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dimanche 7 juillet 2013

Le slow journalism, prendre le temps de ralentir

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Il y a l'édito de Michel Denisot pour le premier numéro de Vanity Fair en VF. Où il proclame que "là où le temps s'accélère, Vanity Fair vous propose le temps de ralentir et d'aborder différemment la vision du monde qui nous entoure". (Certes, il faut avoir le temps: ledit édito se trouve page 43, après une floppée de pubs ;). C'est sûr, "il faut du temps et de la distance et c'est aujourd'hui un luxe dans la presse", Vanity Fair, un des lancements de mags les plus attendus cette année, serait-il la dernière incarnation en date du slow journalism ? Denisot nous promet dès l'édito des "histoires captivantes au long cours": et de fait, mis à part les nombreuses rubriques qui rappellent celles de GQ et autres mags branchés ("les minutes de l'info futile", les festivals estivaux...), on arrive ensuite à des sujets parfois d'une dizaine de pages (disons 5/6 une fois que l'on ôte les pages de photos): entretien avec le majordome de Liliane Bettancourt, atelier d'un faussaire allemand, interview-fleuve de Scarlett Johansson, magnifique retour sur les Bains-Douches par Eric Dahan (quand on le lit, on y est)... Le ton y est souvent détaché, chic, parfois désinvolte, un peu snob, avec l'écriture divine de certaines plumes.

C'est en tous cas un des rares exemples de magazines où il y a encore des papiers longs, même si l'on n'atteint guère la longueur (et la subtilité dans l'écriture) dont le New Yorker et The Economist sont coutumiers. Et si prendre le temps d'enquêter, devenait un luxe qui permettrait à la presse écrite de se distinguer, face à l'écume d'infos balancées presque en temps réel sur les médias en ligne, à l’information en temps réel, les articles courts et aux notifications push sur mobile ? C'est le slow journalism, concept autour duquel se greffent plusieurs nouveaux projets de médias.

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Même un des meilleurs quotidiens actuels, le New York Times, s'est y essayé : le 20 décembre dernier, il publiait Snow Fall, un article titanesque, publié en 6 chapitres, et portant sur un sujet plutôt décalé : l’histoire d’un groupe de skieurs qui, l’hiver précédent, avaient été pris dans une gigantesque avalanche à Tunnel Creek, dans l’état de Washington. Au menu: des dizaines de milliers de signes, mais aussi des vidéos, sons, animations et infographies, grandes photos... Et au passage, le résultat de 6 mois de reportage, une équipe de 17 personnes mobilisée… Et plus de 3 millions de visiteurs-lecteurs de ce récit multimédia.

Cette idée de prendre le temps pour raconter, on l'a vue ressurgir dans la floppée de mooks (ou magbooks) lancés ces derniers mois, dans la lignée de la revue XXI : des revues bimensuelles ou trimestrielles, où le papier glacé et la maquette soignée s'y prêtaient d'autant plus. Mais on la retrouve dans plusieurs des projets journalistiques les plus intéressants du moment.

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Il y a notamment le nouveau mensuel Au fait, qui se revendique "média lent". Lancé le 25 avril dernier par Xavier Delacroix, journaliste passé parla BBC dans les années 80, et les RP, qui compte dans son comité éditorial des pointures telles que Bernard Poulet (ex-L’Expansion) et Patrick Blain (ancien du Parisien). Après avoir levé près de 400 000 euros, il a donc lancé son titre, décliné sur papier, tous les mois, et sur tablette. Un magazine sans pub (qui, à ce titre encore, se rapproche des mooks), vendu 7,90 euros le numéro (tout de même...); qui vise l'équilibre à 15 000 exemplaires.

Place ici, donc, au long : pour les articles, interviews, dossier au-delà des écumes de l'actualité. Avec pour particularité que Au fait n'en vient "aux faits", en profondeur ,que sur deux sujets par numéro - d'où sa couv' subdivisée en deux. Au menu ici, 47 pages sur le "système" HEC, "fournisseur officiel d'élites", et des articles qui n'hésitent pas à pointer ses faiblesses: le très faible nombre d’étudiants boursiers, la consanginuité des admis, le manque d'anticipation de l'école quand à la crise... Dans une seconde partie, longue interview de Zungmunt Bauman, sociologue non conformiste, qui donne sa vision de la société, de la religion ("l'expression des limites de l'être humain") à Facebook (où "les citoyens livrent volontairement toute leur intimité (...) Il a déjà collecté plus de secrets que n'avaient pu le faire tous les services d'espionnage et toutes les polices politiques de toute leur histoire"). Illustrations a minima, quelques rares photos: le concept est exigeant. Reste à voir si le lecteur accrochera...

Le Quatre Heures, slow info + grand reportage en ligne

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Mais il y a aussi la revue Le Quatre heures, projet de fin d'études d'étudiants au CFJ de Paris. L'idée : Chaque mercredi, à 16 heures pile, il propose sur son site un reportage multimédia, qui, dans la lignée des webdocus, mêle texte, photo, vidéo et son, en plein écran. Sur la page d'accueil du site, les étudiants revendiquent d'ailleurs de vouloir "faire du Quatre Heures le premier média français de slow info qui réconcilie web et grand reportage". Ils annoncent que le site, en version beta, durera six semaines, avant une version définitive prévue pour 2014.

Il y a également ce superbe projet de media néerlandais, De correspondent, comme j'en parlais dans cette enquête, financé par une jolie opé de crowdfunding: lancé par le journaliste allemand Rob Wijnberg et le designer Harald Dunnink, fondateur de l'agence digitale Momkai, ce média totalement digital, décliné sur Internet, mobile et tablette sera proposé par abonnement, pour 60 euros par an, il n'inclut à priori pas de publicité dans son modèle. De fait, les 17 000 crowdfunders ont préfinancé cette publication en prenant chacun un abonnement.

Des projets de slow journalism qui sonnent comme des répliques à l'ère de l'immédiateté, de la "fast information" en quelque sorte, où une actu chasse l'autre, phénomène dopé par Twitter. A l'heure où bon nombres de médias rivalisent ainsi d'"exclus", et il n'est pas rare qu'une info partagée sur Twitter se voie rapidement tancée d'un #old.

dimanche 17 octobre 2010

Le journalisme de demain, entre news brutes, "chaudron participatif" et info à haute valeur ajoutée?

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Je suis passée mercredi aux Entretiens de l'information, une journée de réflexion autour de l'évolution du journalisme à l'INA, organisée par Jean-Marie Chrron, sociologue des médias, qui m'y avait gentiment conviée. J'avais envie de revenir sur plusieurs points de vues émis ce jour-là. Vous trouverez aussi un compte-rendu très fidèle chez mon confrère Cyrille Frank (aka @Cyceron) qui, lui, a courageusement assisté à toute la journée de débats :)

Premier sujet abordé, les effets de la crise sur l'organisation du travail des journalistes. Les symptômes décrits par Olivier Da Lage (SNJ, ancien président de la Commission de la Carte de presse) étaient loin de m'être inconnus: avec en particulier le développement des contrats groupe au détriment des contrats de travail rattachés à un seul titre, si jamais le titre de presse (« produit ») disparaît. Un confrère m'avait raconté, il y a quelques mois, avoir signé un "contrat Hadopi lors de son embauche, par lequel il s'engageait à signer des articles pour les titres du groupe de presse qui venait de l'embaucher...

News brutes, chaudron participatif, ou journaux à haute valeur ajoutée

Inévitablement, on en est arrivé à l'évolution des contenus journalistiques en eux-mêmes. Pour Frédéric Filloux (ex-20 Minutes, co-fondateur de la newsletter Monday Note), le premier effet kiss cool de l'économie de l'Internet telle qu'elle s'esquisse, c'est la disparition (relative) de la notion de droit d'auteur en ligne. Je suis content quand je vois que le Washington Post me reprend dans ses colonnes... Mais il y a 20 ans le Washington Post aurait donné un deal, un droit de reproduction. Maintenant, quand est repris par le Washington Post gratuitement, on est payé en notoriété.

Pour lui, trois manières de traiter l'info sur Internet - et donc trois modèles - s'ébauchent :

- le traitement brut de l'info (Commodity news), qui est devenue une sorte de matière première, recueillie avec des moyens électroniques, où la technologie sert l'utilisateur. Les infos sont mises à disposition sur Internet, sur Twitter, très rapidement. On pense par exemple aux photos du crash aérien de l'Hudson River, au printemps 2009, publiés 18 minutes après sur Twitter, avant même les agences de presse. Là, c'est l'instantanéité de l'info qui compte.

- Chaudron participatif : le critère premier n'est plus l'exactitude de l'info, mais la résonance, le buzz, faire réagir les lecteurs. Ce qui renvoie bien sûr à nombre de sites d'info grand public, où l'actu qui fait le buzz - ou mieux, la polémique - devient le fait du jour à traiter le plus vite possible, car susceptible d'alimenter les clics, et les commentaires. Et de dézinguer, non sans provoc', le modèle Huffington Post, et les projet de HoffPost de gauche ou de droite qui fleurissent en France. Car si le succès du HuffPost est certain, dans les faits, c'est un système de pillage absolu, avec quelques blogueurs vedettes payés, et 6 000 non rémunérés, mais trop contents d'être repris. CQFD.

- Mais tout n'est pas perdu, le vrai refuge du journalisme pourrait résider dans des niches qualitatives mais à audiences très faibles : ce vers quoi tendent la plupart des journaux. Le New York Times, le Washington Post... vont sûrement se replier sur un petit segment raisonnablement profitable.

On imagine facilement qu'en misant sur leur image de marque, ces médias vont capitaliser sur des sites payants avec de l'info à haute valeur ajoutée accompagnés d'une publication papier (à fréquence plus réduite puisque les quotidiens papier auront inévitablement disparu), le tout destiné à un lectorat âgé, aisé, cultivé. Ou comment l'info de qualité risque de devenir d'autant plus élitiste...

Fin annoncée des médias d'informations généraliste ou recomposition ? Le cas du Télégramme

Question intéressante, un peu fourre-tout... Bien sûr, on pense aux Médiapart et autres Rue89 comme égéries d'un nouveau modèle de médias en ligne, pas encore rentables (et taclés assez sévèrement par Manu Paquette dans L'Express cette semaine).

Mais un média old school comme le quotidien régional breton Le Télégramme teste, lui,, de nouvelles recettes. Comme le gâteau des recettes des petites annonces lui a échappé ces dernières années au profit du Web, qu'à cela ne tienne, il bascule vers d'autres sources de revenus. Avec une diffusion à 200 000 exemplaires et un fort enracinement local, notre modèle éco est classique, combinant vente journaux + pub, qui nous génèrent à peine 1/3 des recettes, voire moins. Mais nous avons connu une stagnation des revenus pubs et abonnements, et dû basculer vers d'autres sources de revenus, précise Hubert Coudurier, patron du Télégramme.

Du coup, il a développé de nouvelles sources de revenus: on organise des courses comme la Route du Rhum. On a racheté RegionsJob, n°3 dans offres d'emplois en ligne derrière Monster. Ces diversifications représentent 1/3 des revenus du groupe.

Le quotidien régional tente aussi de s'adapter à l'évolution des modes de consommation, le Journal a basculé sur le Net à partir de 1996, il sera sur l'iPad via une appli commune ouverte avec d'autres éditeurs de PQR, et va carrément devenir opérateur mobile dans les semaines à venir. Une déclinaison surprenante...

mardi 21 septembre 2010

Le New York Times s'intéresse à l'info micro-locale et personnalisée

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Intéressante initiative du New York Times qui, décidément, n'en n'est pas à sa première tentative d'innover en matière de journalisme en ligne et de Web social.

Cette fois, il s'intéresse à l'info très locale, en lançant un site d'information micro-locale, The Local East Village, dédié à un quartier de Manhattan, d'après cette dépêche reprise par Les Echos, et Mashable.

Mais il ne s'arrête pas là: il va créer un service d'informations personnalisé et social intitulé News.me, en partenariat avec le fonds d'investissements Betaworks, spécialisé dans les entreprises internet. Betaworks, qui a aussi pour immense avantage d'être particulièrement bien installé dans l'univers du microblogging, notamment via ses sociétés TweetDeck (un des principaux clients Twitter) et Bit.ly (qui permet de raccourcir les adresses de sites postées sur Twitter).

News.me devrait être lancé d'ici à la fin de l'année, dans un premier temps sous forme d'une application pour la tablette iPad d'Apple.

Nous arrêterons de publier le New York Times à un moment dans le futur

Un nouveau d'expérimentation qui n'est pas vraiment fortuit, alors que comme beaucoup de quotidiens, le NY Times remet en question le concept même du quotidien papier. Lors de la 9th International Newsroom Summit organisé par la World Association of Newspaper (Wan-Ifra) à Londres, le 8 et 9 septembre 2010, le patron du NYT en personne, Arthur Sulzberger Jr, a prédit la fin éventuelle du journal papier.

À une question posée sur une prédiction selon laquelle le NYT devra arrêter de publier sa version papier en 2015, il a répondu: nous arrêterons de publier le New York Times à un moment dans le futur, mais la date reste à être déterminée.

L'éditeur plaisante, mais les chiffres de diffusion payante du quotidien ne plaident pas pour une survie de la version papier. Le NYT a vu ses ventes reculer de 8,5 % sur un an entre 2009 et 2010 (pour l'édition de la semaine), tout comme les 25 plus gros journaux américains. Les revenus publicitaires sont également en chute libre, les journaux américains ayant perdu 44 % de leurs revenus publicitaires entre 2005 et 2009. Le journal va d'ailleurs basculer vers le tout-payant en 2011, rendant ses articles payants.

dimanche 17 janvier 2010

Premières applications mobiles frauduleuses : obligation de régulation par les AppStores ?

Et voilà, il fallait s'y attendre. Tout nouveau service qui suscite l'engouement est confronté, un jour ou l'autre, à des premiers obstacles, au premier chef la contrefaçon, les détournements, ou encore des versions vérolées.

Dans le domaine des applications mobiles, vendues sur les AppStores avec le succès que l'on sait (voir par exemple ici), on pourrait bien voir surgir, un jour, des applis érotiques (voire plus) 'pour adultes'...

Appli Android de fishing

En attendant, cette semaine, le premier cas d'appli mobile délibérément destinée à un usage frauduleux est apparu... Il rappelle fortement les cas de mails de fishing diffusés par e-mails (sous forme de spams), qui visaient à récupérer les données bancaires d'internautes distraits. L'application mobile publiée par Droid09, proposait aux utilisateurs de se connecter à leurs comptes de la banque américaine Credit Union pour les gérer à distance, depuis leur téléphone portable.

Cette application était frauduleuse, et récupérait les données des utilisateurs pour le compte d'un tiers. Les identifiants et mots de passe de connexion étaient donc volés, et ce dans le but de se connecter aux comptes, comme dans les affaires de fishing. L'affaire a été révélée par l'entreprise de sécurité informatique Sophos.

Mais du coup, une autre question sous-jacente surgit : quid de la responsabilité des éditeurs d'applis mobiles dans ce genre d'affaires ? Les propriétaires d'AppStores (Apple, Google dans le cas de l'Android Market...) , ne sont-ils pas censés trier sur le volet leurs futures applis, et les valider avant leur lancement . Or ici, cette application, qui était proposée sur l'Android Market, a été approuvée par ses administrateurs... Avant d'être retirée, une fois la fraude constatée.

En clair, les propriétaires de "magasins" applications mobiles en ligne seront-ils être garants de leur fiabilité ? Il y avait déjà eu un précédent, avec le ver Rick Ikee qui circulait sur des iPhones déverrouillés, utilisant donc des applis non-vérifiées par Apple (un point pour Apple, donc).

Propriétaire d'AppStore = régulateur ? Le cas des 'fausses' applis iPhone NY Times

Et c'est sur cela que risquent de pêcher les téléphones sous Android : autant Apple est très regardant sur les nombreuses applications proposées par des développeurs sur l'AppleStore (le processus de validation peut prendre jusqu'à 1 mois), autant le processus de validation des applis est connu pour être extrêmement léger du côté de l'Android Market. A moins que Google ne prêche l'auto-régulation, et laisse la responsabilité à ses utilisateurs de choisir à bon escient (autant que possible ;) dans une jungle d'applis peu triées... Ce qui risque de le discréditer.

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Mais Apple n'est pas forcément prêt à enrôler systématiquement ce rôle de super-régulateur, notamment face à des "fausses" applis mobiles qui surgissent. Comme signalé sur le blog Mediamemo, cette autre affaire pourrait faire du bruit : face à deux applications iPhone du New York Times qui pourraient s'avérer être des fakes (ou en tous cas des versions non-officielles), Apple "ne veut pas savoir". Concrètement, on trouve actuellement sur l'iTunes Store l'application iPhone officielle du NY Times (gratuite et bien pratique), ainsi que... deux différentes applis iPhone pour le NY Times, “New York Times Mobile Reader", proposées pour 0,99 cents chacune. Actuellementl e service juridique du quotidien planche sur le problème, signalant qu'AUCUNE des deux applis n'est autorisée.

dimanche 15 novembre 2009

Un reportage du New York Times payé par des internautes

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Cette semaine, le New York Times a publié dans sa rubrique Sciences un article un peu particulier : il retrace l'histoire d'un amas de déchets flottant dans l'océan Pacifique. Mais surtout, il est signé par une pigiste pigiste... "payée par la foule" dans le cadre d'une initiative inédite.

Les frais engagés par la journaliste Lindsey Hoshaw pour réaliser son reportage lui ont été réglés d'avance non pas par le commanditaire de cet article, le NY Times, mais par des centaines de donateurs, via Spot.Us, qui se définit comme "un projet à but non lucratif visant à être pionnier du journalisme payé par la communauté". Sur son site Internet, Spot.Us déclare d'ailleurs vouloir permettre au public "de lancer des enquêtes avec des donations déductibles fiscalement, sur des sujets importants et peut-être négligés (sous-entendu par les rédactions classiques)". A ce jour, le reportage de Lindsey Hoshaw a récolté 6 000 dollars de dons.

Un peu sur le modèle des sites musicaux où les internautes peuvent plébisciter et financer en ligne, et donc permettre aux artistes de se faire produire par des internautes (tels Akamusic.com ou MyMajorCompany), SpotUS propose aux internautes de choisir le sujet d'article (leur story favorite) qui les intéresse le plus, parmi les pitch présentés sur le site, et visiblement postés par des journalistes freelance (équivalent aux journalistes-pigistes ici). Il y a plusieurs tarifs présentés selon le type de reportage prévu (investigation, reportage sur une entreprise). L'internaute qui finance un reportage peut en connaître la progression via le blog du journaliste. C'est donc une sorte de place de marché, où l'internaute peut choisir de financer des sujets de reportages qui l'intéressent, ou qui lui semblent peu traités par les médias.

L'initiative de SpotUS me laisse quelque peu perplexe. Le NY Times surfe ainsi sur la vogue (quelque peu dépassée d'ailleurs) du journalisme participatif (dont je me souviens avoir parlé en 2007). Un site comme Newsassignment.net proposait déjà à sa communauté d'internautes de contribuer à la rédaction d'articles.

Certes, c'est un moyen de financer des reportages aux coûts (déplacements, etc) parfois élevés, surtout pour des journalistes indépendants, qui doivent habituellement avancer les frais avant de les voir (éventuellement) couverts par la rédaction qui publiera leur papier. Qui plus est, cela donne au journaliste le temps d'enquêter en profondeur. Du temps et des moyens, une denrée qui se raréfie d'ailleurs pour les journalistes dans les rédactions.

Le truc étant que le modèle de relation classique entre les rédactions et les journalistes indépendants qu'elles font travailler repose sur une commande, puis une rémunération directe par la rédaction au journaliste. Là, SpotUS se pose en intermédiaire (et prélève une commission ?). Normalement, l'article finalisé est publié sous licence Creative Commons, et donc reexploitable gratuitement par autrui. Là, le NY Times avalise ce modèle en publiant dans ses pages un article commandé et "produit" par SpotUS, et financé par des internautes.

Est-ce que l'on verra un jour ce modèle importé en France ? Où se distinguent déjà des intermédiaires entre rédactions et journalistes indépendants, comme la Nouvelle Agence Centrale de Presse (ACP), qui suscite déjà beaucoup de débats... Et vous, qu'en pensez-vous ?

Mise à jour : Quelques compléments à partir d'infos ben intéressantes que m'ont fait parvenir des internautes (que je remercie :): - Dans la lignée de Spot.US, en France, on trouve le projet Glifpix qui repose sur le même principe. Parmi ses fondateurs, on trouve un ancien rédacteur en chef du Monde, Patrick Jarreau, un transfuge de Mopndadori France, Bertand Paris, Eric Scherer, directeur de la stratégie et des partenariats à l’AFP... - Le photojournaliste Cyril Cavalié (qui vient de publier cet excellent bouquin, dont j'ai parlé ici) m'indique qu'il a eu (et bénéficié de) la même idée : "en début d'année, et le don de quelques internautes des réseaux Facebook, Twitter et Flickr qui connaissaient mon travail, m'avait permis de partir à Washington sans commande pour couvrir l'investiture de Barack Obama".

dimanche 25 octobre 2009

Impacts des médias sociaux sur les médias traditionnels

Cette semaine, dans le cadre des deux journées de conférences Buzz the brand organisées par le mag Stratégies et l'agence Vanksen, j'ai eu le plaisir de participer à la table ronde sur le thème "Impacts des médias sociaux sur les médias traditionnels", pilotée par François Kermoal, directeur de la rédac' de Stratégies. Le débat fut assez riche, animé... J'avais préparé quelques notes au cas où, je me suis dit que tant qu'à faire, je pouvais en partager avec vous la substantifique moëlle !

Médias sociaux / médias traditionnels : les nouveaux enjeux

- Impact de ces 'nouveaux médias' (en l'occurrence les blogs, les réseaux sociaux tels que Twitter et Facebook). Ce qui me semble essentiel et assez nouveau est que ces 'nouveaux media' changent la chronologie de l'information, et imposent plus de réactivité, de rapidité aux journalistes sous peine d'être dépassés. Dépassés par d'autres médias certes loin d'être toujours aussi légitimes, mais qui, indéniablement, ont habitué le lecteur/internaute à avoir l'info de manière presque instantanée... Du coup, on commence à voir ce phénomène par exemple en presse quotidienne ou en presse hebdo : lorsqu'un journaliste a une info importante, il la sort d'abord sur le site web de son média, sous forme d'un indiscret un d'un article assez bref. Si les délais de décalage avec la parution papier ne sont pas trop importants, il y consacrera un article plus développé, plus léché, dans son journal papier. Les réseaux sociaux impliquent par ailleurs que l'info doit être marketée, donc valorisée, relayée par ces mêmes réseaux sociaux...

Exemple intéressant de ce changement de chronologie, on a vu récemment une journaliste dévoiler un scoop directement sur son fil Twitter. Mi-octobre, un twitt de Fabienne Schmitt de la corres' de la presse annonçait que Martin Bouygues avait convoqué Nonce Paolini et Axel Duroux pour arbitrer leurs conflits. Résultat : l'info a été reprise partout avec citation de son twitt comme source, elle a été interviewée par Canal + et RTL... Et elle s'est vérifiée par la suite, comme on le sait, avec le départ quelque peu précipité d'Axel Duroux cette semaine...

Autre fait, des journalistes commencent à cultiver leur "auto-marketing" (ou personal branding), et du coup émergent hors-rédaction : que ce soit avec leur fil Twitter perso, ou leur blog... Les media sociaux sont d'autant plus bienvenus pour les journalistes indépendants, qui acquièrent ainsi une visibilité plus importante grâce à ces nouvelles vitrines. Dans les rédacs, ces nouvelles vitrines gênent parfois aux entournures certains rédacs chefs, d'autant qu'un journaliste qui blogue a de facto sa propre tribune, il devient en quelque sorte éditorialiste, et peut publier des billets sans le filtre d'un rédacteur en chef...

Mais clairement, quelques journaux prennent en compte ces nouveaux usages, et ouvrent leur propre plateforme de blogs sur leur site web, où les journalistes sont invités à bloguer. Je citerais au premier chef le groupe Express-Roularta (mon employeur donc), avec notamment la plateforme de blogs de L'Express.fr, mais aussi Le Nouvel Obs, Challenges, Les Echos (dans ce dernier cas, ce sont surtout les éditorialistes qui bloguent)...

En revanche, les rédactions commencent à réfléchir, parfois, à des guidelines. Dans mon groupe, j'ai rédigé une ébauche de 'charte des blogs' (destinée aux blogueurs externes et internes). On voit aussi fleurir en ligne des guides, comme ce "Guide de déontologie des médias sociaux pour journalistes" mis en ligne par la journaliste et blogueuse Gina Chen, ou encore les très avisés "22 conseils pour les journalistes à l'heure du web" par Dan Gillmor (auteur de "We are media"), publiés dans le Guardian.

Dans un genre plus extrême, il y a ce précédent du Washington Post, où les journalistes se sont vus édicter des règles très strictes quant à leur utilisation de Twitter (en gros, ils ne doivent pas y émettre d'opinions perso ou politique en tant que membres du journal), parce qu’un des rédacteurs en chef donnait trop son opinion sur son compte Twitter

Comment les médias classiques peuvent intégrer ces médias sociaux dans leur offre (en clair, y a-t-il un business ?)

La table ronde a le plus pêché sur ce point : y a-t-il un business model qui s'esquisse autour de cette dose de médias sociaux à la sauce 2.0 ? Pour ma part, j'ai cité une des nouvelles tentatives, dans la presse éco et financière, avec les aventures Wansquare et LeCrible.fr, que j'évoquais dans ce billet.

De manière générale, je pense que les journaux ont tout intérêt à valoriser leurs contenus et leurs archives, donner à leurs lecteurs la possibilité de les trier de manière personnalisée. Le New York Times a par exemple lancé un outil qui permet au lecteur de trier les articles disponibles en ligne par tags et par mots-clés, et de générer ses flux RSS personnaliséés. Mais le problème est toujours le même : faut-il faire payer ces services ? Le NY Times est peut-être le média qui a le plus innové en ligne avec ce genre d'outils... Mais cette semaine encore, il annonçait 100 départs de journalistes, rappelait Stéphane Zibi (Spread Factory) lors de la table ronde. Dans la même veine, le Financial Times a lancé Newsift, un moteur de recherche sur les entreprises et secteurs d'activités, qui permet de faire remonter ses articles sur une base sémantique.

Autre possibilité à explorer par les journaux, proposer des flux d'informations hyperlocaux : ce que propose le Huffington Post, pais aussi, en France, des titres de PQR tels que Paris-Normandie, ou encore Le Télégramme, comme je l'expliquais dans ce billet.

samedi 15 novembre 2008

Le grand retour des Yes Men avec un faux site du NY Times annoncant la fin de la guerre en Irak

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Opération magistrale des des activistes US Yes Men avec la publication de cette fausse couv' du New York Times, qui a généré un énorme buzz sur la Toile, avec une version web (normalement accessible , mais non accessible à l'heure où j'écris ce billet) et une version papier, qui annonce la fin de la guerre en Irak et le retour immédiat des troupes américaines au pays. L'opération, très élaborée, aurait abouti à l'impression d'1,2 million d'exemplaires (selon les organisateurs) d'un faux journal sur papier de 14 pages, avec la même maquette que le vrai.

Par le passé, ils se sont illustrés notamment en se faisant passer pour des intervenants de l'OMC, lors du sommet de mai 2000, à Salzbourg, en Autriche, ils ont entre autres prononcé des discours satiriques sur la privatisation du marché des votes, sur l'apologie de l'esclavage à domicile. Ils avaient aussi créé un faux site sur George Bush, avec l'adresse gwbush.com, puis utilisé les anciennes initiales de l'OMC et créé gatt.org, un pastiche à l'apparence proche du site officiel...

Comme le faisait remarquer André Gattolin, un ancien de Libé que j'ai eu l'occasion de croiser, qui est proche des Yes Men, ce matin sur Radio Nova, la création de faux journaux est un procédé activiste assez classique. Sans faire de rapprochements douteux entre les deux périodes, il évoquait ainsi l'exemple d'un faux numéro du Soir de Bruxelles publié par des résistants en 1943, lors de l'occupation allemande.