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mardi 28 septembre 2021

'Dune' va être diffusé en salles de cinéma... et sur petits écrans aux US (et pourquoi cela fait polémique)

Dune a le potentiel pour devenir le plus grand film de l'année. En France et en Europe, comme attendu, c'est un succès public et critique quasi-unanime: 1,6 millions d'entrées en cumulé à ce jour, une diffusion sur 893 écrans, depuis sa sortie il y a bientôt deux semaines, 13,4 millions de dollars de chiffre d'affaires... Et il totalise déjà 75 millions de dollars au box-office mondial (les 24 pays où il est déjà sorti). Pas mal pour un film au budget de 165 millions de dollars.

Ce n'est pas totalement une surprise pour le film crépusculaire de Denis Villeneuve, nouvelle adaptation du romain-culte de science-fiction de Franck Herbert, un des blockbusters les plus attendus de l'année.

Et pourtant, ce film va sortir dans des conditions particulières aux Etats-Unis, où il sortira seulement le 22 octobre prochain. J'en parlais dans ma bafouille chronique hier soir dans 'Tech & co' sur BFM Business, il va sortir à la fois en salles *et* sur la plateforme de streaming de la Warner, HBO Max, le 22 octobre. Et cela fait déjà polémique, comme le montre une tribune que vient de publier le très influent Variety, la Bible du business à Hollywood.

Pourquoi ? Parce que, que ce soit un succès ou pas au box office, c'est le film «le plus grandiose depuis longtemps, avec les images et les sons qui remplissent l'écran et remplissent les sens», écrit Owen Gleiberman. Et c'est vrai que le film vous transporte sur la planète désertique d'Arrakis, pendant 2 heures et 35 minutes, vous y vivez, vous y êtes. Comme dans Blade Runner 2049, Denis Villeneuve prend son temps pour nous montrer ce désert sableux aux couleurs ocres - tourné en bonne partie dans les déserts de Jordanie et d'Abu Dhabi. Ce film est calibré pour être vu sur très grand écran - au cinéma, donc.

«Pourquoi ce film de pop-corn de science-fiction incroyablement épique, visuellement spectaculaire et unique en son genre sortirait-il le 22 octobre sur un téléviseur près de chez vous ?», s'insurge Owen Gleiberman.

'It's all business, folks

1588861885.jpg, déc. 2020

On connaît la réponse, et elle répond à une logique imparable (ou presque). It's all business, folks. En fait, la Warner Bros, énorme conglomérat détenu par l'opérateur télécom AT&T, possède également HBO Max, le service de streaming où Dune sera mis à la disposition (sans frais supplémentaires) des abonnés. Elle veut faire tout son possible pour mettre son nouveau service de streaming en orbite. Et comme les gens, pendant la majeure partie de l'année dernière, ne pouvaient pas aller au cinéma, il a été décidé, comme je l'expliquais alors dans ce billet, que chacun des films 2021 du studio serait disponible, le jour même de sa sortie en salles, sur HBO Max.

Mais pour Variety, cette stratégie est vouée à l'échec. Un, le film sera moins rentable en sortant à la fois en salles et en streaming vidéo, puisqu'il sera proposé gratuitement aux abonnés HBO Max. Deux, cette sortie 'hybride' réduira l’impact événementiel de la sortie du film, s'il sort aussi sur petits écrans. Rappelons qu'il a été vendu comme *le* nouveau Star Wars ou Le seigneur des anneaux de l'année. En l'occurrence, Le film spectaculaire, à voir au cinéma - c'est l'essence du cinéma depuis 100 ans, de Lawrence d'Arabie à Star Wars, vous allez voir un film à grand spectacle. Trois, toute l'industrie du cinéma table sur le succès de Dune en salles, qui est censé marquer le regain d'intérêt du grand public pour le cinéma - malgré le pass sanitaire et autres aléas. Tenet était supposé être le film qui marquerait le retour en salles, ça n'a pas été le cas.

Au passage, on notera que Disney, qui avait adopté la même stratégie fin 2020, vient de faire marche arrière : il a annoncé le 10 septembre que tous ses films dont la sortie est prévue d'ici la fin de l'année seront désormais *d'abord* diffusés dans les cinémas. Des blockbusters susceptibles de faire (re)venir les foules dans les familles en salles à l'approche des fêtes de fin d'année, tels le film d'animation Encanto, qui sortira sur grand écran le 24 novembre, The Last Duel de Ridley Scott, Eternals des studios Marvel, ou encore le West Side Story de Steven Spielberg. Aux Etats-Unis, ils seront réservés aux salles obscures pendant 45 jours consécutifs au moins avant d’être proposés sur la plateforme de streaming vidéo Disney+.

Il est vrai que, cet été, l'actrice Scarlett Johansson a poursuivi Disney en justice pour avoir sorti en même temps sur Disney+ et au cinéma Black Widow. Une rupture de contrat qui lui aurait coûté des millions de dollars.

vendredi 6 septembre 2019

Disney+ va-t-il enfermer ses abonnés dans sa bulle ?

C'est la rentrée ! Je réouvre, pour l'instant du moins, ce blog. Peu importe si, parait-il, les blogs sont "démodés", pour moi, un média d'écrits est indémodable. Après une année bien remplie par la promo de mon livre sur Netflix & Cie, il m'a semblé utile de revenir sur la guerre des titans qui se profile dans l'audiovisuel. Et ce qui attend les internautes-téléspectateurs-cinéphiles, de bon et de moins bon...

Disney+ va-t-il enfermer ses abonnés dans sa bulle ? Le 12 novembre prochain, Disney lancera sa machine de guerre, son propre service de streaming vidéo, d'abord aux Etats-Unis, au Canada et aux Pays-bas. Disney voit grand: dès le premier jour, il proposera 7 500 épisodes de séries, 500 films, pour 6,99 dollars par mois. Il vise 90 millions de foyers d'ici fin 2024. Il prévoit déjà un milliard de dollars de pertes, pour acquérir et produire des contenus originaux.

Qui peut s'aligner, avec de tels moyens, et un tel catalogue ? En quelques années, l'empire Disney, déjà fort de ses dessins animés (Le Roi Lion, Toy Story, Cars...), et ses films (comme Pirates des Caraïbes...) n'a fait que grossir. Avec l'acquisition de la 21th Century Fox pour 71 milliards de dollars, finalisée en mars, il a à portée de main des milliers de programmes télévisés estampillés Disney: il a dans son escarcelle la 20th Century Fox - le vénérable studio de cinéma fondé en 1931, qui a produit Cléopâtre, Titanic, et Avatar entre autres; les studios Pixar, rachetése 7,4 milliards de dollars en 2006, Lucas Films (les sagas Star Wars, Indiana Jones), rachetée 4 milliards en 2012, les Simpsons, et la licence de super héros Marvel.

En un clic, l'internaute-abonné aura donc accès à l'empire Mickey. A condition de s'abonner. Ce qui s'esquisse, avec Disney+, c'est une plateforme où des milliers de films et séries seront réservés aux seuls abonnés.

La guerre des titans est bien lancée. Comme je le retrace dans mon livre Netflix & cie, les coulisses d'une révolution, en quelques années, un autre ogre américain, Netflix,"pure player" du streaming vidéo, lui, a déjà une longueur d'avance: il a dépensé 12 milliards de dollars en acquisitions et productions pour la seule année 2018. Ironie, jeudi dernier, où j'étais invitée à débattre dans "Le téléphone sonne" sur France Inter (podcast par ici) de la guerre des titans du streaming, Netflix, au départ simple service de location de DVD sur abonnement, fêtait ses 22 années.

Lors du lancement de Disney+, des séries inédites leur seront proposées - en exclusivité.The Mandalorian, nouveau spin-off de Star Wars, écrit par l'auteur d'Iron Man ; la série Obi Wan Kenobi, où Ewan McGregor a accepté de rempiler dans la peau de son personnage ; trois nouvelles séries Marvel, dont The Eternals avec Kit Harington, qui s'est fait connaître dans Game of Thrones... a botte secrète de Disney+, c’est la possibilité de développer un nombre infinis de contenus exclusifs, à partir de ses marques prestigieuses.

Très attendus aussi, les prochains films Disney en salles: l'épisode 9 de Star Wars, L'Ascension de Skywalker, qui sort le 18 décembre; La Reine des Neiges 2, le 22 décembre, Avengers Endgame en décembre...

Or, après leur sortie en salles, ces films seront réservés aux seuls abonnés de la plateforme Disney+. Qui auront par exemple en exclusivité Captain Marvel. On le sait, Disney est en train de retirer progressivement ses contenus de Netflix - dont il est désormais concurrent . Bob Iger avait commencé à déclarer la guerre à Netflix en été 2017, lorsqu'il a annoncé ne pas reconduire son contrat. Sur Netflix, Jessica Jones (3 saisons), Luke Cage ou encore Daredevil (3 saisons) ont fait des cartons d'audience, tout comme Agent of S.H.I.E.L.D. (6 saisons), diffusé sur ABC, entre autres. Tout ce catalogue sera rapatrié sur Disney+ à son lancement le 12 novembre.

Ce qui s'esquisse, c'est que, peu à peu, Disney va réserver ses films et séries, nouveautés ou archives, à ses seuls abonnés. Il faudra être obligatoirement abonné à sa plateforme pour pouvoir les visionner. Dans cette logique, Disney a même annoncé la semaine dernière son intention de ne plus sortir ses prochains films et séries en DVD ! Une révolution. Et une manière d'enfermer ses abonnés dans ses propres contenus.

Disney ne fait que renforcer cette tendance que Netflix a créée. J'ai déjà abordé ici et dans mon livre la polémique qui a opposé à plusieurs reprises Netflix aux organisateurs de festivals de cinéma, dont Cannes: pour Netflix, il est normal de réserver ses productions originales - films, ET séries - à ses seuls abonnés. Et donc de ne pas les sortir en salles (ou très peu).

Roma d'Alfonso Cuaron, le film aux cinq Oscars? Il est sorti dans une poignée de salles à Londres, New York et Los Angeles. Mais seuls les abonnés à Netflix ont pu le voir (directement sur leur téléviseur). LA prochaine superproduction de 3h30 du maître Martin Scorsese, The Irishman? Elle sera proposés directement sur Netflix le 27 novembre. Et peut-être dans quelques salles . Netflix a déboursé au moins 170 millions de dollars pour le produire, il lui semble donc "normal" de le réserver aux abonnés. The Landromat, prochain film de Steven Soderbergh, lui aussi produit par Netflix, présenté il y a quelques jours au festival de Venise, connaîtra le même sort.

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Vous voulez revoir l'intégrale de Friends, série-culte des années 90 qui connaît un retour en grâce inattendu? Elle a effectué son come back sur Netflix, dont elle représentait une bonne part de l'audience. Le 9 juillet, Netflix a annoncé qu'elle disparaîtrait de son catalogue - aux Etats-Unis - dès 2020. Elle a été rachetée par la Warner pour son futur service de streaming vidéo HBO Max. Selon le Hollywood Reporter, Warner a déboursé 85 millions de dollars par an pendant cinq ans pour en obtenir les droits; En clair, à moins de trouver des DVD (ou des cassettes vidéo sur eBay, soyons vintage jusqu'au bout), les Américains devront s'abonner à HBO Max pour (re)voir la série. Pour la France, rien n'est sûr pour l'heure. Pourtant, en décembre dernier, Netflix avait mis 100 millions de dollars sur la table pour garder la sitcom culte - pour un deal non-exclusif, de surcroit.

Et ce n'est que le début. Netflix, Disney, et bientôt Apple avec son propre service de streaming vidéo Apple+, attendu outre-Atlantique en novembre, AT&T-WarnerMedia avec HBO Max, Comcast avec NBCUniversal... Tous ces géants de la tech, pour lancer leurs plateformes concurrents à Netflix, ont eux aussi préparé leurs munitions: tous investissent des milliards de dollars (au moins 12 milliards cette année pour Netflix 7 milliards pour Apple) pour acquérir ou produire des contenus *exclusifs* pour leurs plateformes. L'internaute n'aura d'autre choix de s'abonner à tel ou tel service pour les voir. Sauf à passer par un service de téléchargement ou streaming pirate.

mardi 14 mai 2019

Le Festival de Cannes s'ouvre (presque) sans Netflix

Quentin Tarantino / AFP

D'ici quelques heures, le Festival de Cannes ouvrira ses portes, pour sa 72ème édition. Cette année de nouveau, avec pour point névralgique le Palais des festivals, il offrira son mélange de glamour, de cinéphilie et de business. Les stars hollywoodiennes seront de nouveau au rendez-vous: Jim Jarmush foulera le Tapis rouge ce soir, avec un film de zombies, The dead don't lie, présenté en ouverture. Ces prochains jours, Quentin Tarantino est attendu pour son nouveau film en compétition officielle, Once upon a time... in Hollywood - 25 ans après Pulp Fiction, qui lui avait valu la Palme ! - avec Leonardo di Caprio et Brad Pitt. Antonio Banderas, Pedro Almodovar, Sylvester Stallone, Bill Murray, Margot Robbie, Isabelle Huppert, les frères Dardenne, Adèle Haenel, sont attendus. Comme avant. Ou presque.

Mais les choses ne sont plus tout à fait comme avant. La montée en puissance de Netflix et Amazon, désormais à la fois studios de production, diffuseurs, et mastodontes à plusieurs centaines de milliards de dollars de capitalisation boursière, et le lancement attendu de nouveaux-venus du streaming, tels Disney Plus et WarnerMedia, brouillent les pistes dans l'écosystème de l'entertainment.

Après une polémique sur la présence - ou pas - de Netflix en compétition officielle à Cannes, il y a deux ans, la firme de Los Gatos en est désormais absente pour la deuxième année consécutive. Comme je le raconte en détail dans Netflix & co, Les coulisses d'une (r(évolution, Netflix est absent de la compétition officielle pour la deuxième année consécutive, après l'adoption par le Festival d’un règlement imposant une sortie en salle pour tout film en compétition. «À l’époque, on pensait demander (à Netflix) et obtenir que ces films-là sortent en salles (...). Ils n’en sont pas encore là», pointent les organisateurs du festival, qui résistent à la plateforme de streaming, là où d’autres festivals comme la Mostra de Venise accueillent ses films à bras ouverts comme ''Roma'' d’Alfonso Cuaron. Cannes est le dernier bastion, le dernier festival à rester sur cette ligne, les Oscars et la Mostra de Venise ayant accepté des productions Netflix en compétition officielle.

Nouvelles règles du jeu

Jusqu'à il y a peu, les règles du jeu étaient claires. Les sociétés réalisaient un film calibré pour une sortie en salles, qui connaissait ensuite une seconde vie en DVD, puis en diffusion télévisée. Cela ne fonctionne plus, dans une ère où Netflix passe outre les traditionnelles sorties en salles, et les plateformes de diffusion en streaming remportent des droits de diffusion - mondiaux et tous écrans - qui auraient été attribués, naguère, à un HBO ou un Showtime.

Puis sont arrivées les premières plateformes de streaming, Netflix et Amazon. Elles ont d'abord été perçues par les studios de cinéma comme des vaches à lait. Elles ont surpayé les droits de séries télé confirmées, en dizaines de millions de dollars (comme Friends, pour laquelle Netflix a déboursé 100 millions de dollars fin 2018 pour en conserver les droits cette année). Dans mon livre encore, je racontais comment Netflix avait signé un contrat de 5 ans en 2008 avec Starz (sorte de Canal+ version US) , puis, fin 2012, un accord de licencing pluriannuel avec Disney de 350 millions de dollars par an. un mirifique contrat à 200 millions de dollars avec Marvel Télévisions et…Disney fin 2013.

15 milliards de dollars de productions Netflix en 2019

Puis, les studios ont perçu ces steamers comme des frenemies, ces ennemis indispensables dans le business. Ils apportaient beaucoup d'argent à ces studios, mais disruptaient leurs modèles traditionnels. car eux ont les poches pleines: Netflix a investi entre 8 et 12 milliards l'an dernier en production originales, et pourrait y investir 15 milliards cette année, selon les analystes, cités par Variety.

Depuis 2016, pour enrichir leurs catalogues, Netflix et Amazon font ainsi régulièrement monter les enchères au festival de Sundance. Cette année, Amazon a claqué 50 millions de dollars pour mettre la main sur les droits de films tels que The Report, film dramatique avec Adam Driver et Annette Bening, et Honey Boy, film semi-autobiographique de Shia LeBeouf. Netflix a misé 10 millions de dollars sur Knock Down the House, un documentaire sur les jeunes stars politiques américaines, telle Alexandria Ocasio-Cortez. Les années précédentes, tous deux y ont acquis les droits de films oscarisables, comme Manchester by the Sea pour Amazon, six nominations aux Oscars 2017. Et demain, Apple, Disney, Comcast et WarnerMedia se lanceront aussi dans la course à l'achat de droits de programmes premium pour leurs propres plateformes de streaming, attendues dès cet automne 2019 pour la plupart.

Cannes sur son Aventin ?

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Est-ce que Cannes resterait sur son Aventin ? Pas si sûr: en parallèle au très glamour Festival se tient le Marché du Film, où les sociétés de production viennent des quatre coins du monde pour vendre à des acheteurs des scripts ou des faims, susceptibles d'être au box office demain. Il suffit de longer la Croisette pour voir des affiches géantes de (super)productions, placardées dans la rue ou sur des balcons d'hôtels.

Pour la première fois, le Marché du Film accueillera cette année "Meet the steamers", un événement destiné à connecter les producteurs de films et les plateformes de streaming, selon Hollywood Reporter. Le Festival a sélectionné une vingtaine de plateformes indépendantes, pour des sessions de speed dating d'une vingtaine de minutes. Avec notamment Flimin, Kinoscope, Le Cinéma Club, ou encore Watcha Play. Mais les mastodontes Amazon Studios et Netflix en seront absents - alors que leurs noms sont sur toutes les lèvres. Netflix ne sera même pas présent au Marché du film, selon son service de presse parisien, preuve que la Guerre froide règne encore. Tout juste y aura-t-il une production Netflix présentée cette année à Cannes, le long-métrage Wounds, à la Quinzaine des réalisateurs.

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