A côté des articles, billets, vidéos, chats, diaporamas, webdocumentaires et
autres infographies (datajournalism oblige), il s'est imposé comme un format
journalistique à part entière, prisé des rédactions web. Une consécration au
bout de 3/4 ans d'existence, au gré d'une actualité internationale en plein
bouillonnement - de l'Afrique du Nord au Proche-Orient, en passant par le
Japon, et, ces tous derniers jours, la Côte d'Ivoire. Le live
donc, entre live-blogging et live-tweet, se présente sous
forme d'enchaînements de phrases courtes, où le journaliste commente en direct
un événement, tout en interagissant en direct avec les internautes qui peuvent
y publier leurs commentaires.
Le live, concentré des nouvelles pratiques journalistiques
online
Cela faisait un certain temps que je ne m'étais pas penchée sur les
nouvelles pratiques journalistiques sur le web, et ces nouveaux formats
qu'utilisent - voire créent - les médias en ligne, comme le webdocumentaire,
que j'avais décrypté ici. Car les rédactions web sont les mieux placées
pour inventer de nouvelles pratiques journalistiques online,
mêlant des écritures journalistiques propres au web (écriture simple et
factuelle, brièveté des articles, journalisme de
liens avec liens hypertextes pour partager ses sources), une organisation
du travail propre (avec des journalistes de permanence à tour de rôle jusque
tard en soirée, les weekend, et jours fériés) une ligne éditoriale propre
(culte de l'instantanéité, du grand public, voire du popu - on y reviendra),
des impératifs de mise en page et d'infographie...
Une nouveau format journalistique, avec ses travers, mais particulièrement
innovant, qui m'avait déjà frappée lors de mon (bref ;) passage par la
rédaction de 20minutes.fr l'année dernière, clairement la rédac web qui y
recourt le plus, sous diverses déclinaisons. L'occasion était rêvée pour
décrypter ce format du live, un concentré de compétences parfois d'un nouveau
type que revêtent les rédactions web. Un format également révélateur
des nouvelles pratiques des internautes: ils vont sur des sites d'info
pour suivre des événements en direct lorsqu'ils sont au bureau, et interroger
en direct le journaliste qui le "couvre". Le soir, ils commentent depuis leur
laptop ou leur smartphone une émission qu'ils suivent sur leur téléviseur.
Le Monde a frappé fort en ouvrant un live de cinq jours, du 14 au
17 mars, pour couvrir les événements au Japon. Cinq jours! Imaginez: durant
cinq journées d'affilée, des journalistes se sont succédés pour assurer la
couverture en permanence des événements au Japon. Une première dans les
pratiques liées à cet outil, le live - quitte à en essuyer les plâtres, en
comme l'a longuement décrypté Vincent Glad dans ce billet,
reprenant André
Gunthert.
Ces dernières semaines, plusieurs média en ligne ont aussi monté des lives
spéciaux, autour des événements en Libye et dans le monde arabe (comme par
exemple France 24, sur l'Egypte, puis
la Libye), Slate France,
ou encore Owni, puis à propos du séisme du
Japon et la centrale nucléaire de Fukushima. Des media plus confidentiels l'ont
adopté aussi, comme le site web de Jeune Afrique
depuis vendredi dernier, à propos de la Côte d'Ivoire et l'entrée à Abidjan
des pro-Ouattara.
Via Vincent Glad
C'est là, à la lumière de ces soubresauts de l'actu internationale, que l'on
a pu prendre toute la mesure de l'adaptabilité de ce format journalistique:
complémentaire des articles en ligne et des longues enquêtes publiées sur le
print, le live permet d'informer le lecteur en temps réel des bribes
d'information. Comme le souligne Vincent Glad, les media en ligne y trouvent un
format qui se rapproche dans sa forme des éditions spéciales des
chaînes d’infos en continu qui associent les images à un bandeau
défilant de breaking news, alimenté par des dépêches d'agences, "avec une
insistance sur l’événementialité avec un logo 'édition spéciale'".
Pourquoi le recours à a un tel dispositif ? "Sur de gros événements
internationaux, les live sont un outil assez fantastique, ils permettent de
suivre rapidement et dans les détails un événement, d'agréger rapidement des
sources issues d'autres médias, d'être très précis, de relativiser ou de
corriger immédiatement une information", me précise Samuel Laurent,
journaliste politique au Monde.fr, ex-Figaro.fr.
Et d'évoquer "tous les apports que nous donne l'audience, que ce soit en
posant des questions qui nous obligent à préciser des infos, en apportant des
informations locales (pour des événements comme le conflit des retraites), en
donnant des liens (lives "internationaux"), des éclairages techniques
spécialisés (Fukushima...) et même de l'information brute lorsque les personnes
sont sur place (Tunisie, Egypte...). Il y a un travail à faire pour vérifier
l'info, évidemment, mais l'apport est fantastique".
Flux d'infos, crowdsourcing, articles évolutifs
Le live, c'est donc un flux continu d'infos, de l'ordre des
infos factuelles ou des commentaires, publié sur un outil de publication ad
hoc. Le journaliste publie donc en direct des infos concernant un événement,
très souvent à partir d'un direct en télé, via une chaîne généraliste ou
d'infos continues. D'autres media, comme Owni, l'utilisent surtout pour partager des
ressources - articles, blogs, vidéos.
Sur cet outil de publication "ouvert", comme pourrait l'être un blog, les
internautes peuvent publier en direct (donc sans modération à priori) leurs
commentaires et questions, auxquels le journaliste répond, autant que possible
en y ajoutant à l'envi des compléments d'infos glanées dans les dépêches, des
liens hypertextes vers des articles publiés par son média sur le sujet, ou vers
d'autres sources. Un flux d'infos qui constitue une sorte d'article
évolutif, complété au fil de l'eau par les commentaires et compléments
des internautes. Le journalisme participatif dans
toute sa splendeur, assicé à une certaine transparence, et à un
crowdsourcing...
Les premiers lives ont débarqué sur les sites web d'information en
2006. On en était alors encore au stade d'expérimentation: la
technologie était encore lourde. Du côté du Figaro, "les journalistes de
sport24 devaient utiliser un back office spécifique aux live, qui étaient des
modules javascript assez pénibles. A l'époque, il y avait les chats du Monde.fr
ou de 20minutes.fr où l'on utilisait des technologies pour faire du temps réel,
mais elle était peu employée ailleurs et pas pour faire des suivis
d'actus", me raconte Samuel Laurent. CoverItLive, l'outil
maintenant utilisé par la majorité des rédacs pour monter des "live",
n'existait alors pas.
Après 20minutes.fr, LeFigaro, puis leMonde.fr, d'autres médias en ligne
l'ont adopté. Marianne2.fr (par
exemple ici pour les Européennes de juin 2009 - où l'on observe que le live
n'est pas ouvert aux commentaires extérieurs)
Sport, TV réalité, politique...
Les thèmes concernés ? Depuis quelques années, progressivement,
20minutes.fr l'a étendu à divers sujets: du sport à des actus politiques, en
passant par l'international, et bien sûr des émissions de télé-réalité trash.
Le Figaro.fr, lui, s'est toujours cantonné à l'actu sportive. En 2006, c'est à
la faveur du rachat du site Sport24.fr que le groupe Figaro y a lancé ses
premiers lives sport.
Chez 20minutes.fr, le sport s'imposait d'emblée: c'est l'un des thèmes qui
génère le plus d'audience sur le site d'informations de 20 Minutes (à côté des
sujets people, télé, et des faits divers). Durant des matchs-clés (de foot et
rugby essentiellement, mais le basket et le tennis s'y prêtent aussi bien), un
des journalistes du service sport, devant son ordi, et en regardant la
rediffusion en direct à la télé, devient commentateur sportif sur le web. Après
avoir publié un avant-papier pour annoncer l'événement, et un chapo
d'introduction, il se lance dans le live, racontant en direct le match, les
passes de balles entre tel et tel joueur, les réactions du public... Sans
manquer d'y ajouter ses émotions, retranscrites dans le texte, ou via une
typographie ad hoc (typo couleurs par exemple).
Le genre est prisé des services sports depuis belle lurette, comme le
décryptent Florian Vautrin et Laure Gamaury
sur Journalismes.info : "Le principal site généraliste sportif,
lequipe.fr, utilise ce procédé quotidiennement pour éviter la diffusion en
streaming qui est très coûteuse. Mais il n’est pas le seul à s’être lancé dans
l’aventure : notons football 365, France football, rugbyrama, etc. C’est
le cas également du site eurosport.fr".
Durant le Mondial de foot en été 2010, 20minutes.fr avait imaginé des
compléments à ce dispositif. Notamment en faisant venir des invités de marque
pour commenter certains matches: j'ai vu passer des journalistes spécialisés
qui venaient commenter un live avec leur propre regard, mais aussi des people
ou politiques footeux, comme Jean-Paul Huchon.
20minutes.fr a également testé, très tôt, les live des émissions de
télé-réalité. Logique: le genre était en pleine éclosion sur les chaines de
télé. Et c'est l'occasion rêvée de traiter du people trashy, gros vecteur
d'audience pour le site d'infos généralistes. Là, on demande au journaliste -
pas forcément spécialisé en médias, mais doté d'un semblant de culture télé -
de commenter en direct le déroulement de l'émission, les personnalités des
participants à l'émission. Pas besoin d'analyse pointue, juste du commentaire
léger et déconnant, pour être dans le même mood que l'internaute...
Le format se prête aussi très bien à la couverture d'événements
politiques: soirées électorales, discours, meetings, émissions
politiques... "Le format est très efficace pour une soirée électorale, il
permet de suivre le fil des déclarations, réactions, chiffres qui tombent de
toute la France... Pour une émission ou une interview présidentielle, par
exemple, on tente généralement de fournir à la fois le verbatim des propos
tenus et de décrypter rapidement, de vérifier les chiffres donnés, de fournir
du contexte à telle ou telle annonce... En politique aussi, la participation de
l'audience fait l'essentiel de la richesse du live. D'une part elle peut elle
aussi apporter des précisions ou du contexte, d'autre part elle peut réagir et
nous poser des questions", estime Samuel Laurent.
"Journalisme de bureau"
James Nachtwey; photoreporter
La quintessence du journalisme web: ce format permet de restituer de manière
incroyablement vivante un événement, une actualité immédiate, de le
faire vivre à l'internaute, avec offrant une grande variété de
registres, entre info factuelle et commentaire (sérieux ou total déconnant,
selon le sujet traité.
A défaut de voir le grand reporter sur une zone de conflits raconter, images
à l'appui, sur une chaîne de télé, ce qui se passe, l'internaute peut "vivre"
l'info en direct, poser des questions au journaliste, qui lui apportera ses
infos et son expertise sur le sujet. Cet exercice journalistique requiert des
compétences d'un nouveau type du côté du journaliste:
ultra-réactivité, bonne expertise sur son sujet (du moins dans le cas d'actus
pointues: actu internationale, politiques, ou encore scientifique dans le cas
de Fukushima) pour pouvoir répondre en temps réel aux questions des
internautes, et aussi capacité à adapter son ton (son "angle" dans un sens) au
ton de l'actu commentée - et des internautes.
Accessoirement, il consacre le "journalisme de bureau" qui se
pratique de plus en plus dans les rédactions, par économie, et pour faire face
aux manques d'effectifs. Dans certains cas, le journaliste "live" parfois en
direct depuis l'événement (conférence de presse, Assemblée Nationale...), mais
dans les effets, en général, grâce aux diffusions télé en direct (surtout sur
les chaînes d'information), il "live" souvent depuis son bureau, en regardant
le direct depuis un des écrans télé disséminés dans la rédaction. Revers de la
médaille, l'info risque d'y être schématisée, à du consommable, de l'écume, au
détriment de l'analyse.
Autre grain de sable, un tel dispositif qui met l'accent sur le caractère
exceptionnel de ces actus, les met en scène, crée la surenchère dramatique (par
rapport aux autres médias), leur donne un côté (trop ?) spectaculaire.