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dimanche 4 mars 2012

"Zita dans la peau d'une femme obèse", succédané de la trash TV, de la désinformation du "docu-réalité"

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C'est un étrange "documentaire" que diffusait M6 en prime time mercredi soir, d'un genre en vogue chez M6 depuis peu, que la chaîne qualifie elle-même, au choix, de "docu-réalité", reportage "incarné", où un journaliste ou animateur entre dans la peau de quelqu'un d'autre pour vivre, durant un temps limité, son quotidien. Un étrange objet télévisuel, qui prend un relief particulier alors que M6, petite chaîne qui a "monté" en partie en se lançant la première dans la télé-réalité avec Secret Story il y a 10 ans - format constitutif de son ADN - fêtait cette semaine ses 25 ans, sous les félicitations de la presse économique...

Au menu, donc, "Zita, dans la peau d'une femme obèse". Dans ce nouveau programme, Zita Lotis-Faure propose d'entrer dans la peau de plusieurs personnes: une femme obèse, puis une femme de ménage, une naturiste, et une aide-vétérinaire... Un "Vis ma vie" à la sauce M6 en quelque sorte, où la jeune femme choisit de vivre l'"expérience", durant un mois, 24 heures sur 24, de vivre comme une femme obèse, pour mieux comprendre leur vie. Aux manettes, face caméra, Zita Lotis-Faure, journaliste paraît-il, visiblement spécialiste des reportages en immersion (elle a notamment oeuvré pour Marie-Claire), qui a droit à une brève page Wikipedia, et dont on découvre, plus étonnamment, qu'elle était présentée il y a quelques années comme "chanteuse" installée à Londres (sic) dans les pages de Marie-Claire. Quelques extraits au zapping de Canal+ le lendemain m'ont interloquée, j'ai presque hurlé en regardant le replay ce matin, comme cette blogueuse téléphage. On notera que l'émission a attiré 12,5% des parts d'audience, avec 3,3 millions de téléspectateurs.

Durant une heure, on voit donc la jeune femme mener son "enquête" en se mettant en condition: suivie par un nutritionniste, elle attaque un régime à 6 000 calories par jour, avec au menu une baguette pour le petit-dej (eh oui, car elle explique calquer ainsi le régime alimentaire de Véronique , 50 ans, 140 kgs et à première vue bien dans ses pompes), pâtes, pots de Nutella... Ce "docu" alterne séquences où Zita se rend en "reportage" chez quelques personnes souffrant d'obésité et séquences où, face caméra, elle nous montre ses fringales nocturnes, repas pantagruéliques qu'elle s'inflige, difficultés à supporter un tel régime... Et évidemment, on n'échappe pas aux séquences où elle est aux bord des larmes, effarée face au nutritionniste qui lui indique qu'elle a pris 2 kilos en 15 jours (dur...), et où elle met en scène son dégoût, quitte à mîmer un vomissement. "Déprimée, je n'arrête pas de m'empiffrer, de bouffer", explique-t-elle face caméra. "Ca y est, je crois que je suis droguée", nous assène-t-elle.

Au fil de l'émission on est pris d'un certain malaise - qui laisse place à la colère - en regardant cet ovni télévisuel, entre docu et télé-réalité, même s'il se veut une "enquête". Déjà parce que l'expérience elle-même est biaisée: "je mettrai mon corps et mon mental à l'épreuve", annonce Zita d'emblée. Durant 4 semaines, elle va suivre "le régime alimentaire d'une femme obèse de 140 kilos", pour voir "combien de temps il faut pour verser dans l'excès alimentaire". Bon... Mais cette pseudo-incarnation apparaît bien dérisoire dès lors qu'elle ne dure qu'un mois... Même si certes, il s'agit d'éviter tout risque grave pour sa santé, on ne s'empêcher de s'esclaffer aux mines dépitées de la jeune femme lorsque le nutritionniste lui annonce, au bout d'un mois (fin de l'expérience donc), qu'elle gagné... 4 kilos et 15,5 cm de tour de taille. On est loin des 30 kilos que prit Robert de Niro pour jouer dans Raging Bull de Martin Scorsese, ou dernièrement Matthias Schoenaerts dans le magnifique et glaçant Bullhead de Mickaël R. Roskam. Même s'il est vrai que, pour Super size me, son docu-brulôt anti-Mac Do, Morgan Spurlock a lui aussi mené son expérience durant un mois, en s'obligeant à ne manger que chez McDonald's sur cette période, sous la surveillance attentive de trois médecins et d'une nutritionniste, en cherchant à respecter le nombre maximum de 5 000 pas par jour qu'il s'impose (moyenne par américain). Il avait pris 11 kilos sur la même durée.

Malhonnêteté intellectuelle, raccourcis, pas de sources scientifiques

Pire, il est truffé de raccourcis et contre-vérités. Pointons déjà la malhonnêteté intellectuelle du casting, qui tend à nous présenter comme banals des obèses aux parcours alimentaires spécifiques. Telle Véronique, 40 ans, yperphage, boulimique et consomme de la nourriture dans des quantités pantagruéliquescomme le souligne Le Nouvel Obs. "La choisir comme exemple est une manipulation grossière ; il est en effet plus sensationnel de montrer à l'écran une grosse qui se goinfre à heures régulières qu'une femme à l'alimentation équilibrée", soulignent-ils.

La "journaliste" nous assène des affirmations et généralités sans sources, sans caution scientifique d'un spécialiste pour préciser ses dires. Florilège: "ça y est, je crois que je suis droguée. (...) Plus ça va, moins j'ai envie de manger des trucs qui ont du goût, je préfère du pain, des pâtes..." (avec la musique d'ambiance dramatisante qui va bien, au cas où l'on n'aurait pas compris). Avant de nous asséner royalement, à la fin de son "enquête": "Un mois d'expérience suffit donc pour prouver que l'on peut tous facilement basculer dans la maladie de l'obésité". C'est là qu'est révélée la fausseté monumentale de cette émission. Elle confond obésité et boulimie, et nous sort cette énormité: cette "maladie" peut s'attraper du jour au lendemain, comme un virus. Pire, elle nous laisse croire que les personnes qui sont obèses le sont forcément à cause d'un régime alimentaire excessivement déséquilibré, où elles s'empiffreraient... En oubliant au passage une réalité scientifique: la majorité des personnes obèses ou en surpoids le sont à cause de problèmes hormonaux, génétiques, connexes à d'autres problèmes de santé.Ce docu-réalité a donc un fond très réac', où il sous-entend que si ces personnes sont en surpoids, c'est de leur faute...

Du coté des contre-vérités, quelques affirmations hallucinantes en voix off parsèment le docu - le surpoids provoquerait une raréfaction de l'ovulation, l'obésité provoquerait l'infertilité - elle réduit la fertilité, ce qui est différent.

Sensationnalisme et impudeur

Enfin, les témoignages sont surtout des prétextes à un voyeurisme dévoyé, et où l'empathie de la jeune femme est très relative, ce qui révèle l'hypocrisie qui est l'essence même de cette émission. Sous prétexte de dénoncer une question grave de santé publique, l'émission met en scène présente quelques cas sans aucune pudeur. Lorsqu'elle va voir Stéphanie, 24 ans, et qu'elle lui assène "moi, si un mec refusait que je perde du poids, alors qu'il le faut pour que j'aie un enfant (...) je deviendrais dingue. Pas toi ?" - avant que Stéphanie ne s'effondre en larmes (face camera bien sûr) - on se demande si Zita ne fait pas preuve de davantage de puant mépris que d'empathie.

Quant à la séquence avec Cécile, 31 ans, qui a perdu 60 kilos (ou 80, on ne sait pas, car on a deux versions différentes données par la voix off), dans une séquence grotesque, on a évidemment droit aux gros plans-séquences sur le ventre déformé de la jeune femme, par une caméra totalement impudique, Zita mîmant l'apitoiement. Elle ira jusqu'à figurer dans le plan où la jeune femme subit une opération de chirurgie plastique.

Super Size Me avait clairement des visées militantes: démontrer preuves à l'appui la responsabilité des chaînes de fast food telles que le Mac Do dans l'engrenage de l'obésité aux Etats-Unis, les procès intentés par des particuliers y ayant échoué, avec en lus de son immersion un réel travail journalistique - Morgan Spurlock interroge des spécialistes dans plus de 20 villes, un ancien secrétaire à la Santé des États-Unis, des professeurs de gym, des cuisiniers de cantines scolaires, des publicitaires. Ici, Zita, sous couvert de partager un message préventif, sur une cause de santé publique majeure, surfe sur le voyeurisme le plus abjecte.

Zita femme de ménage, je n'ai pas pu regarder. Maintenant j'attends Zita naturiste, Zita bonne soeur (puisque cela figure dans la présentation de l'émission), ou pourquoi pas Zita camée.