Miscellanees.net - blog prolixe pub, marketing & conso, high tech, innovations - Mot-clé - Julia Ducournau2023-11-09T22:14:23+00:00urn:md5:e7ec1fbd7729b619d22bab365af406cbDotclearDe "Grave" à "Santa Clarita Diet", le retour du cannibalisme dans la culture popurn:md5:a0c5315686748d6efbfcbf7c94e69c1f2017-03-26T19:36:00+02:002017-03-26T21:11:18+02:00Capucine CousinCulture numériqueCannibalismeGraveJulia DucournauNetflix <p><img src="https://blog.miscellanees.net/public/.grave-affiche-965207-1_m.jpg" alt="grave-affiche-965207-1.jpg" title="grave-affiche-965207-1.jpg, mar. 2017" /></p>
<p><strong>C'</strong>est un film dont on ne sort pas indemne. Sur le coup, un
peu sous le choc, inquiète, mais pas effrayée pour autant, et l'estomac noué.
EC'est un de ces films qui marquent, car il s'agit d'un véritable Ovni
cinématographique, insolite, inclassable, indéfinissable (film d'horreur? Pur
film indé français fin d'études Femis?), qui apporte un ton nouveau. Parfois,
il vous emmène dans des sensations à la limite du désagréable, un peu comme une
craie qui crisse sur un tableau noir, vous détournez le regard, mais sans
jamais franchir la limite de l'horreur. Quelques heures après, il en reste des
sensations, des images fortes, ce ton échevelé, désinhibé, libre, mais pas
gratuitement provoc'. Il nous emmène dans un voyage étrange, mais la cinéaste a
l'habileté de le narrer à travers un récit banal, quotidien au premier abord
(l'initiation à double sens d'une étudiante), pour aborder un des tabous
absolus de l'humanité: le cannibalisme. Est-ce bien raisonnable de manger son
prochain?</p>
<p><strong>"Grave"</strong>, c'est donc ce premier film français de la jeune
réalisatrice Julia Ducournau, ultra-diplômée (de la Femis, un des écoles de
cinéma françaises les plus select, et la l'université Columbia), produit par
Julie Delpy, sorti il y a moins de quinze jours, et qui semble bien parti pour
acquérir une notoriété mondiale. C'est donc l'histoire de Justine (on pense
forcément à Sade), 16 ans, étudiante ingénue et brillante, qui intègre une
école vétérinaire - tout comme sa soeur, encore étudiante, et ses parents avant
elles. Sur place, les premiers jours sont loin d'être sagement studieux, avec
le bizutage des novices, et son lot d'épreuves à la limite du dégradant.
Justine s'y plie, bon gré mal gré, jusqu'à être forcée à gober un rognon de
lapin cru - épreuve terrible, pour elle la végétarienne... Elle subit ensuite
des effets secondaires qui nous font entrer dans un univers à la limite du
fantastique: elle est peu à peu gagnée par un appétit irrépressible de viande
crue, de chair fraîche, et très vite, de chair humaine.</p>
<p>Je ne vais pas vous spoiler ici tout l'intrigue du film ;) mais une des
grandes réussites de Julia Ducournau est de traiter un sujet fantastique, qui
relève du cinéma d'horreur - le cannibalisme - dans une fiction ordinaire. Et
elle crée d'emblée un univers où s'insinue une vague inquiétude, quelque chose
d'organique et d'étrange: l'omniprésence du sang, déjà: dès la scène de
bizutage où, pour la traditionnelle photo de promo, les jeunes bizuts se voient
déverser des flots de sang (l'image de Justine ensanglantée évoque Sissy Spacek
dans <em>Carrie</em> de Brian de Palma). Omniprésence des animaux ensuite,
morts ou vifs, en bocaux, ou disséqués en cours. Dans quelques scènes cruelles
et fulgurantes, la cinéaste cerne bien des nouveaux comportements de la
génération Y: mention spéciale pour ces scènes d'anthologie où la jeune
Justine, en prise à ses démons cannibales, et filmées en direct par se
camarades de promos avec leurs smartphones... Qui sont alors les plus barbares:
la cannibale malgré elle, ou les autres étudiants qui la filment avec
avidité?</p>
<p>On sent que la cinéaste a fait se classes pour traiter de ce sujet propre au
fantastique, le cannibalisme, à une sauce ultra-réaliste: dans ses interviews,
elle cite <em>Massacre à la tronçonneuse</em> de Tobe Hooper, bijou indé des
70s d'autant plus flippant qu'il est tourné caméra à l'épaule (comme un
documentaire), <em>Shining</em> de Stanley Kubrick, <em>Crash</em> de David
Cronenberg, plutôt que les classiques de l'horreur tels que <em>La nuit des
morts vivants</em> de George A. Romero.</p>
<p><strong>Drew Barrymore zombie chez Netflix</strong></p>
<p><img src="https://blog.miscellanees.net/public/.santa-e1486392887157-tt-width-604-height-403-crop-0-bgcolor-000000-lazyload-0_m.jpg" alt="santa-e1486392887157-tt-width-604-height-403-crop-0-bgcolor-000000-lazyload-0.jpg" title="santa-e1486392887157-tt-width-604-height-403-crop-0-bgcolor-000000-lazyload-0.jpg, mar. 2017" /></p>
<p>La cannibale, nouvelle héroïne féminine? Ce personnage s'invite aussi à la
télé. Le mastodonte de la série télé mainstream Netflix a lui-même commandé une
série originale avec une héroïne cannibale. Dans <em>Santa Clarita Diet</em>,
Drew Barrymore incarne une desperate housewife (ou presque) qui mène une vie
vaguement ennuyeuse d'agent immobilier, dans une banlieue proprette. Jusqu'au
jour où elle ressent subitement le besoin de dévorer de la viande rouge - et
des êtres humains. Et redécouvre alors le bonheur familial et conjugal. Etrange
série, où, comme chez Julia Ducournau, ce phénomène fantastique est mis en
scène dans un univers un ne peut plus quotidien, avec humour potache de
<em>soap</em> très américain, où son mari s'efforce de l'aider dans sa nouvelle
quête (sans sembler paniqué). Il va même l'aider à tuer, de préférence des
criminels ou des mauvaises personnes (coucou <em>Dexter</em>). Un ton
étrangement absurde où la mère de famille qui devient zombie doit toujours
vendre des maisons et entretenir de bons rapports avec ses copines du
quartier.</p>
<p><img src="https://blog.miscellanees.net/public/.4916861_6_b516_2016-05-10-34e22b0-15052-1kbgsvk_e5314b17b8ceb3e475061e41556dedaa_m.jpg" alt="4916861_6_b516_2016-05-10-34e22b0-15052-1kbgsvk_e5314b17b8ceb3e475061e41556dedaa.jpg" title="4916861_6_b516_2016-05-10-34e22b0-15052-1kbgsvk_e5314b17b8ceb3e475061e41556dedaa.jpg, mar. 2017" /></p>
<p>Mais pourquoi cette nouvelle incursion du cannibale dans le cinéma?
Evidemment, c'est un classique du cinéma d'horreur. Mais son retour dans la
culture pop a été consacré, dans les années 2000, avec la série <em>The Walking
Dead</em>, succès continu depuis 2010. Que l'on voit même revenir ici où là
dans des petites pépites du cinéma indépendant, aux quatre coins du monde. L'an
dernier, au festival de Cannes, deux films abordaient ces ripailles
vampiriques: l’un situé dans le milieu du mannequinat (<em>The Neon
Demon</em>), l’autre en pays ch’ti (<em>Ma Loute</em>). Dans <em>Dernier train
pour Busan</em>, film sud-coréen sorti en août 2016, où les voyageurs à bord
d'un train se trouvent atteints d'une étrange maladie qui les transforme en
zombies...</p>
<p><strong>Révélateur contemporain</strong></p>
<p>Le cinéma s’est toujours nourri de l’état du monde. Dès lors, les troubles
qui affligent nos sociétés, nos économies, influencent la production
contemporaine. Cette réapparition en salles d'un sujet horrifique et tabou -
doit-on manger son prochain pour survivre? - se marie avec une époque, dans la
France et le monde d'aujourd'hui, où il y a plusieurs motifs de terreur et
d'angoisse. Un film sur le cannibalisme aborde le tabou ultime, et interroge
avec brutalité sur les limites de l'humain. Le cannibale, c'est le sauvage,
celui qui, par ses mœurs primitives, nous conforte dans notre sentiment de
notre humanité. ou peut-être sur notre propre barbarie... De même que <em>La
nuit des mort-vivants</em>, sorti en 1968, était une métaphore de la contagion
du mal, du communisme qui effrayait alors les Etats-Unis, en pleine guerre du
Vietnam, <em>Grave</em> incarne un monde contemporain où des dirigeants, tel
Donald Trump, outrancier, extrémiste et grossier, et d'autres personnages
populistes en Europe, incarnent une certaine violence.</p>