Miscellanees.net - blog prolixe pub, marketing & conso, high tech, innovations - Mot-clé - Dalibor Frioux2023-11-09T22:14:23+00:00urn:md5:e7ec1fbd7729b619d22bab365af406cbDotclearDalibor Frioux imagine l'ère de l'après-pétroleurn:md5:c82fee4be14e39966a47dd605c8117842011-10-09T10:57:00+02:002011-10-10T09:31:43+02:00Capucine CousinR&D, innovationsAnticipation politiqueBrutDalibor FriouxFin du pétroleGoogle DémocratieScience-fiction <p><img src="https://blog.miscellanees.net/public/.demagogie-petroliere_m.jpg" alt="demagogie-petroliere.jpg" title="demagogie-petroliere.jpg, oct. 2011" /></p>
<p><a href="http://carfree.free.fr/index.php/2008/09/22/demagogies-petrolieres/">Source</a>
image</p>
<p><strong>L</strong>es premières pages sont brutes de décoffrage. Dans un long
prologue très cinématographique, il plante le décor: une série d'attentats au
port de Rotterdam, dans le Golfe, aux héliports de Sao Paulo, aux centres
commerciaux de Shanghai. Durant 450 pages, dans un récit dense et complexe,
Dalibor Frioux nous raconte une Norvège au milieu du XXIème siècle, et nous
dresse le portrait de l'ère de l'après-pétrole. Un livre paru peu après le
<strong>massacre d’Utoeya</strong>, qui remettait en cause l'image de
<strong>pays de Cocagne</strong> de la Norvège. Un contrechoc d'actualité qui
n’apportait que plus de gravité au récit de Frioux.</p>
<p><strong>C</strong>'est un des romans les plus remarqués en cette rentrée
littéraire, en lice pour les Prix Médicis et Renaudot. J'en au la chance de
rencontrer récemment son auteur, Dalibor Frioux, 42 ans, discret professeur de
philosophie, qui signe là son premier roman, et renouvelle le genre du récit
d'anticipation. Lorsque nous le rencontrons avec une collègue, dans un café
Place de la Madeleine, au fil de l'interview, on sent que ça turbine: il faut
s'accrocher pour prendre des notes à toute vitesse, dans une démonstration
avant tout géopolitique et philosophique, mâtinée d'une froide lucidité. C'est
là tout l'intérêt de son livre, <em>Brut</em> (ed. Seuil) - et ce qui m'a donné
envie d'en parler ici. Dérivé lointain des récits de science-fiction et
d'anticipation, genre cinématographique (en quête de renouveau, comme <a href="https://blog.miscellanees.net/post/2011/01/02/Et-si-la-science-fiction-%C3%A9tait-has-been">j'en parlais
ici</a>), et genre littéraire sur lequel peu de romans ont été remarqués ces
derniers mois - il faudrait citer le très bon <strong><em>Google
Démocratie</em></strong> (allez lire <a href="http://monecranradar.blogspot.com/2011/03/quand-google-regnera-sur-la.html">cette
chronique destroy</a> chez Jean-Christophe Féraud) de David Angevin et Laurent
Alexandre (ed. Naïve). L'anticipation et la science-fiction ont rarement eu
droit de cité dans les romans médiatisés en période de rentrée littéraire.</p>
<p><strong>"Anticipation politique"</strong></p>
<p><img src="https://blog.miscellanees.net/public/frioux_livre.jpg" alt="frioux_livre.jpg" title="frioux_livre.jpg, oct. 2011" /></p>
<p>Frioux revendique un <strong><em>"récit d'anticipation
politique"</em></strong> où <em>"tout repose sur le pétrole: la démocratie, le
fragile idéal d'égalité sociale".</em> Le récit est radical mais terriblement
réaliste. Ici, l'idée n'est pas d'imaginer l'avenir, de raconter ce que sera le
futur dans 30 ans, mais bel et bien de parler du présent. Le double attentat
meurtrier d'Oslo l'illustrait presque.</p>
<p>Bienvenue donc, dans une Norvège du milieu du XXIe siècle. Elle a exploité
au mieux sa situation géopolitique, à l'écart des grands continents minés par
la pollution et la violence. Elle est devenue un des deux seuls pays au monde
disposant de la précieuse manne, des exploitations pétrolières. Elle pense
avoir trouvé la formule du bonheur: démocratie exemplaire, nature grandiose et
pétrole de la mer du Nord, le royaume a conçu un fonds éthique où sont placés
les milliards de la manne sous-marine.</p>
<p>Un système qui va se gripper par la suite... A quelques mois des élections,
l’ex- mannequin Katrin jouit (presque) sans entraves de ce paradis, le
constructeur de barrages Kurt Jensen intrigue pour entrer au comité remettant
le Nobel de la Paix, tandis que Henryk cherche à concilier argent et vertu.
Mais au fil du récit, le système se grippe : des jeunes meurent
mystérieusement, les populistes xénophobes dressent un mur au cœur des forêts
et promettent de rendre l’argent au peuple.</p>
<p>Un récit d'anticipation politique, donc, qui prend scène en Norvège, pays où
l'auteur n'a jamais mis les pieds, mais une démocratie vertueuse, presque
utopique, qui semblait un bon terrain pour son récit: "un petit pays aux
principes éthiques rigoureux, un des seuls à ne pas être endetté... Mais où
l'extrême droite pointe déjà", précise-t-il.</p>
<p><strong>"Société du commentaire" qui l'emporte sur la hiérarchie de l'info
par les médias</strong></p>
<p>Cette fiction engagée ne met donc pas en scène un futur imaginaire: une
manière de de casser les codes du récit d'anticipation classique. ici, pas de
voitures futuristes, ou de fusées, ou de nouveaux écrans mis en scène. La seule
fantaisie que s'autorise l'auteur est d'imaginer le successeur de l'iPhone, le
M Phone, et cette étrange application qui permet de remplacer les têtes des
acteurs par la sienne dans un film - consécration du narcissisme absolu.</p>
<p>Autre digression qu'il s'offre, celle sur la <strong>perte de pouvoir des
médias</strong>. Il imagine ainsi comment sera traité un fait d'actualité, ici
l'échec du projet d'agriculture humanitaire SavannahOrg : une information
devient LE fait d'actualité une fois qu'elle atteint la tête du classement du
site WorldFans.org, <em>"et donc la Une des journaux et les premiers rangs des
flashs audio"</em>. Sur ce site, les internautes votent du monde entier pour
telle ou telle information. Eux, et non plus les journalistes, décident
désormais de la hiérarchisation de l'information. Et bien sûr, cette hiérarchie
varie selon les heures où les internautes sont réveillé: aux Etats-Unis, Japon,
Europe, Inde... WorldFans.org, site coté en Bourse, permet <em>"une évaluation
démocratique, directe, dictant les vrais intérêts des internautes à tous les
autres médias"</em>, explique le narrateur, faussement naïf. Ce qui reflète
déjà <em>"une société du commentaire, où chacun est légitime à s'exprimer sur
les réseaux sociaux et les blogs"</em>, nous explique-t-il. Une anticipation
glaçante.</p>
<p><strong>"Ébriété énergétique", fin de l'abondance pour tous</strong></p>
<p><img src="https://blog.miscellanees.net/public/petrole.jpg" alt="petrole.jpg" title="petrole.jpg, oct. 2011" /></p>
<p>Car ce roman vise à poser une question (encore) taboue mais qui fait
l'unanimité: la fin annoncée de l'or noir. L'auteur a planché sur des manuels
d'études pétrolières, sur les techniques de forage offshore. <em>"Il y a un
consensus autour de la disparition du pétrole: des assurances, telle la
Lloyd's, du ministère américain de la Défense, du groupe de patrons
britanniques dirigé par Richard Bronson, Christophe de Margerie l'affirme
lui-même dans ses discours en anglais"</em>, souligne Dalibor Frioux.</p>
<p>Il imagine donc ce que sera une société sans pétrole. Dans sa fiction, la
Norvège est autosuffisante grâce à l’hydroélectricité. <em>"Notre société est
basée sur une abondance des ressources énergétiques. Il y a un volet
écologique. Mais le sujet est aussi tabou pour des raisons géopolitiques: ce
sera la fin d’une promesse politique fondée sur le pétrole, celle de
l’abondance pour tous, du voyage pour tous, du pouvoir d’achat. La société
fondée sur le suréquipement va s’effondrer. L'égalité ne pourra plus être un
idéal concret"</em>, prédit Dalibor Frioux. La rareté créera une société des
privilèges, l’égalité et la mobilité deviendront un luxe.</p>