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dimanche 2 mars 2025

"The Brutalist", une nouvelle expérience de cinéma (et en quoi il casse les codes du film)

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C'est un des films du moment, en train de devenir un des succès de ce début d'année au box office, avec plus de 25 millions de dollars récoltés dans le monde pour à peine 10 millions de budget, malgré sa longueur exigeante (près de 4 heures !) rarissime pour un long métrage hollywoodien. Il est, forcément, calibré pour les Oscars 2025 (qui se tiennent cette nuit !), dont il est un des grands favoris, avec dix nominations. Il n'empêche, ce film-fleuve m'a chavirée ; par sa longueur, son design moderniste, sa musique contemporaine, son hommage absolu à l'architecture, et... son entracte, il casse les codes du cinéma. Voici en quoi.

C'est un film monumental, réalisé par un jeune cinéaste quasi méconnu, Brady Corbet, un film-fleuve, qui couvre trois décennies du destin tant extraordinaire que douloureux d'un architecte juif hongrois, László Tóth (formidable Adrien Brody), qui va vivre son rêve américain à partir de 1947 après avoir été rescapé des camps de la Shoah.

1. Design furieusement moderniste

IMG_8254.jpeg, mar. 2025

Il y a déjà cette ambition esthétique du film, sorte de mise en abyme de l'architecture par sa forme: le générique de début défile à l'horizontale, de gauche à droite, cassant d'emblée les codes du cinéma (qui veut que le générique défile à la verticale), puis le générique de fin en diagonale, dans un noir et blanc dépouillé. Comme une pièce de théâtre, il est très construit: ouverture, deux parties, épilogue.

Et puis, il est tourné en VistaVision, un procédé de prises de vues sur pellicule 35 mm, délaissé ces dernières années, qui fut notamment employé par Hitchcock (Vertigo). Ce qui donne à The Brutalist un grain si particulier. Lors de la séquence d'ouverture, on suit littéralement l'immigrant Laszlo qui arrive à New York à bord d'un immense paquebot, jusqu'à voire le symbole du début du rêve américain, d'en-dessous, la statue de la Liberté.

2. Ode à l'architecture

Le personnage principal, László Tóth, est un architecte de génie, une sommité dans son pays d'origine, passé par la fameuse école du Bauhaus, qui donnera un mouvement artistique avant-gardiste, honni par les nazis. A la fin du film, on le voit consacré comme une star. Le film est aussi une ode à l'architecture, au brutalisme (qui donne son titre au film): la commande gigantesque de son mécène, le milliardaire Van Buren, consistera en un immense ensemble de béton brut censé rassembler une bibliothèque, une église et un gymnase. Dans cette fresque, son personnage imaginaire, starchitecte avant l'heure, semble emprunter à Le Corbusier ou à un Renzo Piano.

3. L'Amérique des 50's, un style, une leçon de mode

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Certains films sont devenus cultes pour leurs costumes, pour leur capacité à capter l'air d'une époque: celle des 50s et des 60s, dans l'ensemble de la filmographie de Hitchcock (les tailleurs - chignons parfaits de ses principaux personnages féminins), ou ceux où jouait Audrey Hepburn (Breakfast at Tiffany’s). Brady Corbet et Kate Forbes, la costumière du long-métrage aux multiples nominations, rejoue l'exercice en retraçant une épopée de la mode de l'époque: la puissance old money de la dynastie familiale Van Buren se reflète dans les choix des vêtements, entre le raffinement des matières soyeuses des robes 50's des femmes, et des détails - les cravates en soie, couleurs saphirs profonds et rouges ardents (et des étoiles pour le patriarche).

4. Entracte !

IMG_8252.jpeg, mar. 2025

Au bout d'1h40, surprise, cette photo vintage nous invite à un entracte bienvenu au milieu du film, qui dure exactement 3h35 (hormis publicités et bandes annonces). En soi, l'instauration de cette coupure, qui était jusque là l'apanage des opéras et pièces de théâtre, bouscule elle aussi le petit monde du cinéma. Avec des difficultés logistiques inédites pour les diffuseurs. Mais la délicieuse impression pour le public, d'assister à un événement, un spectacle que l'on déguste en prenant le temps. Et l'oblige à redonner de son attention à une époque où celle-ci, sollicitée par les multiples écrans et réseaux sociaux, est devenue précieuse. Et pourquoi pas créer là un nouvel usage, alors que depuis quelques années, Hollywood semble apprécier de sortir des films de plus en plus longs...

lundi 7 juin 2021

Amazon fait son entrée au festival de Cannes, après Hollywood

5c92ed6f240000ad064df325.jpeg, juin 2021

Une première, nouvelle preuve des bouleversements à vitesse accélérée que connaît l'industrie du cinéma, malmenée à l'heure de la pandémie.

Amazon fera son entrée dans la prochaine édition du Festival de Cannes, avec un film en compétition, ont annoncé ses organisateurs jeudi dernier. L'heureux élu: le film Annette, qui signe le grand retour du réalisateur franco-américain Leos Carax, neuf ans après la présentation de Holy Motors, et avec Marion Cotillard et Adam Driver en têtes d'affiche. Un musical dont la musique a été écrite et composée par les fondateurs du groupe pop californien Sparks, déjà guetté par les cinéphiles, où Adam Driver jouera un comédien de stand-up, et Marion Cotillard sa femme chanteuse d’opéra.

Mieux, ce film fera l'ouverture du festival de Cannes, le 6 juillet prochain. Décidément, alors que le Festival va rouvrir dans des conditions à peu près normales, après une édition 100% numérique l'an dernier en raison de la pandémie, le tapis rouge est déroulé à son producteur, Amazon Studios. La raison? Le géant du e-commerce, qui a progressivement déployé ses ailes dans la production audiovisuelles et la diffusion via son propre service de streaming vidéo sur abonnement, Amazon Prime Video, lancé en décembre 2016, coche toutes les cases pour figurer en compétition à Cannes, avec sa production: «Amazon accepte que le film soit projeté en salles. Donc Annette est en compétition à Cannes», expliquait jeudi dernier Thierry Frémaux, délégué général du Festival, dans une interview à l'hebdomadaire californien Variety.

Netflix toujours persona non grata

Ce qui n'est pas le cas de Netflix, toute-puissante avec ses 208 millions d'abonnés, qui, selon les organisateurs du Festival, n'accepte toujours pas de jouer les règles du jeu du festival français - soit de sortir son film en salles dans des conditions normales. Pour le festival de Cannes, un film est un 'vrai' film dès lors qu'il sort en salles. «Un film est toujours un travail artistique qui doit être découvert sur grand écran, et nous restons sur ce 'mantra' pour les films en compétition», rappelle-t-il. Et de souligner: il a bien vu que «beaucoup de réalisateurs de talent» ont présenté des films à Cannes par le passé, et travaillent maintenant avec Netflix («qui fait de beaux films»), tels Jane Campion et Paolo Sorrentino - la firme de Los Gatos a fait grand bruit en début d'année en annonçant qu'elle diffuserait 'à titre exclusif' sur sa plateforme leurs prochains films, respectivement Le pouvoir du chien et È stata la mano di Dio.

Or selon cet article du Figaro, Thierry Frémaux a proposé à Netflix de figurer à Cannes avec ces films, mais seulement hors compétition. «Il s’agit d’une fausse main tendue. Proposer un strapontin à l’un des nouveaux argentiers du cinéma mondial relève davantage du camouflet, voire de la gifle.»

Et ce petit scud: «La différence entre Netflix et Amazon est que ce dernier accepte que ses films sortent en salles», précise Thierry Frémaux à Variety.

On en revient au sujet originel du litige entre Cannes et Netflix, depuis la polémique autour des films Okja et The Meyerowitz Stories en mai 2017: comme je le racontais dans mon livre, Netflix & Co: Histoire d'une (r)évolution, Netflix a présenté cette année-là ces deux films en compétition pour la Palme, films qui, même s'ils étaient primés, ne seraient pas projetés dans les salles de cinéma françaises, avait alors annoncé la firme californienne.

Depuis ce clash, les organisateurs du Festival ont fixé une règle depuis 2018 : les films en lice doivent sortir en salles dans des conditions 'normales'. Et non juste dans une poignée de salles (et encore moins aucune ;). Quand bien même certains autres festivals acceptent désormais ces conditions, comme celui de Venise. Il semble donc que le statu quo demeure pour cette année encore. Peut-être au détriment de Cannes, qui se prive donc des productions Netflix - alors que le contexte a évolué. On peut comprendre le point du vue du patron de Netflix, Reed Hastings, qui a toujours dit vouloir proposer des contenus exclusifs - dont des films - à ses abonnés.



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Le cameraman et de l'ingénieur du son enregistrant "Léo le lion" pour le logo de la Metro Goldwyn Mayer en 1928 (Getty Images/Axios)

En tous cas, avec cette présence à Cannes, Amazon remporte une manche. Une autre, après avoir acquis fin mai le grand studio MGM pour 8,45 milliards de dollars (cette acquisition restant certes suspendue à l'accord des régulateurs), ce qui le fait entrer définitivement dans la cour des grands à Hollywood.

Et Amazon est loin d'être perdant. Sa production Annette sortira dans les salles du monde entier à partir du 6 juillet (via UGC Distribution dans l'Hexagone), le jour même de sa première à Cannes. Aux Etats-Unis, il sortira en salles le 6 août, puis sera ensuite proposé à les abonnés (américains) Amazon Prime sur sa plateforme de SVoD Amazon Prime... dès le 20 août, indique notamment Indiewire dans cet article.

'Annette' le 6 juillet en salles... Et le 20 août sur Amazon Prime

Soit un délai de 15 jours entre la sortie en salles et celle sur Amazon Video. Etonnant, non? C'est surtout révélateur du virage en cours à Hollywood. La pandémie ayant entraîné la fermeture forcée des salles de cinéma partout dans le monde - elles rouvrent tout juste - le contexte profite de facto aux diffuseurs que sont les streamers.

Jusqu'à présent, l'usage voulait aux Etats-Unis qu'un délai de 90 jours s'écoule entre la première projection d'un film et sa sortie sur un quelconque format numérique (DVD, vidéo à la demande, etc). Mais les règles du jeu ont changé - le semblant de chronologie des médias version US semble s'effacer. Déjà en juillet 2020, Universal et AMC ont annoncé un accord "pluri-annuel" qui ramenait ce délai minimum à 17 jours.

Puis fin 2020, tour à tour, Warner Bros, Paramount et Disney annonçaient que la période d'exclusivité pour les salles de leurs films ne durerait que 45 jours en 2021, avant que les films ne soient proposés en VoD ou en sVoD, soit la moitié du délai normal de 90 jours.

Déjà Nomadland de la réalisatrice chinoise Chloé Zhao, qui sort en salles en France ce mercredi, une fois primé aux Oscars, est sorti directement sur la plateforme de streaming vidéo Disney+, notamment aux Etats-Unis, dès le 30 avril, soit quatre jours après la cérémonie des Oscars. Décidément, une brèche est ouverte.