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dimanche 14 juin 2015

"Implant party": une puce NFC sous la peau

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Awa, première "implantée" / Photo Capucine cousin

Elle a tenu à rester anonyme devant les quelques journalistes venus ce samedi soir, précisant tout juste qu'elle travaille "dans le numérique". Pour elle, se faire poser un plant sous-cutané c'est "expérimenter, comme tester un nouveau logiciel ou une appli mobile. Je pourrai le retirer comme je retirer une appli". Elle s'est portée volontaire sans hésitation. Lors de la courte opération, en quelques secondes sous l’œil du public de l'amphithéâtre, elle n'a pu s'empêcher de dégainer son smartphone et de prendre quelques photos avec sa main droite restée libre. La jeune femme, Awa, 24 ans, a été la première en France a avoir une implantation sous la peau d'une puce NFC. "It's in !Call me a cyborg now ! ", tweetait-elle quelques minutes plus tard, en plaisantant. A moitié.

Samedi 13 juin au soir, l'auditorium de la Gaité Lyrique à Paris, dans le cadre de Futur en Seine, un festival de quatre jours dédié au numérique, accueillait la première édition française de l'Implant Party. Un rassemblement au cours duquel des participants volontaires se sont fait greffer sous la peau des puces électroniques minuscules.

Puce NFC sous la peau

L'opération ne prend que quelques secondes : après une désinfection minutieuse du bras, Urd, perceur professionnel, injecte avec une sorte de grosse seringue une puce NFC de la taille d'un grain de riz. L'injection, sous la peau, se fait sur le dos la main, entre le pouce et l'index. La décision n'a pas été forcément mûrement réfléchie, à voir la foule compacte qui se presse pour se faire "implanter" sitôt la conférence-débat achevée. Tout juste les participants ont-ils signé obligatoirement, auparavant, un "Contrat de transplantation", pièce d'identité à l'appui, par lequel l'association suédoise se dégage, au passage, de tout risque de poursuites en cas d'effets indésirables (j'y reviendrai plus bas). Mais à la clé, il y a cette promesse vertigineuse: une puce qui leur permettra d'ouvrir leur parking, leur porte d'entrée, de se "badger" au bureau, de remplacer les cartes de visite, cartes de fidélité, un jour les cartes d'identité...

Ces fameux implants sont donc des puces NFC (ou puces RFID), comme celles des passeports ou des cartes de crédit ou celles implantées sous la peau de nos animaux de compagnie. Concrètement, la norme NFC (Communication en champ proche), une technologie de communication sans contact de courte portée, permet à deux périphériques de communiquer entre eux sans-fil. La plupart des smartphones dernière génération en sont aujourd'hui équipés sous la forme d'une puce, tout comme certaines cartes de transport ou moyens de paiement.

Alors, vous imaginez les perspectives, à partir du smartphone... Concrètement, il suffira d’approcher sa main d'un smartphone ou de tout appareil doté d'une puce NFC pour lire les données contenues sur sa puce. Sans compter les usages que cela promet avec les objets connectés, pour ceux qui seront aussi sous la norme NFC.

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Les différentes cartes que l'activiste Hannes Sjoblad a concentrées sur sa puce sous-cutanée.

A l'origine du projet, Bionyfiken. L'association suédoise a été créée en ligne l'année dernière, "par un groupe de personnes intéressées par le biohacking. Nous nous sommes inspirés d'initiatives comme La Paillaise à Paris et BioCurious en Californie. Nous comptons à peu près 200 membres", me précisait samedi Hannes Sjoblad, son fondateur, lors d'une interview.

Des "implant parties" qui se sont multipliées en Suède depuis octobre dernier, un peu à la manière des Botox parties qui ont fleuri en Floride au début des années 2000. L'association revendique avoir "implanté" 700 personnes en Suède. Ils en ont organisé aussi au Danemark, aux Etats-Unis, et au Mexique.

Pour les activistes suédois à l'origine de cette soirée particulière, un impératif : dédramatiser, banaliser cette pratique. "C'est dans la lignée du tatouage, qui existe depuis des millénaires, et permettait d'identifier des personnes, et du piercing. (..) La puce RFID combinée au piercing aboutit au biohacking", résume Hannes Sjoblad lors de la conférence-débat qui suit la première implantation publique.

"On transporte beaucoup de choses dans nos poches: clés, smartphone, portefeuille... Et on a une multitude de mots de passe que l'on n'est pas adaptés à mémoriser", poursuit Hannes Sjoblad. Avec cette photo, il montre la multitude de cartes (de visites, de fidélité..) et clés qu'il a déjà intégrées dans sa propre puce sous-cutanée.

Et là surgit le mythe : ouvrir sa porte, prendre le métro, déverrouiller son téléphone, s'identifier à l'entrée du bureau, faire un paiement, transférer ses datas santé ou d'identité... Le tout centralisé dans une seule puce électronique implantée dans sa main : est-ce que cela sera bientôt possible ? Jean, architecte informatique, tout juste "implanté", programme déjà sa puce depuis son smartphone: il rentre l'identifiant unique (une suite de chiffres) de sa puce, son adresse, qui permettra à quiconque scanner sa puce d'être redirigé vers son profil Linkedin. Pour lui, l'idée est de pouvoir communiquer avec des objets différemment, être "un explorateur", explique-t-il aux médias sur place. Lui aussi rêve de pouvoir "scanner des clés ou des cartes de visite" avec son mobile.

De fait, l'objectif pour l'association est de faire tester, expérimenter ces puces sous-cutanées. "On veut explorer cette technologie, avec une base de volontaires, avant que les grosses firmes "telles que Microsoft ou Apple) ne se lancent", précise Hannes Sjoblad.

Autre argument des tenants de cette technologie, ses données sont anonymisées et non-traçables, contrairement à celles d'un smartphone : "on met les données que l'on veut sur sa puce, et l'on n'est pas obligés de mettre son nom", poursuit le militant.

Interfaces hommes-machines, dépasser les limites de l'humain

Alors évidemment, on effleure là le mythe de l'homme augmenté, que j'évoquais notamment ici, qui acquiert de nouveaux sens, de nouvelles capacités, par des composants artificiels. Ses prémices ? "L'implant est une interface simple entre le corps et la technologie. (...) Cela s'inscrit dans la simplification des interfaces entre les humains et les machines", poursuit Hannes Sjoblad, qui est par ailleurs membre de la Singularity University, proche des idées du transhumanisme.

Cela se rapproche aussi du biohacking et du body hacking, qui consiste à transformer le corps humain en faisant appel à la technologie, grâce à des composants artificiels que l'on implante dans le corps, que pratiquent des bidouilleurs militants d'un nouveau genre. Ce dont parlait très bien Cyril Fiévet dans Body hacking (ed. Fyp, 2012), que je chroniquais dans ce billet. Une pratique presque politique : au nom de la liberté individuelle et du droit à disposer de son corps, une poignée d'individus entreprennent sur leur corps des modifications physiques parfois radicales. Passant outre, du même coup, l'intermédiaire classique, l'autorité scientifique. Pour ces body hackers, l'idée-clé est bien celle de modifier son corps pour dépasser les limites de l'humain, comme Cyril Fievet l'a relevé à longueur de témoignages sur le forum Biohack.me.

Ethique et transhumanisme

D’ailleurs, les biohackers mêlent "des scientifiques, des hackers, des activistes transgenre, des artistes du body art, des DIY-enthusiasts. Pour moi, nous devrions considérer cos corps comme une plateforme. Cela peut sûrement être vu comme un point de départ transhumaniste. Le transhumanisme est pour moi moins une philosophie qu'un insight : bien ou pas, nous changeons déjà nos corps et nos esprits de manière massive avec les technologies", me confiait Hannes Sjoblad.

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Contrat d'implantation / Capucine Cousin

Mais cette pratique naissante pose plusieurs questions inédites d'éthique et de sécurité. Quelle régulation? Quelles limites poser à ces pratiques? Et en termes de santé, quid des risques d'allergie (cf les nombreux cas d'allergies aux boucles d'oreille fantaisie chez les femmes), de réactions sous-cutanées, de rejet?... Avant l'"implant party", les participants aux festivités ne doivent pas dégainer leur carnet de santé ou leurs antécédents de santé. Tout juste, pour se dégager de risques juridiques, l'association Body R-Evolution a monté un "contrat d'implantation", dont plusieurs parties rassemblent à celle d'un contrat de tatouage ou de piercing.

En le lisant dans les détails, on constate que le futur implanté confirme "avoir été informé des risques éventuels de rejet de l'implant, d'infection, d'allergie à un produit utilisé, etc". Il est censé se rendre "chez un professionnel" (un des pierceurs qui l'a implanté) pour le suivi de la cicatrisation, et bien sûr "être d'accord avec la démarche de l'implantation dans son ensemble"''.

Pour retirer son implant, il pourra se rendre chez un pierceur. Le pierceur Urd me montrait qu'il reste en effet à la surface de la peau, en faisant rouler sa minuscule puce sous la peau sur son poignet.

Ce n'est que le début. L'association suédoise inaugurait il y a quelques jours dans le Makerspace de Stockholm son biohackerlab.

jeudi 28 juin 2012

Le "body hacking", les prémisses de l'humain "augmenté" ?

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Une étrange discipline, à la croisée du hacking et du transhumanisme, qui consiste à transformer le corps humain en faisant appel à la technologie, en implantant dans le corps des composants artificiels: puce RFID, puce magnétique, caméra dans l'oeil... Bienvenue dans l'univers du "body hacking", où une poignée d'individus poussent la logique de liberté individuelle jusqu'à entreprendre sur leur corps des modifications physiques parfois radicales. Passant outre, du même coup, l'intermédiaire classique, l'autorité scientifique, qui cherche depuis quelques années à tirer parti du numérique, de l'électronique et de la robotique pour améliorer le quotidien de patients souffrant de pathologies sévères.

Le livre de Cyril Fiévet, journaliste et auteur (li fut entre autres de l'aventure de l'éphémère revue Pointblog au début des années 2000, pour ceux qui se souviennent...) , Body hacking (ed. FYP, 20 €), qui tient en 158 pages, est un condensé de cette tendance (culture?) naissante, où des individus "pirates du corps humain" mènent des expérimentations radicales (parfois dangereuses), dans une nouvelle forme de déclinaison du hacking et de transhumanisme, sur lequel j'ai écrit à plusieurs reprises ici (comme dans ce billet). Les divers témoignages de "body hackers" recueillis par l'auteur à travers leurs blogs et forums de discussion donnent un ensemble passionnant, sur plusieurs types d'expérimentations menées.

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Il ne s'agit nullement, ici, de présenter un récit de science-fiction : le livre nous laisse juste entrevoir des pratiques futures, de manières dont des individus pourront "augmenter" leurs corps de nouvelles fonctionnalités, avec des implants artificiels. Pour développer de nouveaux sens, augmenter les capacités humaines, parer à des handicaps ou déficiences (de la vue par exemple).... Et donc améliorer l'homme en en dépassant les limites fixées par la nature. Avec le spectre, pour les plus radicaux (ie les transhumanistes) de prolonger la durée de la vie. Vertigineux.... Le tout à l'aide rarement de la recherche scientifique traditionnelle ou des médecins, mais - c'est là une des ruptures induites par Internet - souvent par des "bidouillages" par des individus ayant eux-mêmes une expertise technologique plus ou moins importante, mais qui échangent avec d'autres individus qui ont le même centre d'intérêt.

Bien vu, Cyril Fiévet commence son ouvrage en citant les formes les plus répandues de "body hacking" - que beaucoup pratiquent ainsi déjà sans le savoir - le tatouage, le piercing, les scarifications, voire la chirurgie esthétique, qui ont pour point commun de s'être popularisées ces dernières années. Où l'on apprend que 40% des Américains de 26 à 40 ans sont tatoués, et 20% des Français sur la même tranche d'âge...Cette "génération Y" (l'auteur les qualifie de "Millennials") qui a grandi avec les ordinateurs, les jeux vidéos, les réseaux sociaux et Internet, où "tatouages et piercings feraient partie de leur culture décomplexée, où chacun affiche et revendique des signes distinctifs". Précisément, une génération "fin de siècle" qui a baigné dans les comics de super héros, la littérature cyberpunk et manga, les jeux vidéos, les films de science-fiction peuplés de cyborgs... Et n'est donc pas totalement insensible à cette idée d'"augmentation" par la technologie.

LA nouveauté, c'est donc que le hacking - cet art du bidouillage et du partage d'expériences né chez des informaticiens débrouillards et rebelles, comme évoqué dans ce billet - se transpose dans le domaine des sciences et de la biologie. Avec les débuts du DIY Biology ou body hacking , avec ses premières communautés, comme DIYbio.org, l'espace libre et non-lucratif Genspace, ou encore Biocurious, un "hackerspace dédié aux biotechnologies".

Voilà pour les initiatives "officielles". Mais l'auteur se penche surtout sur des initiatives individuelles, nées de chercheurs ou de particuliers (très) radicaux. Il revient ainsi sur les premiers exemples - souvent assez connus - d'implants corporels de puces RFID, comme par Kevin Warvick, professeur de cybernétique (avec des visées scientifiques), ou encore un entrepreneur américain, Amal Graafstra, avec des visées plus pratiques (ie être reconnu par la porte de son domicile, sa moto ou sa voiture !).

Mais il y a des démarches de body hacking plus radicales. Comme les implants magnétiques, ces pièces de métal introduites sous la chair relayée par le magazine BMEZine, dont l'implantation vise clairement à acquérir de nouvelles sensations, un "sixième sens", du fait que l'implant magnétique (qui est un aimant) réagit aux ondes et aux champs électromagnétiques, émises par divers objets (réveil, téléphone portable, chargeur électrique...). Et permet donc de percevoir physiquement des ondes invisibles, même au toucher, comme le montrent les témoignages assez fascinants. Certains imaginent même des dispositifs permettant de faire ressentir à celui qui le porte la direction du nord électromagnétique, comme dans le projet North Paw.

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On est bien là dans cette perspective de l'humain "augmenté", qui acquiert de nouveaux sens, de nouvelles capacités, par des composants artificiels. Ce qui passe aussi par des projets impliquant des caméras ou webcams ajoutées au corps humain, parois avec des visées scientifiques (comme dans le projet 3rdi), ou encore l'ajout de ^prothèses, souvent pour combler un handicap physique, mais qui devient très bien assumé par son porteur (comme pour la top model / égérie de L'Oréal / sportive Aimee Mullins).

Pour les fans de Terminator et de Mission impossible 3 (avec la fameuse lentille de contact qui offre une vision "augmentée"...), la société Innovega a dévoilé le prototype de iOptic, où un projecteur associé à des lentilles de contact offre un effet de vision en "réalité augmentée" à son porteur.

Expérimentations de quelques doux dingues? Oui, mais cette idée d'interfaces hommes-machines, de produits destinés au grand public qui visent à interagir étroitement avec le corps humain, apparaissent déjà. Et l'auteur d'évoquer le casque audio MindWave de Neurosky, qui lit les "états mentaux" de son porteur, un appareil commercialisé par la société Emotiv, qui , porté sur la tête, permet de décoder les influx électriques du cerveau,et même des applications qui permettent de déchiffrer l'état émotionnel de l'utilisateur ! Ou encore iBrain de NeuroVirgil, qui réalise un encéphalogramme complet durant le sommeil...

Ce sont là les prémisses du quantified self (voir ce papier du Figaro), un business naissant porté par des joujoux appareils électroniques ((basés sur des capteurs) destinés à mesurer et influer sur le fonctionnement du corps humain, couplés à des applications mobiles ou services en ligne. Une forme de body hacking donc, là encore sans les intermédiaires traditionnels (médecins, cliniques, etc), même s'il n'y a pas l'idée ici de modification corporelle.

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Car pour les body hackers, l'idée-clé est bien celle de modifier son corps pour dépasser les limites de l'humain, comme Cyril Fievet l'a relevé à longueur de témoignages sur le forum Biohack.me, qui rassemble "une bonne part de la branche "dure" des body hackers", ou encore avec le témoignage de la transhumaniste Lepht Anonym sur son blog. Reste une question vertigineuse esquissée dans cet article de Fast Company, et à la fin de livre : et si, à l'avenir, certains étaient tentés d’abandonner leurs membres et organes biologiques au profit de machines sophistiquées, plus performantes ?