Jusqu'où une oeuvre est-elle soluble dans la pub ?

"Quelques gouttes... Ce que tu portais.... Sur ta peau... "Rien d'autre... Sur ma peau..."

Vous avez probablement vu cette pub diffusée en boucle à la télé depuis quelques jours, comme beaucoup de pubs de parfums, à quelques jours de la fête des mères. Mais cela s'entrechoque aussi avec le festival de Cannes. Ça m'a un peu interloquée devant mon écran. En voyant cette pub, je me suis demandée jusqu'où la pub pouvait récupérer une oeuvre ou une icône?

D'essence de Guerlain dans les cheveux...

Dans cette pub pour Shalimar, un des parfums les plus mythiques de Guerlain, en images noire et blanc très cinématographiques, on voit donc Natalia Vodianova mimer une scène qui fait penser au Mépris de Jean-Luc Godard, avec pour fond le morceau Initials BB de Serge Gainsbourg. Un titre qu'il avait écrit lors de son idylle avec Brigitte Bardot. Le sieur Gainsbourg avait déjà largement ouvert la brèche. Dans ce fameux titre, il cite lui-même Shalimar :

Jusques en haut des cuisses Elle est bottée Et c'est comme un calice A sa beauté Elle ne porte rien D'autre qu'un peu D'essence de Guerlain Dans les cheveux ...

Dans cette pub, Guerlain, malin, n'a pas exploité ces paroles. N'empêche, les faits sont là, la marque utilise un titre pour faire revivre son mythe, et recréer une histoire à son parfum. N'empêche, le mélange des genres me froisse, il y a un côté crime de lèse-majesté : la pub a-t-elle le droit de s'emparer d'oeuvres jusqu'à ce point, de récupérer une parole à son profit ? Cela est d'autant plus frappant que Guerlain est une marque qui communique peu : peu de campagnes de pubs, peu de nouveaux parfums (pas besoin), réseau de distribution réduit...

"Et ma bouche, tu l'aimes, ma bouche?"

En fait, Chanel était allé encore plus loin, en 2007, avec cette pub pour son rouge à lèvres Allure, en reprenant carrément LA scène-culte du Mépris et la musique-phare. "Et mes fesses, tu les trouves comment, mes fesses ?" demande BB à Piccoli. "Et ma bouche, tu l'aimes, ma bouche ?" demande Julie Ordon, réincarnation pour Chanel, de cette scène mythique. Est-ce que l'on est dans l'hommage ou la récup' publicitaire ?

Marilyn Monroe détournée

Enfin, dans un autre registre, il y avait eu cette pub récente pour la Citroën DS3 qui mettait en scène Marilyn Monroe... En détournant allègrement des images d'archives pour les mettre en scène dans la pub. Ou comment Marilyn devient (malgré elle) une icône pour une marque de bagnoles.

Elle y exprime sa vision de la nouveauté et de la nostalgie: "Je ne comprends pas pourquoi les gens vivent dans le passé. Ce n'est pas parce qu'on était plus jeunes que c'était mieux. Vous devez inventer vos icônes, votre mode de vie. La nostalgie n'a rien de glamour. Si j'avais une seule chose à dire c'est: vivez votre vie, maintenant". Ce qui permet à Citroën de s'affirmer comme "anti-rétro", et de mettre l’accent sur la nouveauté et l’innovation.

Commentaires

1. Le dimanche 16 mai 2010, 10:48 par Delphine Dumont

Faire parler les morts est un exercice à la fois facile et malhonnête. Je doute que Marilyn Monroe ait jamais recommandé à quiconque de rouler en Citroën, voire qu'elle ait seulement connu la marque mais le constructeur avait déjà recyclé Picasso, il n'était plus à ça près.

L'utilisation d'idoles anciennes semble montrer cruellement l'absence de valeurs solides de notre époque.

2. Le dimanche 16 mai 2010, 11:03 par Capucine

@ Delphine : très juste en effet, je me demande juste comment les ayant-droits de Marilyn Monroe ont pu laisser faire cela... Car là, on est bien au-delà de la simple cession d'archives.

3. Le dimanche 16 mai 2010, 16:50 par [Enikao]

Les morts sont éternels, ça en fait des icônes éternelles.
Fernandel fait actuellement de la publicité pour l'huile d'olive Puget.
Steve McQueen avait été récupéré par Ford. http://www.dailymotion.com/swf/vide...

Gainsbourg était aussi un homme d'image. Il avait lui-même prêté son image pour des marques comme Woolite, Brandt (les costumes), les magasins hi-fi Connexion ou Repetto dont il étaitl'ambassadeur, mais aussi... sa voix sous forme de chansons. Longue liste ici : http://www.gainsbourg.org/vrsn3/htm...

Petit extrait bien eighties avec la pub Gini (et un comédien bien connu) :
http://www.dailymotion.com/swf/vide...

La chanson de Gainsbourg réutilisée par Guerlain est une idée subtile : le couplet qui mentionne la marque ne passe pas dans le spot, charge à chacun de recoller les morceaux. Mais il s'agit bien du morceau d'une œuvre, sans l'altérer. Rejouer une scène de Godard est un peu plus complexe car on est dans un cas de "fair use", c'est aussi un peu moins respectueux.

4. Le dimanche 16 mai 2010, 19:06 par Jean-no

La pub "Marylin" et la pub "John Lennon" de Citroën sont comiques puisque le message est qu'il ne faut pas être nostalgique, mais que ce message nous est dit en jouant sur la nostalgie.
C'est un peu comme si un gouvernement nous parlait de modernité, de réformes, d'audace, tout en jouant sur des valeurs datées de Pétain et sur le temps béni des colonies. Enfin là j'exagère : on ne s'y laisserait évidemment pas prendre.

5. Le dimanche 16 mai 2010, 19:11 par jean

Bonsoir Capucine,
Votre note est une bouchée de pain bénit pour les marketeurs.
Internet favorise la viralité : deux clics suffisent à échanger, enrichir, partager et commenter une information.
Ce rapport à l'objet publicitaire et à la consommation médiatique outrepasse le cadre du web.
De fait, de plus en plus de films publicitaires sont pensés à la sauce web, sans forcément y être diffusés.
Or, les débats, les conversations et le ramdam suscité sont des interactions propres au média internet...
En somme, malgré des passages télévisés, la vidéo se retrouve sur internet et se fait commenter par les internautes.
Finalement, c'est un succès : vous parlez de la marque, nous parlons de la marque.

Achèterons-nous du Shalimar? C'est une autre question.

6. Le lundi 17 mai 2010, 18:28 par Martin

@Capucine : Si je ne me trompe pas, les ayant-droits de Marilyn Monroe n'ont pas leur mot à dire : Elle n'est pas l'auteur de l'interview, elle n'est "que" l'interviewée. En plus, la video doit bien avoir 50 ans (vue qu'elle est morte y a 48 ans) donc j'imagine qu'elle est dans le domaine public. Je me trompe ?