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mercredi 25 juillet 2012

A la recherche du nouveau tube de l'été

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En pleine torpeur estivale (cette lapalissade est enfin de mise au vu des températures de ces derniers jours), il m'a semblé adéquat d'aborder un sujet crucial. J'ai déjà eu l'occasion de parler ici du single dédié à Noël, soit les Christmas songs, grande tradition pour les majors américaines. A contrario, et si son "genre" inverse, le tube de l'été, était un genre (marketing) en voie de disparition ?

Rappelez-vous, jusqu'au début des années 2000, c'était un concept marketing autant qu'un genre musical mâtiné de cette légèreté estivale : un single donc, très souvent l’œuvre d'un groupe ou d'un artiste parfaitement inconnu, néanmoins calibré pour être multidiffusé sur les radios et les pistes des boîtes de nuit (et des campings), avec une dose de latino (ou musique africaine éventuellement), des jolies filles légèrement vêtues qui se tortillent dansent en collé-serré sur la plage, et une chorégraphie minimaliste (ie facile à reproduire en boîte) dans le clip. Un single le plus souvent coproduit par un trio maison de disque - chaîne de télé - marque. Ou à l'inverse, le slow douceâtre parfait pour emballer.

Jusqu'au début des années 2000 donc, ce fut un des terrains de bataille estivaux des principales chaînes hertziennes. Avec ce coup magistral réalisé par TF1 durant l'été 1989. En plein bicentenaire de la Révolution déboulait sur les écrans "La Lambada", mega hit du groupe Kaoma, son rythme latino, sa mélodie lancinante, sa chorégraphie... Et le soutien plus qu'appuyé du sponsor Orangina (ah, le jaune vif très prédominant dans le clip...) qui s'offrait là un placement de produit grandeur nature: en revisionnant le clip, amusez-vous à trouver le placement de produit (qui sera interdit par la suite)...

Jackpot : le single s'écoule à 1,735 million d'exemplaires. A le réécouter aujourd'hui, le mélomane moyen constatera tout de même que ce single était sacrément bien conçu, au point de sembler presque intemporel (le fait que nous l'ayions écouté du haut de nos 12 ans à l'époque apporte certes une certaine subjectivité ;) - quand bien même "She Drives Me Crazy", tube estival US des Fines Young Cannibals, se situe nettement au-dessus à mon sens.

Certes, les années précédentes, il y avait souvent eu des tubes estivaux, imposés par les maisons de disques ou, par hasard, au gré de l'air du temps : égrenons "L'été indien" de Joe Dassin en 1975, "Hotel California" des Eagles en 1977 (en catégorie slows donc), "We will rock you" de Queen en 1978, "Born to be alive" de Patrick Hernandez en 1979, "L'aventurier" d'Indochine en 1983, "Still living you" (re-slow) de Scorpions en 1984, "Girls just want to have fun" (un des rares manifestes estivaux "à peu près" féministes) de Cindy Lauper le même été, "Les Démons de Minuit" (Images), "En rouge et noir" (Jeanne Mas) en 1986, "Joe le taxi" (Vanessa Paradis), "Yaka Dansé" (si, si) de Raft, "Voyage Voyage" (Desireless) - et le mythique "I want your sex" de George Michael, qui sauvait notre été 1987...

TF1 + Orangina + Sony BMG

Mais là, en cet été 1989, c'était une des premières fois qu'une mécanique musicale et marketing était calibrée à ce point pour imposer un tube sur la période estivale, avec la chaîne coproductrice, et un sponsor. Lequel tube était bombardé par la chaîne entre deux publicités (quitte à l'intercaler avec des pubs pour Orangina, dans un étrange effet de pub interstitielle). Les grands débuts du marketing musical, et un véritable cas d'école.

"La Lambada", c'était donc une multitude de clichés concentrés dans un clip de 2 minutes, avec une dose d'exotisme, de sensualité de danses endiablées sur le sable de Copacabana, les couleurs des favelas d'Amérique du Sud où les plus jeunes et démunis vivent dans l'instant présent... Un exotisme cheap formaté qui donnait le coup d'envoi à l'inévitable tube de l'été, concept marketing avec le même cahier des charges. Car Orangina est alors le premier annonceur à sponsoriser une musique et la danse qui l'accompagne. En 1990, il y aura même une pauvre tentative de produit dérivé long-métrage (il faut lire ce compte-rendu mordant).

Les étés suivants, les chaînes ont repris la même recette. Dès l'été 1990, TF1 remportait à nouveau le morceau avec "Soca Dance" (avec un peu plus de cul dans le clip) , avec là encore une musique latino, des jolies filles sur la place, et une chorégraphie parfaite pour les novices. Mais ensuite, peu à peu, la mécanique s'est enrayée, avec un effondrement des ventes, et une déformation du concept. Certes, il y a eu en 1991 la "Saga Africa" d'un joueur de tennis (assez habilement) reconverti , "Didi" de Khaled qui réinstaurait le raï en 1992, la dance habile "Dirladada" de G.O. Culture en 1993, une tentative de musique zen en 1994 par TF1 avec "Indian's Sacred Spirit" (Yeha Noha)...

En 1996, M6 remporte le morceau avec "La Macarena", single assez bien mené par un Espagnol qui avait déjà fait ses preuves, Los del Rio. Alors qu'elle est face aux blockbusters musicaux "Tic Tic Tac" (Carrapicho, autre groupe brésilien pratiquant la boï bumba), premier coup d'essai de prod' musicale de France 2, avec la marque Cap Tea, et "Sambolera mayi son" (Khadja Nin) de TF1.

Le dernier "tube de l'été" conforme au cahier des charges marketing est "Sereje" de Las Ketchup, vendu en été 2002 à 1,7 millions d'exemplaires. Suivront "Hips don't lie" de Shakira (2006), "Umbrella" de Rihanna (2007) "Mignon Mignon" de René la taupe (101 000 ex.), tandis que "Waka Waka (This Time For Africa)", de Shakira (90 100 ex.) en 2010, galvaudait lui aussi le concept (le tube était en fait le single officiel du Mondial de football)...

Depuis, le phénomène est démodé, mais aussi compliqué à monter pour les chaînes et les maisons de disque. La faute, notamment, comme relaté chez Slate.fr, à une décision du Conseil supérieur de l'Audiovisuel, en 1999, de fixer la durée minimale de diffusion des clips à 1 minute 30. Difficile, dès lors, pour TF1 et M6 notamment, de tricher un peu en bombardant toutes les heures des extraits de moins de 30 secondes. La faute aussi, en vrac, à la crise de l'industrie musicale, au concept même de single tombé en désuétude (ou du moins, on l'achète sous forme dématérialisée ou on le télécharge), tout comme du clip qu'on regarde à la télé (on les regarde directement sur YouTube), ou encore aux coûts de production élevés des clips...

dimanche 21 août 2011

Julian Casablancas, du rock à l'icône publicitaire (parfumée)

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Eh oui, j'ai (lâchement) déserté les pages virtuelles de ce blog durant un mois (un record, en un peu plus de 4 ans d’existence !) pour d'autres activités autrement plus concrètes et essentielles, à la faveur de la trêve estivale. Pour renouer en douceur avec mon clavier, il me fallait un sujet qui reste empreint d'une certaine légèreté estivale (je vous rassure, le prochain billet sera plus charpenté ;). Cette petite actu, qui mêle marketing et actu musicale - et qui concerne un de mes groupes préférés depuis 10 ans, arrivait à point nommé. Dans quelques jours, à la faveur de la rentrée (ça y est, j'ai lâché le mot maudit ;), vous n'y échapperez pas: pub en presse écrite, en affichage, dans les parfumeries, et sur Internet... avec même un clip dédié.

Pour lancer son nouveau jus pour hommes, Decibel (Db), Loris Azzaro s'est en effet offert une égérie de choix, le chanteur des Strokes, Julian Casablancas. Le design du flacon, en forme de micro, est à l'avenant. Rien de tel qu'un leader du revival rock, jeune mais pas trop, pour incarner la rébellion, la liberté etc. , et donc ce parfum censé incarner ces valeurs. Un casting d'autant plus habile que les Strokes, qui viennent de sortir leur 4ème album (le subtil et inégal "Angles"), symbolisent à la perfection le retour en grâce d'un rock sexy, post-punk, avec jeunes mecs en jeans cigarette, perfectos en cuir et cheveux mi-longs. Rappelez-vous, il y a dix ans, l'album "This is it", fesse recouverte d'une main gantée en latex sur la couv', faisait une arrivée fracassante en tête des charts. Et inauguraient le retour en grâce du rock, avec un son léché, que les médias avaient tôt fait d'opposer aux salles gosses des Libertines. Une identité rock reprise par la suite par des groupes (The Klaxons, The Wombats), parfois disparus depuis (the White Stripes).

Loin du parfum au message outrancièrement bling-bling One Million de Paco Rabanne, Azzaro cible donc non plus les minets et play-boys avec cette nouvelle fragrance, mais les djeuns imprégnés de l'esprit rock (ou qui espèrent l'être ;). Outre la campagne publicitaire annuelle, le jus d'Azzaro fera l'objet d'une chanson inédite dédiée, attendue pour début septembre, conçu par Julian Casablancas, d'après ce papier de Paris-Match (où Casablancas semble ne pas trop l'assumer). On sera rarement allés aussi loin en termes de marketing musical...

Mise à jour 04/09 : donc voici la fameuse vidéo, sur les écrans depuis le 1er septembre... Seule la version courte est disponible en ligne, il me semble que spot TV est plus long (30 secondes). Visuellement, le clip est bien ficelé: noir et blanc élégant, on mise sur le côté rock-star iconique de Casablancas, et la musique des Strokes parfaitement identifiable. On l'y voit donc chanter d’abord face à la caméra avant de se jeter dans la foule. A cette occasion, il a composé une nouvelle chanson intitulée I Like the Night.

La conversion de Julian Casablancas, le temps d'une campagne, en égérie d'un parfum, est d'autant plus savoureuse que ce rebelle version papier glacée est le fils du fondateur de l'agence de mannequin Elite. La boucle est bouclée... L'histoire veut qu'il a rencontré les autres membres des Strokes dans un très chic pensionnat en Suisse. Mmmm, pas très rebelle tout ça ;) Sans sombrer dans quelque couplet moralisateur, nul doute que l'appât financier n'est pas étranger ce choix de Julian Casablancas. Même si, certes, les Strokes avaient déjà cédé à plusieurs reprises à l'appât publicitaire, avec la reprise de certains de leurs morceaux dans des campagnes de pub (comme The end has no end reprise dans une pub EDF).

Passage forcé par la case publicité pour les rockers ?

Certes, il y a eu de nombreux précédents, où des chanteurs et starlettes ont cédé à l'appel de marques de luxe, et négocié leur notoriété : Justin Timberlake pour Play de Givenchy, Keith Richards dans une campagne de Vuitton, sans compter des starlettes, telles Rihanna et Jennifer Lopez, qui ont lancé leur propre jus, stratégies de produits dérivés oblige, ou encore Lady Gaga, elle-même devenue une marque, qui a consacré l'industrialisation musicale (voir cette enquête que nous avons publiée dans Stratégies en juillet dernier).

A voir les derniers précédents, parfois surprenants, on se prend à penser que les ventes de disques et les tournées ne suffisent plus aux chanteurs, contraints un jour ou l'autre de passer par la case publicité. Tel Jamie Hince, leader de The Kills (et Mr Kate Moss en voie de peopolisation accélérée), qui posait l'an dernier pour la nouvelle campagne pub automne 2010 de Zadig & Voltaire, ou "dessinent" des lignes de vêtements pour une marque (et leur apportent ainsi leur propre empreinte rock), tels (feue) Amy Winehouse pour la marque (un temps emblème des mods et des punks) Fred Perry, et Pete Doherty, qui a conçu une collection-capsule pour The Kooples pour cet automne...

dimanche 29 mai 2011

Lady Gaga, icône numérique

Cela ne vous aura pas échappé : lundi 23 mai, Lady Gaga, consacrée en deux ans nouvelle icône de la pop, sortait son nouvel album, Born this way. Contrairement à Bruxelles, les Parisiens auront été épargnés par la sonorisation des lignes de métro, avec la diffusion en boucle dudit album. Mais sûrement par par l'intense campagne promotionnelle. Reflet peut-être de l'industrialisation accélérée de la musique pop mainstream, jamais une star ne sera allée aussi loin dans l’utilisation de recettes marketing. Recettes classiques pour certaines: faire de chaque sortie de single ou clip un événement, se distinguer par un look improbable, s'approprier des références cultures (de Madonna, référence revendiquée, à David Bowie, en passant par... Andy Warhol et sa Factory,; bien sûr pratiquer le placement de produits à outrance dans ses clips... en prétextant dénoncer la société de consommation bien sûr ;)

Des recettes appliquées avec une efficacité diabolique sur la Toile : Lady Gaga est probablement une des premières stars de la pop à être devenue aussi une icône numérique, présente sur une multitude de réseaux sociaux. Ses apparitions sont rarissimes dans la vraie vie et sur les plateaux télé, mais elle semble presque s'être dédoublée sur la Toile, en une sorte d'avatar, d'icône dématérialisée. Une sorte de star bionique, image étrange appuyée par ses looks fantasques, futuristes (et parfois flippants)... Un cas d’école, que j'avais envie d'aborder depuis longtemps, sans juger ici la qualité musicale de ses albums (perso ce n'est pas ma tasse de thé ;) je vous renvoie pour cela entre autres à ce papier du Monde, qui n'est guère tendre avec elle).

Relation-client sur réseaux sociaux

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A 26 ans, sans avoir d'un quelconque MBA en marketing, elle manie déjà à la perfection les ficelles du marketing classique : un apparat de circonstance depuis ses débuts en avril 2009, des références culturelles qu'elle s'approprie, créer l’événement autour de la sortie du moindre single et clip... Mais sur la Toile, elle gère en direct, depuis ses débuts, sa relation avec ses fans sur les réseaux sociaux - comme une marque qui gèrerait sa relation-client en ligne. Imaginez: elle vient de franchir le cap de 10 millions de fans sur sa page Twitter. Outre sa page web officielle, s'y ajoutent sa page Facebook (10 millions de fans, 36 millions de Likes pour son dernier album), sa page MySpace...

Loin de s'entourer d'une équipe de community managers, si son entourage gère sa page Web officielle, elle envoie ses tweets elle-même, directement depuis son téléphone portable: elle y alterne autopromo, annonce de son agenda, et réponses à ses fans. D'où une harmonie dans le ton et les contenus, qui n'ont pas trompé ses fans.

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Le 23 mai, elle a franchi un cap supplémentaire, avec de multiples partenariats destinés à asseoir sa présence numérique : Samsung a diffusé en avant-première, du 17 au 23 mai, l'album sur sa page Facebook en streaming continu, et a cofinancé une campagne de pub télévisée - une première (et de fait, j'ai eu droit à plusieurs relances de leur agence de RP sur cette opé...).

Pour asseoir son circuit de distribution physique et numérique, non contente d'avoir trusté les premières places de sites de téléchargement avec plusieurs singles lancés avant la sortie officielle de l'album, elle a bénéficié d'une vaste opération de com' par Amazon.com, qui son album... à 0,99 dollar durant deux jours. Amazon y a sacrifié ses profits (et contribué à dévaloriser le prix de la musique, soit dit en passant), comme le relate Mac Plus, quand sur l’iTunes Store le même disque est vendu 11,99$. L’opération a donc coûté en tout 3,18 millions de dollars à Amazon, (presque) à perte… Pas grave: Amazon a foulé des pieds de modèle économique de la musique en ligne, mais s'est offert un coup de pub pour sa boutique de MP3. En une semaine

Crowdsourcing et co-création oblige, pour mettre à contribution les internautes, l'agence Vanksen a monté une opération en ligne: un jeu-concours, "French this way", où les internautes sont invités à concevoir un clip sur YouTube sur la chanson-titre de l’album, avec à la clé 30 places pour un showcase à Paris à gagner. Rien que pour le plaisir, la vidéo où la star s'adresse à ses ouailles...

Autre relais indispensable: les social games, cette nouvelle génération de mini-jeux vidéos sur Facebook et petits univers virtuels, lointains héritiers de Second Life. Qu'à cela ne tienne: Lady Gaga s'est associée à la start-up à succès Zynga, pour concevoir un social game à son effigie... Gagaville, où les fans pourront évoluer dans un univers à son image (motos, licornes....), et où des extraits de son album Born This Way étaient diffusés en avant-première, du 16 au 19 mai.

Avec le géant du caffè latte indutrialisé, Starbucks, Lady Gaga a lancé un jeu bâti sur mesure: une chasse au trésor dans les cafés Starbucks, où les indices sont cachés dans les codes QR des ardoises et des affiches présentes dans les magasins, que les clients peuvent scanner avec leur portable. Et, pour être sûr que vous n'y échappiez pas, la musique de Lady Gaga est diffusée dans les magasins et sur le site web de Starbucks - une première dans l’histoire de la marque - où l'album est en vente.

D'étranges co-brandings donc, où comment la marque Lady Gaga s'insère dans de multiples univers. Quitte à provoquer une certaine saturation...

Màj du 31 mai : merci aux Inrocks pour la petite mention :)