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dimanche 11 avril 2010

La BD, autre forme de récit journalistique

Blog brièvement laissé à l'abandon ces derniers jours, pour cause, entre autres, de changement de rédaction, de mise à jour de manuscrit pour la réédition à venir de mon livre, Tout sur le Web 2.0, de (courtes) vacances...

Là, à la lecture de ce très bon billet chez Chacaille, j'ai eu envie d'aborder une forme de récit journalistique (voire de "format") pas tout à fait nouvelle certes, mais riche, en constante évolution : la BD journalistique. Un genre riche, longtemps méconnu, qui permet de mêler l'image sous forme de dessins (voire de photos) et l'écriture, le tout avec une structure narrative qui permet littéralement de raconter une histoire au lecteur.

Certes, à première vue, cette forme de récit journalistique est moins innovante que le web-documentaire, dont j'ai notamment parlé ici. A voir, soit dit en passant, l'excellent nouveau web-doc du Monde interactif sur le sujet très tabou du handicap.

Tintin, les croquis...

Tintin

La bande dessinée liée au journalisme, c'est de l'histoire ancienne. On pense bien sûr au reporter Tintin ;) dont les reportages sont prétextes aux récits bédéesques de Hergé. Dès le début du 20ème siècle, les croquis ou caricatures publiées dans les quotidiens, tel Le Petit Journal, permettaient d'y introduire une dose de BD. Rien de tel qu'un dessin bien affûté pour résumer une actu, un angle. Ce que fait d'ailleurs depuis de nombreuses années Plantu dans Le Monde, par exemple, et bien sûr, les journaux satiriques.

Photojournalisme + BD

Mais depuis quelques années, c'est littéralement le journalisme de bande dessinée qui a pris son envol, et là, c'est excitant et prometteur. Les dessinateurs et auteurs de BD "engagés" ont ouvert le feu ces dernières années, avec par exemple la série Le combat ordinaire de Manu Larcenet, où un photojournaliste, bourré d'incertitudes, monte une expo avec des portraits d'anciens ouvriers d'un chantier naval en train de fermer.

photographe.jpg

Le photographe, Tome 1, Ed. Dupuis

Dans un autre genre, avec sa série intitulée Le photographe, feu Didier Lefèvre a voulu témoigner de la situation en Afghanistan. En fait, c'est lors d'une mission de Médecins sans frontières que Didier Lefèvre, alors jeune photographe, part pour sa épopée photographique, dont il reviendra avec des centaines d’images, des notes et des souvenirs. Il vendra quelques photos à Libération, et l’aventure restera dans ses archives pendant une quinzaine d’années. C'est en s'associant à un dessinateur qu'il lancera cette BD journalistique.

Or là, on est vraiment à la lisière photojournalisme / investigation / récit sous forme de BD. Dans ces trois tomes, les dessins de BD alternent avec les photos, pour mettre en scène cette histoire - et celle des Afghans. L'écriture BD offre de manière assez inédite l'occasion de faire ressortir des émotions (sur les traits des personnages notamment), et de faire oeuvre de pédagogie, avec par exemple des cartes pour résumer la situation géopolitique locale. Mais aussi, et avant tout, de raconter une histoire (ce qu'attendent avant tout les lecteurs...) de manière linéaire, en images et en textes.

DLefebvre.jpg En progression dans les montagnes d'Afghanistan Photo © Didier Lefèvre.

Un genre à la lisière du journalisme d'investigation et du récit photographique, "Une photo racontant l’histoire, transportée par l’émotion tout en respectant la dignité. Notre démarche d’écriture est moins classique: Une approche différente alliant le reportage et le récit avec quelques fois une touche personnelle car nous faisons aussi partie de ce monde que l’on documente", comme le relate le blog photo Alpha Reporter.

A l'heure où l'on parle de la crise de la presse, d'un journalisme d'investigation réduit à minima faute de budget dans les rédactions, cette forme de récit journalistique ouvre des horizons inédits, aussi bien pour la presse écrite que pour la presse en ligne. Finalement pas très éloigné du gonzo journalisme, qui a beaucoup animé les débats sur la Toile dernièrement, ou le "Nouveau journalisme", où le reporter est présent en permanence tout au long du déroulement du récit, au point de se mettre au centre du récit, en utilisant le "Je" dans la narration, et en s'auto-représentant dans les dessins de BD.

En décembre 2005, dans un article de la revue Médias, Jean-Michel Boissier et Hervé Lavergne définissent d'ailleurs ce nouveau genre de BD, Le BD reportage, comme le "comics journalism" ou "graphic journalism". Et ce pour désigner "une nouvelle tribu de reporters qui ont troqué le clavier, l’appareil photo, le micro ou la caméra contre les crayons, les stylos et les encres – surtout noires. Le BD reportage (appelons-le comme ça) a ses héros internationaux : Art Spiegelman, le génie graphique de « Maus », descente hallucinée dans l’enfer des souris déportées et des chats bourreaux d’Auschwitz, et Joe Sacco, Maltais vivant aux Etats-Unis, qui publie avec un grand succès ses reportages puissants et engagés, de la Palestine à la Bosnie".

De même que des journalistes de presse écrite ou de médias audiovisuels commencent à s'associer à des photographes ou des JRI pour monter des web-documentaires, des journalistes-rédacteurs commencent, de plus en plus, à s'associer à des dessinateurs de BD pour monter des BD reportages. Charlie-Hebdo était déjà familier du genre (avec notamment Cabu). Des nouveaux-venus dans les kiosques s'emploient à briser la frontière et BD, notamment l'excellente revue trimestrielle XXI, qui publie,dans chaque numéro, des BD-reportages, qu'elle qualifie aussi de "récits graphiques". Polka Magazine, le trimestriel dédié à la photo lancé par Alain Genestar a lui aussi adopté le BD reportage.

On le sait, XXI cartonne. Car le grand public (certaines CSP, certes), est encore prêt à mettre de l'argent dans un bel objet, un journal/magazine qu'il conservera. Le genre de la BD-reportage s'y rattache parfaitement, transformant d'ailleurs l'actu relatée par ce biais en récit journalistique, intemporel.

dimanche 29 novembre 2009

Le web-documentaire, nouvelle forme de récit journalistique

C'est sans doute un des formats journalistiques les plus prometteurs pour la presse en ligne de demain, et les plus excitants, en terme d'exercice journalistique, pour les journalistes. Le web-documentaire,qui mêle photo (sous forme de portfolio en ligne par exemple), son (audio), vidéo, et bien sûr écrit, voire accompagné d'un blog, est une forme de documentaire, donc de récit journalistique, qui exploite simultanément plusieurs ressources propres au web.

Premiers web-docus, Visa pour l'image...

Le premier, en France, qui avait fait parler de ce nouveau format était LeMonde.fr, avec "Le corps Incarcéré", sur la vie en prison en France. L'idée : on a un documentaire de 15 minutes (une durée très longue pour le web), séquencé par des tags (mots-clés) qui permettent au lecteur-internaute de s'orienter, voire d'aller directement à la séquence qui l'intéresse.

Lecorpsincarcere.JPG "Le corps incarcéré"

Cette année, le web-journalisme a fait une incursion remarquée au festival Visa pour l'image de Perpignan (où "Le corps incarcéré" a été primé : une forme de consécration, qui le situe donc à la lisière du reportage et du photojournalisme. Puis au Festival européen Les 4 écrans, qui se tenait la semaine dernière à Paris, chapeauté par l'agence Capa (dont on imagine bien, comme beaucoup de sociétés de prod' classiques, qu'elle va chercher à se positionner sur ce nouveau créneau).

PrisonValley.JPG "Prison Valley"

Les premiers web-docus ? L'un des plus attendus pour 2010 en France est "Prison Valley", un webdoc dans le couloir de la mort. "Prison Valley", co-produit par Arte.tv et Upian.com, passe au crible l'"industrie carcérale" aux Etats-Unis. Réalisé par les journalistes David Dufresne et Philippe Brault, ce docu multimédia nous entraîne dans les couloirs d'un complexe carcéral du Colorado constitué de 13 prisons, dont Supermax. A la clé, un budget de 200 000 €... et donc similaire à celui d'un docu télé classique. Un site trailer (ici, donc) et une bande-annonce en présentent déjà un avant-goût.

On devrait aussi voir arriver un web-doc sur les 25 ans de Tchernobyl, "Pripyat" (voir le blog dédié), réalisé par Bruno Masi, ancien journaliste de Libération, et le photographe Guillaume Herbaut.

Précédents

Comme le rappelle ce bon papier de L'Express, quelques web-docus ont déjà été tournés. On peut déjà voir aussi "La Cité des mortes", une enquête sur la disparition de femmes à Ciudad Juarez, au Mexique, produit en 2005 (mais pourquoi n'en n'avait-on pas parlé avant ?) par l'agence Upian.com. Outre le docu en ligne, on peut accéder à une carte interactive de Ciudad Juarez, des fiches sur les protagonistes... A signaler aussi, cet autre web-docu du Monde.fr (je suis jalouse de leur avancée dans ce domaine...), "Voyage au bout du charbon", d'Abel Ségrétin et du photographe Samuel Bollendorff (2007), qui porte sur les conditions de travail des gueules noires dans les mines chinoises.

Outre-Atlantique, je porte votre attention sur" In Shadows", un web-documentaire qui se penche sur un sujet délicat, les maladies mentales. Un docu tourné par Chris Carmichael , ancien étudiant en photojournalisme devenu journaliste multimédia complet, qui maîtrise les outils de la vidéo, le son et le web-design. Sur son site, e vous invité à découvrir ses micro-reportages (en anglais). Dont le dernier en date, In Shadows, qui traite des maladies mentales, un sujet lourd qui concerne une famille sur cinq aux Etats-Unis. Le reportage, tourné en Caroline du Nord, montre le supplice des familles concernées par cette maladie face à un système de santé inadapté.

Un modèle économique ?

Le web-documentaire est, à mon sens, un des formats les plus prometteurs pour exercer un journalisme haut de gamme sur la Toile, et proposer des sujets de fond. A l'instar de ce que tente LeMonde.fr, je rêve que l'on puisse proposer un jour, au sein du groupe de presse où je travaille, des docus similaires. Pourquoi ne pas imaginer, en éco, un portrait de boîte, de créateur d'entreprise, ou encore le process d'un produit (de sa fabrication à sa vente) retracés par ce biais ?

Reste la question qui tue : quel business model derrière ? Comme le souligne L'Express, les réalisateurs de ces docus d'un nouveau genre rêvent parfois qu'ils soient ensuite adaptés... pour la télé. Ce qui leur apporterait une visibilité et une audience plus fortes. Certains docus, comme "Prison Valley", bénéficient de subventions du CNC comme pour des docus classiques. C'est un début. Mais ensuite, il faudra forcément greffer de la pub au début ou à la fin de ces web-docus (comme c'est déjà le cas pour les vidéos sur Dailymotion ou de Wat.tv). Ou encore les rendre accessibles selon un modèle payant, à l'unité ou sur abonnement. Mais même pour des contenus interactifs haut de gamme, il n'est pas sûr que l'internaute, déjà (trop) habitué à l'info gratuite, accepte de payer...