Cette semaine, dans le cadre des deux journées de conférences Buzz the brand organisées par le mag Stratégies et l'agence Vanksen, j'ai eu le plaisir de participer à la table ronde sur le thème "Impacts des médias sociaux sur les médias traditionnels", pilotée par François Kermoal, directeur de la rédac' de Stratégies. Le débat fut assez riche, animé... J'avais préparé quelques notes au cas où, je me suis dit que tant qu'à faire, je pouvais en partager avec vous la substantifique moëlle !
Médias sociaux / médias traditionnels : les nouveaux enjeux
- Impact de ces 'nouveaux médias' (en l'occurrence les blogs, les réseaux sociaux tels que Twitter et Facebook). Ce qui me semble essentiel et assez nouveau est que ces 'nouveaux media' changent la chronologie de l'information, et imposent plus de réactivité, de rapidité aux journalistes sous peine d'être dépassés. Dépassés par d'autres médias certes loin d'être toujours aussi légitimes, mais qui, indéniablement, ont habitué le lecteur/internaute à avoir l'info de manière presque instantanée... Du coup, on commence à voir ce phénomène par exemple en presse quotidienne ou en presse hebdo : lorsqu'un journaliste a une info importante, il la sort d'abord sur le site web de son média, sous forme d'un indiscret un d'un article assez bref. Si les délais de décalage avec la parution papier ne sont pas trop importants, il y consacrera un article plus développé, plus léché, dans son journal papier. Les réseaux sociaux impliquent par ailleurs que l'info doit être marketée, donc valorisée, relayée par ces mêmes réseaux sociaux...
Exemple intéressant de ce changement de chronologie, on a vu récemment une journaliste dévoiler un scoop directement sur son fil Twitter. Mi-octobre, un twitt de Fabienne Schmitt de la corres' de la presse annonçait que Martin Bouygues avait convoqué Nonce Paolini et Axel Duroux pour arbitrer leurs conflits. Résultat : l'info a été reprise partout avec citation de son twitt comme source, elle a été interviewée par Canal + et RTL... Et elle s'est vérifiée par la suite, comme on le sait, avec le départ quelque peu précipité d'Axel Duroux cette semaine...
Autre fait, des journalistes commencent à cultiver leur "auto-marketing" (ou personal branding), et du coup émergent hors-rédaction : que ce soit avec leur fil Twitter perso, ou leur blog... Les media sociaux sont d'autant plus bienvenus pour les journalistes indépendants, qui acquièrent ainsi une visibilité plus importante grâce à ces nouvelles vitrines. Dans les rédacs, ces nouvelles vitrines gênent parfois aux entournures certains rédacs chefs, d'autant qu'un journaliste qui blogue a de facto sa propre tribune, il devient en quelque sorte éditorialiste, et peut publier des billets sans le filtre d'un rédacteur en chef...
Mais clairement, quelques journaux prennent en compte ces nouveaux usages, et ouvrent leur propre plateforme de blogs sur leur site web, où les journalistes sont invités à bloguer. Je citerais au premier chef le groupe Express-Roularta (mon employeur donc), avec notamment la plateforme de blogs de L'Express.fr, mais aussi Le Nouvel Obs, Challenges, Les Echos (dans ce dernier cas, ce sont surtout les éditorialistes qui bloguent)...
En revanche, les rédactions commencent à réfléchir, parfois, à des guidelines. Dans mon groupe, j'ai rédigé une ébauche de 'charte des blogs' (destinée aux blogueurs externes et internes). On voit aussi fleurir en ligne des guides, comme ce "Guide de déontologie des médias sociaux pour journalistes" mis en ligne par la journaliste et blogueuse Gina Chen, ou encore les très avisés "22 conseils pour les journalistes à l'heure du web" par Dan Gillmor (auteur de "We are media"), publiés dans le Guardian.
Dans un genre plus extrême, il y a ce précédent du Washington Post, où les journalistes se sont vus édicter des règles très strictes quant à leur utilisation de Twitter (en gros, ils ne doivent pas y émettre d'opinions perso ou politique en tant que membres du journal), parce qu’un des rédacteurs en chef donnait trop son opinion sur son compte Twitter
Comment les médias classiques peuvent intégrer ces médias sociaux dans leur offre (en clair, y a-t-il un business ?)
La table ronde a le plus pêché sur ce point : y a-t-il un business model qui s'esquisse autour de cette dose de médias sociaux à la sauce 2.0 ? Pour ma part, j'ai cité une des nouvelles tentatives, dans la presse éco et financière, avec les aventures Wansquare et LeCrible.fr, que j'évoquais dans ce billet.
De manière générale, je pense que les journaux ont tout intérêt à valoriser leurs contenus et leurs archives, donner à leurs lecteurs la possibilité de les trier de manière personnalisée. Le New York Times a par exemple lancé un outil qui permet au lecteur de trier les articles disponibles en ligne par tags et par mots-clés, et de générer ses flux RSS personnaliséés. Mais le problème est toujours le même : faut-il faire payer ces services ? Le NY Times est peut-être le média qui a le plus innové en ligne avec ce genre d'outils... Mais cette semaine encore, il annonçait 100 départs de journalistes, rappelait Stéphane Zibi (Spread Factory) lors de la table ronde. Dans la même veine, le Financial Times a lancé Newsift, un moteur de recherche sur les entreprises et secteurs d'activités, qui permet de faire remonter ses articles sur une base sémantique.
Autre possibilité à explorer par les journaux, proposer des flux d'informations hyperlocaux : ce que propose le Huffington Post, pais aussi, en France, des titres de PQR tels que Paris-Normandie, ou encore Le Télégramme, comme je l'expliquais dans ce billet.