Affaire DSK : Twitter 1 - TV 0, immédiateté, émotion, approximations

Un fait presque sans précédent. Ces dernières 36 heures, Twitter a supplanté les dépêches, la radio et la TV, traditionnels relais d'info immédiate. Dès dimanche au petit matin, l'info a fait l'effet d'une bourrasque: Dominique Strass-Kahn, président du FMI, un des potentiels présidentiables socialistes les plus prometteurs, venait d'être arrêté pour agression sexuelle dans un hôtel à New York. Une information dévoilée presque en temps réel sur Twitter, à peine DSK interpellé à bord de son avion Air France en partance pour Paris.

Viralité de l'information

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Le tweet qui a agité la tweetosphère (et les noctambules français) dès la nuit de samedi à dimanche, c'est Jonathan Pinet qui l'a lâché. Ce qui n'a pas manqué de susciter, dès lors, des rumeurs de manipulation : le jeune Franco-Canadien, étudiant à Sciences Po, est par ailleurs militant aux Jeunesses Populaires. Voire: prévenu par un ami new-yorkais, il publiait ce tweet à peine une heure après l’arrestation.

Mais clairement, Twitter s'est imposé comme un outil de veille et de viralité. Il permet à tout un chacun - journaliste ou pas - de publier l'info du jour en temps réel, sans filtre, et ce avant même les plus grands médias. En quelques minutes, en une poignée d'heures, tout le monde était au courant sur Twitter et Facebook, sur la Toile, avant que les chaînes de télé et les radios ne s'emparent à leur tour du sujet. Avec l'immédiateté de l'enchaînement, la vitesse de la chute de DSK n'en paraît que plus vertigineuse.

Une viralité hors-médias, qui déplaît à certains de la garde rapprochée de DSK. Dimanche soir, missionné par les conseillers de DSK à Euro RSCG au 20 heures de France 2, Jean-Marie Le Guen, un des plus proches de DSK, ne peut s'empêcher de lâcher : "il se passe de choses parfois un peu bizarres sur le web"... Raccourci anti-Web qui pourrait sembler délicieusement suranné dans un autre contexte.

Effet à double tranchant

Un outil d’information, et aussi le lieu de débats, tout comme Facebook, au sujet des rumeurs de manipulation… Durant 24 heures, Twitter, tout comme Facebook, a été le relais en temps réel des multiples informations publiées par les médias - la presse US surtout. Classique.

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Mais ce lundi après-midi, on a franchi un cap supplémentaire. DSK est convoqué devant le juge, les caméras sont interdites d'entrée - dans un premier temps - à l'audience. Qu'à cela ne tienne, une poignée de journalistes vont tweeter en direct l'audience. @valeria_e crée illico une liste Twitter avec quelques-uns des journalistes twittos : JP Balasse (@balasseNY), correspondant d'Europe 1 aux Etats-Unis, Yannick Olland de RMC, Emmanuel Duteil (@EDUTEILBFMRADIO), correspondant de BFM Radio, Jon Swaine -@jonswaine), correspondant du Daily Telegraph, Stéphane Jourdain de l'AFP (@daftkurt)... Le live-tweet, une source première et unique pour suivre le procès. Tweets de 140 signes, souvent factuels, parfois touchants, entre arguments du procureur et de l'avocat, brèves descriptions d'un Dominique Strauss-Kahn complètement défait. Jusqu'au verdict : refus du procureur de la libération sous caution de DSK pour 1 million de dollars, placé en détention préventive jusqu'au 20 mai.

Sur les chaînes de télé, Twitter devient une source par défaut pour relater la tenue du procès fermé aux caméras. Et devance les bonnes vieilles dépêches. Des tweets sont cités comme source par les chaînes d'information continue : sur iTélé, le présentateur évoque le "dernier tweet qui nous parvient..." . Au prix d'approximations, tel ce journaliste de France 24 qui source "selon Twitter"... sans donner le nom de l'auteur dudit tweet, pointe alors @gillesbruno.

De 20minutes.fr à France24, en passant par LeMonde.fr, Les sites d'information relaient abondamment le procès historique en recourant au live-tweet, un format journalistique dans l'air du temps, adapté à la couverture de ces actus chaudes, comme j'en parlais dans ce billet.

Une trentaine de minutes plus tard, une fois l'audience achevée, iTélé rediffuse les images en différé. Images en plans serrés, voyeuristes, gros plans sur le visage de DSK anéanti. Autre étape après les images de lundi matin montrant DSK sortant du commissariat de Harlem, où il avait été inculpé pour tentative de viol. Une crucifixion médiatique en temps réel, diffusée par la plupart des chaînes d'info du monde. J'apprendrai quelques minutes plus tard par un twittos, @diabymohamed, que la chaîne populaire ABC est la seule autorisée à tenir une caméra dans la salle d'audience - image rediffusée ensuite par les autres chaînes d'infos.

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La viralité et l'immédiateté de l'info telle que diffusée sur Twitter entraîne les autres médias dans son sillage. Source d'infos pour iTélé, qui, lundi après-midi, reprend illico presto un tweet présenté comme issu du compte de @Tristane_Banon , une jeune journaliste et auteure qui prétend avoir été agressée sexuellement par DSK en 2002, et avait jusque là refusé de porter plainte, dont Agoravox a opportunément ressorti l'extrait d'une émission enregistrée en 2007 avec Thierry Ardisson. Un compte Twitter authentifié par personne... mais quand même cité en direct à l'antenne, relève alors sur Twitter le journaliste Vincent Glad. Pendant plusieurs minutes, la chaîne diffuse un bandeau indiquant que l'écrivaine et journaliste a déposé une plainte contre DSK, comme le relate ensuite Arrêtsurimages.net. Quelques minutes après, plusieurs journalistes sur Twiter, puis LeMonde.fr, démontreront qu'il s'agit d'un fake, Tristane Banon n'ayant pas de compte Twitter, précise alors son avocat.

Donc les tweets ont supplanté les dépêches ce lundi soir, sous nos yeux.

Mise à jour jeudi 19 mai : évidemment je suis loin d'être la seule à avoir écrit sur ce sujet... Allez butiner chez mes confrères: la métarédaction web à l'ouvrage chez Sébastien Bailly, Erwan Gaucher qui se demande si les médias ont basculé, Benoît Raphael si Twitter est un "nouveau média historique ?", "le bruit et la fureur documentaire" chez Olivier Ertzscheid, ou encore le décryptage de la mécanique du live sur Twitter chez Laurent Dupin.