Black Mirror, Electric Dreams, Altered Carbon... Pourquoi l'anticipation cauchemardesque est tendance

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Connecté, déconnecté... comment cela nous a pris, le rêve de nous déconnecter; nous qui rêvions à une époque, à la fin des années 90, aux débuts d'un internet libre et ouvert, d'un monde numérique où tout serait accessible, immédiat et partagé ? La dernière bande dessinée d'Enki Bilal, Bug (ed. Casterman) imagine un gigantesque black-out du monde connecté, où il faudrait tout réinventer. Dans un futur pas si éloigné, en 2041, toute la mémoire informatique du monde s'envole soudain, créant un chaos monstre. La Terre est confrontée à la disparition brutale et inexplicable de toutes les sources numériques planétaires, des plus gros serveurs de la toile aux plus petites clés USB. Dans une société où tous vivent à travers leurs écrans, leurs ordinateurs et leurs téléphones, qui sont les témoins de leur passé, et les complices de leur avenir.

Malaise de l'être hyperconnecté

La saison 4 de la série télévisée britannique Black Mirror, disponible sur Netflix, met elle aussi la lumière, dans chaque épisode, sur la violence insidieuse de nos écrans, et l'aliénation technologique. De même, dans sa première série anthologique de science-fiction, son rival Amazon Studios, Philip K Dick’s Electric Dreams, reprend dans 10 épisodes indépendants les prophéties, tantôt paranoïaques, tantôt réalistes, du romancier, à l'origine des cultissimes Blade Runner et Minority Report entre autres. Auparavant, ces derniers mois, il y a eu Westworld (HBO), Humans (adaptation sur AMC de la série suédoise Real Humans, chroniquée ici, diffusée sur Arte), la plus confidentielle Transferts, sur Arte...

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Et dans quelques jours, le 2 février, Netflix dégainera son nouveau blockbuster SciFi, Altered Carbon, tiré de l’oeuvre de Richard K. Morgan, un technothriller cyberpunk où un ancien soldat, seul survivant d’un groupe de guerriers d'élite vaincus lors d’un soulèvement contre le nouvel ordre mondial, a son esprit "emprisonné dans la glace" pendant des siècles. Jusqu’à ce qu'un homme extrêmement riche et vivant depuis plusieurs siècles lui offre la chance de vivre à nouveau. En échange, Kovacs doit résoudre un meurtre... Celui de Bancroft lui-même.

Décidément, la dystopie, ce registre de science-fiction qui imagine un futur horrifique à partir des travers de notre société, inspire tous azimuts, y compris les nouveaux mastodontes des séries télévisées, qui sont un des meilleures reflets mainstream du monde d'aujourd'hui. Et donc, tous cernent cette évolution un peu folle d'internet en une quinzaine d'années, depuis les utopies libertaires du début des années 2000. Maintenant, dans l'hypermodernité d'aujourd'hui, beaucoup interrogent sur le malaise de l'être connecté, du tout-numérique, puisque sur internet, on n'est plus tout à fait nous-mêmes, la spectacularisation de l'existence, où chaque intervention sur les réseaux tourne à la mise en scène de soi. Avec ce paradoxe, la déconnexion est-elle indispensable pour l'être sociable ?

Hommage à K. Dick chez Amazon

Avec Philip K. Dick’s Electric Dreams, disponible depuis le 14 janvier, Amazon Studios dégaine donc sa première série futuriste d'anthologie, avec des épisodes qui se superposent. L'adaptation de courtes nouvelles de K. Dick, trésors souvent méconnus. Amazon, qui s'est lancé à marche forcée (voir mon enquête ici), en toute discrétion, dans la production de séries et films prestigieux, avec pour coup d'essai en SF l'adaptation d'un autre bijou de Philip K. Dick, Le maître du très haut château, où il imaginait un monde où les nazis auraient remporté la Seconde guerre mondiale aux côtés des japonais.

Ici, avec castings de rêve (Steve Buscemi dans Boardwalk Empire) et réalisateurs-stars (Alan Taylor, Game of Thrones et Terminator Genisys), au fil des épisodes, on voyage dans des mondes désenchantés où l'homme a perdu le combat face aux nouvelles technologies. Dans ces mondes, des extra-terrestres prennent possession des esprits, et l’innovation asservit les consciences et l'autonomie au nom de la sécurité.

L'impossibilité de communiquer, les technologies qui nous enferment, l'humain perfectible en constante opposition à des machines (trop) parfaites.... On retrouve ainsi tous les ingrédients qui étaient déjà chers à K. Dick, et sont étrangement de nouveau d'une cruelle actualité : les pouvoirs télépathiques des mutants (The Hood maker), ou l'impossibilité de communiquer, dans Impossible planet (publié en 1953!), où ce sont deux employés désenchantés du tourisme spatial qui n'osent pas dire la vérité à une riche dame âgée, qui rêve d'un voyage vers une planète disparue, la Terre.

Autre obsession de K. Dick à quoi serions-nous prêts pour avoir la vie que l’on mérite ? Il est mis en scène dans l'épisode The Commuter, fable métaphysique où l'employé d'une gare découvre que des passagers prennent le train pour une ville qui ne devrait pas exister. Quand il enquête, il se retrouve face à face avec une "réalité alternative" qui le force à affronter ses propres difficultés dans sa "vraie" vie, sa relation avec sa femme et son fils.

S'accommoder d'une vérité alternative, cela perce encore plus dans l'épisode Human Is, où une femme souffrant d'un mariage sans amour voit son mari reenir d'une bataille avec des aliens, étrangement gentil. Il est désormais "habité" par un alien: elle le sait, mais préfère s'accommoder de cette nouvelle réalité. Cela nous plonge au cœur du questionnement principal de Philip K. Dick : Qu'est-ce qui nous définit vraiment comme humains ?

Autre sujet récurrent, les dangers de l'hypersécurité. Dans Safe and sound Une jeune fille originaire d'une petite ville et d'une "petite" planète, déjà atteinte de phobie sociale, emménage dans une grande ville futuriste avec sa mère. Exposée pour la première fois à l'intensité de la prévention sur la sécurité et le terrorisme de la société urbaine, ses jours d'école ne tardent pas à s'emplir de peur et de paranoïa...

Miroirs noirs et déformants

Des thèmes qui ne sont guère très éloignés de la saison 4 de Black Mirror, chef-d’œuvre signé Charlie Brooker. Depuis la diffusion de ses premiers épisodes sur Channel 4 en 2013, ce "noir miroir" veut nous avertir sur comment la présence grandissante des écrans change profondément notre rapport à ceux-ci. Ces écrans forment aussi le miroir noir et déformant d’une humanité qui s’y abandonne...

Hypersécurité toujours, dans le très réussi Crocodile, une détective privée membre d'une société d'assurances enquête sur un banal accident de la route à l’aide d’une technologie, sorte de test de vérité high tech, qui lui permet de matérialiser en images vidéos des souvenirs des témoins. En plongeant dans la mauvaise mémoire, elle va réveiller le souvenir d’un crime ancien d'une des témoins, et déclencher une spirale irrépressible de violence. ..

Dans Arkangel (réalisé par Jodie Foster hersefl), les dangers de l'hypertechnologie et de la surveillance liberticide sont aussi invoqués à travers le récit d'une jeune mère qui décide de faire implanter à sa petite fille une puce GPS, encore en phase de prototype, permettant de suivre à distance ses moindres faits et gestes sur une tablette. Mais aussi de voir à travers les yeux de sa fille, et de brouiller les pans du réel qu’elle estime potentiellement choquants…

Sans surprise, la thématique des robots qui se rebelleraient trouvent aussi leur place dans cette saga, avec le très réussi Metalhead, thriller entre Terminator et DuelPhilip K. Dick de Spielberg, où le noir et blanc sert d'écrin à un monde post- apocalyptique, où quelques humains survivent face à des petits robots (qui ressemblent étrangement aux bestioles robotisées de Boston Dynamics...). On y voit la terrible poursuite d'une femme par un robot-chien tueur impitoyable.

Je finis avec le meilleur, la romance 5.0 dans Hang the DJ, qui dénonce un des autres services de l'hypertechnologie à outrance, les sites de rencontre. Et imagine les dérives possibles des AdopteUnMec, Meetic et consorts en applis de rencontres bien intrusives. Ici, une application de rencontre hyper-développée qui permet à ses clients de rencontrer le ou la partenaire idéal(e) grâce à un algorithme complexe (ça ne vous rappelle rien ?). Dans un monde futuriste autoritaire (dictatorial?), soumis à des règles strictes, les utilisateurs sont obligés d'accepter des relations-tests destinées à préciser leur profil. L'appli choisit pour eux leur partenaire idéal. Mais des utilisateurs vont se rebeller...

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