Les "concerts privés": les concerts sont-ils devenus un loisir de luxe ?

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Il y a quelques semaines, j'ai assisté à un concert de PJ Harvey à La Maroquinerie, une petite salle parisienne de quelques centaines de places, très prisée pour la qualité de son acoustique. Joli concert, j'étais à 4 mètres de PJ, que j'écoute depuis 15 ans et ses débuts avec le très énervé et jouissif Dry. Je n'ai pas boudé mon plaisir, malgré l'auditoire un peu froid...

Nous étions une poignée de privilégiés à voir la grande dame trash british, qui mêlait punk-rock et mélodies folk. D'autant plus privilégiés que la lady n'a donné que deux concerts en France ce printemps, à l'occasion de la sortie de son dernier album, Let England shake: l'un, à l'Olympia - tarifs prohibitifs (60 € la place), et l'autre, à La Maroquinerie, auquel j'ai donc eu la chance d'assister en tant qu'invitée... Comme l'ensemble de l'auditoire. Il s'agissait en effet d'un "concert privé", auquel n'assistaient que des invités, et des gagnants à un jeu-concours organisé par les partenaires, Deezer et Arte Live Web. Eh oui! Car ce concert organisé par la plateforme d'écoute de musique à la demande Deezer était réservé aux heureux internautes membres de sa communauté ayant gagné des places via un jeu-concours en ligne - et bien sûr aux habituels invités de ce genre d'événements.

Loisir de luxe

En résumé, outre un concert à prix prohibitif pour le commun des mortels (non-invités donc ;), bien loin derrière les places à 30 € de sa tournée de 2002 - preuve que la star néo-punk s'est embourgeoisée ? - ce concert très privé était la seule alternative. Les concerts seraient-ils devenus un loisir de luxe ?

Ou tout simplement, ce n'est peut-être plus une activité rentable pour les maisons de production... Une étude menée sur quatre ans par le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), publiée cette semaine, montre en effet la galère pour les jeunes artistes à se produire en tournées. Sur 650 demandes d'aide à la production déposées entre 2006 et 2009 (par de jeunes artistes, mais aussi par des musiciens confirmés comme Thomas Dutronc Jean-Louis Murat), l'étude révèle une baisse de 22% de la durée moyenne par projet et un recul de 21% de la fréquentation. Ouch...

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En fait, les "concerts privés" sont un format, une sorte de package de luxe très marketé en plein développement. Terrible révélateur d'une industrie musicale en pleine déconfiture. En recherche de nouvelles recettes. Depuis quelques années, ce nouveau format de concert se fait discrètement sa place dans les grilles de concerts.

Il y a le cas particulier de concerts privés au premier degré - ces cas caricaturaux de chanteurs qui se produisent lors d'anniversaires de milliardaires, payés rubis sur l'ongle, ou qui font des sortes de gigantesques ménages, assurant l'ambiance musicale lors de défilés de mode ou de soirées corporate, comme le cas récent de Sting lors d'une teuf pour la lancement de l'Audi A8 (hélas... tout se perd).

Mais une autre sorte de "concert privé" commence à avoir les faveurs des majors: organisé par une marque, il est destinés à sa seule communauté, formée des gagnants à un jeu-concours en ligne, tirage au sort ou autre. On est bien loin du modèle de concerts simplement sponsorisés par des marques - radios, majors musicales, marques de produits high-tech..

Des concerts qui relèvent autant de l'offre musicale que d'un nouveau package marketing, organisé - certes toujours par des radios et chaînes musicales, mais aussi des marques qui ont plus ou moins à voir avec cet univers : Deezer (le site de streaming musical) et Arte Live Web pour le concert privé de PJ Harvey, la Fnac pour ses Fnac Live (prochain jeu-concours: Moriarty...).

L'occasion de générer des contenus exclusifs, qui seront accessibles en ligne à sa seule communauté: ce que propose SFR sur son portail SFR Live Concerts. Car l'opérateur téléphonique s'est lui aussi engouffré dans la brèche, en ouvrant son Studio SFR et ses showcases en 2008.

Co-branding Société Générale + Universal Music

Pour d'autres, les concerts privés sont un produit d'appel marketing pour attirer la clientèle prisée des djeuns... Jackpot pour la Société Générale, qui s'est associée à Universal Music pour organiser les concerts So Music. C'est en septembre 2008, lorsqu'ils ont lancé une carte bancaire co-brandée (un "nouvel espace publicitaire", comme j'en parlais alors dans ce billet), "So' Music", destinée aux djeuns (important de les fidéliser.. pour qu'ils restent ensuite dans ladite banque), leur offrant entre autres des places de concerts à tarifs réduits... Concerts privés organisés exclusivement pour eux. Une forme de sponsoring d'un nouveau genre, en somme.

Même le charity business s'empare de ce format de micro-show exclusifs. Depuis le 4 avril, plusieurs chanteurs - Raphaël ouvrait le bal au Grand Palais - se sont succédés à des concerts privés réservés aux bénéficiaires d'un tirage au sort parmi des prêteurs (au minimum 20 euros) de MicroWorld, une plateforme de mircrocrédit qui met en relation prêteurs et entrepreneurs.

Commentaires

1. Le vendredi 22 avril 2011, 18:44 par William

60 euros, prohibitif ? Mais pourtant probablement pas rentable ou presque...

2. Le samedi 23 avril 2011, 09:55 par david carzon

Petite réaction juste en passant (sans ma casquette ARTE je précise).
Je pense qu'il faut séparer deux choses bien différentes.
D'un côté, le concert de PJ Harvey entre dans une stratégie de communication globale : un concert unique à Paris le jour de la sortie de son album, capté et diffusé sur ARTE Live Web dans le monde entier et notamment sur le site de l'artiste. C'est un vrai sujet en soi : comment créer l'événement dans le contexte de crise du disque pour vendre un nouvel album et des places de concert ? Mais nous sommes bien face à de la com' grand public qui doit profiter à l'artiste.
De l'autre, les concerts privés, destinés à un nombre restreint de personnes et à une diffusion qui joue sur la rareté: soit pour une communauté, soit pour une marque. C'est aussi un vrai sujet en soi comme tu le détailles. Et là, le seul profit, il est sonnant et trébuchant.
david

3. Le dimanche 24 avril 2011, 13:41 par mat.

Bonjour,
Je me permettrai une réaction totalement excessive, puérile, mais en prise directe avec l'émotion pure que doit refléter la musique, surtout lorsqu'elle se revendique, comme dans le cas de PJ.H (que j'ai adorée, à une certaine époque) d'une certaine esthétique très rock'n'roll : je dirai donc "fuck off!"
Pour faire plus dans le détail : je souhaite une mort douloureuse (mais si possible assez rapide, parce qu'on commence à en avoir mare de les voir agoniser) à tous les mastodontes de "l'industrie musicale". Les majors, les intermédiaires en tout genre, les chaines de télé et les radios plus ou moins web, qui construisent des "buisness plan" et des "modèles économiques". Qu'ils crèvent, tous ! Et qu'ils rendent enfin la musique aux seuls personnes concernées : les artistes et leur public ! A croire que les artistes d'aujourd'hui n'ont toujours rien retenu des leçons des 50 dernières années, du Colonel Parker manipulant Elvis Presley à Johnny Halliday face à Universal... ceux qui essaient de faire de l'argent sur le dos des artistes et de leur public sont les fossoyeurs de la création artistique. Un commentaire également valable pour toutes les formes d'expression artistique, musique, théâtre, littérature, etc etc ...

4. Le dimanche 24 avril 2011, 15:06 par William

C'est beau, le commentaire ci-dessus. Et la guerre, aussi, c'est mal. L'Art, il n'y a que ça de vrai. Vilains, vilains producteurs, éditeurs, galeries de peintures, etc. Vive le frisson (si possible pas cher ou gratuit) (Ah, oui, le droit d'auteur, ce douloureux problème).

5. Le dimanche 24 avril 2011, 20:28 par Capucine

@ david carzon : bien vu, c'est en effet un point que j'aurais pu développer, les concerts privés sont aussi un nouveau format,  une manière de créer une nouvelle forme d'événements - et là la diffusion en direct via Arte Live Web (gratuitement je suppose) permettait de voir le concert en direct depuis le Web...

@mat. :  je comprends ton point de vue, mais inévitablement, la musique est devenue un business, avec des créations à rentabiliser...