Miscellanees.net - blog prolixe pub, marketing & conso, high tech, innovations - Mot-clé - Déontologie2023-11-09T22:14:23+00:00urn:md5:e7ec1fbd7729b619d22bab365af406cbDotclear«Elle», ou la chirurgie plastique pour les nullesurn:md5:3ce94651d307c0bb2d26e331daca9ab62011-02-13T11:08:00+01:002011-02-13T11:43:23+01:00Capucine CousinMédiasChirurgie esthétiqueDéontologieEllePubliTranshumanisme <p>Je vous parlais cette semaine de <a href="https://blog.miscellanees.net/post/2011/02/11/jesuismort">transhumanisme</a>, il y a une certaine
continuité avec le sujet ci-dessous. Prémisse possible à la <strong>femme
bionique du futur</strong>, dont la quête de la perfection physique passe par
le recours à la science - au bistouri donc.</p>
<p>Cela tombe bien, <em>Elle</em> de la semaine dernière y consacrait un
(effrayant) dossier. Avec pour point de départ un marronnier ("Spécial
rajeunir"), sur une vingtaine de pages, <em>Elle</em> nous laisse à penser que
le recours à la chirurgie esthétique est la norme - eh non, vous n'y échapperez
pas !</p>
<p>Étonnamment (enfin non...), dans ce numéro, les <strong>publicités pour les
crèmes et sérums anti-âge</strong> sont surreprésentées: une dizaine de pubs
(contre 3 dans le <em>Elle</em> suivant). Ah, et également, une pub pour la
solution d'acide hyaluronique Juvéderm (labo Allergan). Bien sûr, il n'y a pas
de pubs pour des labos ou les cliniques spécialisées en chirurgie esthétique -
le Code de Déontologie Médicale le leur interdit... On imagine d'autant mieux
la satisfaction des ((nombreux) médecins, chirurgiens et autres dermatos
spécialistes à être <strong>cités comme "experts"</strong> dans
<em>Elle</em> !</p>
<p>J'ai demandé à une de mes collègues, <strong>Delphine Le Goff</strong>,
journaliste médias à <em>Stratégies</em>, qui avait elle aussi quelque peu
halluciné en feuilletant <strong>Elle</strong>, d'analyser avec son regard la
<strong>ligne éditoriale</strong> adoptée par le féminin sur ce sujet. Cela
tombe bien, <em>"Magazine junkie"</em>, elle revendique <em>"une addiction au
papier glacé"</em>. La presse féminine, française ou anglo-saxonne, faisant
partie de ses plaisirs coupables. Je lui laisse la parole...</p>
<pre>
- -
</pre>
<p><img src="https://blog.miscellanees.net/public/.Elle_m.jpg" alt="Elle" title="Elle, fév. 2011" /></p>
<p><strong>C</strong>’est un grand classique de la presse féminine, comme les
«Spécial Mode» et les «Spécial Maigrir». Mais cette année, <em>Elle</em> a
franchi un cap avec son numéro « Rajeunir », sorti le 4 février dernier.
Déjà, le discours a subtilement changé. Là où, jadis, on promettait aux
lectrices mille sortilèges afin de <em>«rester jeune»</em>, là, il s’agit
carrément de <em>«gagner au moins dix ans»</em>...</p>
<p><strong>D</strong>ès la couverture, on a du mal à s’empêcher de rire :
c’est Demi Moore qui a les honneurs de la «Une». <em>«Je vis les plus belles
années de ma vie»</em>, déclare l’actrice de 48 ans. On l'espère pour
elle : l’actrice est connue pour être refaite du sol au plafond avec,
paraît-il, 250 000 euros de chirurgie esthétique ! Le portrait consacré à
l’actrice reste extrêmement discret sur ce point : <em>« Si retouches
il y a (elle refuse d’en parler), elles sont nickel. Son front est lisse, mais
quelques petites rides, qui plissent joliment autour de ses yeux mordorés et
une microcicatrice sur la joue montrent qu’elle maîtrise les limites du genre
dans un milieu où la chirurgie et le Botox sont des drogues »</em>.</p>
<p>Un peu plus loin, Demi nous donne gentiment les secrets de sa jeunesse
éternelle : <em>« Je souris beaucoup : ça rehausse le visage et
l’être en général. Je me nourris bien, j’évite les sucreries, je bois
énormément de lait de coco et je fais du sport »</em>. Merci du tuyau,
Demi.</p>
<p><strong>«Réflexes esthétiques», ou comment faire de la chirurgie une
norme</strong></p>
<p><img src="https://blog.miscellanees.net/public/.specialrajeunir_m.jpg" alt="specialrajeunir.JPG" title="specialrajeunir.JPG, fév. 2011" /></p>
<p><strong>M</strong>ais si on en croit les pages du dossier « Spécial
Rajeunir » qui suivent, le sourire et le lait de coco, ça ne va pas
suffire. Les sujets ont quasiment tous des relents de salles d’opération. A la
question «<em>Le "liquid lift" va-t-il tuer le lifting ?»</em>, la réponse
semble être non, avec cet argument savoureux: <em>«le lifting n’est pas si
cher. Il coûte 5 000 euros, mais les injections c’est non-stop !»</em>.</p>
<p>Plus loin, dans l’article « Crèmes, piqûres : ce que les médecins
choisissent pour elles », des dermatologues et des chirurgiennes esthétiques
exposent leur propre traitement anti-âge. Tiens donc ! Elles passent
quasiment toutes par la case <em>«lifting dans quinze ans»</em>, <em>«Toxine
botulique trois fois par an»</em> ou <em>«chirurgie des paupières»</em>.</p>
<p>Une série de portraits intitulée <em>« Elles ont tout compris
!</em> » montre des femmes de 36 à 66 ans et leurs <em>«réflexes
esthétiques »</em>. Là aussi, on est noyé sous la toxine botulique, la toxine
hyaluronique (à ne surtout pas confondre, semble-t-il) et les projets de
chirurgie. Dans ce numéro qui pourrait s’intituler « La chirurgie
plastique pour les nulles », on nous explique même comme lire un devis d’acte
esthétique avant ravalement, avec un glossaire «Spécial débutantes» pour bien
faire la différence entre laser antitâche, laser fractionné, peeling moyen,
méso-réjuvénation…</p>
<p><strong>Pacte faustien</strong></p>
<p><em>Elle</em> essaie bien de nuancer son propos, avec un papier sur les
ratés de la chirurgie («Ça devait me rajeunir, ça me vieillit», ah oui, c’est
fâcheux !) et cette question, aux accents quasi-métaphysiques : «Le Botox
rend-il heureuse ?». Soulagement pour l’accro aux injections : aux
Etats-Unis (grande patrie de la chirurgie et du Botox) certains médecins
affirment que la toxine botulique, qui a décidément tout pour plaire, est un
remède contre la dépression…</p>
<p>En attendant, ce qui est vraiment déprimant, c’est la lecture de ce numéro,
anxiogène au possible. Est-il possible de vieillir sans passer par le billard,
et sans débourser des milliers d’euros ? Etrange <strong>pacte
faustien</strong> que celui de <em>Elle</em>, qui en adoptant ces injonctions à
la jeunesse éternelle, semble avoir vendu son âme aux chirurgiens plastiques.
On ne peut s’empêcher de penser à la scène mythique du film <em>Brazil</em>, où
la mère du héros, obsédée par son apparence, se fait étirer exagérément le
visage. C’est peut-être cette femme, en fait, que <em>Elle</em> aurait du
mettre en couverture…</p>
<p><strong>Delphine Le Goff</strong></p>