Miscellanees.net - blog prolixe pub, marketing & conso, high tech, innovations - Mot-clé - The Circle2023-11-09T22:14:23+00:00urn:md5:e7ec1fbd7729b619d22bab365af406cbDotclearThe Circle, dystopie horrifique où "Privacy is theft"urn:md5:1a2cb92a6cf9372ba65ec421113db0072013-12-21T15:47:00+01:002013-12-22T19:23:55+01:00Capucine CousinR&D, innovationsDystopieFacebookQuantified selfScience fictionThe CircleTwitter <p><img src="https://blog.miscellanees.net/public/.04SILOBOOK-popup-v2_m.jpg" alt="04SILOBOOK-popup-v2.jpg" title="04SILOBOOK-popup-v2.jpg, déc. 2013" /></p>
<p><strong>L</strong>orsqu'elle arrive sur le campus, à la vue de la fontaine,
des courts de tennis et de volley, de la boutique intégrée, des cris d'enfants
qui jaillissent de la crèche, <strong><em>"'Mon Dieu', pensa Mae. C'est le
paradis"</em></strong>. C'est la première ligne du livre, qui raconte le
premier jour de travail de Mae Holland, une jeune femme lors de son arrivée
dans une société appelée The Circle ("Le cercle"). On entrevoit ainsi, dès le
début, que ledit paradis de The Circle, décrit dans le nouveau roman de Dave
Eggers (ed. McSweeney's, 2013, disponible uniquement en V.O. pour l'instant)
sera un enfer.</p>
<p>Dave Eggers, fondateur du magazine littéraire <em>The Believer</em>, de
<em>Might Magazine</em>, et de la maison édition McSweeney's.qui a commis cette
fiction, a publié entre autres <em>A Hologram for the King</em> en 2012,
l'histoire d'un looser qui incarne la classe moyenne américaine qui combat pour
réaliser ses rêves dans un monde globalisé et en récession.</p>
<p><strong>S</strong>ur 450 pages, Dave Eggers nous raconte donc, sous le
regard d'une jeune et naïve recrue, la toile que tisse la start-up The Circle
dans la société - et plus que la vie numérique, comme on va le voir. Une sorte
de <strong>meta-réseau social</strong> qui compile Facebook, Twitter, Google et
Paypal, avec un réseau social d'échelle planétaire, <strong>Zing</strong>. Dans
un futur proche, la start-up est devenue une des plus puissantes grâce à son
système <strong>TruYou</strong>, qui a unifié tous les services sur Internet et
aboli l'anonymat. Ses membres ont une seule identité et y rassemblent
l'ensemble de leurs données - même personnelles. Une manière d'organiser la
"big data" de tout individu... Le récit, qui se déroule dans un futur proche,
n'est pas vraiment de la science-fiction: le quotidien des personnages nous
semble très proche. Les trois Wise Men cofondateurs de The Circle nous
rappellent tout créateur de start-up contemporain.</p>
<p><strong>Dystopie</strong></p>
<p>Mais le récrit est bien une <strong>dystopie</strong>, sous-genre de
science-fiction qui est une sorte de contre-utopie, où l'auteur prend pour
point de départ des fragilités de notre société contemporaine pour les tordre,
les exagérer, dans un récit qui devient peu à peu horrifique, dans un Cercle
vicieux. Comme tout ouvrage d'anticipation, il a donc une dimension
d'avertissement. Son univers nous semble un peu familier: les blogs, Twitter,
Facebook posent déjà des questions telles que la tyrannie de la transparence,
la <em>privacy</em> en ligne perçue comme inutile (Vinton Cerf, vice-président
et Chief Internet Evangelist de Google, déclarait récemment que <strong><em>"la
vie privée peut être considérée comme une anomalie"</em></strong>), notre état
d'esprit reflété par notre présence perpétuelle sur les réseaux sociaux, nos
vies perpétuellement sous surveillance du gouvernement (effet NSA), la voracité
de Google pour s'intégrer dans le monde de l'information...</p>
<p><em>The Circle</em> apporte sa part à ces débats naissants. Eggers l'aborde
par <strong>une fable</strong>, une sorte de conte destiné à être pédagogique,
avec des personnages tels que la naïve héroïne qui va être dévorée par son
ambition, les trois Wise Men, un Transparent Man, le mystérieux Kalden, qui
émerge de l'ombre (seul personnage, dans cette ère de la transparence, à ne pas
être traçable dans The Circle)... Le risque de tomber dans le pur récit de SF
horrifique est contrebalancé par des anecdotes légères et distrayantes.</p>
<p><strong>Secrets are lies, Sharing is caring, Privacy is theft</strong></p>
<p>L'idée : on découvre au fil du récit que la merveilleuse start-up The
Circle a formalisé une certaine idéologie : elle exige la transparence en
tous domaines, ses slogans étant <strong>SECRETS ARE LIES</strong> ("Les
secrets sont des mensonges"), <strong>SHARING IS CARING</strong> ("Partager est
prendre soin"), et <strong>PRIVACY IS THEFT</strong> ("La vie privée c'est le
vol", lointain détournement du mantra d'un certain Proudhon...). L'anonymat est
banni, le passé de chacun est révélé, le présent de toute personne doit être
enregistré et diffusé dans une vidéo en direct. Ce qui est enregistré et
diffusé ne sera jamais effacé. Ces directives s'appliquent à l'ensemble des
salariés de The Circle, mais au fil du livre, le grand public commence à les
appliquer... L'objectif de The Circle est ainsi de couvrir tous les aspects de
l'existence humaine, du vote aux histoires d'amour, sous forme de flot
d'informations qui se déversent sur son portail en ligne.</p>
<p><img src="https://blog.miscellanees.net/public/.3421483_3_c2c6_le-futur-siege-de-facebook-s-etendra-a-menlo_52d93da4bc152c9b4c8348d9a7a471a3_m.jpg" alt="3421483_3_c2c6_le-futur-siege-de-facebook-s-etendra-a-menlo_52d93da4bc152c9b4c8348d9a7a471a3.jpg" title="3421483_3_c2c6_le-futur-siege-de-facebook-s-etendra-a-menlo_52d93da4bc152c9b4c8348d9a7a471a3.jpg, déc. 2013" /></p>
<p>Le futur siège social de Facebook</p>
<p>D'ailleurs, The Circle s'avère plus que paternaliste envers ses
salariés : dans ce <strong>phalanstère du futur</strong>, un peu à la
manière du <strong>Googleplex</strong> que nous connaissons (reflété il y a
quelques mois dans cet étrange film publicitaire <a href="https://blog.miscellanees.net/post/2013/06/26/%C2%ABLes-stagiaires%C2%BB%2C-long-m%C3%A9trage-publicitaire-pour-le-Googleplex">
dont je parlais ici</a>, <em>Les stagiaires</em>), ils y ont accès à une
multitude de services - restaurants, courts et salles de sports, magasin,
agence de voyage intégrée qui leur organise leurs vacances dès qu'ils rentrent
leurs dates de congés, chambres à disposition... Ce qui sonne étrangement
contemporain : le <a href="http://abonnes.lemonde.fr/technologies/portfolio/2013/05/31/les-sieges-pharaoniques-des-geants-du-web_3421482_651865.html">
futur siège social de Facebook</a>, situé loin de toute ville, prévoit bien des
logements juste à côté pour ses salariés. Au passage, ils sont fortement
incités à participer à des multiples soirées afterwork à thèmes, dans un agenda
partagé - leur vie ne doit-elle pas se dérouler au sein de The
Circle ?</p>
<p><strong>Monitoring de soi</strong></p>
<p><img src="https://blog.miscellanees.net/public/.eggersd2_m.jpg" alt="eggersd2.png" title="eggersd2.png, déc. 2013" /></p>
<p><strong>A</strong>u fil des pages, on assiste donc à la plongée aux enfers
de Mae. Elle est recrutée à The Circle via sa colocataire Annie. Au début
simple chargée de relation client, où elle répond en ligne aux questions et
plaintes de clients, ses performances en ligne s'affichent au vu de tous sur
l'Intranet de The Circle, où remontent ses notes après chaque interaction.
Acharnée, Mae obtient un score record dès son premier jour de travail. Elle
devient vite une championne de The Circle, approchant le cercle des fondateurs
de la société.</p>
<p>Au passage, très corporate, elle devient de plus en plus "transparente"
acceptant tout ce que la société lui demande : fusionner les données
personnelles de son propre PC et son téléphone avec les appareils fournis par
la société, puis partager en temps réel tout ce qu'elle fait sur le feed de The
Circle, s'équiper d'un bracelet connecté qui relève ses données de santé (nous
sommes bien dans le <strong><a href="https://blog.miscellanees.net/post/2013/11/27/Les-objets-connect%C3%A9s%2C-troisi%C3%A8me-r%C3%A9volution-num%C3%A9rique">
quantified self</a></strong>) - données dont son employeur a connaissance... Si
elle est silencieuse trop longtemps, ses followers lui envoient des messages
urgent pour lui demander si tout va bien. Très vite, l'entreprise exige - comme
de tout salarié - sa participation active à la communauté en ligne :
impossible de refuser de nouveaux "friends", ou de prendre part à de nouveaux
cercles. Ceux qui s'écartent de ce "réseau social" sont de facto des
parias.</p>
<p><strong>L</strong>'individu doit s'effacer face à cette communauté, nouvelle
humanité à l'ère virtuelle. Dans le récit, salariés de The Circle, puis
personnalités politiques commencent à s'équiper de petites caméras (sortes de
GoPro du futur): tout ce qu'ils font doit pouvoir être capté et partagé pour la
mémoire commune, au nom de la <strong>"transparence"</strong>. Une forme de
<strong>nouveau totalitarisme</strong>. D'ailleurs, puisque rien ne peut être
effacé, The Circle retire le bouton "supprimer". Les études, questionnaires et
pétitions sont diffusés sans interruption, on vote d'un simple clic.</p>
<p>Peu à peu, c'est le cercle vicieux. Mae travaille de plus en plus sur les
réseaux sociaux pour la prochaine récompense : augmenter ses "rates"
(notations) et le nombre de millions de followers. Elle trouve chaque nouvelle
demande <em>"délicieuse"</em> et <em>"exaltante"</em>. Une quête éperdue de
notoriété et de reconnaissance numérique, qui se mesure en données chiffrées -
une sorte de <strong><em>monitoring de soi</em></strong> qui nous paraît
<a href="http://www.strategies.fr/actualites/marques/226441W/evaluez-moi-je-le-veux.html">
étrangement contemporain</a>.</p>
<p>Mae est plutôt la méchante que la victime de l'histoire. Elle cherche à
évincer Annie du Circle vers la fin du récit. Ses motivations sont celles d'une
teenager à l'ère d'Internet: décrocher les notes les plus élevées, se
rapprocher des cercles de pouvoir du Circle, être populaire. C'est plus une
bonne élève qu'une opposante qui voudrait prendre le pouvoir.</p>