Cela faisait un certain temps que je voulais me pencher sur
ce thème, le dernier-né dans la galaxie des magazines technos à la maquette
très léchée m'en donne enfin le prétexte.
Il y a quinzaine de jours, le premier numéro de la revue
Tank était lancé en librairies et certains kiosques
(14 euros, 150 pages). La "revue de toutes les communications" d'après
son sous-titre, qui "fait jaillir une multitude de perspectives et de
regards sur la société, la communication, les médias et les cultures
numériques".
Au feuilletage, le contenu et à la hauteur de ce que ce claim
laisse promettre: sélection de bouquins, certes plus ou moins heureuse, entre
la très réussie Encyclopédie de la web culture de Diane Lisarelli, et le
(tout-à-fait oubliante à mon sens) dernier opus Dominique Wolton, Indiscipline,
un dossier très nourri (près de 40 pages) sur le jeu vidéo, entre points de vue
sociologiques, philosophiques, business & conso (focus intéressants sur le
social gaming, ou encore une start-up prometteuse dans le sillage de Rovio), un
portfolio chronologique (Ah, Pacman, Tetris et Mario)...
S'ensuivent un focus sur le boycott à l'ère numérique, avec
interview de Marc Drillech, auteur d'une somme sur le sujet (nous nous étions
penché dessus
il y a quelques mois), une enquête (assez attendue) sur le thème
vertigineux "L'homme est-il soluble dans la technologie ?" (mythe du cyborg
etc), un focus sur le thème "Cerveau, nouvelles technologies et publicité"
(mais qui contourne pudiquement le sujet brûlant du neuromarketing... dommage),
et in fine un focus sur le parcours de Tim Burton, avec un joli portfolio.
Un premier numéro prometteur donc, avec une maquette élégante, entre
nombreuses illustr, quelques infographies, et de rares photos. Il faut préciser
que l'équipe des fondateurs-investisseurs est un peu particulière: on retrouve
derrière ce projet de gros pontes de l'univers de la publicité et de la
communication. A savoir Sébastien Danet (président de Vivaki/Publicis Groupe)
Olivier Covo (Brandy Sound), Bruno Fuchs (Image & Stratégie), Laurence
Houdeville (Réputation VIP), Philippe Lentschener (McCann France), Bruno
Paillet (Conseil & Annonceurs Associés) et Thierry Wellhoff (Wellcom).
C'est par ailleurs l'agence-conseil en communication éditoriale All Contents
qui en est l'initiatrice. D'où la difficulté à qualifier cet objet: est-ce
vraiment un média ? Il est en fait entre la publication professionnelle
pour communicants et le mag grand public. Contrairement à XXI et
autres Usbek & Rica qui ont été fondés par des journalistes, c'est
ici une agence de com' éditoriale qui est derrière. Quand bien même on trouve
quelques journalistes parmi les contributeurs, l'immense majorité sont
philosophes, sociologues, directeur d'études en institut de sondages...
Au passage, ce mook est à ma connaissance le seul à être aussi clairement
ouvert à la publicité: avec 15 pages de pub sur 150 pages, et des annonceurs
essentiellement issus de l'univers de la com' (régies publicitaires, agences
médias, presse écrite,, audiovisuel...), plusieurs étant proches des fondateurs
;)
Le dernier-né, donc, dans le genre très en vogue des mooks
(comprenez mag books), genre initié il y a quelques années avec brio par la
revue XXI (j'en
parlais ici lorsqu'elle a décroché son premier prix Albert Londres), ces
livres-magazines en papier glacé et maquette très travaillée, qui ont créé un
nouveau réseau de distribution : les librairies, mais auxquelles
plusieurs, malins, commencent à ajouter les Relay et certains gros points
presse (en fait, les kiosques disposant d'un rayon livres) - s'offrant ainsi un
double réseau de distribution.
Plusieurs qui ont opté pour le format mook ont lancé des
revues dédiées à l'anticipation, l'innovation, les sciences, la culture geek,
les produits tech. Peut-être parce que le format du mook, avec un tarif assez
élevé mais des possibilités de maquette bien plus larges qu'en presse mag
classique (portfolios, infographies, dessins, superposition de photos...) est
particulièrement adapté au traitement de ces thèmes. A la réserve près que ce
genre très en vogue du mook a ses fragilités, dont au niveau économique (ie il
inclut très de publicité): un des derniers, le mook sportif Hobo a
ainsi été interrompu sur ordre du groupe Amaury, avant même la parution du
numéro 2. Mais mooks, magazines diffusés en kiosques, tous ont toujours ce
Graal, cet idéal, sortir enfin LE Wired à la
française, magazine qui répercute depuis les années 90 les
préoccupations des accros du Web et des technologies. Ce qu'ont déjà tenté, il
y a une dizaine d'années, Transfert, Futur(e)s, Newbiz, Minotaure, Blast,
Influx (petit aperçu dans mes archives perso)... Alors que la maison-mère,
le groupe Conde Nast, non content d'avoir lancé des Wired locaux en
Italie, UK... renâcle toujours à le lancer en VF.
Un peu dans la même veine que Tank, Influencia, à la base
newsletter lancée par Isabelle Musnik (ex-journaliste de CB News) a ainsi été
décliné pour la première fois en luxueux mook (co-brandé par Le
Figaro), vendu en librairies pour 20 euros.
Autre petit nouveau en la matière, le mook WE
Demain, fondé par les frères Siegel, qui ont dirigé VSD
pendant 30 ans. Sorti en librairies et en partie en kiosques en avril
dernier,comme je le détaillais alors dans
cet article, il se présente comme "une revue pour changer d’époque", et
"accompagner l'émergence d'un nouveau monde". Après VSD qui a incarné
la civilisation de l'entertainment... De quoi sera fait l’avenir… Avec donc, au
menu, l’émergence de nouveaux métiers (euthanalogue, cultivateur vertical,
manipulateur de climat, créateur de membres humains, courtier en pollution…),
la 3e révolution vue par Jérémy Rifkin,..
On notera au passage qu'il est en train de développer un modèle publicitaire
original, comme je l'évoquais dans mon article : il passera surtout par
des partenariats de marque et du parrainage. Le numéro 2 de la revue, qui
sortira le 11 octobre, aura ainsi un supplément, un magazine de 80 pages,
We Demain Initiatives, ouvert aux marques, aux entreprises et aux
institutionnels "qui partagent les mêmes valeurs que la revue", dixit ses
fondateurs. Lesquelles marques pourront donc parrainer une des 8 sections de la
revue (une page en ouverture de section pour expliquer ses engagements) ou
acheter des espaces publicitaires réservés (2ème, 3ème et 4ème de
couverture).
La revue Usbek & Rica avait
déjà anticipé cette tendance, en se lançant sous forme de mook (voir
mon billet à l'époque). Mais - autre preuve de la fragilité économique du
modèle du mook ? - après une parenthèse au second semestre 2011, elle set
revenue cette année sous forme de magazine trimestriel, vendu en kiosques pour
5 euros. Au menu pour le n°2 du magazine qui explore le futur": actu,
infographie, enquête de fond (ici sur le sujet plutôt attendu de la "génération
hacker"), et beaucoup d'anticipation: entre un chouette scénario futuriste ("La
Seine Saint Denis en 2072"), tendance naissante ("le jour où un robot gagnera
un prix Pulitzer", allusion au robot journalism), un sujet
vertigineux (en rubrique Utopie) sur les débuts de la géo-ingénierie, le
sportif génétiquement modifié...
Autre acteur de ce secteur de la presse à la Wired,
Geek le mag. Là aussi, j'aime bien l'effort sur la
maquette, les infographies et les enchaînements de photos, même si le magazine
se disperse peut-être un petit peu: après l’enquête éco sur Ubisoft, les sujets
d'acte (les sites de rencontres, Aca), le dossier TV connectée, les gadgets
high tech, quelques pages de chroniques culture (ciné, DVD, jeux vidéos)...
Puis il se clôture en beauté sur une publication exclusive d'une version comics
de Batman.
Des parutions qui restent souvent limitées, relativement
confidentielles (10 à 15 000 exemplaires en moyenne chacune, d'après mes
informations, exceptées pour Tank et Influencia, pour
lesquelles les chiffres ne sont pas encore disponibles). Elles font pourtant la
différence avec la multitude de sites d'information dédiés à la high-tech côté
conso et culture numérique (de 01net à Les Numériques) avec des maquettes qui
tuent, et un traitement fouillé, plus proche de l'anticipation et de la
prospective. Pas assez mainstream peut-être...