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mercredi 9 octobre 2013

La Revue Dessinée, consécration du BD-reportage

revue dessinee

Une revue, ou plutôt un mook (magbook) trimestriel de plus, dans le sillage de la revue XXI, vendu en librairies et certains kiosques (type Relay), signé par une équipe de journalistes... Mais constitué uniquement de planches de BD, avec une dizaine de signatures différentes. Le BD-journalisme, ou BD-reportage, j'avais déjà eu l'occasion de vous en parler ici, c'est - de nouveau - XXI qui a initié ce genre, cette nouvelle écriture journalistique, où un duo reporter/rédacteur et dessinateur s'associent, sur un sujet précis.

Et donc, la toute nouvelle Revue Dessinée, un des jolis succès de la rentrée, déjà en rupture de stocks dans bon nombre de librairies (du coup, merci à Marion-Jeanne de la rédac pour le prêt :), est totalement dédiée à ce format. Et en parcourant ce premier numéro, on voit bien les avantages inhérents à ce format, au gré des sujets très différents traités par ce biais.

A l'origine, née de a volonté de six auteurs (Franck Bourgeron, Sylvain Ricard, Olivier Jouvray, Christophe Goret, Virginie Ollagnier, David Serveney, passé par chez Owni et par Rue89), "animés par la double passion de la bande dessinée et de l'information", sont partis de ce constat: "journalistes et auteurs de BD sont des raconteurs d'histoires", et la BD était une forme d'écriture inespérée pour "parler d'actualité différemment", expliquent-ils dans l'éditorial. L'idée est donc d'"utiliser le langage de la BD dans des reportages, des enquêtes et des documentaires pour offrir un regard vivant et immédiat sur nos sociétés". tout comme il y a des styles d'écriture différents, on y apprécie, au fil des sujets, la variété des traits de crayon qui collent aux différents angles des sujets.

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On attaque ainsi un premier récit, "Belge Congo", sur les ressortissants congolais et rwandais installés en Belgique, et prend pour point de départ les élections contestées du président sortant Joseph Kabila en République démocratique du Congo, en décembre 2011. Le récit est vivant, avec des dessins parfois assimilables à des prises de vues très cinématographiques, et des couleurs vives. Le récit (une quinzaine de pages) s'achève, sur le modèle de XXI, par une page En savoir +, avec personnages, dates-clés, petite bibliographie, et même un QR code qui nous renvoie vers un site complémentaire.

Cette revue tente aussi d'instaurer des rendez-vous, des rubriques. Comme une rubrique assez marrante, intitulée 3La sémantique, c'est élastique3 où l'on a droit à quelques planches qui retracent l'évolution des usages autour d'un mot (ici salop vs salaud - osé...).

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J'ai aussi beaucoup aimé ce long reportage de 20 pages sur l'agriculture dans le Nord - Pas-de-Calais, intitulé "Le prix de la terre". A partir d'un sujet à priori lointain et austère - la moitié des exploitations agricoles a disparu de nos paysages en 20 ans, à cause des politiques européennes, des crises des vocations, etc - les auteurs expliquent en chiffres, en cartes géographiques, et en images, sur des plans où prédominent les couleurs de la terre (orange, jaune, ocre) un sujet complexe.

Il y a aussi ce sujet d'anticipation (premier sujet d'une série, "Tous sous surveillance") sur comment, ici, les caméras de surveillance deviennent omniprésentes dans notre environnement quotidien. Ici, le dessin est fin, très précis, il y a ce côté un peu technologique, informatique et vaguement inquiétant qui ressort ainsi dans le trait de crayon.

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Remarquable aussi, premier récit d'une série en trois volets ("Energies extrêmes") sur le gaz de schiste, signée Sylvain Lapoix et Daniel Blancou. Sur ce sujet terriblement complexe, qui même sciences physiques, chimie, environnement, et lobbying politique, on se rend compte que le format de la BD reportage est parfaitement adapté. Le reporter y est mis en scène dans le récit par le dessinateur (on peu comme ces enquêtes télé où le journaliste apparaît régulièrement en train de passe des coups de fil et mener des interviews. Les planches permettent de glisser graphiques, cartes géographiques

Beaucoup aimé, aussi, les planches au fusain noir (dont on a presque l'impression qu'il s’effacerait sous nos doigts) sur les dernières heures du président chilien Salvador Allende.

Bon bilan pour ce premier numéro donc, qui tient tout de même sur 226 pages, pour 15 euros (3,59 euros sur iPad), sans aucune publicité. A noter que cette revue est totalement bimédia, déclinée sur le site Larevuedessinee.fr, et son appli iPad, avec dessins de presse, dossiers thématiques et webdocumentaires.

dimanche 11 avril 2010

La BD, autre forme de récit journalistique

Blog brièvement laissé à l'abandon ces derniers jours, pour cause, entre autres, de changement de rédaction, de mise à jour de manuscrit pour la réédition à venir de mon livre, Tout sur le Web 2.0, de (courtes) vacances...

Là, à la lecture de ce très bon billet chez Chacaille, j'ai eu envie d'aborder une forme de récit journalistique (voire de "format") pas tout à fait nouvelle certes, mais riche, en constante évolution : la BD journalistique. Un genre riche, longtemps méconnu, qui permet de mêler l'image sous forme de dessins (voire de photos) et l'écriture, le tout avec une structure narrative qui permet littéralement de raconter une histoire au lecteur.

Certes, à première vue, cette forme de récit journalistique est moins innovante que le web-documentaire, dont j'ai notamment parlé ici. A voir, soit dit en passant, l'excellent nouveau web-doc du Monde interactif sur le sujet très tabou du handicap.

Tintin, les croquis...

Tintin

La bande dessinée liée au journalisme, c'est de l'histoire ancienne. On pense bien sûr au reporter Tintin ;) dont les reportages sont prétextes aux récits bédéesques de Hergé. Dès le début du 20ème siècle, les croquis ou caricatures publiées dans les quotidiens, tel Le Petit Journal, permettaient d'y introduire une dose de BD. Rien de tel qu'un dessin bien affûté pour résumer une actu, un angle. Ce que fait d'ailleurs depuis de nombreuses années Plantu dans Le Monde, par exemple, et bien sûr, les journaux satiriques.

Photojournalisme + BD

Mais depuis quelques années, c'est littéralement le journalisme de bande dessinée qui a pris son envol, et là, c'est excitant et prometteur. Les dessinateurs et auteurs de BD "engagés" ont ouvert le feu ces dernières années, avec par exemple la série Le combat ordinaire de Manu Larcenet, où un photojournaliste, bourré d'incertitudes, monte une expo avec des portraits d'anciens ouvriers d'un chantier naval en train de fermer.

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Le photographe, Tome 1, Ed. Dupuis

Dans un autre genre, avec sa série intitulée Le photographe, feu Didier Lefèvre a voulu témoigner de la situation en Afghanistan. En fait, c'est lors d'une mission de Médecins sans frontières que Didier Lefèvre, alors jeune photographe, part pour sa épopée photographique, dont il reviendra avec des centaines d’images, des notes et des souvenirs. Il vendra quelques photos à Libération, et l’aventure restera dans ses archives pendant une quinzaine d’années. C'est en s'associant à un dessinateur qu'il lancera cette BD journalistique.

Or là, on est vraiment à la lisière photojournalisme / investigation / récit sous forme de BD. Dans ces trois tomes, les dessins de BD alternent avec les photos, pour mettre en scène cette histoire - et celle des Afghans. L'écriture BD offre de manière assez inédite l'occasion de faire ressortir des émotions (sur les traits des personnages notamment), et de faire oeuvre de pédagogie, avec par exemple des cartes pour résumer la situation géopolitique locale. Mais aussi, et avant tout, de raconter une histoire (ce qu'attendent avant tout les lecteurs...) de manière linéaire, en images et en textes.

DLefebvre.jpg En progression dans les montagnes d'Afghanistan Photo © Didier Lefèvre.

Un genre à la lisière du journalisme d'investigation et du récit photographique, "Une photo racontant l’histoire, transportée par l’émotion tout en respectant la dignité. Notre démarche d’écriture est moins classique: Une approche différente alliant le reportage et le récit avec quelques fois une touche personnelle car nous faisons aussi partie de ce monde que l’on documente", comme le relate le blog photo Alpha Reporter.

A l'heure où l'on parle de la crise de la presse, d'un journalisme d'investigation réduit à minima faute de budget dans les rédactions, cette forme de récit journalistique ouvre des horizons inédits, aussi bien pour la presse écrite que pour la presse en ligne. Finalement pas très éloigné du gonzo journalisme, qui a beaucoup animé les débats sur la Toile dernièrement, ou le "Nouveau journalisme", où le reporter est présent en permanence tout au long du déroulement du récit, au point de se mettre au centre du récit, en utilisant le "Je" dans la narration, et en s'auto-représentant dans les dessins de BD.

En décembre 2005, dans un article de la revue Médias, Jean-Michel Boissier et Hervé Lavergne définissent d'ailleurs ce nouveau genre de BD, Le BD reportage, comme le "comics journalism" ou "graphic journalism". Et ce pour désigner "une nouvelle tribu de reporters qui ont troqué le clavier, l’appareil photo, le micro ou la caméra contre les crayons, les stylos et les encres – surtout noires. Le BD reportage (appelons-le comme ça) a ses héros internationaux : Art Spiegelman, le génie graphique de « Maus », descente hallucinée dans l’enfer des souris déportées et des chats bourreaux d’Auschwitz, et Joe Sacco, Maltais vivant aux Etats-Unis, qui publie avec un grand succès ses reportages puissants et engagés, de la Palestine à la Bosnie".

De même que des journalistes de presse écrite ou de médias audiovisuels commencent à s'associer à des photographes ou des JRI pour monter des web-documentaires, des journalistes-rédacteurs commencent, de plus en plus, à s'associer à des dessinateurs de BD pour monter des BD reportages. Charlie-Hebdo était déjà familier du genre (avec notamment Cabu). Des nouveaux-venus dans les kiosques s'emploient à briser la frontière et BD, notamment l'excellente revue trimestrielle XXI, qui publie,dans chaque numéro, des BD-reportages, qu'elle qualifie aussi de "récits graphiques". Polka Magazine, le trimestriel dédié à la photo lancé par Alain Genestar a lui aussi adopté le BD reportage.

On le sait, XXI cartonne. Car le grand public (certaines CSP, certes), est encore prêt à mettre de l'argent dans un bel objet, un journal/magazine qu'il conservera. Le genre de la BD-reportage s'y rattache parfaitement, transformant d'ailleurs l'actu relatée par ce biais en récit journalistique, intemporel.