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mardi 13 février 2018

Conquête de l'espace: pourquoi les entrepreneurs (américains) prennent le relais de l'Etat

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Le 6 février à 15h45 heure locale (21h45 en France), la fusée la Falcon Heavy d’Elon Musk s'est propulsée dans l'espace pour la première fois, devenant la fusée la plus puissante depuis la Saturn V qui envoya des Américains sur la Lune. Cap sur une orbite héliocentrique (autour du soleil) proche de Mars. Et, à terme, Mars, la Planète rouge.

Le dernier rêve d'Elon Musk, entrepreneur-ingénieur-milliardaire d'origine africaine, fondateur de Tesla et de SpaceX, est ainsi devenu réalité. Dans un art consommé de la com', il avait soigné la mise en scène, prenant soin de charger dans la Falcon Heavy sa voiture personnelle, une Tesla rouge (sa propre marque de voiture électrique. "Conduite" par un mannequin en combinaison spatiale baptisé Starman, au son de la chanson Space Oddity de David Bowie, il devrait graviter autour de Mars pour... quelques millions d’années. Grand prince, ce communicant-né a pris soin de retransmettre en direct le show le décollage sur YouTube, et de fournir gracieusement les images aux médias.

Mission accomplie, à priori. Et un (nouveau) grand pas pour l'humanité. Fort du support technologique (et financier) de la Nasa, "Elon Musk veut faire de Falcon Heavy un véritable taxi de l’espace à destination de la Station spatiale internationale, de la Lune et de Mars", rappelait Libération. Le tout avec un tarif annoncé record, 90 millions de dollars pour ses futurs lancements commerciaux, soit bien moins que les 100 millions pour Ariane 5. Et que les tirs à 350 millions de dollars du Delta IV Heavy d’United Launch Alliance… Donc, le nouveau conquistador de l'Espace casse les prix. Tout comme un autre gourou de la tech, Jeff Bezos, fondateur d'Amazon, qui s'apprête à lui aussi dégoupiller son lanceur, la fusée New Glenn, via sa firme ad hoc, Blue Origin.

La Silicon Valley de l'exploration de l'espace

Des entrepreneurs de la tech un peu déjantés, à la conquête de l'espace, pour des prix record... Bienvenue dans la nouvelle course à la conquête de l'espace. Et ce n'est plus un Etat qui a la main-mise sur cela, comme, naguère, durant la Guerre Froide, mais des milliardaires. Bienvenue dans la nouvelle course à la conquête de l'espace. Dans cette vidéo qui résume bien la chose, The Economist va droit aux faits: puisque les gouvernements les plus puissants n'en n'ont plus les moyens, ayant réduit au fil des années leurs budgets consacrés à l'exploration spatiale, ce sont des entrepreneurs qui se battent maintenant pour conquérir et exploiter la nouvelle frontière finale: l'espace.

Va-t-on vers une privatisation de l'espace? La question est vertigineuse, comme la pose déjà ce billet. Par un curieux concours de circonstances, quelques jours après le décollage réussi de la fusée d'Elon Musk, ce 11 février, le Washington Post révélait que une note de la NASA, selon laquelle l'administration Trump s'apprête à privatiser d'ici 2025 la Space Station spatiale internationale.

Fin d'un Bien commun ?

D'ailleurs, Scott Pace, directeur exécutif du Conseil national de l'espace, a tenu ces propos révélateurs devant la presse: "Nous le répétons à nouveau: l’espace n’est pas un bien commun global “global commons”, ce n’est pas le patrimoine commun de l’humanité (...). Ces concepts ne figurent pas dans le traité international sur l’espace et les États-Unis ont constamment répété que ces idées ne correspondent pas au statut juridique réel de l’espace." Voilà qui a le mérite d'être clair.

Déjà depuis quelques années, une poignée de firmes s'intéressent de près à l'espace, qui fut par le passé un des terrains de jeu privilégiés des gouvernements (cf la Guerre Froide) pour démontrer leur toute-puissance technologique - et diplomatique. L'espace fut pendant longtemps considéré comme un Bien commun par excellence, librement exploitable par tous, mais ce principe est progressivement grignoté. Comme rappelé dans ce billet, il était protégé par le Traité de l'Espace de 1967, qui fixait des règles de non-revendication de souveraineté nationale sur l’espace. Aujourd'hui, "Des propositions existent pour mettre en place une structure de gouvernance similaire pour les ressources spatiales, associant des États, des universités, des entreprises et des ONG." Déjà trop tard?

Le premier coup de canif conséquent fut apporté par les États-Unis, sous l'administration Obama, qui ont adopté en 2015 d’un Space Act. Ce qui n'avait pas manqué d'inquiéter la communauté scientifique. Puisque il donne aux entreprises capables d’envoyer des engins dans l’espace, comme SpaceX, un titre juridique de propriété sur les ressources qu’elles pourront en extraire. Dans la foulée, Les Émirats arabes unis, puis le Luxembourg, ont adopté une législation permettant d’accorder des permis d’extraction dans l’espace.

Depuis, des start-ups voient des opportunités dans le tourisme spatial, les mines d'astéroïdes, et la colonisation de la lune. Déjà plus de 800 firmes participent à cette ruée vers l'or à l''ère de l'espace. Telle Axiom Space, détenue par Michael T. Suffredini , un ancien de la NASA, qui a levé 3 millions de dollars pour créer une station spatiale commerciale. Ou encore Bigelow Space, société fondée par Robert Bigelow, un milliardaire excentrique de Las Vegas. Citons aussi, dans la série de pépites du New Space relevées par Challenges, Made in Space, Rocket Lab, le petit SpaceX, Planet...

Déjà le désert caillouteux de Mojave, qui s'étend sur les Etats de Californie, Nevada et Arizona, s'est imposé comme le premier port commercial américain de l'espace. À l'entrée de la ville, un panneau accueille le visiteur: "Les portes de l'espace". Son espace aérien restreint est idéal pour tester des nouveaux produits, étant totalement dédié aux tests. Cette jeune industrie de l'espace devrait générer 600 milliards de dollars en 2030. Le nouvel or noir.

dimanche 15 janvier 2012

Le rouge, les semelles Louboutin... sont-ils brevetables ?

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Il s'en est fallu de peu: Christian Louboutin, créateur des fameuses chaussures à talons aiguilles vertigineux, a bien failli faire déposer non pas une invention scientifique ou une innovation de rupture, mais... les semelles rouges dont sont dotés tous ses escarpins. Une particularité esthétique qu'il aurait ainsi fait protéger dans le monde entier. Nul autre chausseur n'aurait pu doter ses chaussures de semelles rouges. L'affaire traînait depuis plusieurs mois, cet très bon billet en retrace les différentes étapes.

Première étape: pour présenter ses semelles rouges comme exclusives, Louboutin a attaqué en justice les impétrants qui se permettaient de reprendre l'idée. Avec ainsi Zara, face auquel il a été débouté par la Cour d'Appel de Paris en juin dernier, et le groupe Yves Saint Laurent aux Etats-Unis, auquel Louboutin exigeait carrément un million de dollars de dommages et intérêts. Il était débouté le 10 août 2011 par un tribunal de New York. En août dernier, l'AFP citait aussi le cas de "la marque brésilienne Carmen Steffens, qui compte parmi ses clientes la top Gisele Bündchen", qui a reçu peu après l'ouverture d'une boutique rue de Grenelle à Paris une lettre du chausseur lui reprochant d'utiliser des semelles rouges dans ses modèles.

Mais ce n'est pas fini: d'après ce même billet, l’OHMI (Office de l’Harmonisation dans le Marché Intérieur, agence de l’Union Européenne chargée de gérer les systèmes d’enregistrement des marques et des dessins ou modèles) vient d'accepter l’enregistrement de la marque Louboutin pour désigner des "chaussures à talons hauts" - consistant en "la couleur rouge appliquée sur la semelle d’une chaussure telle que représentée" (le contour de la chaussure ne fait donc pas partie de la marque mais a pour but de mettre en évidence l’emplacement de la marque). Ce dépôt fait l’objet d’une procédure d’opposition, donc la marque n’est pas définitivement enregistrée. A suivre...

Breveter une idée, une couleur...

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Si, à défaut d'un dépôt de brevet comme en rêvait sans doute Christian Louboutin, l'OHMI - dont les décisions sont valables au niveau européen - valide finalement cette marque avec ces critères très particuliers, cela ouvrira une brèche.L'idée de Louboutin n'est pas de breveter ou de déposer un modèle de chaussure classique - procédé fréquent chez les marques de luxe pour éviter la contrefaçon - mais de breveter, ou a minima déposer un concept, une idée, la semelle rouge apposée sur chacune de ses chaussures. Un des éléments qui fait certes l'identité des chaussures Louboutin, et le seul qui lui permettait jusqu'à présent de se distinguer des nombreuses autres marques de chaussures de luxe. On imagine donc sa fébrilité à protéger juridiquement cette idée.

Tout comme la couleur: en théorie, les couleurs ne sont - heureusement - pas brevetables. Logique, et heureusement, se dit-on. Dans le cas du bleu Klein, souvent cité à tort comme cas d'école, ce n’est pas la couleur même qu'Yves Klein a déposé à l'INPI en 1960, mais le procédé de fixation du pigment, Et encore: s'ils n'acceptent pas le dépôt de couleurs primaires, l'INPI ou l'OHMI commencent à accepter des nuances précises (comme le mauvse Milka) ou des combinaisons de couleurs

Reste à voir donc quelle sera le verdict de l'OHMI. S'il va dans le sens de Louboutin, cela vaudra dire qu'une simple idée, un concept - teindre en rouge vif les semelles de chaussures - pourra être protégé, et réserver à une seule marque. Breveter une idée... Vieux débat, une pratique interdite en Europe, au nom de la défense du bien commun, alors que les pratiques sont plus floues aux Etats-Unis - Amazon a déposé son "one clic", et Mickael Jackson a bien tenté de déposer son moonwalk en 1993.

lundi 10 août 2009

Un pas de danse est-il brevetable ?

moonwalk

La réponse, à première vue évidente, serait non. Et pourtant... si. C'est le blog de Breeze consacré à la propriété intellectuelle qui a lâché l'info, énorme, la semaine dernière.

En 1993, Michael Jackson, certes artiste talentueux / excentrique / controversé (rayez la mention inutile...), mais surtout homme d'affaires avisé, a breveté "son" pas de danse, le moonwalk. Avec cette définition: ''"A system for engaging shoes with a hitch mans to permit a person standing on a stage surface to lean forwardly beyond his or her center of gravity, comprising:Moonwalk At least one shoe having a heel with a first engagement means, said first engagement means comprising a recess formed in a heel of said shoe covered with a heel slot plane located at a bottom region of said heel, said heel slot plate having a slot formed therein with a relatively wide opening at a leading edge of said heel and a narrower terminal end rearward of said leading edge, said recess being larger in size above said terminal end of said slot than is said terrminal end of said slot; and..."''

brevet MJ

Le truc étant que MJ est loin d'être l'inventeur du moonwalking : comme le rappelle cette simple définition sur Wikipedia, d'autres ont pratiqué avant lui ce pas de danse à reculons, comme James Brown. D'ailleurs, il n'aurait jamais prétendu en être l'inventeur, d'après cette même source.

So ? Ce qui me gêne est que, dans ce cas, MJ (certes sans doute très bien "conseillé") a breveté quelque chose dont il admet ne pas être l'inventeur (alors qu'un brevet protège une invention, et il est déposé en général... par son inventeur). Et quid du principe d'antériorité ?

Poussons le raisonnement un peu plus loin : dans ce cas, est-ce que tout est brevetable ? En France, ce sont les marques, dessins et modèles que l'on protège par un brevet. Pas des oeuvres de l'esprit, des oeuvres d'art, encore moins des gestes et mouvements. Mais comme me le rappelait un confrère, le brevet de MJ relève du droit américain, qui n'a rien à voir avec le nôtre...

Cela nous mène à des questions de fond passionnantes, sur ce qui est brevetable - ou pas. Le débat fait rage outre-Atlantique, et porte sur à peu près tout. On se souvient, ici, des débats sur le brevet logiciel (voir ce dossier que j'y avais consacré en 2004 pour TerraEco - accès payant hélas). Le brevet déposé sur le "paiement en un clic" par Amazon ("one click", un dispositif permettant à l'internaute d'acheter un produit sur le Web grâce à un unique clic de souris) est devenu une légende.

Aujourd'hui, un des champs potentiellement brevetables qui fait débat est celui de l'homéopathie, alors que des labos pharmaceutiques rêvent de s'emparer de recettes ancestrales et de les breveter. Par la biopiraterie, ils s'empareraient ainsi de savoirs ancestraux, qu'ils privatiseraient par le biais de brevets, comme le souligne ce collectif. Je me souviens avoir visité en août 2008 un labo de plantes médicinales mexicain qui lutte contre cela.

Le sujet est passionnant et effrayant : est-ce que tous les pans du savoir, qui relèvent du bien commun, seront un jour privatisables, brevetables ?