dimanche 26 mars 2017

De "Grave" à "Santa Clarita Diet", le retour du cannibalisme dans la culture pop

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C'est un film dont on ne sort pas indemne. Sur le coup, un peu sous le choc, inquiète, mais pas effrayée pour autant, et l'estomac noué. EC'est un de ces films qui marquent, car il s'agit d'un véritable Ovni cinématographique, insolite, inclassable, indéfinissable (film d'horreur? Pur film indé français fin d'études Femis?), qui apporte un ton nouveau. Parfois, il vous emmène dans des sensations à la limite du désagréable, un peu comme une craie qui crisse sur un tableau noir, vous détournez le regard, mais sans jamais franchir la limite de l'horreur. Quelques heures après, il en reste des sensations, des images fortes, ce ton échevelé, désinhibé, libre, mais pas gratuitement provoc'. Il nous emmène dans un voyage étrange, mais la cinéaste a l'habileté de le narrer à travers un récit banal, quotidien au premier abord (l'initiation à double sens d'une étudiante), pour aborder un des tabous absolus de l'humanité: le cannibalisme. Est-ce bien raisonnable de manger son prochain?

"Grave", c'est donc ce premier film français de la jeune réalisatrice Julia Ducournau, ultra-diplômée (de la Femis, un des écoles de cinéma françaises les plus select, et la l'université Columbia), produit par Julie Delpy, sorti il y a moins de quinze jours, et qui semble bien parti pour acquérir une notoriété mondiale. C'est donc l'histoire de Justine (on pense forcément à Sade), 16 ans, étudiante ingénue et brillante, qui intègre une école vétérinaire - tout comme sa soeur, encore étudiante, et ses parents avant elles. Sur place, les premiers jours sont loin d'être sagement studieux, avec le bizutage des novices, et son lot d'épreuves à la limite du dégradant. Justine s'y plie, bon gré mal gré, jusqu'à être forcée à gober un rognon de lapin cru - épreuve terrible, pour elle la végétarienne... Elle subit ensuite des effets secondaires qui nous font entrer dans un univers à la limite du fantastique: elle est peu à peu gagnée par un appétit irrépressible de viande crue, de chair fraîche, et très vite, de chair humaine.

Je ne vais pas vous spoiler ici tout l'intrigue du film ;) mais une des grandes réussites de Julia Ducournau est de traiter un sujet fantastique, qui relève du cinéma d'horreur - le cannibalisme - dans une fiction ordinaire. Et elle crée d'emblée un univers où s'insinue une vague inquiétude, quelque chose d'organique et d'étrange: l'omniprésence du sang, déjà: dès la scène de bizutage où, pour la traditionnelle photo de promo, les jeunes bizuts se voient déverser des flots de sang (l'image de Justine ensanglantée évoque Sissy Spacek dans Carrie de Brian de Palma). Omniprésence des animaux ensuite, morts ou vifs, en bocaux, ou disséqués en cours. Dans quelques scènes cruelles et fulgurantes, la cinéaste cerne bien des nouveaux comportements de la génération Y: mention spéciale pour ces scènes d'anthologie où la jeune Justine, en prise à ses démons cannibales, et filmées en direct par se camarades de promos avec leurs smartphones... Qui sont alors les plus barbares: la cannibale malgré elle, ou les autres étudiants qui la filment avec avidité?

On sent que la cinéaste a fait se classes pour traiter de ce sujet propre au fantastique, le cannibalisme, à une sauce ultra-réaliste: dans ses interviews, elle cite Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, bijou indé des 70s d'autant plus flippant qu'il est tourné caméra à l'épaule (comme un documentaire), Shining de Stanley Kubrick, Crash de David Cronenberg, plutôt que les classiques de l'horreur tels que La nuit des morts vivants de George A. Romero.

Drew Barrymore zombie chez Netflix

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La cannibale, nouvelle héroïne féminine? Ce personnage s'invite aussi à la télé. Le mastodonte de la série télé mainstream Netflix a lui-même commandé une série originale avec une héroïne cannibale. Dans Santa Clarita Diet, Drew Barrymore incarne une desperate housewife (ou presque) qui mène une vie vaguement ennuyeuse d'agent immobilier, dans une banlieue proprette. Jusqu'au jour où elle ressent subitement le besoin de dévorer de la viande rouge - et des êtres humains. Et redécouvre alors le bonheur familial et conjugal. Etrange série, où, comme chez Julia Ducournau, ce phénomène fantastique est mis en scène dans un univers un ne peut plus quotidien, avec humour potache de soap très américain, où son mari s'efforce de l'aider dans sa nouvelle quête (sans sembler paniqué). Il va même l'aider à tuer, de préférence des criminels ou des mauvaises personnes (coucou Dexter). Un ton étrangement absurde où la mère de famille qui devient zombie doit toujours vendre des maisons et entretenir de bons rapports avec ses copines du quartier.

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Mais pourquoi cette nouvelle incursion du cannibale dans le cinéma? Evidemment, c'est un classique du cinéma d'horreur. Mais son retour dans la culture pop a été consacré, dans les années 2000, avec la série The Walking Dead, succès continu depuis 2010. Que l'on voit même revenir ici où là dans des petites pépites du cinéma indépendant, aux quatre coins du monde. L'an dernier, au festival de Cannes, deux films abordaient ces ripailles vampiriques: l’un ­situé dans le milieu du mannequinat (The Neon Demon), l’autre en pays ch’ti (Ma Loute). Dans Dernier train pour Busan, film sud-coréen sorti en août 2016, où les voyageurs à bord d'un train se trouvent atteints d'une étrange maladie qui les transforme en zombies...

Révélateur contemporain

Le cinéma s’est toujours nourri de l’état du monde. Dès lors, les troubles qui affligent nos sociétés, nos économies, influencent la production contemporaine. Cette réapparition en salles d'un sujet horrifique et tabou - doit-on manger son prochain pour survivre? - se marie avec une époque, dans la France et le monde d'aujourd'hui, où il y a plusieurs motifs de terreur et d'angoisse. Un film sur le cannibalisme aborde le tabou ultime, et interroge avec brutalité sur les limites de l'humain. Le cannibale, c'est le sauvage, celui qui, par ses mœurs primitives, nous conforte dans notre sentiment de notre humanité. ou peut-être sur notre propre barbarie... De même que La nuit des mort-vivants, sorti en 1968, était une métaphore de la contagion du mal, du communisme qui effrayait alors les Etats-Unis, en pleine guerre du Vietnam, Grave incarne un monde contemporain où des dirigeants, tel Donald Trump, outrancier, extrémiste et grossier, et d'autres personnages populistes en Europe, incarnent une certaine violence.

dimanche 18 décembre 2016

La réalité virtuelle, l'An I (bientôt partout, tout le temps?)

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2047, dans un Paris sombre, pollué, et futuriste, où pointent les gratte-ciels. La grande majorité de la population passe le plus clair de son temps dans des mondes virtuels. Maintenant, chacun possède chez soi une installation avec un fauteuil profond et un casque de réalité virtuelle, pour s'évader dans un monde virtuel, qui n'est pas sans rappeler Second Life, et devenir un héros à travers son double virtuel. Nash est ce qu'on appelle un "hybride", qui partage son temps entre univers réel et virtuel. Tueur à gages et détective privé, il est chargé par une multinationale de traquer et éliminer les terroristes responsables de la mort de sa petite amie, qui menacent le système en place. Partagé entre le présent et le futur, le réel et le virtuel, il devra prendre d'importantes décisions...

Virtual Revolution, sorti dans une (petite) poignée de salles de cinéma en octobre, est une pépite française de science-fiction. A l'évidence, son réalisateur Guy-Roger Duvert a grandi avec Blade Runner (Ridley Scott, 1984): on retrouve dans son opus les rues glauques et crasseuses, qui luisent sous une pluie continue, un (anti-)héros un peu flic désabusé (coucou Harrisson Ford), des créatures hybrides...

Mais sa vraie trouvaille est d'imaginer un monde où l'immersion dans un second univers est devenue centrale. Un monde étrange qui se sépare en trois catégories: les connectés qui vivent dans le virtuel, les vivants qui demeurent dans la réalité, et les hybrides, alternant entre la connexion et la réalité. Dans ce monde, le travail a disparu puisque les robots s’en occupent. Alors les gens se réfugient dans le monde virtuel, tellement plus merveilleux. Et laissent le pouvoir à une oligarchie. Jusqu'à ce que des rebelles décident de libérer la population de la virtualité...

La réalité virtuelle, nouveau Second Life

Une dystopie évidemment. Mais qui met en lumière un joujou encore émergent, le casque de réalité virtuelle: plusieurs géants de la high tech en ont lancé cette année. Il pourrait même devenir un blockbuster chez les geeks alors que quelques modèles affichent des prix démocratiques, comme le Playstation VR de Sony, vendu 400 euros, à coupler avec la console de jeux idoines.

Plus troublant encore, les premiers lieux dédiés à la réalité virtuelle émergent: rien de tel pour éduquer le grand public à une produit qu'il connaît encore peu... Le groupe de cinéma MK2 a tiré le premier, en ouvrant il y a une semaine son MK2 VR, dédié à des "expériences immersives": affublée d'un casque similaire à un casque de moto, j'ai pu, par tranches de quelques minutes, survoler (virtuellement) les toits de New York, être dans la peau du héros du film/jeu vidéo Assassin's Creed, ramer dans une barque au milieu de la jungle... D'autres projets ambitieux foisonnent: le poids lourd de la tech, Samsung, a carrément un parc d'attraction éphémère (oui, oui) dédié à la VR: 5000m2 sous la verrière du Grand Palais à Paris, avec des attractions thématiques. Et, comme je l'évoque dans ce papier, ce n'est pas fini:: la Géode, et bientôt Le Forum des Images, à Paris, le groupement VR Connection avec un réseau de 20 espaces de jeux et expériences en réalité virtuelle, le groupe Gaumont Pathé... Tous veulent ouvrir des nouveaux lieux d'attraction, dédiés à la VR.

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Dans la peau d'un robot... Dans I, Philip

Evidemment, côté contenus, on n'est encore aux prémisses. Mais des nouveaux contenus VR émergent, comme j'en parlais dans cette enquête l'an dernier: jeux vidéos, reportages immersifs, et fictions immersives (comme le brillant Philip and I, où nous sommes dans la tête d'un robot) existent déjà. Facebook en version réalité virtuelle viendra un jour, c'est sûr. Ou une nouvelle version de Second Life?

La science-fiction s'est déjà emparée du sujet. Outre le film Virtual Revolution, la série télévisée Westworld (HBO), une des productions les plus vertigineuses et excitantes de cette fin d'année, imagine un futur, un monde blanc et glacé, où les riches clients peuvent s'acheter un frisson en se plongeant dans un univers virtuel, Westword donc, un immense parc d'attraction sous forme de western digne de Pour une poignée de dollars. Mais où les figurants, prostituées, cow-boys et hors-la-loi, sont en fait des robots.

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"San Junipero", l'uploading de la mémoire

Dans la non moins glaçante série Black Mirror (saison 3), l'épisode "San Junipero" est bouleversant autant qu'horrifique. Deux femmes d'un certain âge retrouvent leur (éternelle?) jeunesse et vivent une liaison grâce à un programme de réalité virtuelle. San Junipero est en effet un système de réalité virtuelle pour personnes âgées, que des personnes en fin de vie peuvent tester avant de choisir d'y charger leur esprit une fois décédées. Exactement comme l'imaginent des doux dingues du transhumanisme (voir ici) autour du mind uploading (téléchargement de l'esprit), technique qui permettrait hypothétiquement de transférer un esprit d'un cerveau à un ordinateur, en l'ayant numérisé au préalable.

dimanche 4 septembre 2016

"Nerve", Trick or Treat, dystopie pour ados à l'heure de Pokemon Go

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Allumage de l'ordinateur (un MacBook évidemment, tout comme tous les personnages du film seront dotés d'iPhone), cliquettement rapide des touches du clavier, puis elle ouvre tour à tour Spotify, sa boîte Gmail, avant d'être interrompue par une notification Facebook, puis un appel sur FaceTime. Puis une notification sur son mobile venue de Nerve, le dernier jeu virtuel à la mode... Dès les premières secondes du film, nous sommes immergés dans le quotidien très numérique de Venus (Emma Watson), lycéenne new-yorkaise de 18 ans, dont la post-adolescence est rythmée par une vie numérique effrénée. A première vue, Nerve est un film qui cible les ados et la génération Y. Précisément en mettant en scène leur quotidien imprégné du Net et des réseaux sociaux. Et par une intrigue menée tambour battant, très (trop) vite, musique pop douceâtre (bande originale xx) , images saccadées et ultra-rapides, qui semblent souvent tout droit sorties d'un clip. Ou plutôt, d'un jeu vidéo, sur lequel le film semble calqué. Logique: déjà aux manettes de la saga-blockbuster Paranormal Activity, le duo de réalisateurs américains Ariel Schulman - Henry Joost sont des habitués des films à gros budgets pour ados, dont ils manient à la perfection les codes. Un petit carton: près de 300 000 entrées la première semaine, Nerve étant ainsi numéro 2 au box office français.

Mais ce film va plus loin, ce qui m'a donné envie d'écrire dessus (chronique garantie sans spoilers), après avoir (longuement) déserté ce blog, au gré d'une nouvelle étape professionnelle (pardonnez-moi, chères lectrices et chers lecteurs !). Sous un vernis de films pour ados un rien agaçant, Nerve s'avère être un thriller horrifique et une dystopie, qui met en scène de façon glaçante les futures dérives possibles de nos usages numériques, l'omniprésence des réseaux sociaux et du numérique dans nos vies. Ce qui rejoint mes obsessions que je nourris ici ;) Il prend parfois un tour de film d'horreur futuriste: au cinéma, tout à l'heure, une bande d'ados (la génération Y mise en scène dans Nerve) à côté de nous se gaussaient au début en engloutissant leur pop-corn, avant de pousser des cris effrayés par moments, totalement immergés dans le film.

Trick or Treat, Dystopie à l'heure des réseaux sociaux

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Le pitch, donc: dans un futur proche (en 2020), Vee (Venus), pas vraiment accro à la tourmente des réseaux sociaux, cède au champ des sirènes, par défi envers sa meilleure amie, en s'inscrivant à Nerve, mi-jeu en ligne, mi-réseau social clandestin. Le film est tiré d'un roman pour ados, Addict, de Jeanne Ryan. Métaphore de la "vraie vie", de la société, forme de Trick or Treat (Action ou vérité), il divise ses membres en deux catégories: les "players" (joueurs) acceptent de relever des défis, contre de l'argent, allant du french kiss à un inconnu dans un bar à une situation parfois mortelle (passer entre deux immeubles sur une échelle placée à l'horizontale en attitude). Les "viewers" (voyeurs) paient, et en échange, soumettent des défis aux joueurs, que ceux-ci doivent relever et filmer en direct. Pas de spoil ici ;) mais en très raccourci, Vee se voit vite intronisée comme joueuse, à un certain prix: son identité numérique est littéralement vampirisée par le jeu virtuel, qui, dès qu’elle a accepté d'être "player", aspire tous les éléments sur elle (photos de vacances, etc) qu'il aspire immédiatement sur son ordinateur et sur les réseaux sociaux, et toutes ses traces numériques qui ressortent via Google. Elle va devenir une star virtuelle du jeu, mais les voyeurs dictent les règles: ce sont eux qui lui imposent de former un couple avec son partenaire so sexy (James Franco), et d'aller essayer en 10 minutes La robe lamée verte dans ce magasin de luxe. C'est là que l'on voit la dimension dystopique du film.

"Nerve est une démocratie directe", ose un des personnages du film. Les voyeurs dictent les règles, et pourchassent le couple dans ses défis en le filmant avec les caméras de leur smartphone. On voit bien les références explicites et très actuelles du film: Twitter, et plus encore Snapchat, Periscope, ou Facebook Live, où le mobinaute a pris l'habitude de partager en direct des instants, et attend des réactions en direct (commentaires, cœurs sur Periscope). D'ailleurs, un autre film-phare de la rentrée met en scène cette jeune génération Y (film très différent, hein): l'explosif et vital Divines de Houda Benyamina, Caméra d'or au festival de Cannes cette année. Chez elle, les premières minutes du film ressemblent à des images tournées en direct depuis un smartphone sur Periscope.

Le film met en scène, dans une écriture nerveuse et rapide, ce speed lié aux réseaux sociaux. Vee et filmée en contrevue à l'envers de son écran d'ordinateur (comme s'il l'observait). A plusieurs reprises, on voit les notifications des ordres des "viewers" s'afficher sur son smartphone (iPhone évidemment, dont le film est une longue pub gratuite). Dans plusieurs scènes, les réalisateurs superposent à l'image des SMS, ou sur des vues de New York, la localisation en direct des joueurs secrets de Nerve (pour montrer son caractère invasif)...

Avec Nerve, où les personnages relèvent des défis parfois mortels, on pense aussi aux "faits divers" sordides que l'on a commencé à voir émerger ces derniers mois autour de ces réseaux sociaux mobiles: le cas terrifiant, en mai dernier, de cette jeune femme de 19 ans qui s'est suicidée en direct avec son Periscope allumé. Le film évoque aussi fortement le site de streaming de jeux vidéo en direct Twitch, "qui a popularisé la dichotomie entre le caster (le diffuseur, celui qui se montre), et les viewers (les spectateurs)", comme le relève mon confrère William Audureau dans cet article. Pour moi, il faut écho de façon encore plus brûlante à Pokemon Go, ce jeu virtuel sur mobile de chasse (certes pacifique, elle ;) à des bestioles virtuelles. Qui a conduit des joueurs à prendre des risques parfois mortels.

Les hackers (et les voyeuristes) stars de Hollywood

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Extrait de Mr Robot

Le film révèle aussi une certaine fascination d'Hollywood pour le monde numérique, les dystopies effrayantes, et ses acteurs: hackers de génie, voyeurs pervers, société ultra capitaliste. Les exemples de films et séries sont légion. Les hackers nouvelles stars, j'en ai parlé dans ce billet il y a pile un an. La (top) série Mr Robot, qui débarque sur France2 cet automne, met en scène un hacker paranoïaque. Un des épisodes de la série. Le réseau social ultra intrusif, c'est le sujet du livre The circle (chronique en 2013 dans ce billet, sorti en VF cette année), qui met en scène un Google bis, où "La vie privée, c'est du vol". Le sujet est très contemporain: Mark Zuckerberg affirmait en 2010, dans le Washington Post, "Si les gens partagent plus de choses, le monde sera plus ouvert et plus connecté. Et (...) c'est un monde meilleur". Vive la transparence, à bas le secret.

Nerve dénonce aussi les voyeuristes sadiques (eux qui lancent des défis mortels), protégés derrière leurs écrans par leur anonymat, et l'univers qu'annonce la télé-réalité. Tout comme dans la saga Hunger games, ou la très radicale série TV britannique Black Mirror (production: Channel 4), notamment l'épisode La chasse.

dimanche 8 mai 2016

Pop story, magazine d'actu aux faux airs de roman de gare

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Il y a cette couv', dans laquelle on sent déjà un plaisir gourmand à jouer des codes du roman de gare. Avec ce magnifique coeur rose bordé de fleurs et d'angelots potelés, une photo de nos deux protagonistes, et ce titre nullement naïf, "Et Brigitte créa Macron - La vraie histoire". Et ces mots-clés, hashtags, qui donnent à voir les autres sujets, comme "#Agnès Saal pardonnée".

Pop story est un étrange nouvel objet journalistique, apparu en kiosques le 28 avril dernier. Un magazine bimestriel d’actualité (encore un...) de 160 pages, vendu en kiosques 5 euros. Première originalité, so nformat mini, carré d'environ 15 centimètres. Ce format comme son papier bon marché évoque le livre de poche, et ces fameux romans de gare... Il y a ensuite son titre, "Les romans de l'actualité". On est bien dans la presse magazine, où la tendance est plus que jamais à raconter des histoires, expliquer, narrer, être pédago, instruire en donnant du plaisir de lecture au lecteur. Ma le mag du Monde, Le Point, Challenges (mon illustre employeur donc :) sont dans cette tendance de raconter l'actu. Une tendance d'autant plus forte pour retenir un lecteur devenu plus volatil, alors qu'il trouve l'actu immédiate, l'écume, traitée sur les sites d'information en ligne.

"Romans de l'actualité" et slow journalism

Pop Story, donc, veut tenter cet entre-deux, entremêler un journalisme exigeant avec les "traditions de la littérature populaire", pour raconter le "micro roman du réel". Dirigé par Jean-Luc Barberi, ancien journaliste à l’Expansion, le titre propose des sujets longs, très longs. Jusqu’à 28 pages, ce qui rappelle nettement les mooks, lancés dans le sillage de la revue XXI. Cela évoque aussi cette tendance plus récente du slow journalism, dont j'avais parlé dans ce billet, où on prend le temps, la place, parfois en dizaines de milliers de signes, de raconter.

Mais Pop story se positionne davantage comme un roman d’actualité - ou plutôt une série de nouvelles - pour enquêter sur les personnes qui font la Une de l’actualité. En même temps, en faisant fi du rubricage classique, les articles reprennent les codes des romans grand public: roman noir, thriller, love story, roman-photo, saga, BD…). Il baigne aussi dans la culture pop par ses visuels: la couv' douceâtre, des couleurs du rock, des mangas...

Une revue foisonnante. Je me suis plongée dans plusieurs des longs récits, qui se dévorent comme des nouvelles. Les différentes enquêtes parodient joyeusement les genres 'romanesques' dont elles se revendiquent. Ce premier numéro s'entame de façon explosive sur un long récit, rubrique "Love story", sur l'histoire du couple Brigitte Trogneux - Emmanuel Macron. Ce long papier, illustré par des Polaroid légendés, copie avec allégresse le genre du roman à l'eau de rose (cela fait parfois presque peur...) mais plonge avec profondeur dans les arcanes de cette petite bourgeoisie amiénoise dont le locataire de Bercy et son épouse sont issus. ll démontre hélas trop légèrement (mais est-ce le sujet de l'article ? ) la montée au pouvoir du locataire de Bercy.

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Suit un récit qui se revendique du journalisme gonzo. Le sujet: lorsque Stromae a donné un concert à Brazzaville, avant de disparaître brutalement pendant 3 mois. Le gonzo, on y est bien: "je" de rigueur, le journalist raconte en toute subjectivité ce qu'il voit, ce qu'il entend, et l'évolution de son enquête sur place. Son récit, accompagné de petties gouaches colorées, nous fait sentir ce Congo où il croise banquiers véreux, filles légères et barbouzes.

Amusant, ce Questionnaire de Proust (qu'affectionne la presse mag) très visuel, avec carrés de couleurs flashy, avec Renaud apuçon. Classqiue: ses éros de fiction, principal défaut, occupation favorite...

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Marquant et puissant aussi, cette longue story façon roman noir sur Agnès Saal "la toxicomane", où l'auteure, Sylvie Bommel, dissèque et plonge avec finesse dans l'univers de l'ex-patronne de l'INA, haut fonctionnaire bourreau de travail, en quête de reconnaissance (comme nous tous, n'est-ce pas)... Un univers Sombre, avec parfois des dialogues au style direct, qui emprunte donc aux "gialli". Avec même les illustrations, des dessins noirs et jaunes. Elle ne prend pas parti, mais esquisse des explications sur ces obsessions de "son" personnage, qu'elle défend presque au fil des pages. Et lamine la haute fonction publique...

Pop Story (seulement 2 pubs dans ce premier numéro) compte de nouveau sur le crowdfunding, via Kisskissbankbank, puis les abonnements pour financer ses prochains numéros. A la clé pour ses lecteurs-mécènes: abonnements, tirés-à-part des illustrations du journal, etc. A vous de lire...

dimanche 20 mars 2016

Où sont les bioluddites ? (Du luddisme à la technophobie)

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A quand une révolution contre les machines ? Pourrait-on assister un jour à une manifestation, un boycott de thuriféraires du tout-techno ? Cela faisait un certain temps que je me posais la question, d'autant plus que certains sujets liés à la place de plus en plus importante que prennent les technologies dans notre quotidien, nos vies, émergent. La question de la déconnexion volontaire, qui pourrait devenir un luxe, est devenue une lapalissade.

Essayez juste de vous souvenir comment était votre quotidien avant l'apparition d'internet et des emails (donc avant 1997 - cela fait bientôt 20 ans !), et avant le smartphone, consacré, devenu un bien commun (70% de ses utilisateurs vont désormais tous les jours sur internet depuis leur mobile) depuis le lancement de l'iPhone, en novembre 2007. Qui a créé de nouvelles dépendances, de nouveaux comportements dans notre quotidien comme je le racontais ici.

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Il y a quelques années, le néologisme de bioluddisme a commencé à apparaître. Je l'ai lu pour la première fois en 2011 dans Google Démocratie (éditions Naïve), récit dystopique d'un monde du futur régi par quelques multinationales tech, signé par David Angevin et Laurent Alexandre. Il mettait en scène un nouveau combat, celui des "bioluddites" (ou bioconservateurs) opposés au tout-technologique: soit au développement technologique, aux technologies émergentes, et aux débuts de l'humain augmenté . "Nous serons tellement submergés par les technologies qu'il y aura forcément des clivages entre pro et antitechno", m"expliquait alors David Angevin, son co-auteur.

La ressortie cette semaine en éditions poche de cet essai passionnant de François Jarrige, Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences (ed. La Découverte, à feuilleter ici), accompagné de cette interview foisonnante sur Rue89, était l'occasion rêvée de revenir sur le sujet. Rien de tel que l'histoire économique, parfois, pour éclairer le présent.

Luddites vs ingénieurs au XIXème siècle

Petit retour en arrière. En 1811, en pleine première Révolution industrielle, apparaissent les premières manifestations "luddites", du nom de Ned Ludd, chef légendaire des artisans du textile qui, en Angleterre, protestaient alors contre la mécanisation de leur métier en cassant les machines. Un terme déjà associé à une crainte irrationnelle des technologies. Les jennies, ces machines à filer mécanique remplaçant les rouets, sont accusées de prendre le pain des pauvres et les priver d’emplois. Comme le retrace François Jarrige, les technoprophètes de l'époque affirment alors que "le progrès des machines est un progrès vers la liberté, vers l’égalité, vers la concorde" (p. 129). Comme les créateurs de start-up dans les médias aujourd'hui ;) l’ingénieur et le technicien sont les stars de l'époque, les héros modernes, grâce aux outils de pédagogie industrialiste du progrès, comme l’association pour la promotion de l’industrie, les fêtes industrielles.

A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, plus encore durant les Trente Glorieuses, le processus de modernisation par le progrès devient un impératif. La société industrielle est alors source de promotion sociale, dont les nouveaux symboles de réussite sont l’automobile, l’hygiène ou l’électroménager,

François Jarrige évite donc le piège du cliché technophiles progressistes versus technophobes passéistes. Il distingue plutôt ceux qui considèrent les techniques comme des "outils neutres" et ceux qui y voient des outils de domination et de pouvoir: " L’opposition au changement technique ne consiste pas dans un refus de la technique, elle vise à s’opposer à l’ordre social et politique que celle-ci véhicule ; plus qu’un refus du changement elle est une proposition pour une trajectoire alternative" (p. 12).

Peter Thiel, un des magnats de la tech, gourou libertarien de la Valley, cofondateur de Paypal, l'aborde aussi dans son livre Zéro à un, comment construire le futur (JC Lattès): il rappelle que la possibilité d'une "intelligence artificielle forte, des ordinateurs qui éclipsent les humains dans tous les domaines importants, terrifie les luddites". Lesquels luddites "soutiennent que nous devrions nous abstenir de construire des ordinateurs susceptibles de se substituer un jour aux humains". Un entre-deux est possible à ses yeux: la machine "nous aidera à réaliser ce qui était auparavant inimaginable".

Anti-robots, électrosensibles...

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"Les robots", Isaac Asimov

Et donc, qui sont les techno-luddites d'aujourd'hui ? Difficile de repérer des mouvements structurés. "Il y a tout de même des mouvements sociaux qui s’opposent aux trajectoires du gigantisme technologique et au déferlement actuel. Je pense à Notre-Dame-des-Landes. On peut aussi penser au mouvement de la décroissance et de la simplicité volontaire, aux Amap, à une multitude d’expérimentations par en bas, à des initiatives comme l’Atelier paysan, qui tente de développer des machines agricoles non productivistes...", énumère François Jarrige dans Rue89. Il cite aussi le collectif Pièces et main d'oeuvre.

J'y ajouterais les mouvements créés par les particuliers "électrosensibles" aux ondes, qui dénoncent l'impact éventuel sur la santé des ondes émises par les téléphones mobiles et les réseaux Wifi. Ils sont notamment regroupés au sein de l'association Une terre pour les EHS (électrohypersensibilité), et de Robins des toits. Leur revendication: la création de "zones blanches", des portions de territoire non exposées.

Mais la méfiance envers les technologies se manifeste plutôt par des questionnements inédits. En termes de défense de la vie privée, du droit au secret, à l'intimité, la méfiance envers la vidéosurveillance et la biométrie (avec cette initiative de destruction de bornes biométriques dans un lycée à Gif-sur-Yvette), la question du rôle à attribuer aux robots...

Les robots pourraient-ils nous "piquer" notre travail (serons-nous un jour inutiles à cause des robots? interrogeait The Guardian cette semaine). Ou la reculade, cette semaine, de Google envers les robots: il aurait mis en vente sa filiale Boston Dynamics. Google, pourtant célébré pour ses choix audacieux sur les technologies du futur: Mais voilà: cette vidéo postée le 23 février sur YouTube, qui a fait le tour du monde (15 millions de vues !) montre la dernière créature de Boston Dynamics, Atlas, qui tombe, se relève, marche dans la neige... Les commentaires horrifiés sur ces robots qui "volent" leur travail aux humains auraient-ils effrayé Google, qui veut préserver son image de "gentil"? Rappelez-vous son mantra, "Don't be Evil"...

Dans la série télé Real Humans, des robots plus vrais que nature commencent à piquer leur boulot aux humains: aux contremaîtres en usines, aux serveurs... Dans les usines, ils séduisent les services RH avec "leur marge de 0% d'erreur". Au point que se développe un mouvement radical, anti-hubots, intitulé "Real Humans", un "label" que certains humains radicaux placardent à l'entrée de leur maison.

mardi 9 février 2016

Trepalium, apartheid ultralibéral (et orwellien)

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"Il faut sans cesse se jeter du haut d'une falaise et se fabriquer des ailes durant la chute". (Ray Bradbury)

"On te demandera de faire le mal où que tu ailles. C'est le fondement de la vie: avoir à violer sa propre identité". (Philip K. Dick)

"La nature nous a créés avec la faculté de tout désirer et l'impuissance de tout obtenir". (Machiavel)....

Chacun des épisodes s'ouvre avec une de ces maximes de philosophes ou demi-dieux de la science-fiction, empreintes de cynisme désabusé. Et annoncent la couleur. Trepalium est une mini-série d'anticipation, une des premières productions propres d'Arte dans ce domaine. Une petite bombe, un trésor de dystrophie, écrite par Antarès Bassis et Sophie Hiet, qui tient en 6 épisodes de 52 minutes, ultra-condensés. Une petite bombe dans l'univers de la sci-fi. Et la meilleure série que j'aie vue depuis Real Humans, petite perle suédoise déjà découverte par Arte, dont je parlais notamment ici et . J'ai eu la chance de la voir en avant-première, à quelques jours de sa diffusion sur Arte, le jeudi 11 février.

Il était une fois un monde futur, à une date méconnue (mais pas si éloignée que cela), quelque part en Europe. Une dystopie (donc une vision, une distorsion horrifique de la réalité actuelle). De 15% de chômage aujourd'hui, nous sommes passés à 80% (!) de chômeurs. Dans un monde futur ravagé par la crise, les gens ayant un emploi vivent séparés de ceux qui n'en ont pas, dans un apartheid ultralibéral. Une séparation matérialisée par un mur, un mur d’enceinte imprenable. D’un côté la Zone, de l’autre la Ville. une "Zone" miteuse et anarchique où la population est privée de tout, et surtout d'eau potable. Chacun rêve de gagner à La tombola, où chaque année, le gagnant accéder au statut privilégié de "dynactif". De l'autre, la Ville, monde d'abondance glacé où chaque salarié est pressurisé à l'extrême, devant tout faire (il est lui aussi en mode survie) pour garder son travail. Son destin est régi par Aquaville, la firme qui emploie tous ces urbains, et qui détient le monopole de l'eau potable.

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Lors des premières images (tournées par la télévision d'Etat, monde orwellien oblige); la Première ministre (incroyable Ronit Elkabetz, qui laisse entr'aperçevoir un soupçon d'humanité, derrière une voix rauque à souhait) franchit le Mur ("événement historique", proclame la télé officielle), pour libérer le ministre du Travail (son mari), détenu par des activistes depuis 15 mois. Face aux risques de révolte, elle instaure dans l'urgence un plan inédit de rapprochement entre ses populations: chaque salarié devra embaucher un "emploi solidaire" (superbe novlangue - ça vous rappelle quelque chose ?) sélectionné dans la zone. La famille de Ruben Garcia, un ingénieur en pleine ascension, est contrainte d’embaucher la zonarde Izia, qui rêve d’offrir un nouveau destin à son jeune fils Noah…(No spoils pour la suite ;) Voilà pour le pitch.

La série prend scène, par petites touches, dans un monde futur: les téléphones portables tiennent dans la paume de la main. Plus de téléviseurs, mais des écrans ou des murs interactifs un peu partout. Les voitures ont un design 70s et sont électriques, silencieuses et totalement autonomes.

Trepalium : instruments de torture à trois pieux dont se servaient les Romains pour châtier les esclaves rebelles

De travail, il en est beaucoup question dans cette mini-série très contemporaine. Il est même central. Il est dans le nom même de la série. Et pose des questions très contemporaines (je vais essayer de vous épargner les lapalissades...). Le travail peut-il être source de plénitude ou de souffrance? Peut-on se réaliser dans son travail? Le travail identifie-t-il un individu, le rend-il digne de considération? Le travail rend-il libre? Est-on sans valeur parce que sans emploi?... "La question est de savoir s'il est obligatoire de travailler pour avoir le droit d'être quelqu'un", interroge un instituteur improvisé aux enfants d'"inactifs".

Monde blanc laiteux et glacé vs monde aux couleurs sépia

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Le moindre détail est travaillé dans cette série très dense. Casting hallucinant, entre Ronit Elkabetz, Charles Berling (en cadre salace et mégalo) et Léonie Simaga (actrice sociétaire de la Comédie française, qui incarne Thaïs Garcia et Izia, deux personnages-miroirs). Même la photo reflète la dualité: entre le monde froid de la Ville, où les couleurs sont proches du blanc laiteux. Les personnages sont glacés, d'une froideur robotique (cheque reflète très bien le maquillage, et les coupes de cheveux, trop lisses) et portent des sortes d'étranges uniformes dans un style rétro-futuriste (robes-chasubles, chemises blanches, jupes-crayons 60s). Chaque jour, les individus doivent rendre leurs vêtements (et jouets pour les enfants) - pour éviter tout sentiment de possession, d'attachement ? Dans ce monde-là, on ne s'étreint pas, on se dit peu de choses, on ne dit surtout pas ses sentiments. Point savoureux, plusieurs scènes de ce monde ont été tournées au siège historique du Parti Communiste français (on voit bien la mise en parallèle). On y voit des couloirs, des rues grises, des escalators immenses, des visages sans expressions. On pense à Bienvenue à Gattaca ou Soleil vert. Dans ce monde, Ruben Garcia, dès qu'il découvre son chef de service mort, appelle son père et lui indique illico: "mon directeur de service est mort, je veux postuler". Les moments les plus horrifiques sont accompagnés d'une musique classique magnifique.

De l'autre côté, le monde de la Zone: là, le chef opérateur a opté pour une photo aux couleurs un peu passées, presque sépia. Les "inactifs" sans habillés de manière contemporaine, mais avec des vieux vêtements, et vivent dans des taudis, sans eau courant ni électricité. Ici, c'est la débrouille pour survivre. Mais on se parle, fort, dans une langue familière, on se soutient. Les personnages sont sensuels. Ici, les plans irréguliers tournés caméra à l'épaule suggèrent une vie bouillonnante.

La série est très contemporaine dans la vision (forcément tordue, paranoïaque) du monde du travail qu'elle donne. (Certes, cela devient vite un brûlot antilibéral gonflé, provocateur). A un moment donné, Ruben Garcia lâche à Thaïs, tombant le masque: "Vous n'imaginez pas tout ce qu'il faut faire ici pour ne pas perdre son emploi, et ne pas passer de l'autre côté" - la Zone, bien sûr. On découvrira peu à peu ses failles, susceptibles de le faire tomber, comme cette petite fille qu'il touche à peine, enfant "mutique" (oui, c'est un syndrôme, dans ce monde). Mutique, potentiellement "inutile", voire "inactive"... Or ici, "l'homme inutile est vite dangereux", lâche à un moment donné le père de Ruben. La fin en forme de twist, mi-happy mi-glaçante, vous laissera songeurs...

dimanche 31 janvier 2016

Animisme et robotique, de la relation homme - objets (vivants) à homme - machines

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"Être un, c’est trop peu, et deux, n’est qu’une possibilité parmi les autres."

Donna Haraway, Manifeste cyborg 1985

Quelle frontière entre l'humain et le non-humain? A part de quel moment un robot humanoïde commence à être assimilable à un être humain? Pour la première fois, le musée du Quai Branly, temple de l'anthropologie et des arts premiers (qui fête ses dix ans cette année - et qui est un de mes musées préférés à Paris) s'est emparé du sujet. Une approche anthropologique qui s'ancre parfaitement avec tous les débats en cours sur l'intelligence artificielle et le transhumanisme.

Je suis allée voir cette expo, Persona, ce matin, justement parce que cette approche anthropologique me semblait nouvelle. Promis, je ne vais pas vous écrire le 350ème billet sur l'homme augmenté et les interactions hommes-machines, j'ai déjà assez sévi sur le sujet ;) (je vous renvoie à mes billets ici, ...).

Persona, présence, matière animée...

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"Entre une chose qui se refuse à être un simple objet et un humanoïde plus ou moins assimilable à un humain, existe un monde peuplé de présences-limites que nous traitons comme des personnes, s'ensuit une rencontre inédite entre arts premiers, art contemporain et robotique", nous prévient-on d'emblée à l'ouverture de cette exposition, baptisée "Persona - Etrangement humain". On peut distinguer la Persona: "le potentiel de toute chose, qu'il s'agisse d'un objet ou d'un être vivant, à s'affirmer comme présence singulière", de la présence-limite ("toute forme de présence ambiguë")...

Les relations hommes-machines? Ce n'est qu'un nouvel artefact d'un phénomène bien plus ancien, qui est le fil rouge de cette expo: les relations que tissent depuis la nuit des temps les peuples avec les objets qui les entourent. Comment l’homme instaure-t-il une relation insolite ou intime avec des objets? Au fil des civilisations, beaucoup d'objets ont eu un statut proche d'une entité vivante, proche du statut d'une personne. "La culture occidentale est la seule à avoir dressé un tel rempart entre l'homme et la matière inanimée", rappelle Emmanuel Grimaud, co-commissaire de l'exposition. Il suffit de voir le culte animiste ancestral encore pratiqué, par exemple, en Thaïlande, à Bali et au Japon...

La question de la porosité des frontières entre humain et non-humain, animé et inanimé, a donc toujours existé. La richesse de l'expo tient dans la continuité qu’elle crée entre les 230 objets - statuettes, amulettes, momies, marionnettes... et robot humanoïdes. Cela apporte un nouvel éclairage sur nos rapports avec les créatures artificielles qui envahiront bientôt notre quotidien.

On voit donc une multitude de masques dogons, effigies anthropomorphes (statues, amulettes, masques) d'Asie et d'Afrique, Mais l'anthropomorphisme (l'attribution des traits propres à l'être humain à des choses ou des êtres qui ne le sont pas) existe aussi en Occident depuis le XIXème siècle à travers le spiritisme, la fascination pour les phénomènes paranormaux... En matière de chasse aux esprits, il y a eu en Europe une vogue d'innovations du côté des objets divinatoires, jusqu'à ce projet un peu fou, cette "machine pour parler aux morts" sur lequel a planché durant dix ans Thomas Edison lui-même, le pionnier de l'électricité.

Les robots, nouvelle génération d'objets animés

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Metropolis

Quels rapport l’homme peut entretenir avec ces "choses habitées"? Depuis la nuit des temps, il faut activer, provoquer ces présences latentes par différents moyens: la parole (appels, sommations), des offrandes, des pièges (pièges à fées...). La question prend un nouveau relief avec les robots, la nouvelle génération d'objets animés avec lesquels l'homme doit bâtir une manière d'interagir, mus par l'intelligence artificielle.

Et si la relation entre les hommes et les machines avortait? Metropolis en 1927 puis ''2001: L'odyssée de l'espace'' en 1968 sont deux exemples de rébellion de la machine contre l'homme. Dans le film de Stanley Kubrick, le robot Hal 9000 (matérialisé par un œil rouge et une voix métallique) révèle sa "personnalité" (ou en mime une?) lorsque son opérateur cherche à le déconnecter. Entre marche et arrêt, la déconnexion s'assimile à une amputation pour l'ordinateur... Ces nouvelles formes d'interaction qui vont apparaître avec des robots "de services" ont été traitées de façon remarquabledans la série Real humans, que j'avais chroniquée ici, ainsi que dans ces films et séries (cf mon enquête).

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A un moment donné, ce PC vintage nous permet de tester ELIZA, un des premiers programmes d'intelligence artificielle (conçu dans les années 60!) qui s'approche du test de Turing (j'ai eu l'impression d'être face à Siri à ses débuts, en plus basique). Certes, ELIZA est basique: il donne des énoncés que l'on pourrait attendre d'un psychologue, en reformulant certaines questions posées - mais il donne presque l'illusion d'une communication.

Robophobie

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Uncanny Valley, Masahito Mori (source: Wikipedia)

Attraction, répulsion ou affinités entre humains et robots? Le roboticien japonais Masahito Mori a esquissé une théorie à travers un graphe: le "creux de la vallée". En abscisse, le degré de ressemblance entre un robot et un homme. En ordonnée, la réaction qu'il suscite, qui va du rejet (en bas) à l'empathie (en haut). Selon Mori, plus un robot nous ressemble, plus nous nous sentons proches de lui. Mais au-delà d'un certain seul, la courbe plonge pour créer un "degré de l'étrange": un regard trop profond du robot, une peau artificielle trop ressemblante... Le robot effraie. C'est bien pour cela que les love dolls, qui cartonnent au Japon, ont des yeux "réglés sur une focale de 3 à 5 mètres; Impossible de croiser leur regard. En fabricant des créatures trop réalistes, les roboticiens alimenteraient notre robophobie, pour Mori. "Le temps n'est peut-être pas loin où il pourrait s'avérer nécessaire par exemple d'empêcher un homme de violer une machine à coudre", professait, un peu trash, le maître de la SF Philip K. Dick.

Etait-il précurseur? On voit une nouvelle génération de robots compagnons et objets affectifs, qui cartonnent au Japon, comme Paro, cet étrange robot peluche. Ou la love doll, peut-être un des jouets sexuels de demain. L'expo se clôt sur cette vidéo glaçante tournée le 23 novembre 2011. On y voit le mariage (mis en scène pour rire, bien sûr) entre le photographe japonais Hyôdo Yoshitaka et sa love doll, Haruna.

dimanche 3 janvier 2016

Rey (Star Wars) et Imperator Furiosa (Mad Max), deux badass girls dans le cinéma mainstream de 2015

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Jill dans La trilogie Nikopol (Enki Bilal, ed. Les humanoïdes associés)

2016, ça y est, nous y sommes... J'aurais pu, comme beaucoup, tels Titiou Lecocq ou Bigbrowser, écrire un bilan de l'année 2015. Une année particulière, dure (j'avais l'impression de regarder le zapping annuel de Canal+ sous Xanax ces derniers jours..), "poisseuse" me disait-on encore hier, où on a été secoués par les attentats, où le vivre-ensemble de manière sereine est devenu essentiel. Dans l'après-13 novembre, les questionnements (légitimes) se sont multipliés. Pour ma part je me suis sentie sûre de ma chance, d'être toujours là (en clair, en vie), à ma place, avec pour 2016 de nouveaux projets professionnels bien kiffants (cela, vous en saurez plus ces prochains jours ;) et personnels, plein d'envies, de nouvelles choses à accomplir. Alors je vis sans doute plus dans le présent et l'avenir à préparer que le bilan du passé...

Quoi qu'il en soit, j'en profite pour vous remercier pour cette nouvelle année où vous avez continué à me lire, pour ce blog qui fêtera en février ses 9 ans (9 ans !) d'existence, et où vous avez été en moyenne 35 000 lecteurs par mois à me lire ! Alors merci pour votre intérêt, vos réactions et votre bienveillance. Et tous mes vœux de bonne année 2016, lectrices et lecteurs chéris !

Pour bien attaquer 2016, outre le bilan de l'année 2015, j'ai envisagé le traditionnel billet-marronnier sur les innovations et tendances tech les plus attendues 2016 (donc comme vous pouvez l'imaginer, l'an I de la réalité virtuelle, le nouveau chapitre des objets connectés, la multiplication des écrans, l'après-4G, etc etc). Nooon pitié, m'a supplié un ami-lecteur hier. Ou encore le 135ème billet sur Star Wars et la folie commerciale des produits dérivés: sujet déjà traité à l'envi, dont par votre dévouée dans cette enquête...

Finalement, en y réfléchissant, dans les événements de la culture mainstream de 2015, un point commun positif s'est dégagé: enfin des femmes fortes, des nouvelles super-héroïnes s'imposent comme personnages principaux ! Je pense à deux films, deux des blockbusters les plus attendus de 2015, Mad Max : Fury road (sorti en mai 2015), et Star Wars : Le réveil de la Force (décembre 2015).

Deux wonder women dans deux blockbusters

Deux films qui ont plusieurs points communs : ils s'inscrivent dans des sagas à gros budgets, avaient suscité une certaine attente, pour l'un parce que c'était la première production par le géant Disney (et non plus par le - soit-disant - petit poucet LucasFilms) ; pour l'autre parce que ce quatrième opus était attendue depuis la sortie en 1985 de Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre, avec plusieurs tentatives avortées de George Miller. Tous deux sont des sagas-cultes de science-fiction, inaugurées à l'aube des années 80 : le premier est une saga intergalactique, dans le genre de space opera, le second une série de courses-poursuites dans un monde post-apocalyptique, où les survivants tentent d'organiser un monde nouveau.

Enfin et surtout, ces deux sagas ont longtemps été connotées plutôt "masculines", en tous cas visant initialement un public plutôt masculin : vous noterez que je prends beaucoup de pincettes ;) car à titre personnel, j'ai beaucoup baigné dans la culture Star Wars (grâce à mon cher papa), mais en sondant mes collègues et amies femmes, je me suis aperçue que cela était loin d'être un film de chevet pour petites filles dans les années 80 ;) Quant à Mad Max (que je connais beaucoup moins j'avoue), il montre une dystopie, un univers sombre, assez violent, où l'on a beaucoup de scènes d'action (comprenez de bastons, de courses-poursuites, d'explosions spectaculaires).

Et donc, ça y est : reflet de l'époque, pour la première fois cette année, Star Wars et Mad Max mettaient (enfin) en scène des vraies femmes fortes, le pendant des super-héros. Des vraies badass girls, "qui en ont". Un petit point vocabulaire s'impose quant à la définition de Badass: le terme (appliqué initialement aux mecs) désignait initialement un mauvais garçon dans l'argot US, avant de dériver de façon positive vers un dur à cuire, qui a la classe, une sorte de héros en somme. Comme Clint Eastwood dans Le bon, la brute et le truand : tout le monde s'interrompt, même le pianiste, lorsqu'il pousse les portes battantes du bar, et commande son double scotch. Il a ses dignes successeurs, comme Jules Winnfield dans Pulp fiction.

Certes, on a vu quelques badass girls apparaître dans la culture mainstream en sci-fi, telle Lara Croft, devenue l'icône de la franchise de jeux vidéos Tomb Raider, Sarah Connor dans Terminator 2: Le soulèvement des machines, ou Trinity dans Matrix (Et vous en trouverez sûrement d'autres...).

Rey dans Star Wars : Le Réveil de la Force, "scavenger" habitée par la Force

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Star Wars : Le réveil de la Force, d'abord (6,8 millions d'entrées en France à ce jour). Attention spoilers dans ce paragrap.... Son personnage principal est une nouvelle-venue dans la saga, Rey (jouée, comme souvent dans Star Wars, par une actrice méconnue, Daisy Ridley, 23 ans), sans nom de famille connu : la jeune femme survit seule sur la planète Jakku, une planète déserte rude, en revendant des pièces détachées de machines et de robots ("scavenger" en VO, pilleuse d'épaves). Comme naguère un certain Luke, elle s'accroche à l'espoir de retrouver sa famille, Lorsqu'un robot droïde fugitif, le BB-8, l'appelle à l'aide, elle se retrouve mêlée à un conflit d'envergure intergalactique, du côté des Rebelles...

Ce qui est intéressant est qu'elle se revendique elle-même comme une "no-one". Et pourtant, dès les premières séquences du film, c'est une jeune femme émancipée et débrouillarde (en sommes très contemporaine) qui se révèle : elle sait se battre seule pour éviter que l'on lui dérobe le BB-8. Lorsque Finn veut lui porter secours, elle lui intime à plusieurs reprises "Lâche-moi la main !". Elle sait démonter, réparer un robot en un clin d’œil, ou décrire ses caractéristiques techniques de façon détaillée (lorsqu’elle décrit le BB-8 à Kylo Ren). Loin de la robe virginale de princesse Leia, elle est vêtue de manière minimaliste, de la même manière que Luke Skywalker dans La guerre des étoiles (1977).

Elle sait piloter un vaisseau, dont le fameux Faucon Millennium, de manière totalement instinctive ("Je ne sais pas où j'ai appris à le piloter", avoue-t-elle à Finn). Surtout, elle possède la Force, et apprend progressivement à la manier. Ce qui n'en fait pas (encore) une Jedi puisqu'elle n'a pas suivi l'enseignement. On ne sais pas (encore) si elle a des liens de parenté avec des Jedi, comme Luke Skywalker. Mais elle apprend à la manier, et se situe dans le camp des Rebelles. Et surtout, elle manie le sabre laser, enfin ! Dans toute la saga Star Wars, Rey est la première femme (il a fallu attendre 2015 tout de même...) à recourir à la Force pour se battre, et à manier le sabre. Face à des hommes.

C'est là la grande nouveauté, la grande émancipation, qui en fait la première héroïne réelle de Star Wars. Lors de mon enquête pour Stratégies, l'historien Thomas Snégaroff (auteur de l'excellent Je suis ton père, ed. Naive) me disait à raison que "la princesse Leïa était modelée par une vision assez conservatrice : elle a la Force mais ne l'utilise pas, et se bat peu, à part pour utiliser parfois des fusils et pistolets". D'ailleurs, dans ce dernier opus, on voit à plusieurs reprises que Rey est en quelque sorte l'Elue, nouvelle dépositaire de la Force. Alors que Leia en a hérité naturellement par son père, Dark Vador, mais ne l'utilise pas.

Imperator Furiosa dans Mad Max : Fury Road

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Imperator Furiosa dans le dernier opus de Mad Max, ensuite. Un des autres blockbusters incontestables (2,3 millions d'entrées en France), et mythiques de 2015. C'est Charlize Theron (40 ans), à l'image jusqu'alors plutôt glamour, qui incarne ce personnage, crâne rasé et peinture de guerre noire sur le front. A milles lieues de la jeune femme vêtue d'une robe lamé or dans les pubs pour la parfum J'adore de Dior...

Dans un désert dévasté où survivent des humains, clans de cannibales, sectes et gangs de motards, suite à une guerre nucléaire, l'"Imperator" Furiosa, c'est donc la fidèle partisane de "Immortan Joe" (Hugh Keays-Byrne), un ancien militaire devenu leader tyrannique. Elle le trahit et s'enfuit avec un bien d'une importance capitale pour le chef de guerre: ses "épouses", un groupe de jeunes femmes lui servant d'esclaves et de "pondeuses".

Au fil du film, on découvre une Furiosa qui a donc monté cette fuite, avec une cause militante, assurer un autre avenir à ces jeunes femmes, et fuir elle-même ce régime despotique pour un paradis rêvé, un territoire utopique où elle est née. Preuve qu'elle a longuement préparé cette fuite, elle a même conclu un accord pour pouvoir traverser un canyon contrôlé par un gang de motards.

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Cette femme munie d'un bras robotisé (son bras manquant est représenté sur sa portière de camion), conduit et entretient son immense camion, doté d'un antidémarrage qu'elle seule peut déverrouiller. Elle peut même le réparer en s'agrippant en-dessous à son moteur, alors qu'il roule. Comme Rey, elle sourit peu, sait se battre, manier les armes... Elle aussi est vêtue comme une guerrière, avec un treillis kaki. A défaut d'une romance, une amitié s'esquissera avec Max, qui la sauve en lui transfusant du sang. Dans cette course-poursuite littéralement infernale, elle traversera une tempête, des canyons, perdra un œil, et manquera de perdre la vie, avant de revenir victorieuse la Citadelle avec sa prise - le cadavre de Immortan Joe - auquel elle va succéder en toute probabilité. Une femme devenue personnage principal d'un film de guerre, et s'apprête à prendre le pouvoir - la boucle est bouclée...

mardi 22 décembre 2015

Christmas songs 2015: feat. Phoenix, Mariah Carey, Bill Murray, Miley Cyrus, The Killers

Comme chaque année, à quelques jours de Noël, tradition pour les uns, bruit de fond agaçant pour d’autres, ces chants agrémentés de grelots et clochettes envahissent les playlists des radios, la musique d'ambiance des grands magasins, les réseaux sociaux, la télévision.

Vous ne pourrez pas échapper, au même titre que le pull en tricot orné d'un renne, l’overdose de chocolat au lait bon marché, ou la course aux cadeaux, voici donc Les chants de Noël : je ne pouvais déroger à la tradition de de billet-marronnier, en vous concoctant comme chaque année (après 2014, 2013, 2012...) une petite sélection 2015. J'y ai pensé il y a quelques jours en passant dans un magasin Gap (une des chaînes de vêtements US par excellence tout de même) ou résonnant (l'excellente) christmas song I wish it was Christmas today, de Julian Casablancas.

De fait, si la tradition est peu connue en France, c'est une institution autant culturelle qu'un rendez-vous dans l'agenda des labels musicaux : tout groupe ou chanteur, délicieusement has been ou dans le coup, se doit de sortir sa Christmas song, en respectant les codes traditionnels : gling gling de clochettes, vague bruit de hochet, paysages enneigés, paroles sirupeuses, etc. Ces tubes potentiels seront diffusés au fil des jours, tant dans les shopping malls que sur les radios.

Premier choix : sans équivoque la bonne surprise de l'année, ce titre qu'ont posté sur YouTube, il y a quelques jours, les petits Frenchies de Phoenix, une reprise des Beach Boys, Alone On Christmas Day, un morceau enregistré à la fin des années 70 et tombé dans les limbes. Pour ajouter un peu de la magie de Noël, Phoenix a fait appel au cultissime Bill Murray pour l'accompagner dans leur reprise. On pourra entendre le titre dans l'émission spéciale A Very Murray Christmas, un show entièrement consacré à l'acteur, devenu idole de la pop-culture. L'émission est diffusée sur Netflix US. A noter que tous les bénéfices générés par l'achat de la chanson iront à l'Unicef.

Bill Murray toujours (en smocking s'il vous plaît, et sous la neige), vous le retrouvez en guest star, en duo avec Miley Cyrus, en (presque) saga mini-robe de Mère Noël, dans Let It Snow (A Very Murray Christmas), heureusement fidèle à la tonalité jazz du titre initial.

Un de mes autres préférés, ce titre de The Killers, reformé pour l'occasion, Dirt Sledding, feat. ft. Ryan Pardey et Richard Dreyfuss, avec un bon rythme rock à partir de 1'30.

Une autre (mini)-star de la pop US se plie à l'exercice, Katy Perry, avec ce titre Every Day Is a Holiday. En bonne pro du marketing musical, Katy Perry s'est d'ailleurs inspirée d'un son dance diffusé dans la campagne publicitaire H&M actuelle - une manière de s'assurer qu'il reprendra son tube dans ses points de vente ? Le morceau a été produit par Duke Dumont, nominé aux Grammy Awards.

A ne pas zapper non plus, cette reprise du grand classique de Wham! (perso, une de mes Xmas songs préférées), Last Christmas, ici par Carly Rae Jepsen. Déjà dans son dernier album, Emotion, elle use et abuse des synthés langoureux, ce à quoi elle recourt de nouveau, ici avec un saxophone langoureux et (trop) réminiscent.

Kylie Milogue reste dans son style, dans Every Day's Like Christmas, avec un son synthé-pop reconnaissable sur tous ses albums... Le clip reprend les codes kitsch: Kylie et son chandail en laine pelucheuse, le sapin géant, Kylie qui décore son sapin, la fin de soirée au coin du feu... Pour les fans.

Plaisant aussi, ce titre au sein jazzy de Jessie J, The Man With the Bag, originellement de 1950. Vous remarquerez dans le clip le placement de produit Reiss...

Et enfin, pour bien clore cette sélection, un son bien punk avec August Burns Red, Home Alone Theme (instrumental).

Bonnes fêtes !!

vendredi 4 décembre 2015

Avons-nous vraiment besoin de l'internet illimité ?

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Déjà, cela m'avait fait tiquer : depuis quelques jours, les opérateurs télécoms se livrent cette bataille de prix un peu folle à coup de prix givrés (oui, j'assume le jeux de mots assez moyen ;). Free Mobile, qui adore décidément jouer les trublions depuis son lancement début 2012, a lancé il y a quelques jours sur le site de ventes événementielles Vente-privee.com (un canal de distribution dont il est devenu coutumier) une vente privée sur son forfait illimité à... 3,99 euros par mois pendant un an ! Au menu, SMS et MMS illimités, et internet mobile 4G avec 50 gigaoctets de datas (bien plus, soit dit en passant, que les 20 Go proposés par la plupart des opérateurs mobiles).

La riposte ne s'est pas faite attendre : SFR lançait à son tour une offre *événementielle* à 3,99 euros par mois pendant 12 mois (à condition d'y souscrire avant le lundi 6 décembre !), intégrant 20Go d’internet mobile ainsi les appels, SMS et MMS illimités. Virgin Mobile a suivi le mouvement, avec une offre similaire à celle de SFR, soit 3,99 euros par mois pendant 12 mois et sans engagement, avec SMS et MMS illimités, ainsi qu’internet 4G avec 20 Go de volume data.

La connexion internet, un bien commun

Cette surenchère low-cost survient dans un contexte où l'accès à internet s'est presque totalement généralisé dans les foyers français. Cela est devenu un service, presque un bien commun, au même titre que l'eau courante ou l'électricité. Imaginez: 83% des Français ont accès à internet à domicile (donc "seuls" 17% des foyers français ne sont toujours pas couverts), révélait vendredi dernier un rapport commandé par l'Arcep (le gendarme des télécoms) au Credoc, dont je parlais ici. Avec les smartphones (58% des français en possèdent) et les tablettes (35%), les Français sont devenus coutumiers de nouveaux usages : naviguer sur internet depuis leur mobile (52%, +12 points), télécharger des applis, géolocaliser un lieu (35%), ou utiliser des services de messagerie instantanée (25%), comme WhatsApp ou Snapchat.

Que ce soit sur son smartphone, avec son ordinateur, ou son téléviseur connecté, le quidam - et plus seulement le geek - a pris l'habitude de télécharger des contenus, de regarder des films en streaming... Des usages qui sont tous gourmands en données. C'est un cercle vicieux : au fil des années, alors que la qualité - et le débit - du Réseau s'améliore et grossit constamment, on a pris l'habitude de consommer de plus en plus de gigaoctets, de débit. L’internet fixe et l'internet mobile sont de plus en plus sollicités, pour connecter des appareils toujours plus nombreux.

Cet article d'InternetActu m'a aussi fait tiquer. Pourrait-on bientôt atteindre les limites du réseau, en terme de capacité de stockage ou de vitesse de transmission? Internet, le Réseau, semble propre, non-polluant, parce qu'il n'émet pas de déchets, et parce qu'il est totalement immatériel, abstrait. Mais est-il vraiment "environnementalement correct" (oui ceci est alambiqué ;), à l'heure des bilans post-COP21? Le réseau consommerait actuellement 2% de l’électricité produite dans le monde, et ce chiffre devrait doubler tous les 4 ans, avertit Rue89, citant une étude du chercheur Andrew Ellis.

Il estime carrément que notre niveau de consommation électrique lié au numérique serait de 8% de la production d’électricité total pour 2012 (en cumulant à la louche consommation des serveurs et centres de données qui stockent et distribuent l’information, consommation générée par les utilisateurs finaux, etc).

Connectés en permanence

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La faute, surtout, à la multiplication (appelée à s’accélérer) des appareils mobiles qu'utilise désormais (presque) chaque Français mobinaute. Cercle vicieux, chacun consomme de plus en plus de gigaoctets, de données distantes, et donc augmente la consommation énergétique globale. Pire: les nouveaux standards de connexion sont eux-même de plus en plus gourmands en énergie: “Le trafic sans fil via la 3G utilise 15 fois plus d’énergie que le Wifi, et la 4G consomme 23 fois plus”, pointent des chercheurs de la Columbia University dans cette étude, cités par InternetActu.

Evidemment, la multiplication des appareils portables et l'accès sans fil toujours plus simples augmente sans fin le temps que nous passons connectés, en ligne. Nous commençons à prendre l'habitude d'être connectés en mobilité de façon quasi-permanente. Qui n'a pas pesté dès qu'il perdait "sa" précieuse connexion 4G dans le métro ? Tout comme nous prenons l'habitude de "consommer" des "contenus" culturels de manière illimitée. Je vous épargne le sujet tarte à la crème du Fear of missing out (le FOMO, dont je parlais ici), et de la déconnexion volontaire comme nouveau luxe ;)

C'est bien pour cela que les marques, distributeurs, agences de pub, collectivités... multiplient les services de connexion wifi gratuit, souvent sponsorisés par des marques (vous avez le droit de vous connecter gratuitement une heure, à condition de visionner cette pub durant 15 secondes - un peu comme les pré-rolls à visionner avant votre documentaire en catch-up TV, in fine. La semaine dernière, le géant de l'affichage JCDecaux annonçait ainsi qu'il proposera le wifi gratuit (sans doute sponsorisé) sur les Champs-Elysées durant l'Euro 2016.

Limiter le débit ou la vitesse de l'internet ?

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Bref, nos usages nous entraînent vers une certaine "goinfrerie", où on consomme toujours plus de débits. Et ce n'est pas fini, avec ce que permettront la 3D à domicile, les casques de réalité virtuelle, bientôt l'holographie et les projecteurs holographiques...

Tabou: un rien radical, de Decker propose de limiter le débit, la vitesse ou les volumes. Il imagine ainsi "limiter la vitesse de connexion de l’internet sans fil, interdire ou limiter l’utilisation de la vidéo et promouvoir un internet de textes et d’images… Ou augmenter le prix de l’énergie pour rendre les alternatives hors ligne plus compétitives", précise InternetActu.

En tous cas, les opérateurs l'ont bien compris : la connexion, les SMS... en quantité "illimitée" sont devenus un argument marketing (cf le début de mon billet), Sans compter les opérations "4G illimitée" qu'instaurent certains pendant le weekend, comme Bouygues Telecom. Tout comme les uns et les autres commencement à monter des offres premium, voire haut de gamme, avec des débits personnalisés selon les usages des clients, estimait le cabinet de consulting Bain & Company, dans une étude parue il y a quelques mois. Dans le futur, on pourrait avoir des offres ultra-premium avec plus de débit à certains moments de la journée - ce qui annihilerait joyeusement le principe de la neutralité du Net, au passage.

Autre conséquence, les opérateurs surenchérissent dans des standards de connexion aux débits toujours plus rapides. Les "telcos" testent déjà la 4G+, et préparent la 5G. Tous tentent de convertir des immeubles entiers aux délices de la fibre optique, appelée à remplacer l'ADSL, déjà ringarde.

jeudi 26 novembre 2015

Quand Facebook, Google & co deviennent fournisseurs d'accès à internet

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Facebook est-il en train de devenir un fournisseur d'accès à internet (et/ou un opérateurs télécom, au choix) ? L'info, tombée cette semaine, est passée inaperçue en ces temps pour le moins troubles. Et pourtant, loin d'être anecdotique, elle traduit très bien cet idéal un brin messianique, commun à plusieurs des GAFA, et géants de l'industrie tech américaine.

Il y a cette initiative ambitieuse de Facebook, Internet.org, de fournir des services d'accès à internet gratuits aux pays en développement. Elle est maintenant disponible pour l'ensemble des Indiens avec le Free Basics app du réseau Reliance Communication. Reliance Communications est donc accessible à l'ENSEMBLE des Indiens, "1 milliard de personnes sans accès à internet" selon Facebook - sachant que l'Inde compte 1,2 milliard d'habitants! Reliance Communications est ainsi devenu le quatrième plus gros opérateur d'Inde: il comptait déjà 110 millions d'abonnés en juin, raconte Techcrunch.

Concrètement, Free Basics permettra aux Indiens d'accéder - oh surprise - à Facebook et Facebook Messenger (ce service de messagerie instantanée est essentiel, j'y reviens), et une multitude de sites tels que Wikipedia, BBC News, Bing, et des services locaux.

Alors oui, bien sûr, Mark Zuckerberg nous raconte sur la page (Facebook) dédiée, dans un post daté du 23 novembre, cette belle histoire de Ganesh Nimbalkar et son épouse Bharati, "qui subviennent aux besoins de leur famille en cultivant une terre de 5 acres depuis des générations à Maharashtra". Et comment grâce à Free Basics et internet, il a découvert des services tels que AcuWeather, pour mieux gérer la saison de la mousson, qui lui ont (un peu ) changé la vie.

Philanthropie supposée

Mais est-ce là vraiment le rôle de Facebook, à l'origine d'un réseau social devenu mondial, de devenir FAI ? Peut-on vraiment croire en la philanthropie supposée d'une des plus puissantes entreprises tech mondiales ? Ses détracteurs lui reprochent de ne proposer via Internet.org qu'une sélection de services, privilégiant ses partenaires (certains médias, etc), et rompant ainsi allègrement la neutralité du Net.

Qu'une société aussi puissante que Facebook contrôle ainsi des millions de nouveaux utilisateurs d'internet pose question. Free Basics a déjà étendu sa toile, outre l'Inde, à 30 pays à travers l'Afrique, l'Asie du Sud et du sud-est, et l'Amérique Latine. Ce projet, lancé en août 2013, vise tout simplement à élargir l'accès à Internet à 5 milliards de personnes de plus dans le monde. Encore en octobre dernier, Facebook annonçait avec Eutelsat le lancement d'un projet d'accès à internet (carrément) en haut débit par satellite pour l'Afrique, grâce à ses satellites géostationnaires.

D'autant que, en leur proposant un accès internet et, dans les services par défaut, la messagerie instantanée Facebook Messenger, Facebook se substitue à un opérateur. Comme nous l'avons déjà découvert en Europe, FB Messenger permet - ô surprise - de téléphoner gratos, au nez et à la barbe des opérateurs classiques, comme j'en parlais dans cet article..

Qu'est-ce qui motive Mark Zuckerberg ? Comme je l'écrivais en 2013, cette initiative venait à point nommé pour les partenaires industriels de Facebook (Nokia, Samsung, Ericsson, Qualcomm...): les marchés matures étant saturés, les zones pauvres comme l'Afrique, l'Amérique latine et certains pays d'Asie sont des réservoirs de nouveaux clients.

Messianisme des Gafa

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Couv' de The Economist, janvier 2010

Cela répond à un certain idéal messianique à l'américaine pour Facebook. Oui, c'est sûr, les technologies, le Réseau, vont changer la vie des gens, l'humanité. Tout comme Apple a toujours estimé fabriquer des produits qui vont changer la vie des gens (voir cette profession de foi de Tim Cook dans cet extrait de Inside Apple de Adam Lashinsky, "Nous pensons que nous sommes sur Terre pour fabriquer de grands produits. (...) Nous sommes constamment focalisés sur l'innovation. Nous croyons à la simplicité, on à la complexité") , Google prétend rendre le savoir accessible à l'Humanité via son moteur de recherche, et même changer le monde ("Notre ambition est de créer le meilleur des mondes", conclut Eric Schmidt dans The new digital age - coucou Aldous Huxley), Amazon faire des livres des biens de consommation courante...

Messianisme, mégalomanie ? En août 2013, Zuckerberg revendiquait ainsi un certain droit commun à la connexion, déclarant: "Tout ce que Facebook a fait jusqu'à présent est de donner aux gens à travers le monde l'opportunité de se connecter". Certes. Mais Facebook dépasse ainsi allègrement son rôle d'éditeur du plus grand réseau social au monde.

Opérateurs telcos

Il n'est plus le seul à s'improviser opérateur telco mondialiste. Dès 2010, Google annonçait le déploiement de Google Fiber, un service de fibre optique (ultra haut débit donc). Début 2014, il publiait déjà une liste de 34 villes américaines susceptibles d'être raccordées en 2015! En avril 2015, la firme de Mountain View provoquait frontalement les "vieux" opérateurs avec son premier service de téléphonie mobile (s'associant, quand même, à Sprint et T-Mobile US pour l'occasion), Project Fi, accessible uniquement sur invitation. Il permet aux utilisateurs de se connecter au réseau le plus rapide. Proposé 20 dollars par mois, surprise, il n'est utilisable avec un seul smartphone, le Nexus 6, développé... par Google, avec Motorola.

Même Apple envisagerait de se lancer comme opérateur mobile virtuel. Après tout, il dispose déjà d'une carte maîtresse, l'Apple SIM, une carte SIM "universelle", déjà fournie avec l'iPad Air 2 cellulaire aux États-Unis et en Grande-Bretagne (nooon, pas en France, les opérateurs ne le tolèreraient nullement).

lundi 19 octobre 2015

"Retour vers le futur", Nom de Zeus! (30 ans après. Mais est-ce une saga culte ?)

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Nom de Zeus, ils sont de retour ! Le 21 octobre, vous n'échapperez pas au raz-de-marée: soirées spéciales sur des chaînes de télé, ressorties dans des cinémas, coffrets collectors, kyrielle de produits dérivés et d'objets de collection...

Pourquoi le 21 octobre 2015 ? "Ca marche ! ha ha ha ha ha ha ! ça marche ! j'ai enfin réussi à inventer quelque chose qui marche !" (vous aurez reconnu cette citation..) C'est La date fatidique, celle qu’affiche l’écran de contrôle de la voiture DeLorean quand Marty McFly accompagne le Docteur Emmet Brown dans le futur, dans le deuxième volet de la trilogie sortie en 1989. En 1985 sortait le premier volet de Retour vers le futur, une de ces sagas cinématographiques marquantes dans la culture geek et pop à la sauce US des années 80. Au même titre que, évidemment, Star Wars, Tron, ou encore ''SOS fantômes''. Des sagas reflets d'une certaine époque, mais que les boîtes de production hollywoodiennes prennent plaisir à ressusciter : imaginez, un SOS Fantômes 3 est prévu pour 2016. Un dernier épisode de Tron était sorti en 2010. Et évidemment, le prochain opus de Star Wars est attendu pour le 10 décembre prochain. Logique : rien de tel que la nostalgie (le marketing de la nostalgie), d'une époque cotonneuse et idéalisée, en période de crise. Et les ados qui ont adoré ces films sont maintenant des trentenaires, cible privilégiées pour ces licences transgénérationnelles (pour parler marketing ;)

Paradoxe récursif et comédie

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Robert Zemeckis avait eu ce coup de génie de jouer sur les codes du film de science-fiction sans se prendre aux sérieux : alors que Star Wars revêtait les habits du space opéra, de la saga intergalactique, dans Retour vers le futur, avec un duo formé par un professeur Nimbus et un ado, la saga imaginait le futur dans 30 ans - aujourd'hui ! Sans avoir l'air d'y toucher, le film a imaginé plusieurs innovations très réalistes, concrétisées depuis pour certaines. Il a tout de même attiré 3 million de spectateurs dans les salles en France, et 30 millions outre-Atlantique. Même si, personnellement, je pense qu'il a une identité, des valeurs, moins marquées que la saga Star Wars (qui part de mythes chevaleresques, parle de princes et de princesses, du complexe d'Oedipe...). Retour vers le futur, c'est une certaine image plutôt lisse de l'Amérique des années 50 puis 80.

Mais il n'est pas si superficiel: inspiré d'un livre de René Barjavel (Le voyageur imprudent), il met en scène de façon comique un concept propre à la science-fiction, le paradoxe récursif ( si le héros tue un de ses aïeux, le héros ne peut pas naître...), que l'on retrouve par exemple dans Terminator. Par exemple, Marty, retourné vers le passé, doit absolument provoquer un flirt entre ses parents pour être sûr d'exister (vous suivez ? ;) "Mais Doc, tous ces risques de modifier le futur? Le continuum espace-temps?..." "Bah, on s'en balance!"

Films d'anticipation ?

Et si certaines des innovations de la saga se concrétisaient ? J'ai regardé en avant-première un documentaire "Retour vers le présent" coproduit par D8. Son réalisateur, Gilles Ganzmann, et son producteur Billy (Allo Houston Production) ont eu La bonne idée toute simple : confronter le monde imaginé par Robert Zemeckis il y a 30 ans à notre présent. Quelles innovations scénaristes dans le film ont vu le jour ?

Le docu de 90 minutes, diffusé sur D8 le 21 octobre ;), a déjà été vendu dans 40 pays en format 50 minutes, du Japon (Nippon TV) aux Etats-Unis, en passant par le Brésil (Glezz). "Nous avons voulu concevoir un docu international, qui aurait vocation à voyager", soulignent d'ailleurs le producteur et le réalisateur. "Ce qu'on aimait est que c'était le premier film de science-fiction où tout était positif". Une exception en effet, dans un genre narratif où la dystopie est plutôt la norme...

Alors, le documentaire a un ton entertainement (à la sauce D8) parfaitement assumé. Mais pour chaque innovation-star du film, il a tenté de trouver sa concrétisation, une start-up qui l'a conçue. Il a rencontré évidemment Robert Zemeckis, mais aussi Google, Microsoft, Hitachi, le patron de l'innovation chez PSA, des start-up dans la Silicon Valley... "Notre plus grand regret, c'est de ne pas avoir su anticiper sur l'apparition du téléphone portable", lâche, réaliste, Robert Zemeckis dans le docu.

Sans surprise, ils sont allés chercher quels objets-cultes du film se sont concrétisés. Il y'a eu bien sûr, pour l'HoverBoard, ce skateboard volant (dûment sponsorisé par Mattel dans le film), des communautés de fans-geeks, qui y sont allés de leurs inventions postées sur YouTube (des milliers de vidéos...). Mais ils ont déniché une start-up californienne (allez, je vous lâche le nom), Hendo. Des objets qui seront bientôt vendus (comptez 10 000 dollars pièce), pour des parcs d'attractions, et un futur X-Games est déjà prévu.

Autre objet-culte, les chaussures autolaçantes Nike, (magnifique placement de produit...), où la marque s'affichait en néons. Culte chez les fans, elles ont même été conçues en série limitée, à des fins humanitaires, révèle le docu : Michael J.Fox en a vendu une série limitée sur eBay USA pour financer son association de lutte contre la maladie de Parkinson.

Les voitures qui carburent à la bière grâce à Mr Fusion ? Une start-up californienne a imaginé des pompes qui convertissent bière ou coca cola en bioethanol.

La pizza déshydratée ? Si elle n'existe pas (heureusement), le docu nous montre les premiers Pizza Hut aux US dotés de tables tactiles qui permettent de commander sa pizza personnalisée. Il évoque aussi les premiers pizzas imprimées en 3D, qui pourront même être conçue dans l'espace : la Nasa avait organisé un concours d'inventeurs sur ce sujet précis en 2013.

Petit scoop, le docu revient sur la fameuse montre connectée mise en scène dans le film - on parle beaucoup des smartwatches depuis un an... Et on apprend qu'une marque de montres de luxe a failli en être sponsor dans le film, puis l'a dédaigné. Et pour le reste, je ne jouerai pas davantage les spoilers... ;)

dimanche 11 octobre 2015

Un abonnement télécoms = un abonnement presse gratuit (Convergence, le retour)

Faut-il y voir les premiers effets de la "convergence entre 'contenus' et 'tuyaux', que prônait un certain Jean-Marie Messier, alors patron de Vivendi, il y a (déjà) 15 ans ?

Vendredi dernier, SFR-Numericable, maison-mère de SFR, lâchait une petite bombe: les clients de SFR se verront proposer un an d'abonnement gratuit à L'Express. Plus précisément, les abonnés aux formules les plus haut de gamme de l'opérateur, les clients mobile 4G "à partir d'un forfait Power 5 giga-octets", pourront bénéficier d'un an d'abonnement à l'hebdomadaire l'Express en format numérique, via le service de kiosque numérique proposé sur mobiles et tablettes par la start-up Le Kiosk.

On ne sait pas combien d'abonnés SFR sont concernés par cette offre. Du moins, vendredi, le service de presse de SFR n'a pas été en mesure de me préciser combien de ses abonnés avaient un forfait Power de 5 Go ou Premium. Un sacré cadeau pour les abonnés SFR, en tous cas, "d’une valeur de 90 euros", souligne le site de l’opérateur.

On notera au passage que maintenant, la presse est un "service" comme un autre, proposé par un opérateur. "Lancés en 2013, les Extras de SFR (LeKiosk, Napster, iCoyote, CanalPlay, SFR Jeux et l'Equipe) sont valorisés comme des services intégrés, au même titre que SFR Cloud 100Go ou MultiSurf", évoque d'ailleurs négligemment l'opérateur dans son communiqué.

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Surtout, un verrou a sauté : la maison-mère de SFR-Numéricable, le groupe Altice, profite désormais d'avoir un pied dans les télécoms et un autre pied dans la presse pour lancer ce type d'offres, où les "tuyaux" (ici son réseau mobile, SFR) permettent de proposer du "contenu" (ici un hebdomadaire en version numérique), et ce grâce à une de ses dernières "prises", L'Express, navire amiral du groupe Express-Roularta, qui a donc été racheté par le groupe Altice en début d'année. Bref, de monter des offres marketing emboîtant ses différentes activités... Le groupe crée un précédent. Et il ne va sans doute pas s'arrêter là. Fin août, il a envoyé ce mailing à se clients SFR, leur proposant 2 mois d'abonnement "gratuit et sans engagement" au magazine 01net en format numérique: le magazine est arrivé dans le giron d'Alice Media Group France. Par ailleurs, des clients Numericable ont reçu en septembre un accès gratuit d'un mois à Libération, qu'a également racheté Patrick Drahi cette année.

Ce qui s'inscrit dans une tendance plus globale: depuis quelques années, les opérateurs américains rachètent des médias ou l’inverse quand Vivendi rachète Dailymotion. Déjà en 2001, la tête du groupe Vivendi, Jean-Marie Messier voulait rapprocher la gestion des tuyaux de l’information (Téléphonie, Internet) avec la production de contenus (label de musique, production cinéma, chaine de télévision…). Pour atteindre son but, il a multiplié les acquisitions, pour des montants parfois colossaux. La fusion en 2000 avec Seagram lui permet d'acquérir les studios de cinéma Universal. Son groupe, rebaptisé Vivendi Universal, était en 2001 numéro deux mondial des médias. Avant la chute que l'on connaît...

Plus-produits abonnements

Il y a encore quelques années, l'abonné potentiel à la presse (papier) mag' ou quotidienne était appâté par quelques goodies (remember, les livres, hors-séries, DVD, ou gadgets tels qu'une lampe-torche...). Puis sont venues les tablettes low cost offertes en sus d'un abonnement au média (versions papier et numérique), comme Rossel, en 2012, qui proposait une tablette Samsung avec un abonnement. Je me souviens aussi de la tentative des Echos, précurseur, en 2009, de se lance sur ce que l'on appelait alors l'ePayer (bien avant en fait un an avant - l'iPad et les tablettes !). Maintenant, la presse devient un "cadeau" proposé au client qui s'abonne au "tuyau", l'opérateur.

samedi 3 octobre 2015

"Mr Robot", & les hackers, super-héros des temps modernes (et pourquoi Hollywood les adore)

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Voix off sur fondu noir. "Bonjour mon ami. Bonjour mon ami? C'est faible. Peut-être que je devrais te donner un nom, mais c'est une pente glissante. Tu es seulement dans ma tête. Tu dois t'en rappeler. Merde! C'est en train d'arriver. Je parle à une personne imaginaire". Petit uppercut dès l'entrée en matière, révélatrice...

Durant ces derniers jours, j'ai dégusté, puis dévoré, dans un de ces accès de binge-watching qui deviennent la norme dans notre "consommation" de la culture, la première saison d'une nouvelle série, dont bon nombre de geeks de mon entourage parlent en cette rentrée, alors qu'elle n'est même pas (pas encore ?) diffusée en France. Mr Robot : c'est la plongée dans l'enfer psychotique d'un nerd absolu, un hacker révolté, radical. En juin dernier, USA Networks a commencé à diffuser la première saison de cette série, Mr Robot, récompensée au très hype festival SXSW. La série a été réalisée par Sam Esmail, et produite par United Cable ainsi que Anonymous Content (admirez le clin d'eil)...

Le pitch: un jeune new-yorkais réservé, entre anxiété sociale et dépression, Elliot Alderson (Rami Malek, acteur méconnu, génial) développeur hyperdoué dans une grosse société de sécurité informatique (Allsafe) le jour, hacker-voyeur-justicier la nuit, va se retrouver embringué par une bande de hackers radicaux, par ailleurs militants hacktivistes (qui renvoient bien sûr aux Anonymous) au sein d'un mystérieux groupe, Fsociety. Un groupe dirigé par Edward Alderson, alias "Mr Robot" (Christian Slater). Ils veulent détruire les infrastructures des plus grosses banques et entreprises du monde, notamment le conglomérat tentaculaire E Corp (qu'il surnomme Evil Corp), où l'on peut voir un mélange de Enron, Microsoft et Google. Avec cet idéal volontiers libertaire, "casser" le système informatique de la multinationale, et ainsi libérer tous les particuliers de leurs dettes... Cela va marcher, bien au-delà de leurs espérances, au point d'entraîner des soulèvements populaires. La série multiplie les références geeks : comme chez Tarantino, les pirates de Fsociety ont des dialogues truffés de référances pour initiés ("je dois naviguer à travers un répertoire de structure en mode Tron", "Mon subconscient tournant en tâche de fond me faisait douter de ce que j'avais fait croire à tous les autres", lâche Elliot). Voilà pour résumer. Je ne vais pas jouer les spoilers sur cette série que j'ai trouvée brillante, radicale, provocatrice (peut-être trop pour qu'elle trouve un diffuseur chez nos diffuseurs française ?), malgré quelques facilités dans le scénario.

Assurément, Mr Robot consacre un nouveau type de super-héros des temps modernes, équipé de sa cape et son épée virtuels : le hacker. Et j'y reviendrai, mais Hollywood adore : il a besoin en permanence de nouveaux héros autour desquels broder des storytellings qui vont faire rêver les foules... De quoi ringardiser les vieux super-héros qui donnent des films cheap à (trop) gros budget. Qu'est-ce qui colle mieux à notre époque déstabilisée q'un héros solitaire, rebelle, névrosé, et shooté à sa vie numérique ?

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C'est bien le personnage de Elliot qui est au cœur de la série : tout se déroule de son point de vue, il commente parfois en voix off, voire, semble prendre à témoin nous, les téléspectateurs, dans certaines séquences. Elliot donc, est en résumé "différent", n'accepte qu'a minima les codes de la vie en société et en entreprise, a une vie numérique cachée, solitaire, a ses névroses (qui deviendront centrales au fil de la série), ses addictions, a des opinions politiques radicales (tendance gauche libertaire)... Mais il se veut justicier, appliquant la justice à sa manière dans la vie numérique. Car il dispose de compétences rares et peu connues, comme prodige de l'informatique, capable d'accéder aux profondeurs du Dark Net - de quoi faire fantasmer le commun des mortels, et, là encore, Hollywood...

"Je ne sais pas comment parler aux gens"

Portrait-robot de notre jeune (anti)-héros donc, qui possède nombre de caractéristiques du hacker (et nerd)-type: l'adaptation au monde du travail et la vie sociale n'ont rien de naturel pour lui. Son boss, plutôt bienveillant à son égard, l'enjoint à ôter son hoodie (costume-type du nerd depuis Mark Zuckerberg) pour être sagement en chemise sur son lieu de travail. Sa meilleure amie, dans la même boîte que lui, tente vaimeent de le convertir au bases de la vie sociale en l'invitant régulièrement aux pots after-work avec d'autres jeunes dans le bar du coin. Souvent, il renonce au moment de franchir la porte du bar. D'ailleurs, Elliot l'avoue: "je ne sais pas comment parler aux gens".

Sa vision de la société est radicale : il n'a pas de page Facebook, qu'il hait, car "les réseaux sociaux gros plan sur un fil Twitter consistent à se spammer les uns les autres avec nos communautés de m***, en se faisant passer pour un fake, sur les réseaux sociaux qui nous volent notre intimité". Steve Jobs, héros des geeks, "s'est fait des millions de dollars sur le dos d'enfants" images d'une keynote de Steve Jobs,.... "C'est pas parce que les Hunger Games nous rendent heureux, mais parce qu'on veut être sous sédatifs. (...) J'emmerde la société!", lâche Elliott à sa psy.

Il y a d'ailleurs des fulgurances dans la série, sous le prisme de la dénonciation de la fausse transparence des réseaux sociaux : à un moment donné (épisode 3), il lâche: "Et si on affichait le code-source pour les gens aussi ? Les gens aimeraient-ils voir?..." Et cette séquence surréaliste où il imagine les employés de son bureau portant des pancartes sont placardés leurs secrets inavouables... Des fulgurances qui rendent la série radicale, en se référant clairement à Fight Club de David Funcher (1999).

Il a une haine certaine des multinationales, de 'Evil Corp', des puissants, qui forment à ses yeux une secte secrète, "un groupe puissant de gens secrètement en train de contrôler le monde".

Il a un secret obsessionnel, une addiction: il hacke tous les gens de son entourage: amis, collègues... Evidemment, il excelle dans le hacking, ce qui lui servira au de Fsociety, allant jusqu'à hacker un parking, à se créer une fausse page Wikipedia pour intègre le siège des serveurs de E Corp, ou encore une prison en piratant à distance le portable t'un flic posté à l'entrée... Parfois pour jouer les justiciers - autre caractéristique de la culture hacker (référence aux Anonymous...), comme menacer l'amant infidèle de sa psy. C'est d'ailleurs pour jouer les justiciers qu'il s'embarquera dans l'aventure Fsociety, pour mettre à genoux 'Evil Corp'. A un moment donné (épisode 3), il fixe le téléspectateur, affirmant "J'ai bien droit à quelques erreurs, je suis sur le point de changer le monde". Avec ce côté noir et blanc propre à tout hacker ( Black hat & White hat), à la fois "gentil" qui veut améliorer la sécurité informatique pour le bien de l'Humanité (car le hacher est souvent idéaliste), et "méchant" qui utilise se compétences à des fins criminelles.

Le hacker, ce rebelle du Dark Net qu'Hollywood adore

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Assurément, le hacker est hype. Un reflet de la société, et d'un certain syndrome de Stockholm auquel semble être en proie l'industrie de l'entertainment US. En novembre 2014, alors que USA Network commandait à Sam Esmail les 10 épisodes de la série, Sony Pictures était victime d'un piratage des mails de ses dirigeants par le collectif Guardians of Peace, dévoilant caprices de stars et blagues de mauvais aloi. Quatre mois plus tôt, les comptes iCloud de dizaines de people étaient hackés par un sale gosse, et les photos de Kate Upton et autres Kirsten Dunst circulaient sur 4chan et Reddit... La série Mr Robot est aussi imprégnée des mouvements comme le Printemps arabe en 2010 - 2011 et le rôle des réseaux sociaux (le réalisateur Sam Esmail est égyptien), Occupy Wall Street en 2011 qui fustige le monde de la finance, ou encore le piratage du site de rencontres extraconjugal Ashley Madison en juillet 2015.

Il y a quelques années encore, le hacker vu par Hollywood était cet ado boutonneux et bidouilleur à lunettes, cantonné à des seconds rôles. Puis il devient un héros, tant dans la société que les médias. Edward Snowden (consacré dans le documentaire Citizenfour, sorti en 2014), est devenu la star intègre des lanceurs d'alerte (une nouvelle race de hackers intègres qui risquent leur vie au nom de la vérité...), comme le plus ambigü Julian Assange. Dans le dernier James Bond, Skyfall, on a vu réapparaître Q (vous savez, l'inventeur) sous les traits d'un jeune geek hacker sexy.

"Black hat, white hat", hacker freak, et cyber justicier

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Le hacker le plus connu est bien sûr Lisbeth Salander (une femme, enfin), personnage central de la saga Millenium (dont le tome 4 cartonne): la punkette gothique sombre, un brin hardcore, passée par la case hôpitaux psychiatriques, aide le journaliste dans son enquête par sa propre investigation en ligne grâce au hacking. Elle aussi, elle a ce côté un peu freak où elle a une difficulté à interagir avec l'autre, et manie donc mieux le clavier que les relations humaines. Comme Elliot de Mr Robot. Ou encore comme Jess dans la série TV dystopique The Code (diffusée par Arte ce printemps), dont on comprendra au fil de la série qu'il est atteint du syndrome d'Asperger, une forme d'autisme qui serait propre aux nerds.

C'est justement un hacker que Michael Mann a mis en scène dans son dernier polar subtil, Hacker (Blackhat, en VO, sorti en mars 2015), Nicholas Hathaway, un pirate informatique qui purge une peine de prison, et est libéré s'il accepte de collaborer avec le FBI et le gouvernement chinois pour démasquer le coupable d'une attaque informatique contre une centrale nucléaire chinoise... Le héros solitaire est donc confronté à un ennemi virtuel, une nouvelle Mafia numérique qui menace de détruire une centrale. Michael Mann représente comme personne ce nouveau virus virtuel, qui circule dans une multitude de circuits informatiques...

Cela fait longtemps que Hollywood représente le hacker comme justicier masqué, tel un nouveau Batman. Depuis la mythique saga 80s Tron, ou encore Matrix, et bien sûr Guy Fawkes dans V for Vendetta, ce collectif de justiciers - bientôt rattrapé par la réalité, lorsque les Anonymous, au début des années 2000, en viennent revêtir son masque. Masque de justicier grimaçant qui est réapparu dans Mr Robot.

lundi 7 septembre 2015

Hype Cycle 2015: Humanisme digital, véhicules autonomes, IoT

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Hé oui, en cette rentrée (que je vous souhaite délicieuse, et pleine de nouveaux projets), pour se replonger dans le bain technologique, la Hype Cycle 2015 de l'institut Gartner, prise de vue instantanée des technologies et innovations de demain (et après-demain) est toujours parfaite. C'est loin d'être la première fois que je me plie à l'exercice . Cette année, j'en avais réservé la primeur aux lecteurs de Stratégies, avec ce décryptage, mais c'tait la moindre des choses de revenir avec l'édition 2015, entre nous, ici :)

Comme chaque année, on peut être dubitatif sur les nouveaux termes qui apparaissent - novlangue qui sera vite obsolète, ou phénomènes de demain? En tous cas, les prévisions de Gartner se sont souvent avérées fiables. Et j'aime beaucoup leur découpage des cycle des innovations en cinq étapes-clés, par niveau d'attente. Entre la première étape, les technologies naissantes ("technology trigger"), jusqu'à la phase d'industrialisation et d'adoption par le grand public ("plateau of productivity"). Elle permet de cerner les innovations émergentes, et leur degré d'adoption par le grand public et les industries.

"Humanisme digital" en 2015

Cette année, "People-literate technology", "brain-computer interface", ou encore "affective computing" figurent dans les expressions futuristes tout juste apparues. L'année dernière, c'était évidemment l'internet des objets ("internet of things"), les technologies de questions-réponses en langage naturel ("natural-language question answering"), ainsi que les interfaces utilisateur ("wereable user interface") qui étaient au sommet. Cette année, Gartner croit en l'émergence d'un "humanisme digital"– la notion selon laquelle les hommes sont au centre des innovations", souligne Gartner. Avec donc l'apparition de "people literate technology" et de "citizen data science".

Pour 2015, Gartner confirme l’émergence des véhicules autonomes ("autonomous véhicules"), qu'il place au pic des "attentes démesurées" ("inflated expectations"): il prévoit que le véhicule autopiloté arrivera à maturité d’ici 5 à 10 ans, pour atteindre les 250 millions de véhicules connectés dès 2020. De fait, les projets affluent: la navette autopilotée française Navya, l’automobile sans conducteur de Google, le projet Titan de voiture autopilotée d’Apple, le projet Renault Next Two...

Sans surprise, les "attentes démesurées" sont aussi grandes pour tout ce qui tourne autour de l’internet des objets, avec 25 milliards d’objets connectés (8) prévus dans le monde en 2020: les "wereables", les solutions de maison connectée ("IoT platforms", "connected home"), avec "des solutions et plateformes portées par des nouveaux fournisseurs de solutions, et des constructeurs".

Gartner confirme aussi l’émergence, comme en 2014, de services autour des assistants vocaux intelligents ("virtual personnal assistants") , dans le sillage de Siri d’Apple, dont les services de "speech to speech translation". De fait, depuis, Facebook a annoncé travailler sur un système d'assistant vocal.

On remarque aussi la maturité de l’analytique en libre service, de la traduction simultanée et du machine learning, qui sont susceptibles d’atteindre le plateau de la productivité d’ici 2 à 5 ans.

RIP le social co-bowsing, le social TV...

En revanche, preuve que les promesses technologiques peuvent vite s'éteindre, on voit la disparition du social co-browsing (collaboration étendue), des mobile virtual worlds (services mobiles et postes de travail nomade), ou encore... la social TV (portée porté par Twitter, un temps !), qui faisaient partie de ces technologies émergentes à fort potentiel, encore dans le Hype Cycle 2013.

RIP aussi le Big Data, déjà proche des désillusions l’année dernière, qui n'est plus une technologie en tant que telle, les grands volumes de données étant devenus une composante essentielle de nombre de technologies émergentes.

dimanche 26 juillet 2015

Bonnes vacances !

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Mexique, août 2008 / Capucine Cousin, Miscellanees.net

Il est temps pour moi de m'arracher à cette Toile virtuelle pour quelques temps, pour partir loiiiin, à l'écart de toute connexion. Bonnes vacances si vous avez la chance de partir, et avant tout, bel été !

Unfollowez responsable !

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Capture d'écran page Unfollow responsable / Capucine Cousin Miscellanees.net

Comment unfollower quelqu'un poliment sur Twitter ? (et même sur les autres réseaux sociaux). Et par extension, quelles règles de politesse s'appliquent sur un tel réseau social, lorsque l'on décide de prendre virtuellement congé de quelqu'un ? Il y a cette initiative un poil second degré, drôle, et tout à fait bienvenue, que je viens de repérer via Twitter (logique). Trois utilisateurs patentés de Twitter, @MVCDLM, @VChabrette et @Deraw_eu, on créé un "Formulaire d'unfollow", disponible sur un site dédié.

Le principe : sur le site unfollow-responsable.fr, une fois inscrite l'adresse @ de la personne que vous avez décidé de ne plus suivre sur Twitter, vous cochez une des cases, où du même coup, vous expliquez votre choix. Là, les formules sont imprégnées d'humour et de diplomatie, mais dans les faits, vous vous mouillez en justifiant et assumant votre choix (entre l'unfollow pour cause d'humour lourd, d'attention whore, d'absence de follow-back... Une manière de responsabiliser le twittos. Après, vous le signez et vous devez attendre la décision de la personne concernée. Si elle accepte, elle disparaît de vos abonnements. Si elle refuse, eh bien...

Netiquette

L'intérêt est que cette initiative met en relief la nouvelle Netiquette, les règles de politesse propres à Twitter apparues implicitement au fil des années - il faut se rappeler que Twitter est devenu réellement populaire (notamment chez les médias) avec l'affaire DSK, en mai 2011.

Est donc considéré comme impoli, notamment, l'"humour en déclin", l'attention-whore, la "lourdeur intensive", et l'absence de follow-back. Pour moi ce dernier point est discutable: je ne me formalise pas si des gens que que je suis ne me suivent pas. A mes yeux, il y a plus une dimension pratique, de "veille media", dans les gens que je choisi de suivre sur Twitter - je me constitue mon fil de veille, d'actus en continu personnalisé en choisissant de suivre certaines personnes sur Twitter, selon le type d'infos qu'elles y partagent. Même s'il y a aussi une dimension personnelle, affective: selon ce critère, je suivrai des proches, des amis, des collègues... En revanche, est-ce que je suivrai les gens que je n'apprécie pas dans la vraie vie ?

En tous cas, ce formulaire implique une sorte de formalisation des relations virtuelles sur Twitter: après tout, retweeter quelqu'un, "liker" se propos, le citer est aussi un facteur de popularité (tout comme jadis, le mentionner en Follow Friday). Mais en l'état actuel des choses, les personnes unfollowent en douce, sans explication, souvent au gré des tris effectués de temps en temps (surtout lorsqu'on s'aperçoit que son fil Twitter devient surchargé). Là, cela permet aux personnes unfollowées de comprendre pourquoi.

dimanche 19 juillet 2015

Work with sounds: et si des sons pouvaient disparaître de notre mémoire ?

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Pour le plaisir... Revoir le clip officiel de "Money" (Pink Floyd, The Dark Side Of The Moon, 1974)

C'est un de ces sons qui nous est incroyablement familiers, qui, en quelques secondes, fait jaillir une flopée de souvenirs, parfois lointains, embués. Dans "Money", le tube de Pink Floyd de 1974, les premiers accords de guitare se mêlent à des bruits de pièces de monnaie, et à celui d'une caisse enregistreuse.

Et si la caisse enregistreuse était amenée à disparaître, au profit d'une caisse informatisée ? Du coup, le son caractéristique, unique, qui y est rattaché pourrait disparaître lui aussi. Ce sont une multitude de sons liés à des machines, des usages quotidiens, qui sont en voie de disparition, car remplacés peu à peu par leurs pendants plus modernes. Des sons qui sont comme une Madeleine de Proust, derniers témoins d'une époque révolue (attention aux bouffées de nostalgie...), mais aussi à des gestes, des usages qui témoignent d'un quotidien tel qu'il était à une certaine époque. Et d'industries, des appareils voués à disparaître, à l'ère des progrès technologiques accélérés et de l'obsolescence programmée.

Il y a aussi le cliquetis d'une machine à écrire (appareil bientôt en voie de disparition), le son de la 2 Chevaux qui démarre, de la machine à café, de la craie qui crisse sur le tableau noir (en voie de disparition, au profit du TNI - Tableau Numérique Interactif, me souffle un collègue jeune papa), avec lequel me revient immédiatement en tête cette petite angoisse de la rentrée, le mal de ventre, l'odeur de la colle en bâtonnets Cléopâtre (et son odeur d'amande)... Ou encore ces petits "bip bips" aigus, le son de la connexion internet ADSL en 512 k...

Un paysage sonore de l'Europe industrielle

Tous des sons en voie de disparition qui vont bientôt être archivés, pour empêcher qu'ils disparaissent définitivement – et pour permettre aux générations futures de les connaître. C'est l'objectif du projet européen Work with sound (WWS), qui s'est donné pour mission de les collecter, les enregistrer, et les archiver, comme l'explique le site Archimag, repéré par Le Monde.

L'objectif: "recréer un paysage sonore de l'Europe industrielle", depuis le début du XIXe siècle, période de la première Révolution industrielle Six musées européens (de Pologne, Suède, Belgique, Finlande, Allemagne et de Slovénie) participent au projet depuis septembre 2013, financé avec l'Union européenne.

Quand on se ballade sur le site de WWS, il est conçu comme une véritable bibliothèque sonore. Déjà 400 sons, de quelques secondes à une minute, récoltés par des bibliothèques y sont minutieusement classés comme des livres, par thème (agriculture, enseignement, travaux manuels, automobiles, entertainment, pêche - sic) et par année. ont déjà été récoltés par les musées, documentés (objet, lieu, enregistrement) et illustrés d'une vidéo avant d'être classés par thèmes puis archivés dans une banque de données. J'adore ce crépitement de feu, ce vieux téléphone (que tente de reproduire une des sonneries standard de l'iPhone), le son du démarrage du Macintosh SE/30... Work with sounds ambitionne d'en récolter jusqu'à 600.

Les sons, sous licence Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0) sont librement téléchargeables et libres d'utilisation. On a un peu oublié les licences CC, très en vogue au début des années 2000 (j'en parlais par exemple ici et ), or c'est une vraie alternative au copyright. C'est même une des versions les plus souples de la licence CC qui a été retenue ici, qui permet des usages commerciaux.

Imaginez les usages possibles autour d'un tel projet: au-delà de son intérêt en terme de sauvegarde du patrimoine, chacun pourra enrichir sa playlist de sons du passé. Mais aussi pour la musique (à la manière des Pink Floyd), pour les ingénieurs du son en jeux vidéos, en télé, en cinéma, en publicité... Cet archivage immatériel est aussi important que l'archivage de photos, de textes, et même de sites web. Une mission pour la BNF et l'INA ?

dimanche 5 juillet 2015

L'e-cinéma, nouvelle forme de consommation des films ?

C'est un aimable divertissement, ce genre de film que l'on regarderait lors d'une soirée loose en zappant distraitement, ou alors le sacro-saint "film du dimanche soir", que l'on daigne précisément regarder à ce moment-là à la télé, après l’avoir sciemment ignoré lors de sa sortie en salle. Car il ne nous semblait pas "digne" de l'acquisition d'un billet de cinéma. Un incroyable talent, dernier film de David Frankel (Le diable s'habille en Prada, Marley et moi...), que j'ai donc regardé pour vous, chers lecteurs ;), raconte l'histoire (vraie) d'un certain Paul Potts (interprété par James Corden), sympathique et maladroit vendeur de téléphone portables de son état, dans la ville de Port Talbot, qui va trouver sa destinée grâce à sa voix exceptionnelle, devenant le premier gagnant de l'émission de téléréalité britannique «Britain’s Got Talent». Bref, un "feel good movie" inspiré d'une success story comme les adooorent les anglo-saxons, et qui surfe sur la vogue des émissions de télé-réalité musicales (coucou La Star Ac', The Voice, Nouvelle Star, et consorts). La présence d'acteurs britanniques renommés dans de seconds rôles (tels Colm Meaney, Mackenzie Crook) lui permet de se situer juste au-dessus du niveau du film "acceptable".

"Un incroyable talent", premier long-métrage programmé sciemment en VoD

Mais la particularité, la nouveauté réside dans son mode de distribution, et par conséquent de diffusion. Depuis ce vendredi 3 juillet 20 heures, il est distribué sur la quasi-totalité des services de vidéo à la demande (Filmo TV, iTunes, MyTF1VOD, Club vidéo SFR, Google Play, Orange, Pluzz Vad de France Télévisions...). Les créateurs de ce long-métrage ont gentiment ignoré la traditionnelle sortie au cinéma du mercredi matin.

Explication: son distributeur en France, Wild Bunch (dénicheur de talents, qui a notamment distribué Quentin Tarantino depuis Reservoir Dogs), a choisi volontairement de le sortir directement sur la plupart des plateformes de vidéo à la demande, et des terminaux OTT ("over the top" dans le jargon, comprenez mode de distribution de contenus via internet, sans intermédiaire, par les fournisseurs d'accès internet - sur TV connectées, ordinateurs, consoles etc.). Il est donc disponible en ligne depuis vendredi soir, pour 6,99 euros.

Il ne s'agit même pas du purgatoire réservé aux nanars ou films aux piètres performances dans leur pays d'origine, qui les condamnent à sortir directement en DVD (et jadis en cassette VHS). C'est un choix de distribution d'un nouveau genre: bienvenue dans l'ère du "e-cinéma". Mais derrière cette appellation au vernis d'innovation rassurant, sur le fond, le principe est assumé : zapper la sortie traditionnelle sur grand écran, et proposer un nouveau film directement au foyer des consommateurs téléspectateurs.

Wild Bunch s'est carrément doté d'une filière dédiée, Wild Side, qui gère donc les sorties e-cinéma. Et il compte sortir avec celle-ci, créée il y a quelques mois (comme le révélait alors Le Monde dans cet article), au moins cinq films par an.

Abel Ferrara en e-cinéma

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Certes, ce nouveau mode de distribution avait déjà été éprouvé par Wild Bunch pour la sortie de Welcome to New York d'Abel Ferrara, en mai 2014. Mais le contexte était alors très différent: par son sujet même, par sa (piètre) qualité, et son accueil pour le moins mitigé à Cannes en mai 2014, et surtout son mode de financement original, a poussé Wild Bunch à opter pour la VoD. A l'origine, aucune chaîne de télévision française n’avait voulu financer le film (qui avait pour inconvénient, pour elles, malgré la présence de la star Gérard Depardieu, de toucher à DSK), offrant du coup à Wild Bunch une liberté absolue sur la diffusion du film ("les chaînes de télévision, en échange de leur financement, demandent à disposer d'une fenêtre de diffusion exclusive", rappelait alors BFMTV.com). D'ailleurs, le bouche à oreille aidant (le fameux goût du scandale...), le film avait alors décroché 200 000 commandes.

Avec Un incroyable talent, Wild Bunch assume (et crédibilise) totalement l'utilisation de cette nouvelle "filière": il distribue par ce biais un blockbuster peu risqué, qui aurait probablement fait une carrière honorable sur grand écran.

Autre preuve qu'il assume, il a accompagné sa "sortie" d'une mécanique promotionnelle similaire à celle d'un film "classique": avant-premières pour la presse spécialisée, équipes ayant fait le déplacement à Paris pour accorder des interviews (campagne affichage ? ) Atout incroyable dans cette machine promo face au cinéma old school, l'e-cinéma a la droit de faire de la publicité à la télévision

Nouvelle forme de consommation du cinéma

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Reste à voir si cette nouvelle forme de consommation du cinéma va s'imposer dans les usages. Le modèle est le suivant: on paie 6,99 euros sur une des plateformes, pour "louer" le film pour une durée de 48 heures (comme naguère, une cassette vidéo ou un DVD chez son loueur favori, donc), que l'on regarde à sa guise, d'une traite ou pas, sur un écran (téléviseur, ordinateur...) chez soi. Le film reste diffusé en exclusivité pendant 6 semaines.

Le grand public est-il prêt à débourser 6,99 euros pour un film qu'il "loue" pour 48 heures ? Rappelons que bon nombre ont pris l'habitude de regarder une multitude de films et de séries chez eux pour 7 euros par mois (l'offre de base de Netflix), ou carrément sans rien payer (coucou le piratage et les offres illégales), prenant l'habitude de se "goinfrer" de cette multitude de contenus culturels (comme j'en parlais dans ce billet). Et si un billet de cinéma coûte en théorie autour de 10 euros (hors de prix, je vous l'accorde), la plupart des spectateurs déboursent en moyenne 4,50 euro par ticket de cinéma (entre les pass illimités, les pass 5 films, les chèque-cinéma fournis par tous les comités d'entreprise...). Et rien ne remplacera la sortie au cinéma, au sein d'un public, le cérémonial, le plaisir de l'écran noir avant (et du cônes en début de séance l'été... Enfin ça, c'est un de mes plaisirs de cinéphile :)

Mais l'e-cinéma pourrait vite s'imposer comme autre circuit de distribution : il est beaucoup moins cher que le réseau de salles de cinéma, pour un public-cible bien plus large (80% des foyers français ont par exemple potentiellement accès à Un incroyable talent). D'autant plus que les ménages français sont désormais (sur) équipés en téléviseurs HD et autres tablettes. Autre atout, il donnerait une chance de succès à nombre de films alternatifs et/ou à petit budget, n'ayant pas les moyens de "monter" en salle. Alors que le réseau de salles traditionnelles est saturé, avec en moyenne une dizaine de sorties de films par semaine. Accessoirement, l'e-cinéma permet aux distributeurs de contourner gentiment la chronologie des médias, (pour l'instant) inaliénable en France, soit laisser passer quatre mois entre les sorties en salles et en VoD.

TF1 eCinema... Et l'ombre de Netflix

Une chose est sûre, Wild Bunch n'est pas le seul. Le géant TF1 s'y met aussi. Le 1er mai, TF1 Vidéo lançait son offre eCinema , avec Son of a Gun (avec Ewan McGregor), puis le 3 juillet Everly (avec Salma Hayek). Il promet au second semestre des titres comme Momentum (avec Olga Kurylenko et Morgan Freeman), ou encore MI-5 Le film (avec Kit Harrington).

Tout comme Netflix, arrivé en France de manière fracassante avec son offre de SVoD en septembre dernier. A sa manière: il propose des séries exclusives de haut niveau, produites par -lui-même, et signées de cinéastes de renom (dernière en date, Sense8, série de science-fiction des Waschowski) , mais aussi des films qui ne sortiront jamais en salles (The Disappearance of Eleanor Rigby, ou encore St. Vincent de Theodore Melfi, une comédie avec Bill Murray et Melissa McCarthy). Ça y est, une brèche est bien ouverte.

dimanche 14 juin 2015

"Implant party": une puce NFC sous la peau

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Awa, première "implantée" / Photo Capucine cousin

Elle a tenu à rester anonyme devant les quelques journalistes venus ce samedi soir, précisant tout juste qu'elle travaille "dans le numérique". Pour elle, se faire poser un plant sous-cutané c'est "expérimenter, comme tester un nouveau logiciel ou une appli mobile. Je pourrai le retirer comme je retirer une appli". Elle s'est portée volontaire sans hésitation. Lors de la courte opération, en quelques secondes sous l’œil du public de l'amphithéâtre, elle n'a pu s'empêcher de dégainer son smartphone et de prendre quelques photos avec sa main droite restée libre. La jeune femme, Awa, 24 ans, a été la première en France a avoir une implantation sous la peau d'une puce NFC. "It's in !Call me a cyborg now ! ", tweetait-elle quelques minutes plus tard, en plaisantant. A moitié.

Samedi 13 juin au soir, l'auditorium de la Gaité Lyrique à Paris, dans le cadre de Futur en Seine, un festival de quatre jours dédié au numérique, accueillait la première édition française de l'Implant Party. Un rassemblement au cours duquel des participants volontaires se sont fait greffer sous la peau des puces électroniques minuscules.

Puce NFC sous la peau

L'opération ne prend que quelques secondes : après une désinfection minutieuse du bras, Urd, perceur professionnel, injecte avec une sorte de grosse seringue une puce NFC de la taille d'un grain de riz. L'injection, sous la peau, se fait sur le dos la main, entre le pouce et l'index. La décision n'a pas été forcément mûrement réfléchie, à voir la foule compacte qui se presse pour se faire "implanter" sitôt la conférence-débat achevée. Tout juste les participants ont-ils signé obligatoirement, auparavant, un "Contrat de transplantation", pièce d'identité à l'appui, par lequel l'association suédoise se dégage, au passage, de tout risque de poursuites en cas d'effets indésirables (j'y reviendrai plus bas). Mais à la clé, il y a cette promesse vertigineuse: une puce qui leur permettra d'ouvrir leur parking, leur porte d'entrée, de se "badger" au bureau, de remplacer les cartes de visite, cartes de fidélité, un jour les cartes d'identité...

Ces fameux implants sont donc des puces NFC (ou puces RFID), comme celles des passeports ou des cartes de crédit ou celles implantées sous la peau de nos animaux de compagnie. Concrètement, la norme NFC (Communication en champ proche), une technologie de communication sans contact de courte portée, permet à deux périphériques de communiquer entre eux sans-fil. La plupart des smartphones dernière génération en sont aujourd'hui équipés sous la forme d'une puce, tout comme certaines cartes de transport ou moyens de paiement.

Alors, vous imaginez les perspectives, à partir du smartphone... Concrètement, il suffira d’approcher sa main d'un smartphone ou de tout appareil doté d'une puce NFC pour lire les données contenues sur sa puce. Sans compter les usages que cela promet avec les objets connectés, pour ceux qui seront aussi sous la norme NFC.

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Les différentes cartes que l'activiste Hannes Sjoblad a concentrées sur sa puce sous-cutanée.

A l'origine du projet, Bionyfiken. L'association suédoise a été créée en ligne l'année dernière, "par un groupe de personnes intéressées par le biohacking. Nous nous sommes inspirés d'initiatives comme La Paillaise à Paris et BioCurious en Californie. Nous comptons à peu près 200 membres", me précisait samedi Hannes Sjoblad, son fondateur, lors d'une interview.

Des "implant parties" qui se sont multipliées en Suède depuis octobre dernier, un peu à la manière des Botox parties qui ont fleuri en Floride au début des années 2000. L'association revendique avoir "implanté" 700 personnes en Suède. Ils en ont organisé aussi au Danemark, aux Etats-Unis, et au Mexique.

Pour les activistes suédois à l'origine de cette soirée particulière, un impératif : dédramatiser, banaliser cette pratique. "C'est dans la lignée du tatouage, qui existe depuis des millénaires, et permettait d'identifier des personnes, et du piercing. (..) La puce RFID combinée au piercing aboutit au biohacking", résume Hannes Sjoblad lors de la conférence-débat qui suit la première implantation publique.

"On transporte beaucoup de choses dans nos poches: clés, smartphone, portefeuille... Et on a une multitude de mots de passe que l'on n'est pas adaptés à mémoriser", poursuit Hannes Sjoblad. Avec cette photo, il montre la multitude de cartes (de visites, de fidélité..) et clés qu'il a déjà intégrées dans sa propre puce sous-cutanée.

Et là surgit le mythe : ouvrir sa porte, prendre le métro, déverrouiller son téléphone, s'identifier à l'entrée du bureau, faire un paiement, transférer ses datas santé ou d'identité... Le tout centralisé dans une seule puce électronique implantée dans sa main : est-ce que cela sera bientôt possible ? Jean, architecte informatique, tout juste "implanté", programme déjà sa puce depuis son smartphone: il rentre l'identifiant unique (une suite de chiffres) de sa puce, son adresse, qui permettra à quiconque scanner sa puce d'être redirigé vers son profil Linkedin. Pour lui, l'idée est de pouvoir communiquer avec des objets différemment, être "un explorateur", explique-t-il aux médias sur place. Lui aussi rêve de pouvoir "scanner des clés ou des cartes de visite" avec son mobile.

De fait, l'objectif pour l'association est de faire tester, expérimenter ces puces sous-cutanées. "On veut explorer cette technologie, avec une base de volontaires, avant que les grosses firmes "telles que Microsoft ou Apple) ne se lancent", précise Hannes Sjoblad.

Autre argument des tenants de cette technologie, ses données sont anonymisées et non-traçables, contrairement à celles d'un smartphone : "on met les données que l'on veut sur sa puce, et l'on n'est pas obligés de mettre son nom", poursuit le militant.

Interfaces hommes-machines, dépasser les limites de l'humain

Alors évidemment, on effleure là le mythe de l'homme augmenté, que j'évoquais notamment ici, qui acquiert de nouveaux sens, de nouvelles capacités, par des composants artificiels. Ses prémices ? "L'implant est une interface simple entre le corps et la technologie. (...) Cela s'inscrit dans la simplification des interfaces entre les humains et les machines", poursuit Hannes Sjoblad, qui est par ailleurs membre de la Singularity University, proche des idées du transhumanisme.

Cela se rapproche aussi du biohacking et du body hacking, qui consiste à transformer le corps humain en faisant appel à la technologie, grâce à des composants artificiels que l'on implante dans le corps, que pratiquent des bidouilleurs militants d'un nouveau genre. Ce dont parlait très bien Cyril Fiévet dans Body hacking (ed. Fyp, 2012), que je chroniquais dans ce billet. Une pratique presque politique : au nom de la liberté individuelle et du droit à disposer de son corps, une poignée d'individus entreprennent sur leur corps des modifications physiques parfois radicales. Passant outre, du même coup, l'intermédiaire classique, l'autorité scientifique. Pour ces body hackers, l'idée-clé est bien celle de modifier son corps pour dépasser les limites de l'humain, comme Cyril Fievet l'a relevé à longueur de témoignages sur le forum Biohack.me.

Ethique et transhumanisme

D’ailleurs, les biohackers mêlent "des scientifiques, des hackers, des activistes transgenre, des artistes du body art, des DIY-enthusiasts. Pour moi, nous devrions considérer cos corps comme une plateforme. Cela peut sûrement être vu comme un point de départ transhumaniste. Le transhumanisme est pour moi moins une philosophie qu'un insight : bien ou pas, nous changeons déjà nos corps et nos esprits de manière massive avec les technologies", me confiait Hannes Sjoblad.

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Contrat d'implantation / Capucine Cousin

Mais cette pratique naissante pose plusieurs questions inédites d'éthique et de sécurité. Quelle régulation? Quelles limites poser à ces pratiques? Et en termes de santé, quid des risques d'allergie (cf les nombreux cas d'allergies aux boucles d'oreille fantaisie chez les femmes), de réactions sous-cutanées, de rejet?... Avant l'"implant party", les participants aux festivités ne doivent pas dégainer leur carnet de santé ou leurs antécédents de santé. Tout juste, pour se dégager de risques juridiques, l'association Body R-Evolution a monté un "contrat d'implantation", dont plusieurs parties rassemblent à celle d'un contrat de tatouage ou de piercing.

En le lisant dans les détails, on constate que le futur implanté confirme "avoir été informé des risques éventuels de rejet de l'implant, d'infection, d'allergie à un produit utilisé, etc". Il est censé se rendre "chez un professionnel" (un des pierceurs qui l'a implanté) pour le suivi de la cicatrisation, et bien sûr "être d'accord avec la démarche de l'implantation dans son ensemble"''.

Pour retirer son implant, il pourra se rendre chez un pierceur. Le pierceur Urd me montrait qu'il reste en effet à la surface de la peau, en faisant rouler sa minuscule puce sous la peau sur son poignet.

Ce n'est que le début. L'association suédoise inaugurait il y a quelques jours dans le Makerspace de Stockholm son biohackerlab.

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