7 ans avec mon iPhone
Par Capucine Cousin le lundi 20 octobre 2014, 22:00 - Culture numérique - Lien permanent
C'était le 27 novembre 2007: les premiers iPhone étaient mis en vente en France. J'ai eu la chance de pouvoir tester, ces premiers jours, un de ces étranges appareils "combinant un téléphone, un baladeur iPod et un terminal internet" (comme on disait à l'époque), sous Edge, et où on pouvait accéder à des contenus et services en effleurant du doigt des applications mobiles.
Quelques mois avant, Steve Jobs présentait l’iPhone à un parterre de journalistes médusés, laissant entendre qu’il allait présenter trois produits différents, un pour naviguer sur le web, un autre pour lire de la musique et un autre pour téléphoner, avant de préciser qu’il parlait bien d'un seul et même appareil : l’iPhone.
Bien sûr, en l'absence d'AppStore, cet iPhone "1" ne pouvait pas encore profiter des jeux ou des applications tierces, et arrivait juste avec les applications que Apple avait pré-installées dessus. Au fil des années, Apple a intégré à ses appareils la 3G, un GPS, une caméra, l'écran Rétina, un programme d'assistance à reconnaissance vocale (Siri), un lecteur d'empreintes digitales...
Mais ce qui est fascinant est que avec ce premier iPhone, il y a (seulement) 7 ans, j'ai découvert peu à peu des nouveaux usages, qui sont déjà entrés dans notre quotidien. Au point qu'on a du mal à se rappeler comment était notre vie "avant". Ca faisait quoi de pouvoir lire ses mails uniquement sur son PC ? C'est devenu tellement naturel. L'iPhone a façonné une multitude de nouveaux comportements. Lui, puis tous les smartphones suivants, ont rendu notre vie réellement numérique, à portée de main, dans notre poche, et plus seulement sur l'ordinateur posé sur le bureau.
Ecran tactile, apps, réseaux sociaux mobiles
L'iPhone était le premier appareil de geeks pour le quidam. Plus besoin de manuel, autant pour la phase de démarrage que pour son utilisation, tant il était intuitif, avec un design d'interface facile à utiliser et rassurant, et joli. L'Apple touch, comme sur les Mac.
Déjà, il y a eu l'écran tactile, grand, tout lisse, sans clavier, où on adresse des commandes non plus en appuyant sur des touches physiques, mais en l'effleurant. Plus de touches pour taper des SMS ou composer un numéro - touches que j'avais connues toute ma vie, du Minitel au PC - mais un "clavier virtuel" qui s'affichait en bas de mon écran. La révolution: en 2007, il n'y avait que quelques start-ups et Microsoft avec sa table tactile Surface qui testaient déjà ce nouveau mode d'interaction avec une machine. La commande tacite, prémisse à la commande gestuelle, puis vocale...
L'iPhone c'était aussi la naissance des applis mobiles, ces petites icônes qui permettaient d'accéder à un contenu ou un service en effleurant l'écran. C'est grâce à elles que l'iPhone est devenu un couteau suisse, avec une multitude de fonctions. Des applis bien plus ergonomiques et légères (y compris en consommation de datas) que les sites web pour mobiles: une aubaine pour tous les médias et marques qui se sont tous mis à créer furieusement leurs "apps" à partir de 2007. Et bien sûr, la pépite pour Apple, c'est son Appstore, et son diabolique système où il prélève une commission de 30% sur les apps payantes vendues.
Mais attention, on est peut-être cool mais (très) prudes chez Apple: pas question d'accepter des apps "pour adultes" dans son univers, comme l'a rappelé Steve Jobs en son temps...
Des applis, par ailleurs, à partir desquelles le mobinaute a pu, peu à peu, faire des m-paiements en ligne, donc directement depuis son smartphone, depuis ses billets de train sur Voyage-Sncf à des vêtements sur Vente-Privée.com.
Avec cet Appstore, la marque à la pomme a pu populariser son autre pépite: iTunes, et un mode d'achat dématérialisé de musique à l'unité, au morceau: des singles numériques en quelques sorte, facturés 99 centimes d'euro par morceau. Car si 'iPod l'avait lancé, c'est bien avec mon iPhone et son iPod intégré que j'ai encore plus pris l'habitude d'écouter - et d'acheter - de la musique directement depuis mon smartphone. Une facilité - là encore sans devoir allumer mon PC - qui m'encourageait à des achats compulsifs de titres et d'albums.
Bien avant les objets connectés, Apple a aussi inventé, avec ces apps, des trackers d'activité qui permettent de récolter une multitude de données sur nos comportements - et nous suivre à la trace. Les marques adorent. Au passage, "Ces apps sont une part de la gamme des trackers d'activité destinés à aider les gens à collecter des datas et informations sur leurs goûts et leurs vies, les analyser, et théoriquement, les changer", rappelle dans cet article le New York Times.
L'autre révolution de l'iPhone, c'est qu'il a rendu les réseaux sociaux mobiles. C'est lorsque Twitter est apparu en version mobile, et surtout avec des "clients" (des apps dédiées), tel Echofon, que l'utilisation de Twitter a explosé. Logique: on pouvait enfin tweeter, retweeter, lire son "fil" de tweets en temps réel - et en permanence. Facebook aussi a connu une seconde vie lorsqu'il a été transposé sur mobile.
Culture du zapping, déconcentration et phubbing
Donc, l'iPhone a façonné une multitude de nouveaux usages, de nouveaux comportements dans notre quotidien. Il a créé le marché du smartphone, cet appareil sur lequel téléphoner est devenu secondaire: avant tout, on a pris l'habitude de surfer sur Internet, de meubler chaque temps d'attente. On s'occupe les mains et l'esprit, on se donne une attitude, comme avec la clope naguère. Regarder ses mails, surfer sur les sites d'actualités, jouer les stalkers à propos de ses connaissances sur Facebook, prendre le pouls de la vie sur Twitter, jouer bêtement au 2048... tout en écoutant de la musique. L'iPhone a généré une foule de micro-activités, qui permet à chacun de se créer sa bulle perso aussi bien dans la file d'attente de la Sécu que dans le métro.
Il a changé mon quotidien. Quand je me réveille - au son du réveil de mon iPhone, bien sûr - premier réflexe, avant de me lever, je regarde machinalement mes derniers mails, et je prends "un shoot de tweets", comme se moquait mon mec. De fait, comme le révélait une récente étude de l'institut Deloitte, 17% des mobinautes utilisent leur téléphone dès leur réveil, et même 27% dans les 15 minutes qui suivent.
Il a changé ma vie (pour le meilleur?) avec une multitude de petits services révolutionnaires, au gré des apps que j'ai téléchargées, depuis mes débuts avec lui: Google Maps pour me repérer dans la rue avant mes rendez-vous, Shazam pour "shazamer" (identifier) un titre de musique en cours de lecture... J'ai pris l'habitude d'être joignable en permanence par appels vocaux, SMS, mails, tweets et notifications diverses.
Mais depuis que j'ai vu, en début d'année, le brillant exercice d'anticipation de Spike Jonze, "Her", où un écrivain esseulé tombe amoureux de son assistant vocal intelligent, je me rends davantage compte de la manière dont j'utilise mon téléphone.
En petit-déjeunant, en regardant la télé, et même en discutant, ou en prenant un verre, j'en viens à le sortir machinalement, et caresser ce nouveau doudou, au risque de faire preuve d'une nouvelle impolitesse de notre ère numérique, le "phubbing", comme j'en parlais ici (je suis d'ailleurs ravie d'avoir inspiré ma consœur du Nouvel Obs ;). Je suis aussi souvent distraite par les multiples vibrations et pings venus de mon iPhone : la faute aux apps dont j'ai activé les systèmes d'alertes: alertes médias, "pings" de notifications de mon nom dans des posts Facebook ou tweets, sans compter les SMS.
Parfois, je sature. Je sens le besoin urgent de déconnecter, alors qu'être injoignable est devenu un luxe, dont pour la nouvelle caste des "déconnectés volontaires". Le smartphone a créé une nouvelle forme de zapping, où on lit des articles plutôt court (adaptés à l'écran du smartphone), et on passe d'appli en sites différents. Encore plus au gré des liens que l'on butine sur les réseaux sociaux. Depuis que je suis utilisatrice (très) régulière de mon smartphone, spontanément, je ferais moins l'"effort" de lire des articles longs ou des livres d'une traite. La concentration sur un temps long n'est plus habituelle, déjà à cause de Google, comme le soulignait déjà en 2008 Nicholas Carr dans son article Is Google Making Us Stupid?
Comme dans "Her", dans les transports en commun, je vois une multitude de gens seuls avec leur smartphone, dont ils fixent l'écran en le "scrollant" (le faisant défiler) à toute vitesse, ou semblent parler tous seuls d'un ton enjoué: souvent parce qu'ils téléphonent avec le mini-casque audio intégré, parfois parce qu'ils utilisent l'assistant vocal Siri. Comme le démontre le New York Times, le smartphone (et les réseaux sociaux), des outils de communication, ont accentué la solitude de leurs utilisateurs.