Par Capucine Cousin le dimanche 3 juillet 2011, 11:03 - Photo
Goksin Sipahioglu – Paris, France – 10 et 11 Mai 1968
Tout un symbole. L'annonce
a été officialisée cette semaine: l'agence photo Sipa Press est sur le
point d'être vendue à une agence allemande, DAPD, au prix de 34 licenciements
sur les 92 salariés, dont 16 des 24 photographes, d'après Le Monde.
Une véritable saignée à blanc, où l'activité de photojournalisme d'une des
dernières prestigieuses agences survivantes est sacrifiée. A terme, toujours
d'après le quotidien, l'agence DAPD (deuxième agence de presse outre-Rhin),
contrôlée par un fonds d'investissement, vise à transformer Sipa en agence
filaire généraliste, donc en concurrence directe avec l'AFP et autres
Reuters.
L'annonce est loin d'être anecdotique, et révèle une fois
encore l'évolution (la disparition annoncée ?) dans la douleur des fleurons du
photojournalisme, en déconfiture depuis une dizaine d'années, pêle-mêle face au
média Internet, la montée en puissance des agences filaires, la crise de la
presse, et la dégringolade des prix de la photo. Alors que la plupart des
titres de presse magazine mettent fin peu à peu à leurs services photo
internes.
Une annonce de mauvais augure, à la veille de l'ouverture
de deux des rendez-vous photo les plus cotés pou la profession, les Rencontres de la photo d'Arles -
ouvertes demain le 4 juillet, elles porteront sur la photo au Mexique et la
guerre d'Espagne vue par Robert Capa- et le Festival Visa pour l'image
de Perpignan, qui ouvrira fin août.
La dégringolade pour Sipa Presse avait commencé en 2001. Son légendaire
fondateur, le volcanique photographe Gökşin Sipahioğlu, qui l'avait fondée en
1973 (allez lire cet entretien de folie réalisé en 2005 par Frédéric Joignot
sur son blog), s'est alors résolu à la revendre à Sud Communications
(groupe Pierre Fabre). Malgré ses 25 photographes, ses 600 correspondants, ses
500 reportages photo vendus chaque mois dans plus de 40 pays, elle affiche 2
millions d'euros de pertes en 2010.
Les 3 "A" rachetées, le photojournalisme périclite
Concurrencées par les agences d’informations généralistes (dites agences
filaires) comme l’AFP et AP, lâchées par une presse mag qui consacre davantage
de couv' vendeuses aux people (ou politiques peopolisés) qu’au photoreportage,
les trois "A" ont toutes perdu leur indépendance, avant de déposer les
objectifs photo. Quant au photojournalisme, il périclite.
Les autres agences-stars des années 70, Sygma et Gamma, se sont en voie
d'extinction. Sygma, fondée en 1973 par Hubert Henrotte après
un conflit avec l'agence Gamma, rachetée en 1999 par le groupe américain Corbis
(propriété personnelle de Bill Gates), était en cours de reconversion en avril
2001. En agence qui ne produirait plus de reportages photos, pour se concentrer
sur la diffusion de ses fonds numériques.
Comme je l'écrivais alors dans
cette enquête pour Les Echos: forte des fonds de 65 millions
d'images issus des collections Bettmann ( photos historiques, dont celles de
l'agence United Press International), de la National Gallery de Londres, du
photographe Yann Arthus Bertrand, et des agences Sygma (actualité),TempSport
(sport) ou Stopmarket (photos d'illustration), elle ambitionnait alors de
vendre sur Internet ses prestigieuses archives une fois numérisées. Avec une
facture déjà douloureuse: 90 personnes, dont 42 photographes, avaient été
licenciés dans le cadre d'un plan social. Las, elle a déposé le bilan en 2010,
suite
à un contentieux avec un de ses ex-photographes.
Gamma-Rapho sera elle aussi emportée dans le sillage de la
mise en liquidation du groupe Eyedea Presse, en 2010. Créée en 1966 par des
photographes dont Raymond Depardon et Jean Lattès.où le groupe de presse
Hachette Filipacchi Médias (HFM) prenait 75% de participation en 1999, en
misant sur la vente de ses fonds numérisés, et sur un e-commerce BtoB, elle
était rachetée par le photographe François Lochon en avril 2010, et concentrée
sur la seule vente d'archives.
Tentatives de virages numériques
Il y a bien eu des tentatives pour renouveler le photojournalisme
indépendant à l'ère du numérique. En 1999, Floris de Bonneville _ un
des cofondateurs de Gamma _ lance GlobalPhoto, qui propose alors aux agences et
aux photographes indépendants de gérer la vente de leurs images, surtout dans
le secteur de la presse magazine. Une manière de trouver la parade pour
maintenir l'indépendance des agences, alors que Floris de Bonneville avait
proposé _ en vain _ à Gamma, Sygma et Sipa de s'unir sur Internet. Un an après,
GlobalPhoto est rachetée
par PR Direct, spécialisée dans la photo d'illustration. Le projet ne
semble pas avoir survécu.
En décembre 2002, même le National Geographic
inaugure une stratégie de commerce en ligne et tente de se placer sur le
même créneau que les agences photo, en lançant en partenariat avec IBM, un site
Web baptisé Ngsimages.com,
dédié à la vente en ligne de son catalogue de photographies.
Alors, quel avenir pour les agences photo, face aux agences
filaires géantes, telles l'AFP et Reuters, spécialisées dans la seule photo
d'actualité (quitte à tirer vers le people) ? Un des seuls recours semble
être la photo d'illustration. Seules les agences de photo d'illustration tirent
encore leur épingle du jeu: des banques d'images en ligne
gratuites ou à moins d'un dollar telles que Stock.XCHNG, ou encore
Shutterstock, les magazines et autres journaux ont à disposition des photos
d'amateurs ou de professionnels à des prix défiant toute concurrence.
L'agence Getty Images a tôt choisi ce virage. Fondée en
1995 à Seattle, initialement banque d'images pour agences publicitaires, elle
s'est diversifiée dans la photo d'actualité à coup d'acquisitions, devenant
premier fournisseur d'images (photos et vidéos) pour les agences publicitaires
et groupes média. Pour contrer la concurrence d'Internet, elle acquiert en 2006
le site de vente de photos à bas prix iStockphoto, banque d'images bon marché
mais de moins bonne qualité. L'agence a aussi revu ses tarifs à la baisse et
proposé des ristournes sur ses photos en offrant par exemple ses photos basse
résolution à seulement 49 dollars.
Je connais quelques photographes qui œuvrent en agence filaire, et s'en
tirent plutôt bien (mais se contentent de faire des photos d'actu, sans trop se
poser de questions, plus de reportages...), d'autres qui galèrent. Même des
signatures, comme Reza, qui semble faire moins de reportages qu'avant faute de
budget alloué par les magazines.
Restent quelques initiatives notables, telle l'agence britannique
VII (lire " Seven"), lancée
en septembre 2001 lors du Festival Visa pour l'image de Perpignan en
septembre 2001. Mais un projet porté par sept pointures du photojournalisme,
transfuges d'agences traditionnelles _ que ce soit le président de VII Gary
Knight (ex-Saba), James Nachtwey (ex-Magnum), ou la Française Alexandra Boulat
(ex-Sipa - décédée depuis). Dotée d'une structure légère, l'agence opère
uniquement sur Internet et mise sur une valeur ajoutée technologique.
Disséminés dans différentes villes du monde, les photographes-fondateurs
numérisent les sélections de leurs photos, ce qui permet de réduire les frais
de gestion et d'archivage. Sans doute un des derniers vrais projets d'agence à
l'ancienne, encore active, menée par des
stars du photojournalisme.
On trouve aussi des collectifs désormais installés comme Tendance
Floue (L'Oeil Public a fermé l'an dernier me signale un lecteur), et
une fédération de pigistes comme Fede Photo. Mais pour tous, le
renouveau doit inclure des activités rémunératrices -comme la publicité ou le
"corporate“ pour financer les reportages. Et une patte, une personnalité face
au ton photographique toujours plus standardisé des grandes agences.