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lundi 20 mai 2013

"Punk, chaos to couture", la culture punk récupérée par la mode

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C'est une des expos du moment à New York. Depuis quelques jours, le très chic Metropolitan Museum of Art (MET), sis sur la Fifth Avenue, à côté de Central Park, accueille une expo qui tranche, à quelques pas de celle consacrée aux impressionnistes et la mode, ou de ses collections exceptionnelles de Degas, Rembrandt et autres Cézanne. "Punk, chaos to couture", retrace comment la mode - et surtout la haute couture - a tenté de s'approprier les codes de la culture punk.

Mais pourquoi le prestigieux musée d'art contemporain accueille une telle expo ? D’après le directeur général du MET Thomas P. Campbell, cité sur un des panneaux à l'entrée de l'expo, "Le mouvement Punk est un mélange de références et a été alimenté par les développements artistiques tels que le dadaïsme et le postmodernisme" . Et d’après Andrew Bolton, du Costume Institute, "Depuis ses origines, le mouvement Punk a eu une influence incendiaire sur la mode. (…) Les créateurs continuent de s’approprier le vocabulaire esthétique du punk pour capturer au mieux son esprit de rébellion juvénile et sa force".

Certes... Mais dès l'affiche (faussement) provoc' - une jeune femme à l'eye liner appuyé, aux cheveux en pétard et la veste de haute couture (Chanel?) savamment déchirée, on sent l'ambiguité, malgré l'intitulé malin, "Chaos to couture" - un véritable slogan marketing. L’exposition, conçue avec pour mécènes le site Moda Operandi et le groupe Condé Nast (éditeur notamment du magazine Vanity Fair), propose donc de retracer l’influence du mouvement punk sur la mode à travers une centaine de modèles de vêtements de prêt à porter et haute couture, des premiers modèles créées dans les années 70 aux plus récents. L'angle est déjà en soi périlleux.

Le mélange entre la mode et la culture punk a toujours existé : tout mouvement culturel a été doté d'une identité forte, un look affirmé chez ceux qui s'en revendiquent, et à chaque fois, une pointée de marques ont réussi à se rattacher à cette culture. Ce fut le cas pour la marque britannique Fred Perry, qui a su louvoyer entre les mods, puis les punks britanniques, comme je le racontais l'an dernier dans cette enquête (voir aussi ce documentaire).

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Et après tout, comme rappelé dans la (beaucoup trop) brève introduction historique de l'exposition, le mouvement punk a eu parmi ses premiers bastions les clubs CBGB & OMFUG (acronyme de Country, Bluegrass, Blues and Other Music For Uplifting Gormandizers), à Manhattan, ou Hilly Cristal, dans le quartier d'East Village à New York. Parallèlement, à Londres, dès le début des années 50, Malcom McLaren et Vivienne Westwood avaient ouvert une boutique avant-gardiste, au 430 Kings Road à Londres. La future papesse de la mode punk a eu pour idée d'apposer des slogans sur mesure sur ses T shirts, avec des dessins provocs: "Vive le rock", "Rape", "Piss Marilyn" (Monroe bien sûr), "Mickey & Minnie fucking"... Et le fameux slogan, dérivé de la mort de James Dean, "Too Fast To Live, Too Young To Die", sera le nouveau nom de la boutique en août 1973. Vivienne Vestwood ajoutera peu à peu à sa gamme de T shirts, des fermetures à glissière, du cuir clouté, des poches en plastique, des déchirures... Déjà surprenant de voir ces T shirts exhumés dans ce musée, comme des pièces artistiques...

Mais en cheminant dans l'expo du MET, on est pris d'un certain agacement, et l'expo apparaît de plus en plus biaisée. On voit donc plusieurs podiums où trônent des mannequins revêtus de perruques hirsutes, dans ses salles sombres, et des écrans géants sur les murs où sont diffusés en boucle quelques tubes des Clash et des Sex Pistols. Ces derniers servent également de caution à l'expo, avec certaines de leurs citations reprises (hors contexte) pour la justifier. Pas sûr que Johnny Rotten, chanteur déglingué des Sex Pistols, aurait apprécié de se voir cité sur un des murs du MET dans cette expo "de luxe", disant "Tears, safety pins, rips all over thé graff (...), that was poverty really, lack of money. The rase of your pants fall out, you just use your safetey pins".

Tailleur Chanel + épingle à nourrice...

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Précisément, ces symboles de la culture punk, pièces de récup' par les fils de prolétaires britanniques, ont ainsi été récupérés par des marques de luxe. Paradoxe à peine effleuré dans cette expo. Balenciaga, Helmut Lang, Prada, Yoji Yamamotto, Versace, Chanel, Givenchy, Dolce & Gabbana, Burberry (sic)... Tous, un jour où l'autre, ont créé des modèles de vêtements de haute couture (donc hors de prix) labellisés "punks". Et donc comportant lames de rasoir, épingles à nourrice, capsules, déchirures et trous. Des symboles de la culture punk, qui fut fondée sur le principe du DIY, de la récup' et du recyclage, et la dénonciation de la société de consommation.

Seulement voilà : il ne suffit pas de vendre un T shirt déchiré avec pour imprimé "Fuck" pour être punk. C'est pourtant ce qu'ont fait toutes les marques de haute couture ici exposées. Même s'il est vrai que les marques de luxe ont tout intérêt à aspirer ces idéaux inhérents à la culture punk pour s'offrir un vernis rebelle. Sois rebelle, ça fait vendre...

Même des marques de prêt-à-porter telles que The Kooples (destinées aux aspirants branchés) ou Zadig & Voltaire (et ses cachemires à 400 euros...) recyclent quelques codes de la culture punk, pour s'offrir cette si difficile cool attitude.

Fragments détournés de culture punk dans la pub

Alice_Dellal_Sac_Boy_Chanel__3__4.jpg Alice Dellal chez Chanel : rebelle, vraiment ?

Et depuis quelques temps, les marques de luxe tentent de s'offrir des égéries post-punks : comme j'en parlais dans cette enquête l'an dernier, Chanel a ainsi retenu pour égérie Alice Dellal, "socialite" issue d'une bonne famille mais qui a un vernis rebelle (juste ce qu'il faut) grâce à son crâne partiellement rasé et ses tatouages. Tout comme il n'est plus vraiment surprenant de voir d'ex-idoles punks ou rocks récupérées par la pub : Keith Richards poser dans une campagne du bagagiste ultra haut de gamme Louis Vuitton, ou Iggy Pop se transformer sans complexes en homme-sandwich pour SFR ou les Galeries Lafayette. Citons aussi Marilyn Manson, surprenant modèle pour la prochaine collection homme de Yves Saint Laurent.

Merchandising "punk"

Enfin, cette expo trouvait en quelque sorte son apogée dans la kyrielle de produits dérivés proposés par la MET à la sortie: magnets Punk à 6$, lots de trois épingles à 35$, planches de skate Punk à 12,95$, trousses à 20$, tirages photos de Sid Vicious par Michael Zagaris 500$, T shifts Givenchy à 565$... Sois rebelle, consomme...

mercredi 18 janvier 2012

Le punk récupéré par la pub ?

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Des clichés captivants pris au cœur de la révolte punk dans les années 70, captés au sein de la scène US (Iggy and The Stooges, MC5, New York Dolls, Television et Richard Hell, les Ramones et les Cramps), anglaise (Sex Pistols, The Clash, The Damned, Siouxsie & the Banshees), allemande (Nina Hagen) ou encore française (Stinky Toys, Asphalt Jungle, Metal Urbain). C'est un des rares et plus riches exposés y étant consacrés que j'aie eu l'occasion de voir, avec 127 photos, des tirages parfois rares et connus, signés par 19 photographes. Ne cherchez pas, cette expo photo 100% punk n'est pas dans une galerie ou un musée, mais... un magasin.

C'est dans la boutique Renoma, au fin fond du très chic (et un peu mort) 16ème arrondissement de Paris, rue de la Pompe, que l'on peut voir cette expo photo. Inutile de vous dire ma surprise le jour où j'ai franchi le seuil de cette boutique, alléchée par quelques billets flatteurs sur cette "expo" qui promettait d'être exceptionnelle. On se retrouve dans un concept store (plutôt désert le jour où j'y suis allée ;) de vêtements pour hommes, scrutée par les quelques vendeurs. Les clichés, en grands tirages, sans légendes, sont exposés sur les murs, entre deux rayonnages de pulls et quelques piles de jeans pour hommes, avec par-ci par-là des "No Future!" sur les murs, des bouquins sur la culture punk disséminés dans des caisses par terre, histoire de nous rappeler que oui, on est bien censés être dans une expo photo so punk.

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Johnny Rotten et Sid Vicious des Sex Pistols photographiés à bord d'un avion en novembre 1977 / Bob Gruen/www.bobgruen.com

En tous cas, cette expo, célébrée dans un certain nombre de magazines de mode et fanzines/blogs lors de son lancement en octobre dernier, a de quoi surprendre. C'est donc le couturier Maurice Renoma qui s'est offert cette "expo", moyennant des tirages rares, dans sa propre boutique. Ses faits sont connus: le styliste, photographe et créateur de 70 ans, précurseur de la mode "yé yé" dans les années 60, vend maintenant jeans déchirés et blousons en cuir (pour faire court). On hésite entre y voir habile récupération et mélanges des genres, tout en se hissant sur la pointe des pieds pour voir de près ces précieux tirages photos, situés à 2 mètres au-dessus des T-shirts. Evidemment, on lit sur certains blogs le résumé de cette expo par ce mécène: "Le punk est rebelle. Or j’ai toujours aimé la révolte". Ça n'engage pas à grand-chose.

Car après tout, ça reste incroyablement branché d'être punk. Au point que l'on on a même entendu, certains jours, des patrons hativment qualifiés de "rebelles" et punks" (sic), par la simple grâce de leur look déjanté. Certes, ce mouvement nihiliste et anar s'est évaporé à la fin des années 70. Mais voilà: les ex-punks de cette époque, alors jeunes adeptes du "No future" sont, eux, toujours là. Et n'aiment rien autant que de se replonger dans cette époque, tenter de se rattacher par certains symboles à cette jeunesse perdue. Des ex-punks maintenant quadras... Souvent CSP+ et hyper-consommateurs. Ce que les marques ont parfaitement bien compris.

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Alors on n'y échappe pas. La mode et les marques récupèrent la musique - et les icônes - punk à longueur de campagnes publicitaires... Et captent ainsi d'autant plus l'intérêt des quadras-consommateurs. Rien que l'année dernière, une des ex-icônes punks, l'"iguane" Iggy Pop, n'a pas hésité à se commettre dans des campagnes pour SFR, avec un peu d'auto-dérision, chantant à tue-tête dans une voiture décapotable, (évidemment) torse nu, pour la compagnie d’assurance anglaise Swiftcover, ou encore sur les affiches des Galeries Lafayette, toujours torse nu, à la veille des fêtes de fin d'année. Et, en ce début d'année, on le verra poser pour le film du parfum Black XS L’Excès de Paco Rabanne, tourné par son ami Jonas Akerlund.

Des ex-icônes elles-mêmes quadras (voire plus) qui n'hésitent donc plus à prendre la pause dans les symboles les plus forts de notre société de consommation - des publicités. Alors qu'eux-mêmes sont devenus des marques. J évoquais ici il y a quelques temps le lancement d'un parfum exploitant ainsi le nom Sex Pistols - avec l'accord des ayant-droits. Alors que John Lydon (alias Johnny Rotten, chanteur des Sex Pistols), dont le nom-marque figure sur de nombreux objets, des réveils-matin aux magnets pour frigos, Et s'est commis dans une pub télé pour une marque de beurre britannique. Ouch.

Punk Attitude, jusqu'au 21 janvier 2012, chez Renoma, 129 bis rue de la Pompe (Paris XVIe), prolongée jusqu'au 17 mars 2012.

mercredi 25 août 2010

Les Sex Pistols, du groupe punk à la marque (de parfum)

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Photo: Etat Libre d'Orange

C'est au mieux amusant, vintage, au pire, pathétique. Plusieurs blogueurs ont relayé l'info ces derniers jours, comme ici, , ou encore la campagne d'affichage : les Sex Pistols viennent de lancer leur parfum, disponible en France à partir de septembre.

Eh oui, vous avez bien lu. Un des meilleurs groupes punk des années 70 lance un de ses premiers produits dérivés, du parfum... Dans un packaging qui rappelle celui d'une bouteille de lait et une bouteille d'alcool, orné du tissus écossais et de photos de la Reine d'Angleterre issus de leur cultissime album de 1977, God save the Queen, le groupe vend donc "son" jus, "The Spirit of Punk", aux fragrances de citron, de poivre noir et de cuir paraît-il. Pour cela, il a collaboré avec la marque française Libre d'Orange, d'après le blog Popcrunch. Le slogan est limite téléphoné: "Réveille le rebelle qui est en toi".

Contre-nature

Alors bien sûr on peut trouver l'initiative amusante, second degré... Et après tout, ce n'est pas la première fois qu'un groupe de musique accepte d'être décliné sur des produits dérivés pour fans, et de monter des opérations de co-branding avec des marques.

Ce type de récupération est d'ailleurs devenu monnaie courante dans l'univers de la mode, qui s'approprie ainsi les valeurs qu'incarne le rock (la liberté, le refus du conformisme). Certaines s'y sont prêtées avec plus ou moins d'habileté, telles Sandro, The Kooples, Zadig & Voltaire, ou, un cran largement au-dessus, Ben Sherman, qui lançait en début d'année une ligne (jusqu'aux boutons de manchettes !) en hommage aux Beatles. Mais l'ex-marque phare des punks avait l'historique qui la légitimait pour cela...

Là, cette initiative avalisée par Johnny Rotten, leader des Sex Pistols l'initiative a un petit arrière-goût amer, voire est contre-nature par rapport aux valeurs qu'incarnait le groupe dans les années 70 - la contre-culture, l'anarchie, la remise en cause de la royauté. Et réduit la rebel attitude du groupe keupon à une attitude très mercantile... Pire, les Sex Pistols deviennent une marque. Et se plient aux mêmes pratiques bassement marketing que des Céline Dion, Beyonce et autres Jennifer Lopez, qui ont toutes lancé leur ligne de parfum. Sid Vicious doit s'en retourner dans sa tombe...