Un téléfilm français on ne peut plus politique et social, consacré à une usine qui ferme dans le Nord, et aux ouvriers qui luttent pour sauver leur emploi. C'est fou, carrément inimaginable, mais France 2 a eu le cran de programmer cette série de 8 épisodes sur 4 soirées, en prime time. Les Vivants et les Morts, tirée du livre à succès éponyme de Gérard Mordillat, est adaptée ici avec une puissance incroyable. C'est sans doute la première fois que l'on voit débarquer ce genre d'ovni télévisuel sur le petit écran. Et pour la seconde soirée, j'ai encore une fois été scotchée.
Fresque sociale
C'est donc une fresque sociale étalée sur 8 épisodes de 55 minutes - un
format télévisuel lui-même incroyablement osé et inédit - où l'on voit Rudi,
Lorquin, Hachemi et Dallas, OS du XXIème siècle à la KOS, une usine de fibre
plastique condamnée à mort par la volonté des actionnaires
capitalisme financier oblige. Face à la fermeture inexorable de l'usine, par
étapes successives, les ouvriers vont donc se battre avec l'énergie du
désespoir, et se débattre avec des vies persos d'autant plus compliquées.
Alors oui, France 2 a pris un pari risqué en diffusant ce récit documentaire et exigeant en prime time. L'audience est d'ailleurs moyenne: 2,71 millions de téléspectateurs (soit 10,3% des parts d'audience) pour le second volet, diffusé hier soir, bien loin derrière "Le Mentalist" de TF1 (36,3% des PDA), et même "Des racines et des ailes" (13,7% des PDA) ; et 3,32 millions (12,8% des PDA) pour le premier volet, diffusé le 6 octobre (36,5% des PDA pour "Le Mentalist")
Pourtant, c'est follement émouvant et impliquant, parce que l'on y voit pas de caricatures d'ouvriers et de syndicalistes, mais on ressent une émotion brute, dans ce récit on ne peut plus concret, où l'on est immergé dans les vies de la cinquantaine de personnages - la lycéenne bourgeoise qui tombe amoureuse d'un jeune apprenti, les couples d'ouvriers...
Un récit social engagé et collectif qui n'est jamais dissocié des histoires d'amour, des drames persos, des espoirs brisés. Tout compte, rien n'est dérisoire, la force des sentiments des personnages est mise en avant. Dans ce récit incandescent, les personnages ne sont pas très éloignés des Gavroche et Lantier d'Hugo et de Zola.
La caméra plonge au coeur du combat, des manifs, des occupations, des groupes de femmes solidaires, des négociations ardues entre délégués syndicaux et patrons... Du récit "de terrain", qui passerait presque pour un documentaire. Et m'a vraiment rappelé le journalisme social, le reportage "industriel", où les héros sont ceux qui luttent pour sauver leur emploi.
Une fresque symptomatique d'une "crise (qui) crève l'écran"
Car ce récit documentaire est diffusé à pic au moment où la situation de l'emploi stagne en France, et où notre tissu industriel se délite en continu. Après les précédents Métaleurop, Continental, Cellatex, sa diffusion s'entrechoque avec l'actualité - dont la fermeture de l'usine Lejaby, à l'occasion de laquelle des ouvrière sont mené une grève de 15 jours pour être licenciées dans des conditions décentes. Ou quand la fiction rejoint la réalité...
Ce récit renvoie bien sûr aux innombrables fermetures d'usines dans des bassins mono-industriels, comme le Nord, où se déroule ce récit - l'usine est implantée dans une ville imaginaire du Nord, Raussel - tellement bien cerné dans ce téléfilm (oui, j'en viens ;). La ville moyenne avec les maisons en brique rouge, où le vrai centre névralgique est l'usine, les demeures bourgeoises des responsables d'usines bien distinctes de celles des ouvriers...