Le journalisme de demain, entre news brutes, "chaudron participatif" et info à haute valeur ajoutée?
Par Capucine Cousin le dimanche 17 octobre 2010, 19:24 - Journalisme - Lien permanent
Je suis passée mercredi aux Entretiens de l'information, une journée de réflexion autour de l'évolution du journalisme à l'INA, organisée par Jean-Marie Chrron, sociologue des médias, qui m'y avait gentiment conviée. J'avais envie de revenir sur plusieurs points de vues émis ce jour-là. Vous trouverez aussi un compte-rendu très fidèle chez mon confrère Cyrille Frank (aka @Cyceron) qui, lui, a courageusement assisté à toute la journée de débats :)
Premier sujet abordé, les effets de la crise sur l'organisation du
travail des journalistes. Les symptômes décrits par Olivier Da Lage
(SNJ, ancien président de la Commission de la Carte de presse) étaient loin de
m'être inconnus: avec en particulier le développement des contrats
groupe au détriment des contrats de travail rattachés à un seul titre, si
jamais le titre de presse (« produit ») disparaît
. Un confrère
m'avait raconté, il y a quelques mois, avoir signé un "contrat Hadopi lors de
son embauche, par lequel il s'engageait à signer des articles pour les titres
du groupe de presse qui venait de l'embaucher...
News brutes, chaudron participatif, ou journaux à haute valeur ajoutée
Inévitablement, on en est arrivé à l'évolution des contenus journalistiques
en eux-mêmes. Pour Frédéric Filloux (ex-20 Minutes, co-fondateur de la
newsletter Monday Note), le premier
effet kiss cool de l'économie de l'Internet telle qu'elle s'esquisse, c'est la
disparition (relative) de la notion de droit d'auteur en ligne. Je suis
content quand je vois que le Washington Post me reprend dans ses colonnes...
Mais il y a 20 ans le Washington Post aurait donné un deal, un droit de
reproduction. Maintenant, quand est repris par le Washington Post gratuitement,
on est payé en notoriété
.
Pour lui, trois manières de traiter l'info sur Internet - et donc trois modèles - s'ébauchent :
- le traitement brut de l'info (Commodity
news
), qui est devenue une sorte de matière première,
recueillie avec des moyens électroniques, où la technologie sert l'utilisateur.
Les infos sont mises à disposition sur Internet, sur Twitter, très
rapidement
. On pense par exemple aux photos du crash aérien de
l'Hudson River, au printemps 2009, publiés 18 minutes après sur Twitter, avant
même les agences de presse. Là, c'est l'instantanéité de l'info qui compte.
- Chaudron participatif : le critère premier n'est
plus l'exactitude de l'info, mais la résonance, le buzz, faire réagir
les lecteurs
. Ce qui renvoie bien sûr à nombre de sites d'info grand
public, où l'actu qui fait le buzz - ou mieux, la polémique - devient le fait
du jour à traiter le plus vite possible, car susceptible d'alimenter les clics,
et les commentaires. Et de dézinguer, non sans provoc', le modèle
Huffington Post, et les projet de
HoffPost de gauche ou de droite qui fleurissent en France
. Car si
le succès du HuffPost est certain, dans les faits, c'est un système
de pillage absolu
, avec quelques blogueurs vedettes payés, et 6
000 non rémunérés, mais trop contents d'être repris
. CQFD.
- Mais tout n'est pas perdu, le vrai refuge du journalisme pourrait
résider dans des niches qualitatives mais à audiences très
faibles : ce vers quoi tendent la plupart des journaux. Le New
York Times, le Washington Post... vont sûrement se replier sur un petit segment
raisonnablement profitable
.
On imagine facilement qu'en misant sur leur image de marque, ces médias vont capitaliser sur des sites payants avec de l'info à haute valeur ajoutée accompagnés d'une publication papier (à fréquence plus réduite puisque les quotidiens papier auront inévitablement disparu), le tout destiné à un lectorat âgé, aisé, cultivé. Ou comment l'info de qualité risque de devenir d'autant plus élitiste...
Fin annoncée des médias d'informations généraliste ou recomposition ? Le cas du Télégramme
Question intéressante, un peu fourre-tout... Bien sûr, on pense aux Médiapart et autres Rue89 comme égéries d'un nouveau modèle de médias en ligne, pas encore rentables (et taclés assez sévèrement par Manu Paquette dans L'Express cette semaine).
Mais un média old school comme le quotidien régional breton Le
Télégramme teste, lui,, de nouvelles recettes. Comme le gâteau des
recettes des petites annonces lui a échappé ces dernières années au profit du
Web, qu'à cela ne tienne, il bascule vers d'autres sources de revenus. Avec une
diffusion à 200 000 exemplaires et un fort enracinement local, notre
modèle éco est classique, combinant vente journaux + pub, qui nous génèrent à
peine 1/3 des recettes, voire moins. Mais nous avons connu une stagnation des
revenus pubs et abonnements, et dû basculer vers d'autres sources de
revenus
, précise Hubert Coudurier, patron du Télégramme.
Du coup, il a développé de nouvelles sources de revenus: on organise
des courses comme la Route du Rhum. On a racheté RegionsJob, n°3 dans offres
d'emplois en ligne derrière Monster. Ces diversifications représentent 1/3 des
revenus du groupe
.
Le quotidien régional tente aussi de s'adapter à l'évolution des modes de
consommation, le Journal a basculé sur le Net à partir de 1996, il sera sur
l'iPad via une appli commune ouverte avec d'autres éditeurs de PQR, et va
carrément devenir opérateur mobile dans les semaines à
venir
. Une déclinaison surprenante...
Commentaires
Bonjour.
" - Chaudron participatif : le critère premier n'est plus l'exactitude de l'info, mais la résonance, le buzz, faire réagir les lecteurs. "
On avait remarqué !
Et ça ne date malheureusement pas d'hier, même si cela s'aggrave avec l'apparition du net qui brouille les cartes que se distribuaient jusque là, et sans partage, les médias traditionnels.
d'où :
" - le traitement brut de l'info (Commodity news), qui est devenue une sorte de matière première, recueillie avec des moyens électroniques, où la technologie sert l'utilisateur. Les infos sont mises à disposition sur Internet, sur Twitter, très rapidement. "
... " ou mieux, la polémique - "
... et les journalistes qui vont y chercher et publier des infos. non vérifiées en ignorant la déontologie journalistique.
Finalement, la préoccupation première des médias c'est donc de survivre dans un monde médiatique en pleine révolution, ce qui ne fait que renforcer ma conviction les concernant :
Les médias sont d'abord et avant tout une affaire commerciale.
Ils ne sont pas là pour répandre l'information mais pour nous vendre de l'émotion, ce qui est radicalement autre chose et qui empiète sur le domaine du spectacle cinématographique ou théâtral.
Le souci c'est qu'ils ont la prétention de faire ( ou de nous faire croire ) qu'ils font de l'information.
Il y a manifestement confusion des genres.