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jeudi 9 novembre 2023

Netflix s'offre un peu d'histoire sur Hollywood Bd avec l'Egyptian Theater

photo Egypt theater travx.jpg, nov. 2023

Photo CC - prise à Hollywood Bd, Los Angeles, mars 2023

Ça y est, Netflix vient d'inaugurer «son» nouveau cinéma, ce 9 novembre, sur Hollywood Boulevard à Los Angeles. Il n'a pas choisi n'importe quel cinéma: c'est l'Egyptian Theater, dont l'architecture similaire à celle d'un temple égyptien évoque bien la recherche d'"exotisme" qui était en vogue à Hollywood dans les années 1920.

Lorsque j'ai parcouru Hollywood Bd à LA, au mois de mars, j'avais aperçu ce cinéma encore en travaux de restauration derrière des bâches. Non sans tristesse, j'avais remarqué que la plupart des anciens cinémas de cete avenue étaient à l'abandon, ou reconvertis en boutiques. A part ce nouveau cinéma, il ne reste plus que le Chinese Theater, qui appartient maintenant à... TCL, un géant chinois de la tech.

Avant-première mondiale du prochain film de David Fincher

Ce cinéma centenaire rouvre donc cette semaine après une rénovation évaluée par la presse à 70 millions de dollars. C'est bien Netflix, qui, associé à la Cinemathèque US, l'a restauré à grand frais, avec pour objectif d'utiliser cet endroit somptueux comme lieu pour des avant-premières et des événements. Ce jeudi 9 novembre, il devait y accueillir l'avant-première mondiale de The killer, prochain film de David Fincher - collaborateur de longue date de la plateforme, depuis sa mythique série politique House of Cards. Film qui, dans la grande tradition netflixienne, sera ensuite réservé aux seuls abonnés de la plateforme.

Netflix_Egyptian_Theatre_10222023_0377__1_.jpg, nov. 2023

The Egyptian Theatre a accueilli pa première avant-première mondiale e 1922. Photographie: Courtesy Netflix

Avec ce cinéma, Netflix s'offre un lieu emblématique, sur le Walk of Fame, l'Avenue du cinéma, mais aussi un lieu classé, chargé d'histoire. Comme s'il s'inscriait dans les pas des grands studios d'antan. L'Egyptian Theater, qui a accueilli la première avant-première d'un film à Hollywood en 1922, a accueilli des premières de films les plus prestigieux, de Ben-Hur à My Fair Lady en passant par le Retour du Jedi. Il projettera des films classiques le week-end, programmés par l'American Cinemateque, l'organisation à but non lucratif qui possédait auparavant le théâtre. En semaine, il accueillera des projections pour Netflix.

3840.jpg, nov. 2023

Il est assez ironique que cette inauguration intervient alors que les acteurs hollywoodiens ont achevé la veille un long mouvement de grève (116 jours !), déclenché en grande partie par les perturbations économiques provoquées par la montée en puissance du modèle de streaming en ligne de Netflix. Il est d'autant plus ironique de voir ce documentaire de 10 minutes publié par Netflix sur l’Egyptian Theater qui célèbre le pouvoir inégalé de regarder des films collectivement sur un écran géant. Netflix, dont le modèle économique a conduit de nombreuses personnes à regarder des films seuls sur leurs ordinateurs portables et leurs téléphones. Un modèle économique qu'il a réussi à imposer en moins de dix ans en Europe, comme je le rappelle dans la réédition de mon livre, Netflix, Amazon, Disney & Cie - La bataille des nouveaux titans de l'audiovisuel (lien par ici).



Ce n’est pas la première fois que Netflix acquiert une salle de cinéma historique pour accueillir des événements et montrer son engagement envers les traditions de l’industrie. En 2019, la société a conclu un accord similaire pour restaurer et rouvrir le Paris Theater de New York, un ancien théâtre d’art et essai et le dernier cinéma à écran unique de Manhattan.

mercredi 27 octobre 2021

Quand les professionnels du cinéma s'inquiètent du projet de Festival Netflix... en salles

pouvoir-du-chien2021082403.jpg, oct. 2021

Pour ma chronik du moment, je ne pouvais pas passer à côté de ce qui risque d'être bien plus qu'une petite polémique picrocholine.

Cette semaine, on apprenait que Netflix lui-même a prévu d'organiser, courant décembre, une poignée de projections événementielles autour de certains de ses longs-métrages. Dans des salles de cinéma. Ce sont même des salles art et essai, des réseaux MK2, Utopia ou encore Lumière de Thierry Frémaux à Lyon, qu'il a approchées, selon la revue spécialisée Le Film Français, qui a révélé l'info.

Ce sont donc des films produits et/ou commandés par Netflix - qui avaient vocation à être diffusés uniquement sur la plateforme - qui y seront projetés. La plupart de ceux programmés seront déjà disponibles sur la plateforme, seuls quelques-uns d'entre eux feront l'objet d'avant-premières, étant véritablement inédits.

Le projet n'est pas encore bouclé qu'il provoque déjà une levée de boucliers chez les syndicats professionnels, notamment du côté des distributeurs et associations de cinéastes, comme l'a relevé BoxOffice Pro.

Dès lundi, le puissant distributeur Le Pacte dénonçait dans un communiqué l'initiative, portée "par des salles de cinéma d’art et essai emblématiques courant décembre".

Mardi, le syndicat des distributeurs indépendants (SDI) et les distributeurs indépendants réunis européens (DIRE) fustigeaient l'initiative dans un communiqué commun, y voyant «une campagne marketing de grande échelle, une bande-annonce promotionnelle géante pour inciter des spectateurs de cinéma à s'abonner à un service payant». Les cinéastes de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID), pour leur part, rappelaient que «Les films de cinéma n’existent que s’ils sont vus dans des salles de cinéma» - vous noterez la définition de ce qu'est un film pour eux, on y reviendra. Ils faisaient référence à l’action symbolique menée le 14 mars dernier par 22 cinémas, qui avaient alors ouvert leurs portes au public pour contester la fermeture prolongée des lieux culturels.

La Fédération nationale des éditeurs de films (FNEF) a ensuite réagi ce mercredi, ainsi que la Fédération nationale des cinémas (FNC), cette dernière estimant que ce projet de “Festival Netflix” «sèmerait clairement la confusion en termes de perception de la chronologie des médias entre les films de cinémas et les productions Netflix pour les spectateurs et les médias».

L'Association Française des cinémas art et essai (AFCAE), dénonce elle aussi ce mercredi la «forte dimension symbolique et politique» de ce 'festival' organisé par Netflix, qui vise à «faire la promotion d’une plate-forme».

Pas faux. Si ce n'est que durant la crise sanitaire, certains producteurs et distributeurs des deux syndicats n'avaient pas hésité à vendre directement des films aux plateformes de streaming - dont Netflix, comme le souligne Le Figaro.

En clair, Netflix démarche actuellement des exploitants de salles de cinéma art et essai pour organiser ce festival, en leur proposant une programmation alléchante, rapporte Libération - des productions Netflix, parfois déjà passées par les grands festivals, telles les premières réalisations des actrices Rebecca Hall et Maggie Gyllenhaal (Clair-Obscur et The Lost Daughter) ; The Hand of God de Paolo Sorrentino, primé à Venise ; la dernière satire d’Adam McKay (avec Leonardo DiCaprio) Don’t Look Up ; ou encore le très attendu le Pouvoir du chien de Jane Campion, prévu sur la plateforme le 1er décembre.

Du Netflix dans les salles de cinéma, ce serait bien une première. Dans l'Hexagone, tout juste avait-on vu Netflix organiser quelques projections événementielles privées pour certaines productions exceptionnelles - comme The Irishman de Martin Scorsese projeté (une fois) à la Cinémathèque de Paris.

Mais ce projet de 'festival Netflix', s'il aboutit, permettrait à la firme de Los Gatos de creuser une brèche, une fois de plus, et de jouer le paradoxe, alors que son fondateur Reed Hastings a toujours dit que les productions Netflix avaient vocation à être réservées exclusivement à ses abonnés.

La question est toujours la même: un film doit-il sortir en salles pour être un *vrai* film, comme l'évoque l'ACID? Et donc, un long métrage diffusé uniquement sur une plateforme de streaming est-il toujours un film?

C'est déjà la question en creux dans le conflit entre Netflix et les organisateurs du festival de Cannes, qui, cette année encore, ont refusé des productions Netflix en compétition officielle (dont les films des Jane Campion et Paolo Sorrentino) tant qu'elles ne sortent pas en salles *dans des conditions normales*.

En outre, ces films de Netflix viendraient de facto concurrencer les films des circuits traditionnels, pour lesquels les entrées reprennent (très) lentement.

Ensuite, un festival de Netflix pourrait de nouveau brouiller le message sur la chronologie des médias, soit les fenêtres de diffusion des films sur les différents supports - alors que les professionnels du secteur discutent actuellement de celle-ci. Mais il faudra bien faire une place dans cette chronologie aux plateformes de streaming comme Netflix puisqu'elles ont désormais des obligations de financement du cinéma.

mardi 28 septembre 2021

'Dune' va être diffusé en salles de cinéma... et sur petits écrans aux US (et pourquoi cela fait polémique)

Dune a le potentiel pour devenir le plus grand film de l'année. En France et en Europe, comme attendu, c'est un succès public et critique quasi-unanime: 1,6 millions d'entrées en cumulé à ce jour, une diffusion sur 893 écrans, depuis sa sortie il y a bientôt deux semaines, 13,4 millions de dollars de chiffre d'affaires... Et il totalise déjà 75 millions de dollars au box-office mondial (les 24 pays où il est déjà sorti). Pas mal pour un film au budget de 165 millions de dollars.

Ce n'est pas totalement une surprise pour le film crépusculaire de Denis Villeneuve, nouvelle adaptation du romain-culte de science-fiction de Franck Herbert, un des blockbusters les plus attendus de l'année.

Et pourtant, ce film va sortir dans des conditions particulières aux Etats-Unis, où il sortira seulement le 22 octobre prochain. J'en parlais dans ma bafouille chronique hier soir dans 'Tech & co' sur BFM Business, il va sortir à la fois en salles *et* sur la plateforme de streaming de la Warner, HBO Max, le 22 octobre. Et cela fait déjà polémique, comme le montre une tribune que vient de publier le très influent Variety, la Bible du business à Hollywood.

Pourquoi ? Parce que, que ce soit un succès ou pas au box office, c'est le film «le plus grandiose depuis longtemps, avec les images et les sons qui remplissent l'écran et remplissent les sens», écrit Owen Gleiberman. Et c'est vrai que le film vous transporte sur la planète désertique d'Arrakis, pendant 2 heures et 35 minutes, vous y vivez, vous y êtes. Comme dans Blade Runner 2049, Denis Villeneuve prend son temps pour nous montrer ce désert sableux aux couleurs ocres - tourné en bonne partie dans les déserts de Jordanie et d'Abu Dhabi. Ce film est calibré pour être vu sur très grand écran - au cinéma, donc.

«Pourquoi ce film de pop-corn de science-fiction incroyablement épique, visuellement spectaculaire et unique en son genre sortirait-il le 22 octobre sur un téléviseur près de chez vous ?», s'insurge Owen Gleiberman.

'It's all business, folks

1588861885.jpg, déc. 2020

On connaît la réponse, et elle répond à une logique imparable (ou presque). It's all business, folks. En fait, la Warner Bros, énorme conglomérat détenu par l'opérateur télécom AT&T, possède également HBO Max, le service de streaming où Dune sera mis à la disposition (sans frais supplémentaires) des abonnés. Elle veut faire tout son possible pour mettre son nouveau service de streaming en orbite. Et comme les gens, pendant la majeure partie de l'année dernière, ne pouvaient pas aller au cinéma, il a été décidé, comme je l'expliquais alors dans ce billet, que chacun des films 2021 du studio serait disponible, le jour même de sa sortie en salles, sur HBO Max.

Mais pour Variety, cette stratégie est vouée à l'échec. Un, le film sera moins rentable en sortant à la fois en salles et en streaming vidéo, puisqu'il sera proposé gratuitement aux abonnés HBO Max. Deux, cette sortie 'hybride' réduira l’impact événementiel de la sortie du film, s'il sort aussi sur petits écrans. Rappelons qu'il a été vendu comme *le* nouveau Star Wars ou Le seigneur des anneaux de l'année. En l'occurrence, Le film spectaculaire, à voir au cinéma - c'est l'essence du cinéma depuis 100 ans, de Lawrence d'Arabie à Star Wars, vous allez voir un film à grand spectacle. Trois, toute l'industrie du cinéma table sur le succès de Dune en salles, qui est censé marquer le regain d'intérêt du grand public pour le cinéma - malgré le pass sanitaire et autres aléas. Tenet était supposé être le film qui marquerait le retour en salles, ça n'a pas été le cas.

Au passage, on notera que Disney, qui avait adopté la même stratégie fin 2020, vient de faire marche arrière : il a annoncé le 10 septembre que tous ses films dont la sortie est prévue d'ici la fin de l'année seront désormais *d'abord* diffusés dans les cinémas. Des blockbusters susceptibles de faire (re)venir les foules dans les familles en salles à l'approche des fêtes de fin d'année, tels le film d'animation Encanto, qui sortira sur grand écran le 24 novembre, The Last Duel de Ridley Scott, Eternals des studios Marvel, ou encore le West Side Story de Steven Spielberg. Aux Etats-Unis, ils seront réservés aux salles obscures pendant 45 jours consécutifs au moins avant d’être proposés sur la plateforme de streaming vidéo Disney+.

Il est vrai que, cet été, l'actrice Scarlett Johansson a poursuivi Disney en justice pour avoir sorti en même temps sur Disney+ et au cinéma Black Widow. Une rupture de contrat qui lui aurait coûté des millions de dollars.

lundi 7 juin 2021

Amazon fait son entrée au festival de Cannes, après Hollywood

5c92ed6f240000ad064df325.jpeg, juin 2021

Une première, nouvelle preuve des bouleversements à vitesse accélérée que connaît l'industrie du cinéma, malmenée à l'heure de la pandémie.

Amazon fera son entrée dans la prochaine édition du Festival de Cannes, avec un film en compétition, ont annoncé ses organisateurs jeudi dernier. L'heureux élu: le film Annette, qui signe le grand retour du réalisateur franco-américain Leos Carax, neuf ans après la présentation de Holy Motors, et avec Marion Cotillard et Adam Driver en têtes d'affiche. Un musical dont la musique a été écrite et composée par les fondateurs du groupe pop californien Sparks, déjà guetté par les cinéphiles, où Adam Driver jouera un comédien de stand-up, et Marion Cotillard sa femme chanteuse d’opéra.

Mieux, ce film fera l'ouverture du festival de Cannes, le 6 juillet prochain. Décidément, alors que le Festival va rouvrir dans des conditions à peu près normales, après une édition 100% numérique l'an dernier en raison de la pandémie, le tapis rouge est déroulé à son producteur, Amazon Studios. La raison? Le géant du e-commerce, qui a progressivement déployé ses ailes dans la production audiovisuelles et la diffusion via son propre service de streaming vidéo sur abonnement, Amazon Prime Video, lancé en décembre 2016, coche toutes les cases pour figurer en compétition à Cannes, avec sa production: «Amazon accepte que le film soit projeté en salles. Donc Annette est en compétition à Cannes», expliquait jeudi dernier Thierry Frémaux, délégué général du Festival, dans une interview à l'hebdomadaire californien Variety.

Netflix toujours persona non grata

Ce qui n'est pas le cas de Netflix, toute-puissante avec ses 208 millions d'abonnés, qui, selon les organisateurs du Festival, n'accepte toujours pas de jouer les règles du jeu du festival français - soit de sortir son film en salles dans des conditions normales. Pour le festival de Cannes, un film est un 'vrai' film dès lors qu'il sort en salles. «Un film est toujours un travail artistique qui doit être découvert sur grand écran, et nous restons sur ce 'mantra' pour les films en compétition», rappelle-t-il. Et de souligner: il a bien vu que «beaucoup de réalisateurs de talent» ont présenté des films à Cannes par le passé, et travaillent maintenant avec Netflix («qui fait de beaux films»), tels Jane Campion et Paolo Sorrentino - la firme de Los Gatos a fait grand bruit en début d'année en annonçant qu'elle diffuserait 'à titre exclusif' sur sa plateforme leurs prochains films, respectivement Le pouvoir du chien et È stata la mano di Dio.

Or selon cet article du Figaro, Thierry Frémaux a proposé à Netflix de figurer à Cannes avec ces films, mais seulement hors compétition. «Il s’agit d’une fausse main tendue. Proposer un strapontin à l’un des nouveaux argentiers du cinéma mondial relève davantage du camouflet, voire de la gifle.»

Et ce petit scud: «La différence entre Netflix et Amazon est que ce dernier accepte que ses films sortent en salles», précise Thierry Frémaux à Variety.

On en revient au sujet originel du litige entre Cannes et Netflix, depuis la polémique autour des films Okja et The Meyerowitz Stories en mai 2017: comme je le racontais dans mon livre, Netflix & Co: Histoire d'une (r)évolution, Netflix a présenté cette année-là ces deux films en compétition pour la Palme, films qui, même s'ils étaient primés, ne seraient pas projetés dans les salles de cinéma françaises, avait alors annoncé la firme californienne.

Depuis ce clash, les organisateurs du Festival ont fixé une règle depuis 2018 : les films en lice doivent sortir en salles dans des conditions 'normales'. Et non juste dans une poignée de salles (et encore moins aucune ;). Quand bien même certains autres festivals acceptent désormais ces conditions, comme celui de Venise. Il semble donc que le statu quo demeure pour cette année encore. Peut-être au détriment de Cannes, qui se prive donc des productions Netflix - alors que le contexte a évolué. On peut comprendre le point du vue du patron de Netflix, Reed Hastings, qui a toujours dit vouloir proposer des contenus exclusifs - dont des films - à ses abonnés.



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Le cameraman et de l'ingénieur du son enregistrant "Léo le lion" pour le logo de la Metro Goldwyn Mayer en 1928 (Getty Images/Axios)

En tous cas, avec cette présence à Cannes, Amazon remporte une manche. Une autre, après avoir acquis fin mai le grand studio MGM pour 8,45 milliards de dollars (cette acquisition restant certes suspendue à l'accord des régulateurs), ce qui le fait entrer définitivement dans la cour des grands à Hollywood.

Et Amazon est loin d'être perdant. Sa production Annette sortira dans les salles du monde entier à partir du 6 juillet (via UGC Distribution dans l'Hexagone), le jour même de sa première à Cannes. Aux Etats-Unis, il sortira en salles le 6 août, puis sera ensuite proposé à les abonnés (américains) Amazon Prime sur sa plateforme de SVoD Amazon Prime... dès le 20 août, indique notamment Indiewire dans cet article.

'Annette' le 6 juillet en salles... Et le 20 août sur Amazon Prime

Soit un délai de 15 jours entre la sortie en salles et celle sur Amazon Video. Etonnant, non? C'est surtout révélateur du virage en cours à Hollywood. La pandémie ayant entraîné la fermeture forcée des salles de cinéma partout dans le monde - elles rouvrent tout juste - le contexte profite de facto aux diffuseurs que sont les streamers.

Jusqu'à présent, l'usage voulait aux Etats-Unis qu'un délai de 90 jours s'écoule entre la première projection d'un film et sa sortie sur un quelconque format numérique (DVD, vidéo à la demande, etc). Mais les règles du jeu ont changé - le semblant de chronologie des médias version US semble s'effacer. Déjà en juillet 2020, Universal et AMC ont annoncé un accord "pluri-annuel" qui ramenait ce délai minimum à 17 jours.

Puis fin 2020, tour à tour, Warner Bros, Paramount et Disney annonçaient que la période d'exclusivité pour les salles de leurs films ne durerait que 45 jours en 2021, avant que les films ne soient proposés en VoD ou en sVoD, soit la moitié du délai normal de 90 jours.

Déjà Nomadland de la réalisatrice chinoise Chloé Zhao, qui sort en salles en France ce mercredi, une fois primé aux Oscars, est sorti directement sur la plateforme de streaming vidéo Disney+, notamment aux Etats-Unis, dès le 30 avril, soit quatre jours après la cérémonie des Oscars. Décidément, une brèche est ouverte.

mardi 6 avril 2021

Le CNC autorise (temporairement) la sortie des films directement sur petit écran

0ff7708_515951255-rev-1-ww84-trl-00066r-high-res-jpeg.jpeg, avr. 2021

Wonder Woman 1984, sorti directement sur petits écrans

C'est un blockbuster de plus de 4 heures, un déluge d'effets spéciaux et de péripéties, où l'on en prend plein les yeux. spéciaux. La Warner a finalement accepté de divulguer en ligne le montage original, signé Zack Snyder, du blockbuster Justice League, sorti initialement en 2017. Ce film de super-héros estampillé «DC Comics» est disponible depuis quelques jours exclusivement sur Amazon Prime Video. En temps normal, les fans seraient allés en salles voir ce film qui en fait des caisses. En temps normal...

Autre exemple: la Warner Bros, encore elle, s'est résolue à «sortir» en ligne le 31 mars, sur toutes les plateformes de VOD Wonder Woman 1984, les nouvelles aventures de Diana Prince mises en scène par Patty Jenkis, après le premier opus Wonder Woman, carton en salles de 2017. Ce nouvel opus gargantuesque de 2 heures 30, coloré, pop (et un peu indigeste) était déjà sorti aux Etats-Unis le 25 décembre 2020 - simultanément sur grand écran et sur HBO Max, conformément au «modèle économique» de sorties de films qu'a adopté la Warner face au flou entourant les réouvertures de salles de cinéma, comme je l'écrivais fin 2020. Dans l'Hexagone, c'est bien faute de mieux, alors que la réouverture des salles de cinéma a été repoussée plusieurs fois du fait de la crise sanitaire, que la Warner a opté pour cette sortie sur petits écrans, pour un de ses films qui était censé remplir les salles...

Faut-il s'y faire, à ces blockbusters que l'on regarde chez soi, faute de salles ouvertes? Alors que ces films à plusieurs centaines de millions de dollars de budgets sont calibrés pour être vus sur grand écran,

Cette logique commence en tous cas à s'ancrer dans les faits et les usages, pour tous les films, alors que les cinémas sont fermés dans l'Hexagone depuis la fin octobre. Et rouvriront, au mieux, vers mi-mai ou mi-juin.

Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a annoncé, jeudi 1er avril, une dérogation pour permettre exceptionnellement aux nouveaux films destinés aux salles obscures de sortir directement sur petit écran. Objectif : éviter un trop-plein de films lors de la réouverture des salles. Avec près de 400 films français et étrangers qui sont prêts à sortir, les professionnels redoutent un énorme embouteillage lorsque les salles rouvriront.

Concrètement, entre la mi-mai et la mi-juin, les films qui le souhaitent pourront demander, à titre exceptionnel, une diffusion sur les plateformes en ligne comme Netflix, Amazon Prime Video, en DVD ou encore à la télévision sur Canal+, OCS, TF1, M6… Et ce jusqu’à un mois après la réouverture des salles, «tout en conservant les aides reçues» par le CNC lors de leur production.

Bronx-Banniere-800x445.jpg, avr. 2021

Lors du premier confinement il y a un an , le CNC avait déjà accordé des dérogations pour une petite poignée de films - douzaine, comme Bronx d'Olivier Marchal, produit par Gaumont et sorti directement sur Netflix - et ce seulement pour une sortie en vidéo à la demande. Là, l’autorisation est donc élargie à la SVOD et la télé gratuite et payante. Et devrait profiter à bien plus de films.

Certes, le CNC prend soin de préciser que cette mesure «ne remet en cause en aucune manière la chronologie des médias ni son évolution prochaine». Mais alors que ces sacro-saintes règles, qui régissent la sortie des films en France depuis leur sortie en salles jusqu’à leur diffusion à la télévision sont actuellement renégociées, cela risque bien d'ouvrir une brèche plus importante. Et de créer une jurisprudence.

mardi 9 mars 2021

Une brèche de plus: « Nomadland», candidat aux Oscars, sur Disney+ dès le 30 avril

a62a93b8-db51-11e9-a65c-0eda3a42da3c.jpg, mar. 2021

Cérémonie d'ouverture des Oscars 2020

Il a décroché deux des récompenses les plus prestigieuses lors des Golden Globes fin février, sorte de répétition générale des Oscars, celles du meilleur cinéaste et du meilleur film. Mieux, selon la Bible du cinéma à L.A Variety, il a raflé, en une saison, 58 prix au total dans différents festivals et cérémonies, dont le Lion d'Or à Venise en août dernier. Au total, 35 prix pour la réalisatrice, 13 pour le scénario, neuf pour le montage, et un pour le film. Un film de calibre donc, qui est logiquement donné favori pour l'édition 2021 des Oscars, qui se tiendront ce dimanche - dans des conditions évidemment particulières, pandémie oblige, sans parterre de stars aux robes chatoyantes sur tapis rouge.

Et pourtant. Nomadland de la réalisatrice chinoise Chloé Zhao, film déjà bardé de prix, une fois la cérémonie des Oscars bouclée, quelle que soit l'issue, sortira... directement sur la plateforme de streaming vidéo Disney+ «dans plusieurs pays européens». Et ce dès le 30 avril, soit quatre jours après la cérémonie des Oscars, affirmait il y a quelques jours Satellifax. Autant dire que les règles régissant la chronologie des médias, et qui plus est celles réglant implicitement le parcours d'un film susceptible de dérocher la récompense suprême, sont explosées entaillées. Une fois de plus.

Bande annonce de Nomadland

Ce film, entre fiction et documentaire, avec la grande Frances McDormand, raconte comment, après la crise des subprimes de 2008, des Américains moyens se sont retrouvés chassés de leur maison et ont fait le choix de vivre sur la route, dans leur voiture ou camionnette, au gré des petits boulots qu'ils pouvaient décrocher.

Un indice, déjà: ce long métrage a été produit par Fox Searchlight, division «indépendante» du studio Fox, racheté par Disney depuis. Il est déjà sorti sur une petite combinaison de salles et sur la plateforme Disney+ aux Etats-Unis. En France, il est (était ?) programmé au 21 avril au cinéma, à condition que les salles soient ouvertes d'ici là, indiquait Le Parisien le 1er mars.

Un autre indice: dès avril 2020, l'Académie des Oscars, pressentant que la pandémie serait une tendance longue, avait édicté une nouvelle règle d'admissibilité - s'appliquant uniquement pour l'année 2021 : les films en lice n'ont plus l'obligation d'être sortis en salles au moins une semaine, à raison de trois séances par jour, dans le comté de Los Angeles, ce qui d'ordinaire est la condition minimum. En clair, la compétition pour cette 94e édition - qui a été décalée au 25 avril (au lieu du 28 février) - était d'emblée ouverte aux films qui sont sortis sur les plateformes de streaming. La règle était également valable pour les Golden Globes.

Et il est vrai que, depuis avril dernier, la majorité des salles de cinéma sont restées fermées dans le monde entier - dont à Los Angeles, véritable baromètre mondial pour les studios quant aux sorties de films, les tournages ont repris de manière chaotique aux Etats-Unis, et peu de films américains sont sortis.

Dès avril 2020, les règles étaient claires du côté de l'Académie des Oscars: Nomadland serait précédé d'une distribution dans des salles IMAX dès le 29 janvier. Et si les salles de cinéma n'étaient toujours pas ouvertes le 19 février, Disney, le distributeur, pourrait le diffuser sur sa plateforme Disney+. Le studio ne s'en prive donc pas. Au risque d'ouvrir encore plus une brèche.

Comme je l'avais écrit fin 2020, coup sur coup, la Warner puis Disney avaient annoncé la sortie simultanée en salles pendant un mois (aux US) *et* sur leurs plateformes de streaming vidéo respectives, HBO Max et Disney+ de tous leurs films en catalogue pour l'année 2021.

Sans compter que, lorsque les salles rouvriront, il y aura inévitablement un embouteillage de productions à diffuser. On compterait actuellement 250 films français et 150 films internationaux produits en France et non diffusés depuis le début de la crise, relevaient plusieurs spécialistes ce matin sur Twitter, dont Jean Labadie.

vendredi 4 décembre 2020

Le coup de canif de la Warner à l'industrie du cinéma (des sorties en salles bientôt désuètes ?)

1588861885.jpg, déc. 2020

Le couperet est tombé hier. Aux Etats-Unis, *tous* les films WarnerBros attendus pour 2021 sortiront sur la plateforme américaine de vidéo à la demande HBO Max pour un mois, le même jour que lors de leur sortie en salles, a annoncé le studio dans un communiqué. La Warner sortira donc ses films à la fois en streaming et au cinéma. Une première.

En temps normal, dans la version US de la chronologie des médias, les grosses productions hollywoodiennes doivent être projetées uniquement en salle durant 90 jours qui suivent leur sortie avant d'être diffusées sur d'autres supports. Mais la fermeture des cinémas dans de nombreuses régions américaines, dont New York et Los Angeles, a contraint les distributeurs à trouver des solutions de repli.

Les studios tentent ainsi la recette de la dernière chance pour tenter de limiter l'impact de la pandémie de coronavirus sur leur activité, après une année catastrophique pour eux. «Nous vivons dans une période sans précédent, qui nécessite de faire preuve de créativité pour trouver des solutions», a expliqué la PDG de Warner Bros, Ann Sarnoff, en présentant cette décision. Alors que les salles ont été fermées une bonne partie de l'année aux Etats-Unis, confinement oblige - or, les US servent souvent de baromètre aux studios de cinéma pour leurs sorties de films.

Aux quatre coins du monde, la plupart des salles ont été soumises au même régime sec - en France, les cinémas ont dû fermer pendant le premier confinement, de mi-mars à mi-mai, et de fin octobre jusque vraisemblablement mi-décembre.

Au moins 17 titres concernés

3283826.jpg, déc. 2020

Dune de Denis Villeneuve

Absolument tous les films de Warner Bros sont concernés, y compris les blockbusters attendus, censés drainer du public en salle - tels les très attendus Matrix 4 - il devait drainer 1,6 milliard de dollars de recettes dans le monde - et Dune. Ce dernier, film à gros budget réalisé par Denis Villeneuve, remake du film de SF mythique de David Lynch, avec en tête d'affiche une star montante, Timothée Chalamet, dans le rôle du héros Paul Atréides, devait être un des grands rendez-vous de la saison cinématographique 2020, et recréer un sentiment de communion. Sa sortie avait déjà été reportée.

En tout, au moins 17 titres seraient concernés l'an prochain, parmi lesquels un «préquel» inspiré par la série Sopranos et une suite au film de super-héros DC Suicide Squad. Ce «tombeau» de films compte aussi des espoirs pour les Oscars 2021 (Judas and the Black Messiah, The Many Saints of Newark, King Richard, and Cry Macho), et des blockbusters, comme le sequel Godzilla vs. Kong.

Mi-novembre, Warner avait déjà annoncé que Wonder Woman 1984 sortirait aux Etats-Unis simultanément dans les salles et sur HBO Max le jour de Noël.

Certes, cette annonce ne s'appliquera dans l'immédiat qu'aux Etats-Unis, le service HBO Max n'étant pas disponible à ce stade dans d'autres pays, où le catalogue Warner Bros sortira normalement dans les salles de cinéma l'an prochain.

Il n'en n'est pas question en France, où de toute façon, la chronologie des médias sert de pare-feu: elle interdit la sortie simultanée d'un film en salles et sur une plateforme de streaming. Tout juste a-t-on ceu, cette année, lors des confinements, certains films sortir directement en VOD, après l'accord express du CNC.

Séisme attendu

Le problème, c'est que cette annonce de la Warner témoigne de la difficulté pour Hollywood de s'adapter à la crise sanitaire aux Etats-Unis. Et elle apporte un sérieux coup de canif aux codes et les pratiques de l'industrie du cinéma. Elle crée un précédent. Est-ce que cela ne va pas donner des idées à d'autres studios, acculés face à cette pandémie, malgré les espoirs que suscitent l'arrivée de vaccins ?

Après tout, Disney dispose lui aussi, depuis quelques mois, de sa plateforme de streaming vidéo mondiale, Disney+, qui semble plutôt bien marcher. Lui aussi a sous le coude des blockbusters dont il a dû reporter la sortie en salles à plusieurs reprises - trop risqué avec la pandémie. Et il a entamé cette logique: il a sorti son remake de Mulan sur Disney+ en septembre. Soul, dernière production des studios d'animation Pixar, «sortira» (ou plutôt sera diffusée) aussi sur Disney+ aux Etats-Unis le jour de Noël.

Est-ce que, comme le craignent certains analystes, les cinémas traditionnels vont être relégués au second plan du modèle économique derrière le streaming pour les sorties de salles, en vitesse accélérée ? Voire, comme je me posais la question hier, et déjà dans ce billet il y a quelques semaines, est-ce que aller au cinéma ne va pas devenir quelque chose de désuet ?

jeudi 30 avril 2020

Va-t-on retourner "au cinéma" demain ?

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Vue n°91 Sortie d'Usine I premier film des frères Lumières, 1895

Est-ce que se rendre dans des salles obscures, "au cinéma", restera quelque chose de normal demain? Ou du moins, sous la forme que nous connaissons depuis des décennies - depuis que Louis Lumière et d'autres nous ont habitués à sortir "au cinéma" pour voir des projections de films ? Dans ce nouveau quotidien littéralement extraordinaire que nous connaissons depuis mi-mars, nous avons brutalement dû cesser de nous rendre dans des lieux publics - dont des salles de cinéma. Et le premier ministre Edouard Philippe l'a abruptement confirmé, avant-hier, à l'Assemblée nationale: si notre "déconfinement" aura lieu à partir du 11 mai, les salles de cinéma, elles, resteront fermées au-delà de cette date. Au moins jusque début juillet, espère Richard Patry, patron de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF), cité par Le Point. Voire jusque septembre, ou novembre, m'ont soufflé des professionnels du secteur ces derniers jours.

Ce n'est qu'une demi-surprise pour les exploitants de salles et les diffuseurs, au vu des risques économiques et sanitaires que pourrait engendrer une réouverture trop rapide des salles obscures - la Chine, premier pays à "déconfiner" ses habitants, a dû refermer ses 700 salles fin mars, au bout de 15 jours d'exploitaiton, à caue de craintes de résurgence de l'épidémie.

Une réouverture des salles dans l'Hexagone s'accompagnera d'enjeux colossaux, pour faire respecter cette nouvelle règle de "distanciation sociale" devenue vitale face à la pandémie de Covid-19. D'après les premières hypothèses, cela passerait par de nouvelles règles: par exemple nettoyage des salles après chaque séance, réduction des jauges avec peut-être un fauteuil sur trois et une rangée sur deux, jusqu'à la question de la climatisation (soupçonnée de faire circuler le virus)...

Et ce point épineux: le public retrouvera-t-il suffisamment confiance pour retourner dans des salles de cinéma ? Dans un climat particulièrement anxiogène, où, en deux mois, nous avons tous intégré l'idée que nous risquions d'attraper ce virus, cette "chose" dans un espace clos, aurons-nous le cœur à "aller au cinéma", espace confiné par excellence?

Netflix a déjà désacralisé la sortie "au cinéma"

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Depuis quelques années, l'arrivée en trombe de Netflix, Disney+, et d'autres acteurs du jeune segment du streaming vidéo sur abonnement, avaient commencé à bouleverser ce modèle à priori bien installé de la sortie au cinéma, d'aller en salles voir un film. Les polémiques régulières sur les conditions de participation de Netflix (et ses "webfilms") à la compétition officielle du Festival de Cannes ont d'autant plus remis en cause ce modèle, comme j'en parle dans mon livre. Et voilà que, face à la pandémie, le Centre national du cinéma (CNC) a décidé, dans l'urgence, de briser la sacro-sainte chronologie des médias pour autoriser la sortie de films directement sur petit écran, comme j'en parlais ici. Moyennant un paiement à l'acte, ou peut louer ou "acheter" un film pour le visionner chez nous via un service de vidéo à la demande (VoD). Une décision "temporaire" oui, mais qui pourrait sceller de nouveaux usages.

Alors, va-t-on retourner au cinéma ? Ce serait pourtant un des symboles de notre "liberté" retrouvée après ces longues semaines de confinement contraint chez nous - dans nos prisons (plus ou moins) dorées. En attendant la Libération, des alternatives commencent à poindre. Avec de l'espoir: cette période trouble pourrait être l'occasion pour la profession de se réinventer, avec des nouveaux formats. Toutes cherchent à respecter ce qui fait l'âme de la séance de cinéma: un événement qui rassemble des personnes venues partager des émotions devant une même projection de film.

Projections sur des façades de murs, drive-in: des nouveaux formats

Projection "La nuit du chasseur" (c) La Clef Survival

Projo de la Nuit du chasseur, cinéma La Clé

En Italie, on a vu des passionnés cinéphiles improviser, puis organiser, le soir, des projections de films sur des façades de murs depuis leur vidéoprojecteur. Le concept a été repris en France, par des cinémas, par exemple par le cinéma associatif parisien La Clé, dans le 5ème arrondissement, qui projette lui aussi des films pendant le confinement. Et les initiatives se multiplient: Archipop, cinémathèque amateur des Hauts-de-France, vient de mettre en ligne quatre films qui peuvent être librement projetées sur les façades ou pignons d’immeuble.

On peut espérer que les projections de films en plein air, qui font florès chaque été à Paris (comme par La Villette) et dans d'autres villes, vont reprendre cette année. Après tout, ce format permet de respecter les conditions sanitaires d'aujourd'hui, en imposant une distance physique entre chaque spectateur. Tout en organisant un événement qui respecte l'ADN d'une séance de cinéma.

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Voire, pourquoi ne pas importer les drive-in en France? Dans les années 50, les jeunes gens américains adoraient se retrouver entre amis et/ou leur conquête, avec leur voiture (décapotable de préférence) sur un vaste parking pour des projections de films sur grand écran en plein air. Petit touche tech, le son était diffusé dans les véhicules par des hauts-parleurs reliés à des bornes implantées sur le parking. Rappelez-vous de la scène d'ouverture de Grease, dans un drive-in...

Dans la culture américaine, on "sortait" au drive-in pour voir entre potes un film d'horreur ou de science-fiction - avec toujours pour idée de sortir et voir un film. Merveille: justement, à Caen, le 11 mai, le cinéma art et essai Lux devrait pouvoir organiser plusieurs séances hebdomadaires de drive-in sur le parking du parc des expositions de la ville, indique Le Monde de ce jour. Il n'attend plus que le feu vert de la préfecture. Il imagine déjà un tarif "de 20 à 25 euros par véhicule", avec, déjà prévu en projection, la Palme d'or 2020 Parasite.

lundi 20 avril 2020

François Truffaut (et Jacques Demy, Claude Chabrol...) sur Netflix

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Moteur! Dans une France confinée, privée d'accès aux salles de cinémas depuis un peu plus d'un mois, Netflix frappe un gros coup, en s'offrant le catalogue de films français du groupe MK2, a révélé Le Parisien ce midi. Netflix a signé un partenariat en ce sens avec le groupe français MK2, producteur et distributeur, qui possède ou loue une kyrielle de salles de cinéma à Paris et en proche banlieue.

Netflix proposera donc à ses abonnés, à partir de ce vendredi, le meilleur des films d'auteur: douze des 21 films réalisés par François Truffaut (dont la saga consacrée à Antoine Doisnel, le double de François Truffaut, Baisers volés, Domicile conjugal et L'amour en fuite, Le Dernier métro, avec Gérard Depardieu et Catherine Deneuve, ou encore Fahrenheit 451, d'après le classique de science-fiction de Ray Bradbury.

La firme de Los Gatos ne va pas s'arrêter là: toujours selon Le Parisien, elle diffusera à partir de fin 2020 des films d'autres émules de la Nouvelle Vague, tels Claude Chabrol, et Jacques Demy, qui incarne la comédie musicale à la française, avec Les demoiselles de Rochefort et les Parapluies de Cherbourg, qui ont révélé Catherine Deneuve et Françoise Dorléac, décédée trop vite. Puis viendront aussi les films de Charlie Chaplin, dont les droits sont également détenus par MK2, puis ceux de David Lynch, du cinéaste polonais Kieslowski, et du Canadien Xavier Dolan.

Niche ciné-club

En clair, Netflix, le géant américain de la vidéo à la demande sur abonnement (SVoD), propose désormais une offre de classiques du cinéma français - une niche ciné-club qui lui faisait cruellement défaut jusqu'à présent. Cela a quelque chose de vertigineux, et de réjouissant:le meilleur du cinéma français sera désormais exposé aux quatre coins du monde sur cette vitrine internationale qu'est devenu Netflix, fort de ses 164 millions d'abonnés payants. Une étudiante en cinéma à New York, une ado vivant à Mexico City, ou un cadre japonais pourront se visionner un Truffaut.

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Alors oui, d'un point de vue symbolique, en termes de communication, et de business, c'est un nouveau coup magistral qu'a réalisé Netflix. Progressivement, ces derniers mois, il a réalisé quelques autres belles acquisitions de catalogues "de patrimoine", comme en début d'année avec l'intégralité des dessins animés écolos et oniriques de Hayao Miyazaki, des studios japonais Ghibli. Par ce deal avec le groupe MK2, il s'offre le meilleur du cinéma français - un paradoxe, alors que son dirigeant Reed Hastings nourrit des relations tendues avec les organisateurs du Festival de Cannes - autre vitrine mondiale du savoir-faire français dans le business du cinéma.

Pourquoi le groupe MK2 a-t-il signé ce partenariat ? Quelles en sont les modalités et la durée ? Pour l'heure, aucune précision n'est apportée par le groupe français par communiqué, ni par la voix d'un de ses dirigeants. Dans un communiqué diffusé en fin d'après-midi, on apprend juste que ce deal porte sur 501 films. Et MK2 se dit "très heureux que Netflix se renforce sur le cinéma de patrimoine et les grands auteurs internationaux avec cet accord. Le rôle de MK2 à travers son catalogue de plus de 800 titres représentant une partie de l’histoire mondiale du cinéma est de contribuer à la transmission de ce patrimoine universel du cinéma et de faire découvrir en permanence ces films au plus grand nombre dont les plus jeunes. Cet accord de diffusion est une bonne nouvelle pour tous les Français amoureux du cinéma et de son histoire", selon un communiqué diffusé par Netflix, où est cité Nathanaël Karmitz, Président du Directoire de MK2.

Difficile de connaître l'état de santé du groupe MK2, dont l'essentiel du chiffre d'affaires - 92 millions d'euros en 2018 - provient de son activité de distributeur et de diffuseur en salles, à l'arrêt depuis mi-mars, alors que le gouvernement a demandé la fermeture des lieux publics, dont les cinémas. Relire cette interview de mai 2019 de Nathanaël Karmitz, ("Netflix fait de la télévision, pas du cinéma, mais cette plate-forme a besoin du prestige que lui apportent le cinéma et le Festival de Cannes"), paraît aujourd'hui presque d'un autre temps.

C'est un gros coup de Netflix, et une énorme surprise - car il aurait paru plus logique que MK2 noue un partenariat avec un acteur français de la SVoD, comme Canal+, ou un spécialiste du ciné-club tel que La Cinetek, UniversCiné ou FlilmoTV. Le fait que Netflix propose désormais cette niche de films d'auteurs tricolores pourrait les mettre à mal.

jeudi 24 août 2017

Ce que la série "The handmaid's tale" dit de l'Amérique de Trump

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Une fuite éperdue en voiture, les sirènes de flics retentissant derrière. La femme et sa fille en fuite sont rattrapées par de mystérieux hommes casqués, en noir. Plan suivant, le changement de décor est radical. dans un élégant contrejour, la même femme étrangement accoutrée, à la manière d'une servante, longue tunique rouge et casaque blanche. Elle est enfermée dans une chambre nous dit-elle, "mais ils n'ont pas prévu que je m'échappe. Une servante n'irait pas loin. Ils craignent les autres évasions. Celles qu'on peut ouvrir en soi avec un objet tranchant". Au fil des épisodes, cette plongée en continu dans un enfer du futur nous est narrée, en voix off, par Offred (incroyable Elisabeth Moss, révélée dans la série vintage Mad Men, ces élégants pubards), avec une ironie - et une rébellion - constante. "J'avais un autre nom, mais il est interdit à présent". Beaucoup de choses sont interdites à présent".

Bienvenue à Gilead, dictature patriarcale et ses extrémistes chrétiens. Dans un futur (très) proche, ceux-ci ont pris le pouvoir aux États-Unis, et en profitent au passage pour le soustraire totalement aux femmes, reléguées dans ce monde en grave crise de natalité au rang de vulgaires pondeuses. Cette dystopie terrifiante est une adaptation du roman de Margaret Atwood, méconnu en France jusque là, en une série lancée sur la plateforme Hulu (une des concurrentes US de Netflix), et diffusée en France cet été sur OCS (Orange) à partir du 27 juin. C'est une des séries les plus commentées ces derniers mois en France, et une des meilleures que j'aie vues ces dernières années dans les perles de science-fiction (que j'adore et vante ici depuis plusieurs années ;) depuis, mettons, Real Humans, et plus récemment Westworld, où Anthony Hopkins imagine des parc d'attraction peuplés de robots aux faux airs de cow-boys.

Depuis son élection en novembre dernier, l'Amérique de Trump trouve décidément un miroir dans les séries, films et livres. Sorti en début d'année, l'horrifique film Get out reflète une Amérique qui n'en n'a pas fini avec le racisme, ou l'étrange accueil de Chris, beau jeune homme noir, par sa très WASP belle-famille, avant que le tout ne vire façon Tarantino (nos spoils !). Le film, budget de 7 millions de dollars, a raflé 175,4 millions de dollars de recette aux Etats-Unis. Au même moment, Netflix diffusait une série quelque peu borderline, Dear White People dans l'université imaginaire de Winchester, où une soirée "blackface" révélait les tensions raciales…

Il était une fois, donc, le royaume de Gilead, monde futuriste étouffant que n'aurait pas renié René Barjavel. Nous sommes dans un monde futur, où on semble pourtant avoir fait un retour des siècles en arrière. Ici, pas de smartphones, ni machines. On fait le pain soi-même. Chaque foyer est dirigé par un homme omnipotent, et composé de son épouse (privée de tout droit, du droit de vote au droit de travailler, ou encore de détenir son propre compte bancaire,) et d'une servante. Sa robe rouge signifie qu'elle est reconnue, certifiée fertile dans une société où la natalité a chuté en raison d'une grave crise écologique. Elle est violée à échéances régulières par le maître de maison dans une étrange "cérémonie" en présence de l'épouse, dans l'espoir qu'elle donnera un enfant au couple.

Ces servantes sont au centre du récit de cette dystopie, The handmaid's tale ("La servante écarlate"), qui multiplie les symboles parlants. Leur tenue déjà, cette robe rouge qui symbolise leur rôle principal, l'enfantement. Exactement comme dans ''Ravage'' de René Barjavel, roman fondateur de la SF, qui imaginait déjà, en 1943, une société ultra-technologique qui s'effondrait au profit du retour à un traditionnalisme aliénant. Je vous glisse au passage cet extrait révélateur...

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Dans ce monde de Gilead, cette société étouffante a donc créé des rituels, des codes, avec ces étranges phrases pseudo-religieuses devenues banales formules de salutations. "Béni soit le fruit". "Que le Seigneur ouvre". "Gloire à Vous. Que Dieu me rende digne".

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L'image soignée, l'éclairage nuancé, qui donne à de nombreuses scènes des airs de tableaux de Vermeer, traduit ce retour à un passé oublié. Et signifie une hiérarchisation stricte de la société, organisée autour de la vie domestique, du foyer.

Comme toute dystopie, le scénario prend appui sur des fragilités de la société actuelle pour alerter sur dérives totalitaires possibles. Il met en scène nos craintes, il dit l’inquiétude d’un monde qui court à sa perte: anxiété de l’excès matériel, des dérèglements climatiques, montée des inégalités et des violences populistes… Les retours en arrière réguliers montrent avec cruauté la vie passée agréable qu'on a connue, jusqu'il y a peu. Ces personnages, c'est nous, dans un passé proche, comme nous, elles furent des bobos qui prenaient leur caffè latte dans un bar branché. Une manière d'avertir que, si l'on y prend garde, c'est un risque.

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Plus qu'un récit rétro-futuriste flippant, la série est une terrible fable féministe. Elle prend bien sûr un relief particulier dans l'Amérique de Trump. "Quand ils ont massacré le Congrès, on ne s'est pas réveillés, quand ils ont mis ça sur le dos des terroristes et suspendu la Constitution, on ne s'est pas réveillés non plus", avertit Offred.

Ces dernières semaines, cette série a semblé, parfois, être rattrapée par la réalité. "Au moment de se lancer, on se demandait si cela serait plausible. (...) et soudain, six mois plus tard, tout cela était devenu affreusement plus crédible", soulignait Elisabeth Moss dans une interview au magazine Time. La série met en scène le nouveau pouvoir, des réactionnaires ultra cathos mais aussi écolos radicaux, qui prônent un retour au tout-naturel. Cela ne vous rappelle rien? Troublant.

D'autant plus depuis l'élection de Donald Trump, la réalité semble rattraper la fiction. Des exemples? La remise en cause régulière du droit à l'avortement, des Etats-Unis à la Pologne, l'abrogation de l'Obamacare, qui menace le financement du planning familial.

Dans un post sur Facebook, Emmanuel Vivier montre les troublants reflets de l'actualité: des extrêmistes qui réclament l'exclusion de minorités et la fin du droit de vote pour les femmes selon The Atlantic, ou encore quand une part de plus en plus importante de la police américaine (coucou Palantir de Peter Thiel) connecté des données personnelles d'individus sans supervision claire, selon Wired.

Et cet été, l'ultra-violence des manifestations racistes à Charlottesville, qui ont révélé l'Amérique des supremacistes et le retour des cagoules blanches du Ku Klux Klan, que l'on croyait d'un autre temps.

dimanche 26 avril 2015

La leçon de cinéma de Matthew Weiner

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J'ai eu la chance d'assister, lundi 20 avril, lors du festival Series Mania, qui se tenait au Forum des images, à une conférence un peu spéciale, intitulée A Question of Life and Cinema. En fait un véritable cours de cinéma déroulé par Matthew Weiner, réalisateur de l'une des plus remarquables séries TV de ces dernières années, Mad Men, dont la 7ème et ultime saison est diffusée (Canal+ a entamé le jeudi 23 avril la diffusion du second volet de cette saison).

J'ai écrit à plusieurs reprises sur cela, dont ici, les séries TV sont entrées dans notre culture - notre consommation - audiovisuelle grâce à la multiplication des canaux de diffusion (coucou la vidéo à la demande sur mesure et Netflix), mais aussi parce qu'elles sont remarquablement montées en gamme ces dernières années, avec aux manettes des réalisateurs parfois venus du cinéma, et dont les codes de tournage, la qualité, empruntent de plus en plus au cinéma. Ce qui est le cas pour Matthew Weiner, cinéphile invétéré, dont on sent les influences dans son déroulé de l'Amérique des années 50, Mad Men, que j'avais chroniqué ici. Avant la saga Mad Men, il a également participé à la série de HBO, Les Soprano, doù il était scénariste et producteur des cinquième et sixième saisons.

"L’histoire de Don Draper est la même que celle de Pinocchio"

Matthew Weiner, de passage à Paris, nous a donc délivré un cours de cinéma lundi, en citant ses films de référence, qui l'ont inspiré pour Mad Men, avec extraits à l'appui, qu'il analysait à sa manière. Pour lui, il y a bien une continuité entre cinéma et séries télévisées, mais ces dernières, tout en empruntant aux codes du cinéma, ont leurs propres atouts. "Mad Men est un cinematic show. C'est une nouvelle définition de la télévision. Alors que le cinéma coûte cher : il y a plusieurs prises". D'ailleurs, il fait dire à son personnage principal, Don Draper, "Allez voir les films, pour comprendre ce qui se passe dans la culture".

Déjà petit, dans une maison sans télévision, il regardait "toujours des films le weekend", dont des films français. Dans les premiers films dont il se souvient, il cite City of lights de Charlie Chaplin, et Yellow submarine (1968), ainsi que Pinocchio ("L’histoire de Don Draper est la même que celle de Pinocchio", sourit-il). Il évoque aussi l’importance durant son enfance des sorties en famille au drive-in, alors qu'ils n'avaient pas de téléviseur. A 11 ans, sa famille déménage à Los Angeles. Là, il sera marqué en assistant en 1976, au tournage du Dernier Nabab dans son quartier de Los Angeles. Il fera ensuite une école de cinéma.

Première référence pour Matthew Weiner, Once upon a time in America de Sergio Leone (1984). La révélation pour lui. Et de citer la séquence où le jeune camarade de Noodles préfère manger un gâteau à la crème plutôt que de perdre sa virginité. Un symbole coquin pour Matthew Weiner du pouvoir du cinéma, capable d’exprimer par l’image des multitudes d’émotions que les mots ne peuvent parfois traduire.

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Seconde référence, Le Décalogue de Kieslowski. L'extrait qu'il a choisi (extrait du deuxième des dix segments, Tu ne commettras point de parjure) montre une scène, dans le coin d'un immeuble, où un homme meurt progressivement, au rythme du goutte à goutte insupportable d'un robinet. "C'est une masterpiece: on y voit les différentes parties du même immeuble, un homme qui meurt, sans vouloir le spoiler... Il voulait donner une impression de déliquescence, d'un monde qui tombe en ruine, avec cet homme aux cheveux gras et la respiration hachée. (...) J'ai repris dans Mad Men l'image d'un New York des années 70 qui se désagrège, où les services publics étaient alors terribles, la ville proche de la banqueroute", explique Matthew Weiner.

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Référence suivante: la fraîcheur colorée de la comédie musicale de Jacques Demy, Les demoiselles de Rochefort. Dans l'extrait qu'il a choisit, on voit des jeunes hommes habillés en couleurs pastel chanter "Nous voyageons ici / ailleurs, dans la vie tout nous est facile". ''"Les hommes chantent et dansent autant que les femmes dans ce film, c'est sexy. Il a été influencé par West Side Story, mais il a un contrôle compte sur son univers. Ça semble familier mais c'est nouveau"'', détaille Matthew Weiner.

Son autre modèle, c'est Toute une vie de Claude Lelouch, dont l'anti-héros de son extrait évoque un peu Don Draper. Ce film se déroule sur une période de plus de 80 ans (de 1918 à l’an 2000), et raconte un coup de foudre entre Marthe Keller et un publicitaire (André Dussollier). Dans la séquence choisie par le showrunner, on voit sur scène un chanteur à succès (Gilbert Bécaud, qui joue son propre rôle), chanter "Si si si si la vie est belle...". En coulisses de son spectacle, il quitte une femme de façon peu amène. Dans la séquence suivante, on voit un homme échappé de prison rouler à toute vitesse en voiture: le réalisateur américain a été impressionné par le réalisme moderne de la scène (on a l'impression d'être dans la voiture !). Matthew Weiner s'est inspiré ici, pour Mad Men, de l'articulation entre les grands évènements historiques et le destin sentimental des personnages.

Il cite aussi un film en apparence plus léger, La notte de Antonioni. Là, "femmes et maîtresses dans la même salle, ce film illustre la décadence du mariage, comme dans Mad Men. Là, la difficulté était d'expliquer quand quelqu'un fait quelque chose de différent de la culture de l'époque. Don Drapper fait des films publicitaires, il doit être ouvert à de nouvelles idées", développe Matthew Weiner. Une manière d'expliquer en partie la vie personnelle sombre et parfois débridée de Don ? Ce film a directement inspiré un des épisodes de Mad Men (épisode 3 saison 3), "My Old Kentucky Home," dans lequel une énorme fête révèle l’échec du mariage Don/Betty.

Vient ensuite un classique de la comédie américaine, Les jeux de l'amour et de la guerre de Arthur Miller. "Le film se déroule durant la seconde guerre mondiale, il y a de superbes dialogues. Dans cette séquence, le personnage homme m'a inspiré Don Drapper: il plaisante, mais dit être un couard. Dans Mad Men, comme lui, Don a fui la guère du Vietnam et pris l'identité de quelqu'un d'autre".

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Autre référence pour lui, Patterns de Fielder Cook (1956). Dans la séquence qu'il a retenue, on voit une réunion d'un conseil d'administration dans un immeuble moderne à Manhattan, dans les années 60. Une vision peu amène du monde de travail, des premiers cadres sup' de l'époque, qui l'a sans doute inspiré pour les "pubards" de Mad Men. "On y voit une cruauté, comment quelqu'un se fait éjecter. J'étais malade à la maison quand je l'ai vu, ce film m'a terrifié : il n'y a pas pas de pistolets, mals le discours peut être une arme", commente le réalisateur. Ce qui est remarquable dans cette scène est que la tension naît de la succession rapide des prises de vues différentes, des contre-plongées, jusque la crise cardiaque en caméra subjective. De toute évidence, Patterns a influencé les séquences de Mad Men avec des réunions, qui traitent de pitchs, de finance, de rachats de sociétés et de faillites.

Matthew Weiner a aussi retenu ''Les bonnes femmes'' de Chabrol. "Je l'ai vu quand j'étais étudiant en cinéma, c'est un reflet de la classe moyenne de l'époque. On voit dans cette séquence des hommes qui violent une femme (interprétée par Bernadette Laffont), qui retourne travailler le lendemain, comme si de rien n'était. On voit le décalage entre les attentes romantiques de cette femme et la réalité cruelle".

Enfin vient le fabuleux Blue velvet de David Lynch. Matthew Weirner évoque l'ambiance électrique qu'il y avait dans la salle de cinéma lorsque Isabella Rossellini arrive nue face à Kyle MacLachlan et Laura Dern, sans que l’on comprenne réellement ce qu’il se passe à l’écran. Blue Velvet évoque pour Matthew Weiner la dureté du reaganisme des années 1980.

lundi 17 octobre 2011

Les annonceurs (et les diffuseurs) sommés de baisser le son à la télé

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Une victoire pour les antipub ? En tous cas, un coup dur pour les annonceurs. Après trois ans (!) de négociations avec les associations de consommateurs et structures représentant les annonceurs, le CSA vient de publier un avis loin d'être anodin, qui somme les chaînes de télévision de baisser durant les pubs TV. Ou plus exactement, d'aligner leur volume sur celui des programmes TV.

Cela ne vous aura pas échappé, à chaque intermède publicitaire, le volume de votre téléviseur augmente brutalement. Logique, la loi interdisait pourtant aux annonceurs (et aux diffuseurs...) que le volume sonore des pubs dépasse celui des programmes TV. Seulement voilà, les annonceurs avaient tôt fait de contourner cette obligation: "notamment depuis l'avènement du numérique et l'utilisation, par les publicitaires, de la technologie dite de la " compression ". Empruntée à l'industrie musicale, elle permet de gonfler l'intensité sonore sans pour autant augmenter le volume", apprend-t-on dans cet article du Monde.

Là, le CSA a donc décidé de mettre les choses au clair dans cet avis. Bon, pas d'affolement pour les annonceurs, ces mesures prendront effet trèèès progressivement. Les chaînes et annonceurs devront baisser le son à partir du 1er janvier 2012. Ce n'est qu'à partir de 2013 qu'ils seront soumis à cet impératif, que le "son publicitaire" ne dépasse plus celui des autres programmes. Mais mine de rien, d'ici là, les annonceurs devront adapter leurs pubs à cette nouvelle donne, et... réenregistrer les sons de leurs anciens spots.

Au passage, les chaînes sont aussi concernées - même si elles ont semblé se défausser du côté des annonceurs, par leur rôle de diffuseur, elles seront au moins responsables d'un point de vue technique. D'ailleurs, dès le 19 décembre, le son devra être homogène entre les chaînes. Du boulot en perspective pour celles-ci, qui vont devoir reprendre le calibrage sonore de tous les programmes,

mardi 3 mai 2011

Mad Men, photo à la Hitchcock, reflets du machisme (racisme, homophobie...) de l'époque, bouscule le cinéma

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Une ombre en costume qui s'avance dans un bureau, dont les pièces s'éparpillent comme un puzzle, puis chute dans le vide sans fin, entre des gratte-ciels aux reflets d'affiches publicitaires d'époque, sur une musique, version instrumentale de A Beautiful Mine de RJD2.... Le générique d'ouverture, visuellement magnifique et déjà (un peu) glaçant, à l'élégance des génériques de James Bond et des films de Hitchcock (dont Sueurs Froides), on croirait y déceler la patte d'un Saul Bass.

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Mad Men, je l'ai découverte il y a quelques semaines... Episode par épisode, saison par saison, je l'ai savamment dégustée, par petits bouts. Cela faisait longtemps que je voulais écrire quelque chose dessus, ici ou ailleurs, parce que c'est sans doute une des meilleures séries que j'ai vues ces dernières années. Dont la qualité la rapproche dangereusement d'un film cinématographique. Et en la matière, les références ne manquent pas. Les mad men, expression US de la fin des années 50 (néologisme - jeu de mots avec Ad men, littéralement "les hommes de la pub", qui en anticipe d'autres, tels les yuppies des 80s), ce sont ces cadres publicitaires de l'Avenue Madison.

Cette série met donc en scène des publicitaires américains des années 60, en plein dans les années Kennedy, dans une société US opulente, où la population découvre les joies du consumérisme de la consommation... et la publicité qui suscite chez eux de nouveaux besoins.

Pourquoi j'en parle maintenant ? La série, à peine connue en France il y a encore un an (elle est diffusée sur Canal +ainsi que sur TPS Star depuis 2008, la saison 3 sort tout juste en DVD en France), titille gentiment l'industrie du cinéma. Une nouvelle illustration de cette nouvelle génération de séries haut de gamme, qui esquisse leur rapprochement avec des films. La série, créée en 2007, diffusée sur AMC, est déjà bardée de 13 Grammy awards et 4 Golden Globes - une première pour une série diffusée sur une chaîne câblée. Consécration, un des trublions de la diffusion web, Netflix, vient d'en acquérir les droits de diffusion - exclusifs - sur le Web, comme j'en parle dans cette enquête pour Stratégies. Ce qui n'a rien d'anecdotique, puisque grâce à la télévision connectée, dont commencent à s'équiper les foyers, la distribution des contenus issus du Web devient possible.

Bienvenue chez les Mad Men à New York, dans les années 60, sur Madison Avenue, dans la grande agence de publicité fictive Sterling Cooper. Série faussement rétro, absolument pas nostalgique, incroyablement actuelle sur le fond. On y voit donc le quotidien d'une équipe de pubeux : Peggy Olson, Pete Campbell, Roger Sterling... Et avant tout le personnage de Don Draper, interprété par Jon Hamm, directeur créatif de Sterling Cooper et associé de Sterling Cooper Draper Pryce, créatif brillant et manipulateur. Au travers des différents personnages et des évènements, la série dépeint les changements sociaux et moraux qui ont eu lieu aux États-Unis dans les sixties. C'est une de ses forces.

Premier épisode, premier plan: dans un bar chic, musique 50s, travelling avant par-derrière un brun élégant, cheveux gominés, l'air préoccupé. Il sonde le serveur sur sa marque de clopes - des Old God, alors que lui fume des Lucky Strike. Et tente de le convaincre de passer aux Lucky. Long travelling sur la clientèle so schic, au look 60s, de ce bar huppé où tous clopent...

Consumérisme et publicité

C'est bien sûr l'un des thèmes-phares de la série: Mad Men décrit les composantes de la société et de la culture américaine des années 1960 : le tabagisme, l'alcool, le sexisme, l'adultère, l'homophobie, l'antisémitisme, le racisme et l'absence totale de préoccupations envers l'environnement, sont régulièrement abordés dans la série. Minutieusement documentée, sans aucun anachronisme (du moins m'a-t-il semblé, dans mes souvenirs en tant qu'historienne de formation..), la série accentue ainsi les différences entre cette époque et aujourd'hui, lors de la diffusion. Matthew Weiner a d'ailleurs eu pour consultant publicitaire Robert Levinson, qui a travaillé chez BBDO de 1960 à 1980. Dans cette très longue enquête publiée par le NY Times, il souligne: "Ce que Matthew a filmé est tellement réaliste. L'alcool était une pratique courante, le tabagisme était constant, les relations entre les cadres et leurs secrétaires étaient semblables".

Le claquement raffiné d'un briquet qu'on referme ou le tintement des glaçons dans un verre: un des leitmotivs de la série, où le whisky coule à flots dès le matin, et la fumée envahit chaque image. Omniprésent à l'époque, et dans la série, presque tous les personnages sont filmés en train de fumer très souvent tout au long des saisons - inimaginable aujourd'hui... L'épisode pilote annonce la couleur: les gérants de la marque de cigarettes Lucky Strike y embauchent Sterling Cooper pour une nouvelle campagne de pub, suite à un rapport publié dans le magazine féminin Reader's Digest, affirmant que le tabagisme peut entraîner un cancer du poumon. L'argumentaire de l'annonceur Lucky Strike à l'agence est clair: "La manipulation des médias ? C'est pour cela que je vous paie".

Le secteur publicitaire est un métier encore naissant à l'époque, mais les créatifs et commerciaux sont déjà des pros. Les séances de brainstorming et présentations de pitchs autour de campagnes de pubs à des clients sont des occasions rêvées pour nous esquisser un portrait des formes émergentes de consommation - et comment les publicitaires créent de nouveaux besoins les accompagnent. Et répondent ainsi aux attentes de leurs clients, des annonceurs qui souhaitent modeler les attitudes sociales des consommateurs. Les publicitaires sont censés ressentir l'air du temps et anticiper les changements de société pour les faire passer dans leurs campagnes de pub. Une lame de fond rêvée pour la série, dont scénario met constamment en scène des personnages qui ressentent les frémissements du changement - les prémisses de Mai 68... - dans l'industrie de la publicité. Dans Mad Men, la toile de fond du monde publicitaire est le prétexte à une approche didactique des stratégies publicitaires alors conçues, telle la fabrication du consentement.

Un des premiers révélateurs, cette tirade cynique et désabusée de Don Draper sur l'amour, "un slogan publicitaire. "Elle ne veut pas se marier parce qu'elle n'a jamais été amoureuse" - j'ai écrit cela pour vendre des bas le crois L'amour, le vrai, le grand, ce lui qui vous transperce, où vous ne pouvez plus manger, vous fait fuir, ça n'existe pas. Ce que vous appelez amour a été inventé par des gens comme moi pour vendre des bas. On naît et on meurt seul, ce monde vous abreuve de règles pour vous faire oublier cela".

Au fil des épisodes, Mad Men sème des indices sur la "révolution silencieuse" en approche des années 1960 : les problèmes d'anxiété de Betty, la Beat Generation découverte par Don à travers Midge, les remarques sur l'éventuelle dangerosité du tabac sur la santé (le plus souvent ignorées), l'émancipation du peuple noir-américain...

Sans doute un des plus beaux dialogues - remarquablement écrit de la série, ce discours brillant de Don Draper (Saison 1, épisode 13) sur la valeur nostalgique et sur le potentiel commercial du projecteur Kodak - une des premières apparitions du marketing de la nostalgie... Juste pour le plaisir, verbatim, en VO please.

"Nostalgia. It’s delicate, but potent… Teddy told me that in Greek, nostalgia literally means the pain from an old wound. It’s a twinge in your heart, far more powerful than memory alone. This device… isn’t a spaceship, it’s a time machine. It goes backwards, forwards. It takes us to a place where we ache to go again. It’s not called the Wheel. It’s called the Carousel. It lets us travel the way a child travels. Around and around and back home again, to a place where we know we are loved".

Machisme, racisme et homophobie ordinaires...

Si la série peut parfois laisser filtrer une nostalgie pour une époque antérieure, magnifiée (j'en parlerai plus bas), la cruauté, la mobilité sociale et les diverses formes de rejet "ordinaires" de l'époque y sont traitées sans concessions. En réponse au frémissement que promet le discours de Martin Luther King ("il est peut-être un peu trop tôt", commente naturellement Betty Drapper à sa nurse noire en regardant le discours sur son téléviseur), dans Mad Men, les Noirs occupent des fonctions subalternes: serveur de bar, portier, dans l'ascenseur, nurse...

L'homosexualité est taboue à l'époque: le créatif Salvatore découvre son penchant au fil des épisodes, jusqu'au jour où il est ouvertement dragué par un gros client de l'agence (saison 3). Il repousse ses avances. Le client menace alors de quitter Starling Cooper à moins que Salvatore ne soit exclu de sa campagne... Salvatore sera sacrifié, licencié illico - par tactique, Don refusera de croire à ses explications (qui brisent un tabou ?).

... Et prémices fragiles d'émancipation de la femme

Betty Draper

Betty Draper, héroïne hitchcockienne de la série

Les femmes dans la série ? Le développement des divorces, l'égalité des sexes sont aussi une des révolutions silencieuses de l'époque, omniprésentes dans la série. Parallèlement, autre constante de Mad Men, elle dépeint aussi une sous-culture où les hommes mariés s'engagent fréquemment dans des relations extra-conjugales avec d'autres femmes.

Les maîtresses de Don sont des figures de femmes émancipées de l'époque : seules, indépendantes financièrement, telles Midge, créatrice publicitaire indépendante qui travaille chez elle, créatrices d'entreprise, Rachel Menken, repreneuse de la boîte familiale, l'institutrice Suzanne... A contrario, l'émancipation de plusieurs des héroïnes est progressive et fragile. Betty Draper, blonde glacée (grande bourgeoise mère au foyer) épouse de Don, finit certes par demander le divorce, en apprenant ses écarts extra-conjugaux - mais pour se recaser aussitôt avec un notable local.

Peggy Olson, sage et discrète secrétaire de Draper, illustre les espoirs de mobilité et d'émancipation pour une nouvelle génération de femmes. Elle devient concepteur-rédacteur dans l'équipe de ce dernier - une première au sein de l'agence, elle y sera la seule femme à occuper un tel poste. Les portraits des autres salariées révèlent hélas moins de promesses de mobilité sociale : les autres femmes de Starling Coopers sont toutes des secrétaires, sur lesquelles les créatifs exercent à l'occasion un "droit de cuissage", et dont l'objectif secret reste de trouver un mari.

Conseils de Joan Holloway, à la tête du secrétariat de Sterling Cooper, à Peggy Olson, lorsqu'elle arrive comme nouvelle secrétaire: "Suis mes conseils et tu ne commettras pas d'erreurs. Dans quelques années, si tu as une bonne promotion, tu seras en ville comme nous tous. Bien sûr, si tu as une très bonne promotion, tu ne travailleras plus du tout (sous-entendu 'Si tu as le chance de faire un beau mariage'). Munis-toi d'aspirines, compresses, fil, aiguilles. Ils veulent une secrétaire, mais cherchent souvent quelqu'un entre la mère et la bonne". Tout est dit.

Magnétisme hitchcockien

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Du côté photo et montage, Matthew Weiner a collaboré avec le directeur de la photographie Phil Abraham et avec le créateur de décors Dan Bishop, pour développer une style visuel qui serait "davantage influencé par le cinéma que par la télévision". Dans cet immense hommage à Hitchcock, il s'autorise tout: travellings de dos des personnages, gros plans sur un verre, une cigarette ou une main, caméra qui glisse de haut en bas des buildings, dans les pieds des employés franchissant la porte tournante de leur immeuble...

Hitchcock est évidemment omniprésent dans Mad Men, chez les personnages mêmes: une des héroïnes, Betty Drapper, est une blonde glacée à l'élégance un rien surannée, clone de Tippi Heddren, tout comme Don Drapper, dont le charisme rappelle Cary Grant ou James Stewart.

Mode, design: le "rétro-chic", ou comment "Mad Men" remet le passé au présent

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Là je ne vous apprendrai rien, le style fifties, looks de pin-ups aux formes généreuses, avec gaines, serre-taille, lunettes à écailles et jupes-crayons ont fait un retour en force dans la presse féminine, depuis un an en France. Un vintage retour aux sources, teinté de nostalgie (pas forcément bienvenue), symbole de retour aux valeurs sûres à l'ère du jetable... Ce qu'explique Nathalie Azoulay dans Mad Men, un art de vivre (ed. La Martinière), qui paraît le 26 mai.

Après la première saison, le couturier Michael Kors a dédié un défilé entier à la série. Après la troisième, la styliste de la série, Janie Bryant, qui s'est inspirée des collections Brook Brothers des années 60, a aidé la griffe pour hommes à lancer une ligne spéciale Mad Men, écrivait Adèle Smith dans Le Figaro, le 8 février dernier. Dernièrement, Tom Ford, Marc Jacobs, Céline ou Prada se sont réemparés du style rétro-chic (certains parlant de style "néo-bourge").

Ce style des Trente Glorieuses dépoussiéré a un nouveau nom, le style "rétro-chic", avec pour icône la pulpeuse actrice Christina Hendricks, la secrétaire rousse de Man Men. Encore cette semaine, Grazia y consacre 4 pages, avec un focus sur les blitz parties, entre reproductions historiques et soirées underground, ressuscitées à Londres. Chignons crêpés et bas résilles obligatoires pour les femmes, le cha-cha-cha, le twist et le rock'n roll sont les danses obligées.

mercredi 13 octobre 2010

"Les Vivants et les Morts", fresque sociale et révoltée - du retour du récit engagé

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Source image

Un téléfilm français on ne peut plus politique et social, consacré à une usine qui ferme dans le Nord, et aux ouvriers qui luttent pour sauver leur emploi. C'est fou, carrément inimaginable, mais France 2 a eu le cran de programmer cette série de 8 épisodes sur 4 soirées, en prime time. Les Vivants et les Morts, tirée du livre à succès éponyme de Gérard Mordillat, est adaptée ici avec une puissance incroyable. C'est sans doute la première fois que l'on voit débarquer ce genre d'ovni télévisuel sur le petit écran. Et pour la seconde soirée, j'ai encore une fois été scotchée.

Fresque sociale

C'est donc une fresque sociale étalée sur 8 épisodes de 55 minutes - un format télévisuel lui-même incroyablement osé et inédit - où l'on voit Rudi, Lorquin, Hachemi et Dallas, OS du XXIème siècle à la KOS, une usine de fibre plastique condamnée à mort par la volonté des actionnaires capitalisme financier oblige. Face à la fermeture inexorable de l'usine, par étapes successives, les ouvriers vont donc se battre avec l'énergie du désespoir, et se débattre avec des vies persos d'autant plus compliquées.

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Alors oui, France 2 a pris un pari risqué en diffusant ce récit documentaire et exigeant en prime time. L'audience est d'ailleurs moyenne: 2,71 millions de téléspectateurs (soit 10,3% des parts d'audience) pour le second volet, diffusé hier soir, bien loin derrière "Le Mentalist" de TF1 (36,3% des PDA), et même "Des racines et des ailes" (13,7% des PDA) ; et 3,32 millions (12,8% des PDA) pour le premier volet, diffusé le 6 octobre (36,5% des PDA pour "Le Mentalist")

Pourtant, c'est follement émouvant et impliquant, parce que l'on y voit pas de caricatures d'ouvriers et de syndicalistes, mais on ressent une émotion brute, dans ce récit on ne peut plus concret, où l'on est immergé dans les vies de la cinquantaine de personnages - la lycéenne bourgeoise qui tombe amoureuse d'un jeune apprenti, les couples d'ouvriers...

Un récit social engagé et collectif qui n'est jamais dissocié des histoires d'amour, des drames persos, des espoirs brisés. Tout compte, rien n'est dérisoire, la force des sentiments des personnages est mise en avant. Dans ce récit incandescent, les personnages ne sont pas très éloignés des Gavroche et Lantier d'Hugo et de Zola.

La caméra plonge au coeur du combat, des manifs, des occupations, des groupes de femmes solidaires, des négociations ardues entre délégués syndicaux et patrons... Du récit "de terrain", qui passerait presque pour un documentaire. Et m'a vraiment rappelé le journalisme social, le reportage "industriel", où les héros sont ceux qui luttent pour sauver leur emploi.

Une fresque symptomatique d'une "crise (qui) crève l'écran"

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Car ce récit documentaire est diffusé à pic au moment où la situation de l'emploi stagne en France, et où notre tissu industriel se délite en continu. Après les précédents Métaleurop, Continental, Cellatex, sa diffusion s'entrechoque avec l'actualité - dont la fermeture de l'usine Lejaby, à l'occasion de laquelle des ouvrière sont mené une grève de 15 jours pour être licenciées dans des conditions décentes. Ou quand la fiction rejoint la réalité...

Ce récit renvoie bien sûr aux innombrables fermetures d'usines dans des bassins mono-industriels, comme le Nord, où se déroule ce récit - l'usine est implantée dans une ville imaginaire du Nord, Raussel - tellement bien cerné dans ce téléfilm (oui, j'en viens ;). La ville moyenne avec les maisons en brique rouge, où le vrai centre névralgique est l'usine, les demeures bourgeoises des responsables d'usines bien distinctes de celles des ouvriers...

dimanche 19 septembre 2010

TV connectée: c'est (bientôt) parti

C'est un sujet récurrent depuis le début des années 2000. Je me souviens avoir écrit mes premiers papiers sur la "télévision interactive" (comme on disait alors) en 2002 pour ''Les Echos'', puis de nouveau en septembre 2008, où étaient dévoilés les premiers projets de télévision connectée à l'IFA, le salon électronique grand public qui se tient chaque année à Berlin.

Mais cette année, la télé connectée était LE nouveau service qui fait rêver les constructeurs, à côté de la TV 3D. Car la télé hyper-connectée à Internet est une des formes les plus probables - et prometteuses - que revêtira la télévision de demain.

Tous les constructeurs ont leurs TV "connectées"

Le projet de TV connectée de France Télévisions, dévoilé à l'IFA - Photo C. C.

La plupart des constructeurs (LG, Samsung, Sony, Loewe, Philips, Panasonic...) ont dévoilé leurs télés connectées, qui seront commercialisées cet automne, d'ici les fêtes de fin d'année. Du côté des diffuseurs, comme j'en parlais dans mon papier, France Télévisions est lancée à fond sur cette télé du futur. Une équipe dédiée, avec à sa tête Arthur Mayrand, directeur des technologies des nouveaux services, planche dessus à plein temps. D'ailleurs, Arthur Mayrand présentait à l'IFA, sur le stand de LG, une version bêta des services de télévision connectée. Des services basés sur ce qui sera peut-être LA norme de la TV connectée, le standard HbbTV (Hybrid Broadcast Broadband TV), qui vient d’être approuvé par le CSA.

"Hyper-TV" de France 24 sur Google TV au premier trimestre 2011

Cette semaine, c'est France 24 qui dévoilait son projet. Il me l'avait annoncé via Twitter, Michel Levy-Provençal (@mikiane), responsable Internet à France 24, présentait cette semaine au Gartner PPC 2010 à Londres un projet web d’hyper-TV, qui sera d'abord disponible sur Google TV l’an prochain. Le prototype du service sera lancé début 2011, annonce Michel Levy-Provençal, avec une version alpha du service (hâte de pouvoir la tester ^^). Un projet qu'il détaille dans un billet publié ce matin, comme l'a signalé Benoît Raphaël.

Voilà 2 ans que Michel Levy-Provençal planchait avec son équipe chez France 24 sur ce projet, ainsi qu'avec plusieurs sociétés du consortium Quaero - avec notamment les sociétés françaises Exalead et Yakast. D'après ce qu'il décrit sur son blog, leur hyperTV - si le prototype se transforme bien en une version industrialisable - proposera des fonctionnalités telles que vidéo à la demande, indexation sémantique, chapitrage, géolocalisation, sous-titrage, hyperliens vidéos, contrôle du direct…

Ce qui colle parfaitement avec la TV connectée, et les services que l'on a pu voir dans les premières démos à l'IFA.

Dans sa démo telle que présentée à Londres (allez un jeter un oeil à la vidéo ci-dessous, c'est passionnant), Michel Levy-Provencal rappelle que France 24 a d'abord été diffusée sur le web dès 2006, et s'est dotée d'un portail collaboratif dès 2007, The Observers.

La démo est assez bluffante : le JT s'accompagne d'une transcription synchronisée, et d'une timeline horizontale, qui comporte mots-clés (tags), noms cités... par séquences. A la clé également, de la VoD, qui donnera accès à l'ensemble du catalogue de programmes de France 24 en 3 langues. Il sera aussi possible d'accéder à des contenus via une recherche pas mots-clés (les débuts du web sémantique...).

Source: Gartner PPC 2010 / Michel Levy-Provencal (FRANCE 24) / Exalead