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dimanche 27 novembre 2011

Newsring et Quoi.info: entre débats et Wikipedia de l'actu

Assurément, sur la Toile, on est en plein bouillonnement, avec une foison de nouveaux projets qui mêlent participatif et actu, le tout étant d'autant plus porté par les échéances électorales de 2012, qui incitent médias old school ou start-ups des médias à proposer au grand public de nouvelles expériences, de nouvelles approches de l'actu. Il y a eu le lancement ce printemps du Plus du Nouvel Obs, France Télévisions qui a lancé il y a 15 jours son très prometteur site Francetv.info (site qui se revendique du "live", de "l'actu en continu"), et consacre ainsi le format journalistique du live, dont je parlais dans ce billet), Canal+ qui a lancé Présidentielle2012, son site d'infos dédié aux présidentielles, Le Lab du groupe Lagardère (site d'actu dédié aux présidentielles commun aux rédactions d'Europe 1 et Paris-Match, piloté par Laurent Guimier, directeur général adjoint chez Lagardère Active) qui est attendu ces prochains jours, et bien sûr l'arrivée très attendue (surestimée ?) du Huffington Post en France, au mieux pour décembre (s'ils parviennent à trouver un rédacteur en chef...). Peut-être simple effet de hype, comme l'adore la Toile, en tous cas, ces nouveaux médias tentent d'innover, de proposer d'autres lectures de l'actu à l'internaute.

Pour aujourd'hui, j'ai testé deux de ces petits nouveaux, Newsring.fr et Quoi.info, qui viennent de s’entrouvrir en version beta privée, annoncés sur la Toile respectivement pour début décembre et le 30 novembre, que j'ai parcourus. J'en ai parlé dans cet article et celui-là fin octobre pour Stratégies: on a donc Newsring.fr, site de débats thématiques qui privilégiera les contributions des internautes, experts et blogueurs, et Quoi.info, site d'information sélectionnant des sujets d'actualité, où les internautes pourront contribuer. Dans les deux cas, tous les contenus sont en accès libre, mais il faut créer son profil pour pouvoir contribuer. Aux manettes pour Newsring.fr, Julien Jacob (cofondateur d'Obiwi, ex-vice président de CBS France), qui s'est associé au groupe Webedia (PurePeople, Ozap, etc.), Philippe Couve (ex- RFI, Rue89 et Owni) et Frédéric Taddeï jouera un rôle transversal, tandis que Quoi.info a été cofondé par Cyrille Frank (ex-rédacteur en chef d'AOL France), Frédéric Allary (ancien DG des Inrockuptibles), rejoints par Serge Faubert. Le premier projet a levé 3,5 millions d'euros, et le second 400 000 euros.

Newsring.fr, "amener ceux qui discutent dans des cafés sur la place du marché"

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C'est l'image employée par Frédéric Taddéi à propos de Newsring.fr, en quelque sorte un Ce soir au jamais en version totalement numérique... Le sous-titre de Newsring.fr est d'ailleurs "Faire progresser le débat". Le découpage thématique, classique (Politique, Société, Monde, Economie, Culture, Local, Medias & tech, Planète & sciences, Philo) est affiché dans le header du site. Les sujets d'actu pour lesquels le site propose des débats sont affichés dans une colonne centrale, avec par exemple, en ce dimanche soir, "Faut-il empêcher l’Iran d’avoir l’arme nucléaire ?", "Les bons sentiments font-ils de bons films ?" (en rapport avec le succès phénoménal d'Intouchables, qui vient d'atteindre les 9 millions de spectateurs), "Eva Joly est-elle la meilleure candidate écolo ?", "Pour ou contre le droit de vote des étrangers aux élections locales ?", "Les réseaux sociaux nuisent-ils à la productivité des salariés ?"...

En colonne de gauche sont affichées les contributions / tribunes de personnalités. Et en colonne de droite les fonctions "sociales" du site: le bloc Activité compile commentaires, votes, contributions... des membres, mais aussi qui suit qui. On trouve plus bas un classement des "Top contributeurs", puis les "Débats du moment", où les sujets les plus débattus (donc qui suscitent le plus de commentaires et de votes) remontent automatiquement en tête, dans un système similaire à Digg.

Par exemple, en cliquant sur le sujet Les réseaux sociaux nuisent-ils à la productivité des salariés ?, qui m'intéresse particulièrement, en cliquant sur "Le contexte", un court article (un feuillet environ) me précise le contexte. En cliquant sur "Le débat", j'ai plusieurs points de vue, entre la blogueuse Agnès Maillard, l'entrepreneur Olivier Cambournac, l'entrepreneur Nicolas Le Gall, et la community manager Anne-Laure Raffestin, chargés au préalable par les journalistes - "orchestrateurs" de Newsring de lancer le débat en donnant leurs points de vues. Là encore, on visualise l'activité du débat, les Top contributeurs, ainsi que le nombre et le pourcentage de votes (oui ou non) sur le sujet. L'internaute-membre peut voter ou commenter ces points de vue, ou cliquer sur "Suivre le débat", ce qui lui permet de recevoir les notifications sur ce débat par e-mail.

Sympa, ce volet très "culture numérique", qui permet à l'internaute de suivre sur le Tumblr de l'équipe les conférences de rédaction en direct via un live sur Coveritlive: modéré par un journaliste, les internautes peuvent commenter les choix de sujets.

Quoi.info, "l'actu expliquée", Wikipedia de l'actu

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Dans le cas de Quoi.info, site qui revendique comme angle en sous-titre "l'actu expliquée", outre un rubricage classique pour les contenus - politique - éco - société - justice -people - international - pratique - culture - sciences - le découpage de la home est simple, entremêlant "social" et infos. e qui reflète l'ADN de Quoi.info, site hybride "social" et d'actu: des fonctions "sociales", avec commentaires des membres et liens vers des réseaux sociaux mis en avant, et bien sûr de l'actu

Côté infos, on a donc l'actu du jour en "Une", suivie des actus présentées sous forme de questions dans un menu déroulant de haut en bas, similaire à celui que l'on trouve sur les sites d'infos. Comme sur des sites d'infos tels que 20minutes.fr, les articles sont "compilés" de bas en haut en colonne centrale, au fil de l'actualité. J'ai bien aimé quelques rubriques marrantes comme "Question bêtes" (Pourquoi les restos japonais sont tenus par des chinois, D'où vient l'expression "Les éléphants du PS"...), "Que suis-je" (les citations qui font l'actu), en alternance dans un même bloc avec "Ça veut dire quoi" (le mots que l'on entend beaucoup: offshore, bien sûr bunga bunga...), "Merci pour l'explication" (À quoi ressemble l’"humain moyen" ?)... On voit clairement l'angle très pédago / Wikipedia de Quoi.info, qui ressort dans ce rubriquage.

Au menu pour ce dimanche 27 novembre, l'Egypte fait la Une, avec tout un dossier dans un même bloc - là encore que l'on pourrait retrouver dans un site d'informations tel que 20minutes.fr ou Lefigaro.fr: "Pourquoi la révolution reprend", "Qui sont les Frères musulmans et que veulent-ils ?", quelle différence entre Chiites, sunnites, alaouites, et druzes, "Pourquoi l'armée égyptienne ne lâche rien ?", "Qu'est-ce que la charia ?". S'ensuivent des articles très divers, où la variété des sujets est vraiment très appréciable, entre actu internationale exigeante ("Syrie : pourquoi la Ligue arabe lâche-t-elle Bachar el-Assad ?, "Pourquoi les Israéliens veulent-ils bombarder l’Iran ?"), faits divers et société - un dossier intitulé "Que font les autres pays face aux délinquants sexuels?" qui rebondit sur le meurtre de la jeune Agnès, un papier sur les changements d’horaires à la SNCF annoncés le 11 décembre, ce MOX qui embarrasse les socialistes, pourquoi le film de Matthieu Kassovitz fait polémique - et sujets plus... légers, comme "Où acheter, en Europe, une Rolex, du Chanel et un costume Hugo Boss pas chers ?", ou encore "Miss Monde, miss Univers, miss France : qui est la plus retouchée ?" (dont on remarquera qu'il figure dans les articles les plus lus ;).

Dans une colonne plus étroite figurent les fonctions "sociales" de Quoi.info, de manière assez classique : un bloc affiche les articles les plus vus ou les plus commentés, un autre les "activités" récentes (commentaires par les abonnés, ...), un autre la fanpage Facebook, un autre, dédié à Twitter, présente en temps réel les tweets relatifs à Quoi.info, et enfin, on trouve un attendu nuage de tags, qui permet, comme dans un blog, d'afficher en un clic l'ensemble des articles relatifs au tag sur lequel on clique.

Membre expert correcteur - rédacteur

En entrant plus dans les détails,j'ai davantage l'impression de lire des notules très pédago plutôt que des articles: avec le ton simple, clair, les éléments-clés surlignés en gras, et le découpage très pucé qui permet de les parcourir en diagonale. Logique, c'est bien là la vocation de Quoi.infos, "site d'information et outil serviciel, avec de l'info et des décryptages d'actualité", m'indiquait courant octobre Cyrille Frank. L'idée est de donner les clés, les bases de l'actualité, à un internaute pressé.

Comme pour son lointain cousin Newsring, Quoi.info innove dans ses fonctions participatives, avec pour originalité qu'il permet à l’internaute de corriger ou commenter l'article, à condition qu'il se soit préalablement inscrit comme membre. Là encore, pour cela, on peut passer par Facebook connect. "Il y aura un côté Wikipédia : nous voulons favoriser les corrections et compléments apportés par les internautes-membres", me précisait Frédéric Allary. A la fin de chaque article, il peut en effet proposer une correction, si elle est approuvée par la rédaction, elle sera intégrée dans l'article et il apparaitra comme contributeur. Le contributeur-commentateur régulier peut gagner le statut d'"expert", ce qui lui permettra même de publier ses propres papiers sur le site dans son domaine de compétence, et obtenir un badge par niveau d'expertise (amateur, connaisseur, ou expert), selon le nombre de commentaires publiés et de votes obtenus par les lecteurs.

Bilan ? Évidemment, on n'en n'est qu'aux débuts. L’internaute se voit proposer la possibilité de voter, commenter, corriger, voire - le Graal - de publier ses propres articles s'il atteint le stade d'expert sur Quoi.info. Des expériences intéressantes, prometteuses. Reste à voir si l'effet "média social" sera assez fort pour créer de vraies communautés, et donner l'envie à l'internaute - déjà sollicité par plusieurs réseaux sociaux - d'y revenir régulièrement, voire provoquer chez lui une certaine addiction ;) A suivre...

dimanche 29 août 2010

"USA Today", sa réorganisation en "cercles de contenus", ses 130 emplois supprimés...

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L'appli iPad de USA Today - source image

La nouvelle est tombée hier soir: le groupe Gannett a décidé de restructurer un des principaux quotidiens nationaux américains, USA Today, en réorganisant ses services... et en sacrifiant du même coup 130 emplois, soit 9% de ses effectifs (1 500 salariés en tout). Rien que cela. Principal motif évoqué par le groupe de presse ? La nécessité d'amorcer le virage du numérique.

Anticipation sur les nouveaux revenus issus des abonnements via les applis

Le groupe Gannett justifie cette décision radicale par la nécessité de s'adapter à l'ère du numérique. Les lecteurs lisent de plus en plus les journaux sur le Web, mais aussi sur les smartphones, de plus en plus via des applications mobiles dédiées, dans la lignée des applis iPhone, ou encore sur des tablettes - l'iPad, et bientôt sur la myriade de tablettes concurrentes qui devraient être lancées à l'occasion des fêtes de fin d'année. Autant de sources potentielles de recettes par abonnement pour le groupe.

Certes, le journal papier constitue encore l'essentiel des revenus de USA Today. Mais plus pour longtemps, estiment ses dirigeants. "Nous nous concentrerons moins sur le papier et plus sur la production de contenus pour toutes les plateformes (Web, mobile, iPad et autres formats numériques)", précise-t-il dans le document interne que s'est procuré l'agence de presse AP, cité par la journaliste Marie-Catherine Beuth dans ce billet. D'ici fin septembre, le groupe doit d'ailleurs décider s'il rend ou pas son appli iPad payante.

En creux, USA Today souffre aussi d'un effondrement des ventes de son journal papier - d'où la nécessité de trouver de nouvelles formes d'abonnement. Mais aussi de rentrées publicitaires en berne - "il a ainsi vendu 520 pages de publicité au deuxième trimestre contre 602 l'année passée à la même période", d'après AP. D'où cet argument techno/numérique assez rassurant pour faire passer la pilule de 9% (!) de suppressions de postes.

Et en France?

Une problématique qui concerne aussi de très près les groupes de presse français, notamment les quotidiens. Alors que d'après mes informations, un des principaux quotidiens français a vu sa vente en kiosques chuter de 10% depuis le début de l'année...

En tous cas, tous les groupes de presse s'y préparent déjà. Les journalistes sont déjà amenés à écrire ponctuellement pour le site web de leur titre, en plus du journal papier. Cela entre déjà dans la pratique: pour diffuser des scoops, des news inédites, quitte à ce que cela constitue un avant-papier annonçant ce qui sera publié dans leur quotidien (ou leur hebdo, ou mensuel) - une chronologie des médias assez idéale. Ils se doivent d'adapter une "écriture web" adaptée, plus ramassée, et en pratiquant le journalisme de lien avec des liens hypertextes. Est-ce que l'on verra apparaître un jour des articles ou news écrites spécialement pour être diffusées sur les smartphones ou tablettes? Ce n'est pas impossible...

Comment va se concrétiser se passage à l'ère du journalisme bi-média en France ? En presse nationale comme en PQR, certaines rédactions ont commencé à amorcer le mouvement en lançant d'ambitieux plus de formations, pour que les journalistes papiers se familiarisent avec les nouveaux formats propres au web (écriture web, mais aussi vidéos, partage de l'info via des réseaux sociaux...). Comme par exemple le groupe Express-Roularta, qui a lancé il y a quelques mois un plan de formation destiné à l'ensemble de son personnel, avec l'organisme WAN-IFRA (et les journalistes-formateurs Cyrille Frank et Cédric Motte, qui dresse ce bilan de la formation qu'il vient de boucler au sein du Groupe Express).

Cela risque aussi de générer d'importantes réorganisations des rédactions. Pour l'instant, en France, il y a encore une séparation nette entre les rédactions web et papier. Au sien des rédactions web, l'organisation est claquée sur celle du print: les journalistes sont, chacun, chargés de suivre un secteur précis (économie, politique, culture, high-tech...).

Réorganisation autour de "pôles de contenus"

Mais la réorganisation annoncée par USA Today annonce peut-être un mode d'organisation futur: là, les journalistes (bi-média, s'entend) ne seront plus répartis entre 4 départements d'information (actualité, argent, vie pratique et sport). Mais seront dispatchés entre 13 "cercles de contenus" (sic), Votre vie, voyage, actualité brûlante, investigation, national, Washington/économie, international, technologies, environnement/sciences, divertissement, aviation, finances personnelles ou encore automobile). Ces "cercles" produiront des contenus aussi bien pour les supports numériques que le support papier, détaille Marie-Catherine Beuth. Chaque newsroom ainsi créée sera dirigée par un éditeur prochainement recruté, d'après AP.

On notera déjà la novlangue l'évolution sémantique, très en vogue - et incroyablement agaçante : les journalistes deviennent des "producteurs de contenus" destinés à différents "supports" (on ne parle plus de médias).

Le découpage des rubriques à couvrir est lui aussi surprenant, peut-être symptomatique des rubriques qui réalisent le plus d'audience sur les sites web (cela se vérifie en France sur certains sites d'infos généralistes ;): l'entertainment et le côté vie pratique sont privilégiés (cf "Votre vie", "voyage", "divertissement", automobile"...) au détriment de l'actu (on compte 5 rubriques "sérieuses"). On notera au passage l'apparition à USA Today d'éditeurs (sortes de chefs de rubriques 2.0), un nouveau métier qui commence aussi à apparaître dans certaines rédactions web françaises.