Et si on faisait bientôt du tourisme virtuel ?
Par Capucine Cousin le dimanche 22 novembre 2020, 12:01 - R&D, innovations - Lien permanent
Carbone & Silicium, Mathieu Bablet
Et si les voyages virtuels devenaient la norme demain? Comme de nouveaux jeux vidéos? J'avais déjà lu cette planche dans la BD Carbone & Silicium (Ankama Editions), saisissante somme dystopique de 260 pages de Mathieu Bablet, qui retrace les voyages aux quatre coins du monde, à travers trois siècles de deux androïdes dotés d'intelligence artificielle, Carbone et Silicium.
Ces prototypes de robots à l’apparence humaine, créés en 2046 dans la Silicon Valley, sont destinés à travailler dans les hôpitaux, ou à s’occuper des gens malades, âgés et mourants. Mais lors d’un voyage en Inde, Silicium parvient à s’échapper, et quand la date d’expiration de Carbone arrive à terme, sa créatrice, Noriko Ito, modifie son code-source pour permettre à son esprit de se transférer dans un autre corps à chaque génération. Durant les trois siècles suivants, et bien qu’ils soient recherchés par la corporation Mekatronic pour avoir enfreint la charte robotique, la route des deux androïdes se croisera à de multiples reprises, et ils deviendront les témoins privilégiés de l’évolution de la race humaine, dont ils sont le reflet.
Dans cette planche donc, le robot Silicium parcourt le temple d'Agra, en Inde, toujours majestueux sous le soleil, mais désert et délabré, où errent quelques indiens à pied ou à vélo, tandis que d'autres se baignent dans le Gange. Il y croise juste un «guide VR», qui porte une étrange antenne circulaire sur le dos - pour les casques de réalité virtuelle.
Dans cette dystopie, qui se déroule dans un futur très lointain, «Je suis payé pour me balader avec cette caméra sur la tête dans les lieux les plus connus, les riches blancs ou les gros chinois voient tout ce que je vois grâce à leur casque, tranquillement assis depuis leur canapé», explique le guide à Silicium. Et d'expliquer: il reçoit des indications sur sa tablette et propose à ses clients des itinéraires à la carte - mais «tous veulent le même parcours autour du Taj Mahal, je répète en boucle le même discours». Et si la réalité rejoignait la fiction?
Par un hasard un peu glaçant, j'ai reçu il y a quelques jours un communiqué de presse d'une «agence de voyages virtuels» (si, si), qui propose, «à l'aide d'un casque de réalité virtuelle, de se "téléporter" et de pouvoir voyager pour vivre un intense moment de liberté et de bien-être sans se déplacer».
Elle passe rapidement sur le fait que le tourisme fait partie des secteurs d'activité mis en difficulté avec la crise sanitaire actuelle liée à la pandémie, mais indique que «ces voyages sont destinés à toutes les personnes qui ont besoin et envie d'évasion, que ce soit dans les Ehpads, résidences seniors, instituts spécialisés dans le handicap, hôpitaux».
Pour un forfait à partir de 99 euros par an, l'agence propose donc un casque en location, garanti un an (aucune précision sur le modèle ou la marque), et un abonnement mensuel pour actualiser «le catalogue de voyages virtuels et d’expériences à 360°», fourni par Agov SAS, jeune agence de production de vidéos immersives à 360°.
C'est encore un peu brouillon, mais les premières démos proposées à la presse sur son site - des vidéos VR de quelques secondes - esquissent une tendance qui pourrait se confirmer. Pourquoi se fatiguer à prendre un avion pour aller à l'autre bout du monde? Connecté à son casque de réalité virtuelle, avachi dans son canapé, on pourra profiter virtuellement des plaisirs propres au voyage: «profiter d'un moment au calme sur une plage paradisiaque, de s'offrir une plongée avec les requins, de se détendre grâce à un exercice de relaxation , de visiter un jardin japonais, de faire un tour sur le village du Vendée Globe, d'assister à un concert privé», vante l'agence.
Déjà des Big Tech ont commence à commercialiser des expériences virtuelles, tels Airbnb, TripAdvisor ou Amazon. Sur Amazon Explore, on peut par exemple payer pour une assister à une séance d’œnologie en Argentine, apprendre à faire des tacos au poisson fumé au Mexique, ou visiter virtuellement le temple Nanzenji de Kyoto.
Plusieurs questions vertigineuses sur l'avenir du tourisme commencent à se poser, avec la pandémie qui a totalement changé la donne pour ce secteur, en moins d'un an, et bouleversé des pratiques qui étaient devenues normales. Est-ce que prendre un vol long courrier sera, demain, encore à la portée du plus grand nombre? Les compagnies aériennes pourront-elles pratiquer les mêmes tarifs que jusqu'à il y a peu? Est-ce que le tourisme de masse existera encore, alors que la concentration humaine en tout lieu est désormais proscrite au nom de la «distanciation sociale»? Avec la pandémie, tout ce qui était devenu acquis est devenu compliqué.
Dans combien de temps pourra-t-on reprendre l'avion dans des conditions presque normales? Alors que plusieurs compagnies aériennes mondiales sont en grande difficulté financière, demain, pour voyager, surtout sur des vols longs courriers, il faudra probablement monter patte blanche, prouver que l'on est «sain» - avec par exemple une sorte de passeport sanitaire numérique, ou un certificat de vaccination sur appli mobile - comme CommonPass - qui prouve que l'on est vacciné et/ou testé négatif au Covid-19.