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mercredi 27 octobre 2021

Quand les professionnels du cinéma s'inquiètent du projet de Festival Netflix... en salles

pouvoir-du-chien2021082403.jpg, oct. 2021

Pour ma chronik du moment, je ne pouvais pas passer à côté de ce qui risque d'être bien plus qu'une petite polémique picrocholine.

Cette semaine, on apprenait que Netflix lui-même a prévu d'organiser, courant décembre, une poignée de projections événementielles autour de certains de ses longs-métrages. Dans des salles de cinéma. Ce sont même des salles art et essai, des réseaux MK2, Utopia ou encore Lumière de Thierry Frémaux à Lyon, qu'il a approchées, selon la revue spécialisée Le Film Français, qui a révélé l'info.

Ce sont donc des films produits et/ou commandés par Netflix - qui avaient vocation à être diffusés uniquement sur la plateforme - qui y seront projetés. La plupart de ceux programmés seront déjà disponibles sur la plateforme, seuls quelques-uns d'entre eux feront l'objet d'avant-premières, étant véritablement inédits.

Le projet n'est pas encore bouclé qu'il provoque déjà une levée de boucliers chez les syndicats professionnels, notamment du côté des distributeurs et associations de cinéastes, comme l'a relevé BoxOffice Pro.

Dès lundi, le puissant distributeur Le Pacte dénonçait dans un communiqué l'initiative, portée "par des salles de cinéma d’art et essai emblématiques courant décembre".

Mardi, le syndicat des distributeurs indépendants (SDI) et les distributeurs indépendants réunis européens (DIRE) fustigeaient l'initiative dans un communiqué commun, y voyant «une campagne marketing de grande échelle, une bande-annonce promotionnelle géante pour inciter des spectateurs de cinéma à s'abonner à un service payant». Les cinéastes de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID), pour leur part, rappelaient que «Les films de cinéma n’existent que s’ils sont vus dans des salles de cinéma» - vous noterez la définition de ce qu'est un film pour eux, on y reviendra. Ils faisaient référence à l’action symbolique menée le 14 mars dernier par 22 cinémas, qui avaient alors ouvert leurs portes au public pour contester la fermeture prolongée des lieux culturels.

La Fédération nationale des éditeurs de films (FNEF) a ensuite réagi ce mercredi, ainsi que la Fédération nationale des cinémas (FNC), cette dernière estimant que ce projet de “Festival Netflix” «sèmerait clairement la confusion en termes de perception de la chronologie des médias entre les films de cinémas et les productions Netflix pour les spectateurs et les médias».

L'Association Française des cinémas art et essai (AFCAE), dénonce elle aussi ce mercredi la «forte dimension symbolique et politique» de ce 'festival' organisé par Netflix, qui vise à «faire la promotion d’une plate-forme».

Pas faux. Si ce n'est que durant la crise sanitaire, certains producteurs et distributeurs des deux syndicats n'avaient pas hésité à vendre directement des films aux plateformes de streaming - dont Netflix, comme le souligne Le Figaro.

En clair, Netflix démarche actuellement des exploitants de salles de cinéma art et essai pour organiser ce festival, en leur proposant une programmation alléchante, rapporte Libération - des productions Netflix, parfois déjà passées par les grands festivals, telles les premières réalisations des actrices Rebecca Hall et Maggie Gyllenhaal (Clair-Obscur et The Lost Daughter) ; The Hand of God de Paolo Sorrentino, primé à Venise ; la dernière satire d’Adam McKay (avec Leonardo DiCaprio) Don’t Look Up ; ou encore le très attendu le Pouvoir du chien de Jane Campion, prévu sur la plateforme le 1er décembre.

Du Netflix dans les salles de cinéma, ce serait bien une première. Dans l'Hexagone, tout juste avait-on vu Netflix organiser quelques projections événementielles privées pour certaines productions exceptionnelles - comme The Irishman de Martin Scorsese projeté (une fois) à la Cinémathèque de Paris.

Mais ce projet de 'festival Netflix', s'il aboutit, permettrait à la firme de Los Gatos de creuser une brèche, une fois de plus, et de jouer le paradoxe, alors que son fondateur Reed Hastings a toujours dit que les productions Netflix avaient vocation à être réservées exclusivement à ses abonnés.

La question est toujours la même: un film doit-il sortir en salles pour être un *vrai* film, comme l'évoque l'ACID? Et donc, un long métrage diffusé uniquement sur une plateforme de streaming est-il toujours un film?

C'est déjà la question en creux dans le conflit entre Netflix et les organisateurs du festival de Cannes, qui, cette année encore, ont refusé des productions Netflix en compétition officielle (dont les films des Jane Campion et Paolo Sorrentino) tant qu'elles ne sortent pas en salles *dans des conditions normales*.

En outre, ces films de Netflix viendraient de facto concurrencer les films des circuits traditionnels, pour lesquels les entrées reprennent (très) lentement.

Ensuite, un festival de Netflix pourrait de nouveau brouiller le message sur la chronologie des médias, soit les fenêtres de diffusion des films sur les différents supports - alors que les professionnels du secteur discutent actuellement de celle-ci. Mais il faudra bien faire une place dans cette chronologie aux plateformes de streaming comme Netflix puisqu'elles ont désormais des obligations de financement du cinéma.