "faits divers" , telle la
pulsion cannibale de Nicolas Cocaign, sur laquelle @AbstraitConcret est revenu
récemment dans <a href="http://www.abstrait-concret.com/2011/01/25/sur-les-traces-sanglantes-du-cannibalisme-moderne/">
ce passionnant billet</a>... Pas de doute, <strong>cannibalisme</strong> (qui
"se pratique en groupe avec un rituel ou comporte tout du moins un tenant
culturel", rappelle @AbstraitConcret) et <strong>anthropophagie</strong> (acte
d’un individu isolé, dépourvu de cérémonie) sont plus que jamais omniprésents,
aussi bien dans la création artistique pointue que l'entertainment.</p>
<p><strong>Inhumanité et nihilisme</strong></p>
<p>J'en suis ressortie hier midi secouée. La Maison rouge (la bien-nommée...)
propose "<a href="http://www.lamaisonrouge.org/spip.php?article726">Tous
cannibales</a>", une étonnante exposition sur la chair et le cannibalisme dans
l'art. Des classiques comme Cranach aux artistes contemporains, 47 artistes
sont mis en avant dans cette expo sauvage et violente, qui vous prend aux
tripes - c'est parfaitement le but recherché. Qui montre que le cannibalisme
peut être trash, provocateur, mais aussi profondément nihiliste. Car ce
phénomène, particulièrement tabou en Occident, en dit long sur la nature
humaine - et fascine, étant une forme de crime ultime à la lisière de
l'inhumanité, de l'animalité.</p>
<p>Surtout, de tous temps, la représentation de la dévoration a permis aux
artistes de <strong>dénoncer la violence de la société</strong>. Le sujet est
d'autant plus omniprésent que l<em>'"on vit dans une époque aseptisée, où l'on
procède à la chirurgie esthétique, au clonage, on assiste au retour de
l'anorexie ; on quitte son cors pour un autre. Et, dans le même temps,
l'homme contamine son espace vital et ce dont il se nourrit (vache folle,
biosphère..)"</em>, expliquait très justement Jeanette Zwingenberger,
commissaire de l'exposition, dans une interview à <em>Télérama</em> cette
semaine. Bref, à ses yeux, la femme bionique <a href="https://blog.miscellanees.net/post/2011/02/12/%C2%ABElle%C2%BB%2C-ou-la-chirurgie-plastique-pour-les-nulles">
accro à la chirurgie esthétique</a>, la fascination pour les tatouages,
piercings et autres formes de <strong>scarification</strong>, voire le <a href="https://blog.miscellanees.net/post/2011/02/11/jesuismort">transhumanisme</a> relèvent du même
phénomène.</p>
<p><strong>Ingestion, injection, greffe, transplantation</strong></p>
<p>Y a-t-il une différence réelle entre ingérer le corps de l'autre et en
introduire volontairement des parties ou des substances dans son propre corps,
par injection, greffe ou transplantation ? Il existe peut-être d'autres
formes de cannibalisme, sous d'autres formes, parmi nous, voilà ce que veut
nous démontrer cette expo très provoc'. Et nous pousser dans nos
retranchements.</p>
<p><em>"Nous sommes tous des cannibales. Après tout, le moyen le plus simple
d'identifier autrui à soi-même, c'est encore de le manger"</em>. Voilà ce
qu'écrivait Claude Levi-Strauss dans <em>La Repubblica</em> en 1993, pour qui
l’anthropophagie des peuples indigènes d’Océanie ou d’Afrique était un
équivalent à l’eucharistie ou aux transferts d’organes pratiqués en
Occident.</p>
<p>Il y a d'abord, bien sûr, les <strong>mythologies</strong> les plus
anciennes de la dévoration: depuis la déesse Kali,Tantale et Polyphème qui font
acte d'anthropophagie, ou Saturne (Chronos dans la mythologie romaine) qui
dévore ses enfants à leur naissance, pour éviter que ne s'accomplisse la
prédilection selon laquelle il serait détrôné par l'un d'eux...</p>
<p>De ce masque rouge de Giovanni Battista Podesta, une représentation du
diable peu éloignée de celles du Moyen-Age, en passant par une gravure de Lucas
Cranach L'Ancien du loup-garou, où l'homme dévore ses semblables,en passant par
celle du sabbat des sorcières, où celles-ci se livrent à des rites et des
orgies et s'abreuvent de sang (Goya s'en inspirera) - jusqu'au XVème siècle,
l'anthropophagie est représentée comme une pulsion aux <strong>origines
maléfiques</strong>, qui menacent la société et l'Eglise.</p>
<p><img src="https://blog.miscellanees.net/public/.gargantua_s.jpg" alt="gargantua.jpg" title="gargantua.jpg, fév. 2011" /></p>
<p>Même dans des gravures d'époque, le <em>Gargantua</em> de Rabelais est
représenté s'empiffrant joyeusement de bonshommes...</p>
<p>Sans compter le (faussement) univers des contes pour enfants, d'Hansel et
Gretel et l'ogre dévorant ses enfants, au Petit Chaperon Rouge...</p>
<p>Une autre vision du cannibalisme succède au XVème siècle, lors des grandes
explorations: des Antilles à l'Amérique, puis sur les premières photos du XXème
siècle: des photos de "sauvages" primitifs, où le cannibalisme est assimilé à
un instinct primitif, proche de l'état animal: une vision colonialiste que
véhiculent alors les photos "ethnographiques", dont celles prises par les
frères Dufty sur les îles Fidji.</p>
<p>Au XVIIIème siècle, la cannibale prend aussi la figure du <strong>buveur de
sang</strong>: vampire popularisé par les contes et légendes populaires, depuis
les contes pour enfants pour Grimm, et par Bram Stoker - repris à l'infini au
cinéma, depuis le puissant muet <em>Le Vampire</em> de Murnau au gothique
<em>Dracula</em> de Francis Ford Coppola.</p>
<p><strong>Société de consommation</strong></p>
<p><img src="https://blog.miscellanees.net/public/.viande_m.jpg" alt="viande" title="viande, fév. 2011" /></p>
<p>Mais l'expo va bien plus loin qu'un passage en revue de l'art classique.
Elle montre l'omniprésence du cannibalisme dans l'art contemporain - les
artistes en font un relais destroy de messages non moins percutants. En 1987,
Jana Sperbak revêt cette robe de chair (concept récemment repompé par Lady
Gaga, comme je le disais plus haut), <strong>parure comestible et
périssabl</strong>e, à notre image.</p>
<p>Avec le moulage d'un corps obèse qui se vide sur le sol, "Fatman", John
Isaacs représente toute la cruauté de la société de consommation.</p>
<p>A coup sûr, le cannibalisme permet de remettre en cause des piliers sociaux
- dont l'Église, bien sûr. La commissaire de l'expo a ainsi choisi d'inclure la
tétée: le petit dévorant sa mère. Une manière de voir les choses... Côté
classique est ainsi exposée une <em>Vierge à l'Enfan</em>t d'un atelier de
l'Europe du Nord du XVème siècle, qui nourrit l'enfant Jésus.</p>
<p><img src="https://blog.miscellanees.net/public/cannibales-artistes-passent-table-L-zYqj_R.jpeg" alt="cannibales-artistes-passent-table-L-zYqj_R.jpeg" title="cannibales-artistes-passent-table-L-zYqj_R.jpeg, fév. 2011" /></p>
<p>Œuvre côtoyée par des cousines plus trash: une photo de Cindy Sherman
représente une madone sans enfant qui tend un sein, étrange prothèse à
l'artificialité évidente. Quelques mètres plus loin, une photo (<em>"Lait
miraculeux</em>") de Bettina Rheims de sa série «Chambre close» de 1992, où
l'on voit une jeune femme coiffée d'un voile noir et habillée d'un
soutien-gorge d'allaitement, offrant au regard un sein volumineux dont coulent
quelques gouttes de sang...</p>