#deletefacebook. En quinze jours, c'est devenu un des
hashtags les plus populaires. Pour beaucoup d'internautes, ça y est, "il est
temps de partir", en suivant le conseil d'une poignée de gourous de la Silicon
Valley, tel Brian Acton, le co-fondateur de WhatsApp, qui publiait la semaine
drnière sur Twitter "Il est temps. #deletefacebook."
Pourtant, l'automne dernier, la Silicon Valley bruissait de mille rumeurs
quant à une possible candidature de Mark Zuckerberg à la présidence des
Etats-Unis en 2020. Rien de moins. Aujourd'hui, le fondateur de Facebook
bataille pour prouver qu'il est capable de diriger une des plus importantes
sociétés cotées en Bourse - ou que ses 2,1 milliards d'utilisateurs dans le
monde doivent continuer à faire confiance à son entreprise. Avec l'affaire
Cambridge Analytica, selon laquelle une société britannique ayant activement
participé à la campagne électorale de Donald Trump a tranquillement récupéré
les données de 50 millions d'utilisateurs de Facebook (voire 87 millions, aux
dernières nouvelles, à voir la fin de ce
billet publié par Facebook)) par des moyens suspects, le réseau social est
plongé dans une crise de confiance sans précédent. Y compris chez les
investisseurs: en quelques jours, il a perdu près de 10% de sa valeur en
bourse
Abandonnistes
Alors, ce n'est pas la première fois: il y a eu des précédents, comme en
2010, lorsque la création du service de géolocalisation par Facebook, Places, a
fait polémique. Certes, il y avait eu un mouvement d'abandonnistes de Facebook
qui avait émergé. et des sites alternatifs, tels Diaspora (ce
site "anti-Facebook, "plus respectueux de la vie privée" lancé
en 2010), Places (oui, il existe toujours), Ello, ou
Mastodon,
né l'an dernier), vite oubliés depuis.
Cette fois-ci, la flambée serait-elle assez importante pour en amener
certains à quitter totalement Facebook ? Déjà ces derniers mois, il y a eu
les débats sur la propagande et les fake news, face auxquels facebook semblait
bien silencieux. Maintenant, les consommateurs prennent conscience des risques
qu'il y a à livrer leurs données à un géant du numérique OU une controverse de
plus qui montre que leur réseau social préféré laisse d'autres recueillir leurs
données personnelles, et viole - peut-etre - leur vie privée.
Non non, bon nombre d'entre eux, d'entre nous se réconcilieront avec
Facebook, et y retourneront, comme nous l'avons fait lors des flambées
précédentes. Même si, c'est promis, il prendra toutes les précautions. En dix
ans - une éternité - depuis la popularisation de Facebook dans l'Hexagone, à
l'automne 2007 - nous avons développé une étrange relation avec ce réseau
social, tiraillés entre une dépendance (affective) absolue et un rejet, qui
nous rend accros. Tout en sachant que ce n'est pas bon pour nous, comme la
clope, le chocolat ou d'autres sources d'addictions.
Comme d'autres médias, tels la télévision ou la radio, le média Facebook
s'attache notre dépendance par les gratifications qu'il apporte - illusion
d'une compagnie, multiplicité d'informations à picorer, relaxation.... Mais
Facebook a été le premier média "social", à fournir des outils et méthodes clés
en main d'une efficacité diabolique, pour développer notre "sociabilité" (ou
popularité) numérique. Et donc nous rendre inéluctablement accros. En
reproduisant des schémas psychologiques classiques.
Maintenir son réseau
De façon plus informelle que Linkedin, plus interactive que feu hi5,
lorsqu'il est apparu en France en 2007, Facebook était une des premières
plateformes qui permettait de se créer un réseau social informel, où des petits
outils créaient des interactions, pour renforcer nos liens (virtuels) avec nos
"amis" numériques. Le fait de cliquer sur le bouton "J'aime" (un pouce en
l'air, comme dans les arènes de gladiateurs jadis), de commenter des photos
d'amis (ah, l'époque où le moindre contact sur Facebook postait ses photos de
famille ou d'enfants), de les identifier (les "tagger") dans des photos de
soirées, ou envoyer des "pokes" (une de ces pratiques sociales propres à
Facebook tombée en désuétude) permettait d'amplifier ce fragile "lien social"
virtuel créé. Des contacts bien éphémères, de minuscules marques d'intérêt
envers des "contacts" Facebook que l'on connaissait parfois à peine dans la
vraie vie (IRL).
Et plus incroyable encore, il offrait enfin l'opportunité de tisser une
multitude de liens, d'avoir des brassées de nouveaux "amis" virtuels jamais
rencontrés dans la raie vie). Comment se résoudre à perdre cette multitude de
contacts accumulés virtuellement ces années, en effaçant son profil
Facebook ?
Et son "capital social"
Plus vous êtes actifs sur les réseaux sociaux, vous vous géolocalisez (dans
les aéroports par exemple), ou postez des photos ou statuts flatteurs, plus
votre valeur sociale (pour paraphraser Bourdieu) augmente. Vous êtes
disponible, ouvert, pour un nouveau job sur Linkedin, renouer avec des amis
d'enfance sur Copains d'avant. Mécaniquement, au fil des années, on a développé
une dépendance à cette popularité numérique, la nécessité de façonner cette
e-réputation (comme on disait il y a quelques années ;), qui dope l'estime de
soi.
Certes, au fil des années et de leur apprentissage aux réseaux sociaux,
chacun a appris à partager avec prudence des infos personnelles sur Facebook.
La plupart ont banni les photos d'enfants ou réflexions trop personnelles. Mais
il est devenu irrésistible de façonner son soi idéalisé: en affichant à quel
concert ou quelle expo nous sommes allés, dans quelle destinations idyllique de
vacances (avec une multitude de photos à l'appui), quelle cause nous soutenons,
à quelle manifestation nous soutenons, ou quelle injustice nous révolte. De
cette manière, nous "gérons" notre image numérique.
Laquelle est approuvée, notée par les autres, au fil des Likes, smileys,
commentaires et partages.
Validations sociales
Car on ne peut plus passer de ces multiples signaux de notre existence - et
popularité - numérique, la même popularité que l'on recherchait dans la cour de
récré à l'école. C'était la grande nouveauté des réseaux sociaux et des blogs,
dans la lignée des forums de discussions (rappelez-vous les Yahoo! Groups) au
début des années 2000: chacun pouvait prendre la parole en direct dans
d'immenses agoras virtuelles, au fil de tweets, de statuts ou d’un billet de
blog détaillé, participe aux débats du moment. Au fil des années, nous sommes
devenus dépendants de ces interactions virtuelles, ces petits signaux qui
traduisent des validations externes - notre besoin fondamental de nous sentir
aimés.
Stalking et Fear of missing out
Facebook nous a aussi confortés dans un autre comportement universel, plus
pervers: l'art d'épier les autres, dissimulés derrière des rideaux numériques,
l'écran de nos ordinateurs. Bienvenue dans le stalking, la possibilité
d'espionner les autres (son meilleur ennemi, son ex...) en regardant les bouts
de vie numérique qu'ils livrent sur leurs walls Facebook.
Ce besoin trivial, primaire, de surveiller les autres, quitte à perdre du
temps en cherchant leurs traces numériques sur Google; a été savamment
entretenu par les réseaux sociaux.
Ce même besoin psychologiques nous soumet au FOMO (fear of missing out), la
peur de manquer quelque chose, entretenue par la réseaux sociaux, dont je
parlais déjà dans
ce billet en 2014 (qui m'avait alors valu d'être plagiée par Le Nouvel
Obs, la gloire ;) Une nouvelle peur qui est née avec les premiers
smartphones (remember, le premier iPhone a été lancé en novembre 2017), où l'on
a pris l'habitude de consulter plusieurs fois par jour Twitter et Facebook -
comme de véritables fils d’informations, nourris en contenu par les
commentaires, photos, et autres contenus, postés au fil du temps. Il y a
quelques années, un ami, Stan, me disait avec angoisse qu'il avait "peur de
louper quelques chose sur Twitter". Et que, "comme allumer la radio", il y
jetait un oeil durant quelques minutes, de temps en temps.
Twitter et Facebook sont devenus des sortes de fils d'infos en continu, où
nous pouvons surveiller le déroulé de la vie de nos contacts, et de la vie tout
court.
Alors, serions-nous prêts à renoncer à tout cela ? Nombre d'articles
ont listé ces derniers jours la masse de données que Facebook a amassées sur
nous en quelques années, archivage géant de notre mémoire privée et publique.
Et tous ces souvenirs virtuels de notre "nouvelle vie" numérique qui risquent
de s'évaporer.