Ecrans › Cinéma

Fil des billets

mardi 8 février 2022

La diffusion simultanée de "Matrix Resurrections" en salles et sur HBO Max, une dangereuse rupture de contrat

ec96413790f1d8235a4b751c5ccfd7aedb562ff3.jpg, fév. 2022

Après Scarlett Johansson contre Disney, c’est le co-producteur de Matrix qui attaque Warner Bros, quant à la décision du studio de sortir simultanément en salles et sur plateforme de streaming américaine HBO Max. Le coproducteur de The Matrix Resurrections, Village Roadshow Entertainment Group, a intenté une action en justice contre Warner Bros, alléguant que la décision du studio de sortir le film simultanément sur HBO Max et dans les salles était une rupture de contrat, rapporte le Wall Street Journal.

Dans une plainte déposée devant la cour supérieure de Los Angeles lundi, Village Roadshow a également affirmé que Warner Bros, propriété de l'unité AT&T WarnerMedia, avait déplacé la date de sortie du film à 2021 à partir de 2022 pour aider HBO Max à attirer plus d'abonnés. Le studio a également avancé la date de sortie de The Matrix Resurrections à 2021 dans le but d'aider HBO Max à attirer plus d'abonnés, selon le recours.

«Le seul but de WB en avançant la date de sortie de "The Matrix Resurrections" était de créer une vague désespérément nécessaire d'abonnements premium HBO Max de fin d'année à partir de ce qu'elle savait être un film à succès, même si elle savait très bien que cela décimerait le les revenus du box-office du film et privent Village Roadshow de tout avantage économique dont WB et ses affiliés bénéficieraient», indique le dossier de l'action en justice, déposé lundi devant la Cour supérieure de Los Angeles.

Le procès a pointé du doigt d'autres gagnants du box-office tels que SpiderMan: No Way Home qui sont sortis fin 2021 sans sortie en streaming simultanée.

Comme je l'écrivais alors, Warner Bros avait annoncé fin 2020 que tous ses films devant sortir en 2021 seraient disponibles dans les salles et sur HBO Max le même jour - sur le marché américain. Disney avait suivi, faisant des annonces similaires. Ce qui constituait un sévère coup de canif porté et à la chronologie des médias - certes très limitée outre Atlantique. Il est vrai que, face aux incertitudes provoquées par la pandémies et les périodes de confinement à répétition, qui avaient entraîné une fermeture des salles de cinéma sur plusieurs continents, faute de pouvoir anticiper leur équilibre économique pour 2021, plusieurs studios avaient bouleversé, dans la précipitation, leur schéma de distribution de films.

Mais est-il nécessaire de pérenniser ce modèle, alors que le grand public commence progressivement à revenir en salles? Si des précédents comme celui de Matrix se confirment, ils ouvrent dangereusement une brèche. Alors que le carton mondial du dernier Spiderman - plus de 1,6 milliard de dollars de recettes dans le monde à ce jour, et plus de 6 millions d'entrées en France - montre que des blockbusters peuvent encore attirer massivement les gens en salles.

Cette bataille juridique qui s'ouvre entre la Warner et le coproducteur de Matrix souligne en tous cas les tensions croissantes entre les acteurs de l'entertainment, alors que les entreprises de médias se concentrent davantage sur leurs plateformes de streaming au détriment des plateformes de distribution traditionnelles.

Ces décisions auront des implications financières potentiellement importantes pour les acteurs, les producteurs et les partenaires financiers qui craignent que la poussée vers le streaming ne se fasse à leurs dépens.

L'année dernière, l'actrice Scarlett Johansson a eu un différend juridique avec Walt Disney à propos du film Black Widow après que la société ait proposé le film sur son service de streaming par abonnement Disney+ au même moment où le film était diffusé dans les salles. Disney, qui a nié avoir violé son accord, a versé à Scarlett Johansson une somme non divulguée en septembre.

mardi 7 décembre 2021

Quand Netflix et Amazon organisent leurs propres festivals

amazon1.jpg, déc. 2021

Et si la nouvelle bataille entre les géants du streaming vidéo se jouait... en salles ? Paradoxe, Netflix et Amazon Prime Vidéo organisent tous deux, cette semaine, leur premier 'festival' de cinéma. Avec des projections de leurs propres productions en salles. Ils l'organisent quasi en même temps, à Paris, et dans les deux cas, en première mondiale. Sujet rêvé pour cette nouvelle chronik, suite à une itw que j'ai donnée à France Culture sur ce sujet.

Paradoxe, car ils ont posé les fondements de cette nouvelle forme 'virtuelle' de diffusion de films et séries, via internet, que chacun peut 'consommer' sur ses écrans chez soi. Et là, ils veulent se relégitimer via des lieux physiques - et même des temples du cinéma pour Netflix.

Ce mardi, pendant une semaine, Netflix organise ainsi le 'Netflix film club', qui aura lieu à la Cinémathèque française à Paris et à l'Institut Lumière de Lyon. La plateforme projettera une série de films qu’elle a produits, dont trois en avant-première, dans ces deux prestigieuses institutions de la cinéphilie. C'est une version allégée du vaste 'festival' que la firme de Los Gatos avait annoncé courant octobre, mais qui devait initialement se tenir dans plusieurs salles de cinéma indépendantes de l'Hexagone. Au menu, tout de même une dizaine de films, pour certains pas encore disponibles sur sa plateforme, comme La main de Dieu de Paolo Sorrentino.

Mais il a dû revoir ses ambitions à la baisse, après que plusieurs associations de cinéastes et de distributeurs se soient vivement inquiétés, comme je le relatais dans ce billet, de l'entorse à la chronologie des médias - alors encore en négociations - et d'une concurrence frontale pour les sorties classiques en salles, dans un contexte économique difficile pour le cinéma, qui peinait à faire revenir son public lors de la pandémie.

Amazon n'est pas en reste. Il a annoncé vers fin novembre que lui aussi organisait son propre festival à Paris! Mais on me l'a assuré chez Amazon France, son projet était bien en route lorsqu'il a entendu parler «dans la presse» du projet de Netflix. Pour sa part, il ouvrira du 10 au 12 décembre une sorte de lieu éphémère, le 'Prime Video Club' (sic), qui sera sis au 30 Place de la Madeleine à Paris.

Ironie des mots: le mastodonte du e-commerce, pour lequel le streaming vidéo n'est qu'une activité 'secondaire', évoque bien les vidéo-clubs, clamant dans son communiqué vouloir parler aux «nombreux fans de films et de séries Français, nostalgiques des nombreuses heures passées dans les allées de ces boutiques».

Au menu, là aussi des projections d'une poignée de films et séries parfois en avant-première, comme Being the ricardos, avec Nicole Kidman et Javier Bardem. Mais lui y ajoute une dimension événementielle - qui laisse entrevoir des pistes de diversifications futures pour les géants du streaming. Il annonce ainsi que les visiteurs pourront y réserver leur propre salle de projection privée à l'intérieur du lieu. Ils pourront aussi participer à «un véritable studio de doublage sur place» où ils pourront doubler certaines scènes de leurs séries Amazon Original préférées.

Pourquoi ces streamers ont-ils intérêt à faire cela dans le contexte actuel? En clair, pour gagner en visibilité, en influence, en prestige. Le message: tous deux sont bel et bien entrés dans la cour des grands (du cinéma).

=> Monter le meilleur de leurs catalogues

C'est le plus évident. Netflix avait annoncé en début d'année travailler avec plusieurs dizaines de cinéastes de renom, comme je le relatais là: pour beaucoup, ils étaient jusque là des valeurs sûres du cinéma traditionnel - tels Jean-Pierre Jeunet (Big bug), Alexandre Aja (O2), Paolo Sorrentino (E stata la mano si dio), Richard Linklater (Appolo 10 1/2), Jane Campion (The power of the dog)... Il montre là sur grand écran une sélection de ses longs métrages 'de prestige'.

Amazon, à première vue plus discret sur ses productions maison de prestige, veut montrer lui aussi le meilleur de son catalogue. Et même plus, en proposant des projections à la carte via une salle de projection privée: il entend ainsi «mettre en lumière la profondeur du catalogue Prime Video», explique-t-il.

=> Gagner en prestige

Comme je l'expliquais dans mon livre, le travail de légitimation de l'un et de l'autre a commencé en acquérant des droits de films au Festival de Sundance à partir de 2013, puis en voyant leur productions originales sélectionnées puis primées dans des festivals de cinéma, des Oscars aux Lions de Venise. Une manière d'entrée à Hollywood, en pouvant emprunter eux aussi le tapis rouge - comme les studios de cinéma classique.

Là, ils franchissent un cap supplémentaire: eux aussi ont désormais assez de productions originales de grande qualité pour organiser leurs propres événements où ils les diffusent.

=> Attirer de nouvelles cibles sur leurs offres (leurs abonnements en streaming vidéo bien sûr)

Ces festivals physiques sont une vitrine pour leurs productions de qualité aux signatures prestigieuses: une vitrine aussi pour des cinéphiles et habitués des salles de cinéma qui n'avaient pas franchi le cap jusqu'à présent de l'abonnement à une plateforme.

=> Diversifier leurs offres... Et exister sur le terrain

488113557RM00019_Humans_Fro, déc. 2021)

Ces projections et avant-première constituent des événements physiques. Et de nouvelles sources de revenus potentielles pour Amazon Prime Video comme pour Netflix - ce dernier ayant acquis une poignée de salles de cinéma prestigieuses (comme le mythique Egyptian Theatre, sur Hollywood Boulevard à L.A. et le Paris Theater à New York), on imagine ce qu'il pourra se permettre.

Fait intéressant, une des avant-premières organisées par Netflix à la Cinémathèque cette semaine, Don't look up (avec Leonardo di Caprio), se tiendra en présence du réalisateur Adam McKay. On peut tout à fait imaginer que Netflix organise des masterclass ou des 'cours de cinéma' avec des réalisateurs dont il produit le prochain film. De nouvelles perspectives - dans les cinémas - vertigineuses...

lundi 8 novembre 2021

Le dernier James Bond sur petit écran à partir de demain aux Etats-Unis - seulement 31 jours après sa sortie

21d347e58a539d1f454207db669c23903b2e8b59d479c937bc8b097973426e7f.jpeg, nov. 2021

Une nouvelle brèche est ouverte, dans un monde du cinéma où la hiérarchie des réseaux de diffusion des films est de plus en plus bouleversée. Le dernier James Bond, No time to die (Mourir peut attendre), réalisé par Cary Joji Fukunaga (Beasts of No Nation) pourra être visionné à la télévision aux Etats-Unis à partir de... demain, mardi 9 novembre, soit seulement un mois après sa sortie en salles dans le monde.

Il sera disponible «à la location» pour 20 dollars (soit 17,30 euros) via les principales vitrines PVOD comme Amazon, Apple TV (iTunes), Google Play Movies, Xfinity et Vudu, ont annoncé hier soir plusieurs médias spécialisés américains, comme Deadline.

C'est là la consécration de la PVOD (Premium Video on Demand) - applicable uniquement aux Etats-Unis - qui permet de découvrir dans son salon des films sortis au cinéma trois semaines plus tôt. A partir du 9 novembre, les téléspectateurs américains pourront le louer chez eux, a confirmé MGM. Il n'a pas commenté les projets de marchés internationaux. Les studios MGM ont fait un choix radical - en quelque sorte risquer d'écourter la vie en salles de leur dernier blockbuster - alors que les studios disposent déjà, pour les Etats-Unis, d'une chronologie adaptée à leurs plateformes de streaming vidéo (SVoD), 45 jours après la sortie en salles.

Après cette sortie en PVOD, No Time to Die sera-t-il mis en ligne en SVoD sur Amazon Prime Video, qui a racheté MGM pour 8,45 milliards de dollars ?

Blockbuster de l'année

Alors évidemment, c'était pour le moins inattendu. Cela représente une fenêtre de diffusion inhabituellement courte de seulement 31 jours, pour l'un des plus grands films de l'année, sur lequel les exploitants misaient beaucoup pour faire revenir les gens en salles. Parce que c'est un film à grand spectacle, qui se prête à la diffusion sur (très) grand écran; parce que James Bond est une des marques de cinéma les plus connues au monde; avec ici sa 25ème déclinaison au cinéma; et parce que c'est le cinquième et dernier opus où l'acteur Daniel Craig incarne l'agent 007.

D'autant que en un mois, Mourir peut attendre a rapporté pour l'instant plus de 610 millions de dollars au box-office mondial, dont 136 millions de dollars aux Etats-Unis et 49 millions rien qu'en Chine à l'issue de son deuxième week-end d'exploitation. 610 millions, c'est tout de même, pour l'heure, bien moins que le 1,1 milliard de dollars rapporté par Spectre en 2012. La performance serait donc moindre qu'attendu par les studios MGM.

Il est vrai que le film a connu un parcours chaotique, le fragilisant d'emblée: sa production s'est terminée en octobre 2019, sa sortie a été retardée à plusieurs reprises par la pandémie de Covid-19, avant sa sortie mondiale ce 8 octobre.

Mais avec ce nouveau précédent, MGM consacre un des rêves des studios de cinéma - beaucoup moins pour les exploitants de salles.

On n'en est plus à cela près: après tout, le mois dernier, HBO a de son côté sorti son blockbuster de l'année, le film de SF Dune, à la fois en salles et sur sa plateforme de streaming HBO Max.