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jeudi 4 mars 2021

Deep Nostalgia, ce service plus que troublant qui recourt à l'IA pour animer de vieilles photos de famille

Vidéo promotionnelle de MyHeritage

C'est un des derniers services en ligne à la mode, qui circule en boucle sur les réseaux sociaux. de Twitter à LinkedIn, bon nombre d'internautes ont déjà fait joujou avec. Forcément, il est étrange, met un peu mal à l'aise - ce qui le rend furieusement viral. Vous avez sans doute vu, ces derniers jours, sur les réseaux ou un site, une vieille photographie en noir et blanc, une sculpture, un dessin ou un tableau qui prenait étrangement vie dans une courte vidéo, où le personnage esquissait une discrète mimique. Cette image a été transformée grâce à Deep Nostalgia, un nouveau service lancé fin février par le site de généalogie MyHeritage, qui anime des vieilles photographies de famille grâce à une technologie d'intelligence artificielle. C'est un nouvel exemple de comment une manipulation de l'image basée sur l'AI peut devenir de plus en plus mainstream.

Pour y recourir, il suffit de se créer un compte sur le site MyHeritage, d’y télécharger une photographie ou un dessin et d’attendre une trentaine de secondes pour le voir s’animer.

La société derrière ce service gratuit n'a rien d'anodin: la start-up israélienne MyHeritage est spécialisée dans les arbres généalogiques. Elle commercialise, dont sur son site francophone, un kit d’analyse du génome ciblant les particuliers – activité pourtant illégale en France. Son coeur de métier consiste donc à collecter les informations génétiques personnelles de millions d’utilisateurs dans le monde. Précisons que MyHeritage revendique 62 millions d'utilisateurs dans le monde, et 58 millions d'arbres généalogiques dans 42 langues. Et que cette start-up a été rachetée le 24 février par le fonds d'investissements californien Francisco Partners, pour au moins 600 millions de dollars. Avec ce service de photographie animée, elle s'offre aussi un coup de pub à peu de frais.

Pour recourir à ce service Deep Nostalgia, mieux vaut donc éviter d'utiliser des photographies personnelles, de personnages vivants, ou dont les proches vivent encore, s'inscrire sous un pseudo, et utiliser une adresse e-mail dédiée aux services commerciaux ou nébuleux.

Des photographies animées aux deepfakes

Il montre aussi que les techniques de manipulation de l'image, les deepfakes - cette technologie qui permet de «coller» le visage d'une personne d'une image à une autre - deviennent populaires, faciles d'usage, comme en politique, ce que j'expliquais dans ce billet. Or Deep Nostalgia s'avère lui aussi excellent pour animer des traits de visage et des expressions. Mais il peut aussi servir à générer des données pour remplir les «trous» de ce qui peut être vu dans les photos d'origine, créant un certain trouble.

L'argument de MyHeritage est imparable. «Les résultats peuvent être sujets à controverse et il est difficile de rester indifférent à cette technologie. Ce service est destiné à un usage lié à la nostalgie, à ramener des ancêtres aimés à la vie. Notre pilote de vidéos n'inclut pas la voix afin d'éviter tout abus, comme la création de vidéos deepfakes de personnes vivantes», précise la start-up.

Cruise.jpg, mar. 2021

Extrait d'un deepfake de Tom Cruise sur TikTok

Les vidéos générées automatiquement pas Deep Nostalgia ne tromperont ainsi personne, mais d'autres usages de la même technologie peuvent être très difficiles à distinguer de la réalité. Tom Cruise constitue en cela un cas particulier. Le mois dernier, un nouveau compte TikTok baptisé deeptomcruise a engrangé des millions de vues avec une série de vidéos qui sont visiblement des versions deepfakes de l'acteur s'adressant à la caméra. Ces fakes de Tom Cruise sont tellement réalistes que plusieurs programmes destinés à détecter des contenus manipulés, comme Deepware, censé détecter les deepfakes, sont incapables de les détecter.

Jetez-y un œil, c'est extrêmement troublant. Je vous renvoie aussi vers cette très bonne analyse image par image réalisée récemment par Philippe Berry, correspondant aux US pour 20 minutes. Selon lui, derrière cette «performance» se trouverait l’acteur américain Miles Fisher, «qui a régulièrement prouvé par le passé qu’il n’avait pas besoin d’effets spéciaux pour devenir Tom Cruise».

Déjà en 2019, un clip vidéo réalisé par le comédien Bill Hader était devenu viral: il y mettait en scène un faux Tom Cruise dans un show de David Letterman.

samedi 9 novembre 2019

Nancy Burson à Paris Photo : des photos manipulées aux "deepfakes"

morphing.jpg

La galerie italienne Paci est un des stands qui attirait littéralement le regard à Paris Photo, la foire internationale de photographie d'art qui se tenait ce weekend - une expo photo géante, une orgie d'images sous la verrière du Grand Palais, du vintage et du très contemporain, 231 exposants en provenance de 31 pays.

Et il y a donc cette photographie qui nous happe à l'entrée de la galerie Paci, qui a fait la Une du magazine Time en juillet 2018, qui mêle les visages des présidents Donald Trump et Vladimir Poutine, pour créer un nouveau visage dans un habile exercice de morphing. L'exercice visait à démontrer la forte proximité entre les deux présidents, qui venaient de se réunir à Helsinski, en Finlande, sur soupçons de forte implication de la Russie dans la campagne électorale de Trump - "Trump voulait un sommet avec Poutine. Il a obtenu plus que ce qu'il avait négocié", expliquait alors l'éditeur.

C'est là un des travaux les plus marquants de Nancy Burson, une photographe et artiste américaine, née en 1948. Pionnière, elle est connue pour avoir créé dès les années 80 des photographies modifiées par ordinateur, en utilisant les premiers outils numériques de morphing, avec l'aide d'informaticiens du Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston. En somme, à la naissance de la manipulation digitale, dix ans avant Photoshop, elle a défié la vérité photographique avec ces innovations technologiques - à des fins artistiques. Dans ses lointains héritiers, on peut citer le fondateur de #CroisonsLes, @Guillaume TC, qui oeuvre sur Twitter depuis quelques années ;)

A propos de cette cover du Time, dans cette vidéo, elle déclarait l'an dernier "Mon travail a toujours été de permettre aux gens de voir les choses différemment. La combinaison entre deux visages est une autre manière pour les gens de voir ce qu"ils ne pouvaient pas voir avant. Je pense que le meilleur de l'art peut changer la perception des gens dans comment ils voient comment ils sont en tant qu'êtres humains." Elle comptait ainsi faire réfléchir les lecteurs sur les similitudes entre les deux dirigeants.

En plus de l'art de superposer des visages, Nancy Burson a conçu la technologie permettant de vieillir de manière "numérique" des visages, que le FBI utilise maintenant pour aider à identifier des enfants disparus. En concevant dès 1976 un logiciel breveté - "The Method and Apparatus for producing an image of a personn's face at a different age" - permettant de vieillir le visage, elle a donc commencé à produire des portraits générés par ordinateur. Là encore, elle a été en quelque sorte précurseure, de l'inquiétante appli mobile de "vieillissement digital" FaceApp.

De fil en aiguille, ses portraits explorent des thèmes aussi universels que le genre et la sexualité, la beauté, la célébrité, et le pouvoir politique.

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Ici, il s'agit du "First Male Movie Star Composite" (Cary Grant, Jimmy Stewart, Gary Cooper, Clark Gable, Humphrey Bogart), et à droite du "Second Male Movie Star Composite" (Richard Gere, Christopher Reeve, Mel Gibson, Warren Beatty, Robert Redford), où elle a imaginé, en 1984, la movie star "parfaite".

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Ici, travail bien plus politique, "Trump as Five different races (Blak, Asian, Hispanic, Middle Eastern, Indian", créé en 2015.

Avant l'heure, Nancy Burson soulevait la question des "deepfakes", cette nouvelle génération de photos modifiées numériquement destinées à répondre des fake news. Objet d'un prochain billet!