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jeudi 25 août 2011

Mauvais "genre"? L'orientation sexuelle dans les manuels scolaires à la rentrée

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Quelques paragraphes dans des manuels de Science et vie de la terre (SVT) pour les lycéens, qui ont déjà mis le feu aux poudres, durant tout l'été. Et la polémique risque fort de se poursuivre en cette rentrée scolaire, s'ajoutant aux débats incessant sur l'évolution des programmes scolaires, et les inquiétants aaambitieux projets de réforme scolaire de Luc Chatel (citons au hasard la suppression de l'enseignement d'histoire en terminale S prévue pour septembre 2012).

Début septembre, donc, les élèves de Première ES et L aborderont un nouveau point de programme: la question du genre et de l'orientation sexuelle, dans un chapitre sobrement intitulé "Devenir homme ou femme". Une partie imposée par la Direction générale de l'enseignement scolaire et annoncée au Bulletin officiel du 30 septembre 2010. Ainsi, dans le manuel Bordas, sur une page (consultable ici en format Scribd), il est expliqué que si l'on naît homme ou femme, l'orientation sexuelle des individus peut varier au cours de la vie, et que si la majorité des personnes sont hétérosexuelles, une partie de la population est homosexuelle ou bi. La question de l'orientation sexuelle appartenant à la "sphère privée".

Mise à jour du 31 août: preuve que le sujet est brûlant, ce mercredi matin, on apprend que 80 députés UMP (!) ont demandé le retrait de manuels scolaires qui en parlent (notamment celui de chez Hachette), adressant un courrier au ministre en ce sens. Leur argument: ils estiment que ces manuels de SVT font référence à "la théorie du genre sexuel", selon eux une "théorie philosophique et sociologique qui n’est pas scientifique".

Interviewé sur le sujet sur France Inter, Bruno Julliard (qui vient de faire son coming-out dans le magazine Têtu), secrétaire national du PS à l'Education, déclarait y voir un "refus de l'avancée de recherches qui démontrent que le genre n'est pas uniquement l'issue d'un contexte génétique, mais aussi la construction culturelle, sociale". Pas de preuves scientifiques avérées (argument des anti-), mais "l'objet de recherches depuis 50 ans, notamment aux Etats-Unis".

Bordas

Réalité sociale & gender studies

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Rien d'extraordinaire, nul militantisme de l'Education Nationale pour la cause gay ou lesbienne. Elle prend juste acte de cette manière d'une réalité, une de ces révolutions silencieuses mais majeures dans la société, qui s'est déjà concrétisée à petits pas: par l'adoption du PACS, ou encore les premiers cas de mariages (à New York le 24 juillet dernier) ou d'adoptions par des homosexuels. Il m'a semblé d'autant plus intéressant et justifié d'aborder ce sujet ici qu'il comporte des enjeux autant sociétaux que scientifiques, et consacre l'importance des théories des genres (gender studies) , qui appartiennent à un courant de pensée né dans les années 1970 dans les milieux féministes américains et la mouvance militante gay.

Sans nier les différences biologiques, la théorie des genres distingue le sexe biologique du "sexe social". Inspirées de philosophes français comme Deleuze, Foucault ou Derrida, les "gender studies" se sont développées aux Etats-Unis. Elles cherchent à démontrer que c'est l'éducation au sens large, dans le contexte historique et social, qui construit le "genre" de l'individu. L’objectif de ces théories est de rejeter le déterminisme biologique de la notion de sexe ou de différence sexuelle pour remettre en question les rôles assignés aux hommes et aux femmes dans la société. Ce qui rejoint les combats féministes sur les modes d'éducation, qui prédisposent les enfants. En 1993, La Barbie Liberation Organisation militait dans cette vidéo contre les valeurs transmises par les GI Joe et les Barbie.

En France, de telles études sont quasi inexistantes. Les débats affleurent dans la société française avec la parité en politique ou les débats sur les quotas. Ou encore des réalités imposées comme 80% de filles dans les filières littéraires au lycée (parce "qu'elles ont un esprit littéraire" - c'est du vécu ;). Même si le sujet s'impose lentement dans le champ de la recherche: Rue Saint Guillaume, à Sciences Po, les questions sur le genre ou sexe social vont faire l'objet d'un enseignement obligatoire, assurée à partir de cette rentrée 2011 par la philosophe Geneviève Fraisse. Quelques femmes d'influence s'intéressent aussi de près à la place des femmes à la tête des entreprises. Telle Natalie Rastoin, patronne de l'agence de pub Ogilvy France, qui m'avait remis l'an dernier une étude McKinsey intitulée "La place des femmes à la tête des sociétés: comment rendre cela possible" (téléchargeable ici en format PDF). Une étude publiée par le cabinet de conseil outre-Atlantique depuis 2007, qui met en avant des projets de recherche démontrant comment les femmes dirigeantes - encore trop sous-représentées - contribuent à améliorer les performances des entreprises. La France est tout de même en quatrième position en 2010 avec 15% de femmes au sein des boards d'entreprises en du CACA 40 en 2010, loinnn derrière la Norvège (32%) et la Suède (27%), mais à égalité avec les US. C'est déjà ça.

Le gender est d'ailleurs au centre du dernier film de Pedro Almodovar, La piel que habito ("La peau que j'habite"), polar froid et technologique qui pose la question de l'identité sexuelle et du changement de sexe. Un sujet déjà abordé plus tôt cet été avec subtilité par Céline Sciamma dans Tomboy ("Garçon manqué"), où Laure, dix ans, cheveux blonds courts et physique androgyne, à la faveur d'un déménagement et d'un quiproquo, se fera passer, le temps d'un été, pour un garçon. Peu ou pas de psychologie, dans ce film. Ce garçon qu’elle devient ne cherche pas à expliquer le pourquoi. Il est. Il ressent, Laure n’a pas de raison pratique ou extérieure pour devenir Mickaël. C’est là sans doute que réside la subversion délicate du film.

La question de l'homosexualité

Nos chères petites têtes blondes seront-elles donc sensibilisées à la liberté de choix sexuel ? Evidemment, cette pilule ne passe pas auprès d'une partie de la droite catho. L'enseignement catholique, des associations familiales ou encore des politiques multiplient les communiqués, e-mails, pétitions et menaces de boycott des livres pour que cette partie du programme soit retirée. Car le fond du problème est sans doute là. Les milieux qui protestent ne veulent pas que l'on parle d'homosexualité. Avec un argument-clé: en parler remettrait en question "la liberté de conscience" que ces associations réclament.

Le 28 juillet, l'Association Familles de France a adressé un nouveau texte à l'Elysée, expliquant : "Vous connaissez parfaitement la théorie du genre. Cette idée philosophique, contestable s'il en est, nous revient des milieux féministes d'outre Atlantique", et ajoutant : "Les familles ont parfaitement compris les objectifs des concepteurs : orienter les jeunes vers des expériences sexuelles diverses, considérant que le sexe social est plus important que le sexe biologique". Elizabeth Montfort, porte-parole de l'association pour la Fondation de Service politique et ancienne député européenne du Rassemblement pour la France de De Villiers, confiait ainsi à ''Libération'' que "ce sujet touche à l'anthropologie de l'homme et de la femme, à la condition humaine et finalement engage l'avenir de notre civilisation".

Sans grande surprise, Christine Boutin est partie elle aussi en croisade contre ces enseignements "contre-nature". Pas surprenant, et pas neutre: la candidate à la présidence de la République entend placer cette question (les gender studies et la place des homos dans la société) "au cœur de son programme", a-t-elle annoncé mercredi 24 août sur Europe 1, dans l'émission "Des clics et des claques", où nous l'avions interrogée (merci Twitter) sur son positionnement sur le sujet. Sans exprimer nettement son opposition, la réponse qu'elle nous a apportée était joyeusement floue - en résumé "la différence physique entre les hommes et les femmes est le fondement de toute société . Le gender parle de distinctions culturelles et sociales". Avant de reconnaître, en fin de séquence, cette phrase - qui flirte avec l'homophobie - qu'on lui prête : "Les civilisations qui ont reconnu l'homosexualité ont connu la décadence".

A côté de cela, plus de 2000 personnes - chercheurs en tête - ont ainsi signé la pétition "contre une censure archaïque" mise en ligne par l'Institut Émilie du Châtelet (IEC), qui vise à promouvoir et à diffuser les recherches sur "les femmes, le sexe et le genre" et insiste sur le danger qu'il y aurait à laisser politiques et religieux "juger de la scientificité des objets, des méthodes ou des théories". "

Enseignement public vs enseignement catho ?

Cette réforme éducative a réactivé la ligne de fracture entre établissements publics (laïcs) et privées (cathos). Le 8 juin dernier, le Snes (principal syndicat des enseignants du second degré) estimait dans ce communiqué qu'avec cette réforme, "des questions au centre de la construction de l’individu sont abordées à l’Ecole, sans tabou, mais aussi sans idéologie et dans le respect des sensibilités de chacun". Et s'inquiétait du danger des "esprits chagrins réactionnaires qui luttèrent et continuent de lutter contre la contraception et l’avortement, instrumentalisent aujourd’hui l’école pour médiatiser leur croisade contre l’homosexualité". Deux jours après, L’Unsa éducation dénonçait un "retour à l’ordre moral", suivi par le Le Groupe national information et éducation sexuelle (Gnies, qui inclut plu­sieurs syn­di­cats d’enseignants, le mou­ve­ment fran­çais du plan­ning fami­lial, le conseil natio­nal des asso­cia­tions fami­liales laïques...) estime de son côté que "l’école a pour mission d’instruire et d’éduquer, dans le respect des sensibilités", alors que dans les établissements scolaires, "l’ensemble des personnels est confronté au désarroi de jeunes en difficulté avec leur orientation sexuelle".

Reste à voir comment les profs de SVT appliqueront (ou pas) ce changement au programme. Sur le fond, ils seront libres de l'enseigner ou pas en cours: "Certains collègues ne sont déjà parfois pas à l'aise avec le fait d'enseigner la reproduction en 4ème et certains du lycée sont très coincés là-dessus", me disait récemment Sophie, prof de biologie (et qui reprécise cela en commentaire ci-dessous). Un tel cours sera sans doute utile à des lycéens qui cherchent parfois leur identité. Mais il est peut-être trop théorique, issu de réflexions sociologiques très pointues et dans l'air du temps (certain soupçonnent d'ailleurs un phénomène de mode autour de son enseignement en lycées), pas forcément à portée de tous En tous cas, les manuels de SVT des Première L et ES ont choisi des angles parfois très différents. Surprenant de lire ainsi chez Bordas que "si, dans un groupe social, il existe une forte valorisation du couple hétérosexuel et une forte homophobie, la probabilité est grande que la majorité des jeunes apprennent des scénarios homosexuels". Une phrase qui est en fait un raccourci d’études certainement sérieuses mais qu’il est hasardeux de vouloir présenter en deux lignes. La polémique est loin d'être enterrée...

Chez Bordas:

"L'identité sexuelle est le fait de se sentir totalement homme ou femme. Cette identité dépend, d'une part, du genre conféré à la naissance, d'autre part, du conditionnement social".

"L'identité sexuelle se réfère au genre sous lequel une personne est socialement reconnue".

"L'orientation sexuelle se révèle le plus souvent au moment de l'adolescence et elle relève totalement de l'intimité des personnes".

"Si dans un groupe social, il existe une très forte valorisation du couple hétérosexuel et une forte homophobie, la probabilité est grande que la majorité des jeunes apprennent des scénarios hétérosexuels".

Chez Hachette:

"L'identité sexuelle est la perception subjective que l'on a de son propre sexe et de son orientation sexuelle".

"Seul le sexe biologique nous identifie mâle ou femelle, mais ce n'est pas pour autant que nous pouvons nous qualifier de masculin ou féminin".

"L'orientation sexuelle doit être clairement distinguée du sexe biologique de la personne".

"Le mineur de 15 à 18ans est libre d'entretenir des relations sexuelles à condition qu'il soit consentant et que ce ne soit pas avec une personne ayant autorité sur lui".

"Le mineur est libre de ses orientations sexuelles, c'est-à-dire qu'il peut avoir des relations sexuelles soit avec un homme soit avec une femme".

"Durant cette période de fragilité psychologique et affective (l'adolescence), il est souvent difficile de faire face à une orientation sexuelle différente de la norme hétérosexuelle".

Chez Hatier:

"En sociologie, l'identité sexuelle se réfère au genre par lequel une personne est socialement reconnue".

"Montrez que d'autres facteurs peuvent intervenir pour définir l'identité sexuelle d'une personne". (Enoncé d'un exercice).