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mercredi 8 janvier 2020

2020, année-test pour les "copycats" de Netflix

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La récolte a été décevante pour Netflix, dimanche dernier, lors de la tenue de la 77ème édition annuelle des Golden Globes, à l’hôtel Beverly Hilton de Los Angeles. Un baromètre, une sorte de répétition générale des Oscars, qui récompense les meilleurs films et séries de l'année écoulée. Il était pourtant donné favori, avec 34 nominations, mais est reparti avec seulement deux prix, pour un seul pour le cinéma, avec le prix du second rôle pour Laura Dern (Marriage Story). Ce loupé de Netflix n'est pas vraiment choquant, malgré la campagne publicitaire à très gros budget qu'il a menée pour ses chouchous: The Irishman était magnifique, un condensé du style Scorsese pour ses fans... mais beaucoup trop long (3 h 30 !). Marriage Story, très bien joué, était extrêmement réaliste (stressant même)- et nécessitait trop d'efforts émotionnels en période de vacances.

En revanche, AT&T a été le grand gagnant, avec des prix pour les séries de HBO Chernobyl et Succession, et pour le film Warner Bros Joker, et le prix d'interprétation masculin - sans surprise - pour Joaquim Phoenix. Ce qui laisse penser que l'opérateur télécom a tiré profit de son acquisition cinéphile de Time Warner en 2018. En outre, One Upon a Time in Hollywood, de Quentin Tarantino, produit par Sony Corp., a raflé les statuettes du meilleur film et du scénario, le mettant peut-être dans la meilleure situation en vue des prestigieux Oscars, qui se tiendront le 10 février.

Streaming Wars

Mais 2020 sera bien l'année de la bataille du streaming - streaming wars comme on dit déjà outre Atlantique, sorte d'allusion cinéphilique à Star Wars. que les Golden Globes, Oscars et autres Palmes ne suffiront pas à évaluer. L'évolution des marchés peut être une jauge plus fiable: bien que cela soit encore flou en ce début d'année, les cours de Netflix sont en tête: ils clôturaient en hausse de 3,8% lundi, à 335,83 dollars par action. Walt Disney Co. est à peine positif, clôturant à -0,55% (145,71 dollars) lundi. Puis suivent AT&T, Comcast, et les autres - qui stagnent ou sont dans le rouge.

En France, pour l'heure, Netflix, Amazon et Apple ont déjà lancé leurs propres plateformes de streaming vidéo. Disney doit dégainer la sienne, Disney+, courant mars. Mais le marché va devenir encore plus encombré outre-Atlantique: en avril, Comcast va lancer Peacock. Le même mois, un nouveau service de streaming vidéo pour mobiles (coucou la génération Y) sera lancé par le magnat des médias Jeffrey Katzenberg et Meg Whitman, ex-CEO de eBay et de HP. En mai, HBO Max, le nouveau foyer de Friends et Game of Thrones, sera aussi lancé.

Les bundles, prochaine étape dans le streaming wars

Les investisseurs de Comcast devraient avoir davantage de détails à propos de ses projets en streaming la semaine prochaine. Il semblerait que la firme étudie le lancement d'une version gratuite (oui !) de Peacock, qui préfèrent s'infliger des écrans publicitaires plutôt que de payer un abonnement. Comcast repose sur un modèle de package de services câblés (rappelons que l'ADN de la télé US repose sur des chaînes câblées, aux prix d'abonnements élevés), il se pourrait aussi que la firme cherche à combiner des offres de streaming vidéo avec ses services internet. En fait, les bundles (offres combinées) pourraient être la prochaine étape dans la bataille du streaming, pour se faire une place avec une valeur ajoutée face aux abonnements Netflix, qui pêchent par manque de nouveaux services.

Disney+ s'est lancé, à première vue, avec succès en novembre dernier, en signant 10 millions de nouveaux abonnés le seul premier jour. Il approcherait maintenant les 25 millions d'abonnés. selon certains analystes, il aurait contribué à réduire d'au moins 10% la base d'abonnés de Netflix. Mais ce serait oublier un peu vite que, côté contenus, Disney+ est pour l'instant surtout calibré pour les superfans de Star Wars et pour les enfants. c'est là que Hulu, autre service de streaming US (qui appartient désormais à la galaxie Disney) pourra jouer son rôle: les abonnés qui paient 13 dollars d'abonnement mensuel à la fois pour Disney+ et Hulu peuvent aussi avoir accès à ESPN+ (un service de streaming vidéo... sportif) gratuitement - une manière d'attirer une audience plus large. Au passage, Disney est ainsi le seul à "découper" ses offres de streaming par cibles.

Le défi pour Disney, cette année, va consister à prouver que ses investissements coûteux dans des contenus exclusifs pour Disney+ ont permis de rendre ses clients captifs, et n'est pas une simple option supplémentaire pour les fans de Netflix. Comme Netflix, Disney commence à afficher des pertes monumentales: elles sont estimées à quelque 4,5 milliards de dollars rien que pour cette année fiscale, selon Michael Nathanson, analyste chez MoffettNathanson.

Du côté de AT&T, son service HBO Max sera lancé en mai pour 15 dollars par mois - le même prix qu'un abonnement à la chaîne câblée HBO. Mais il ne sera pas rentable d'ici 2025: là aussi, pas de quoi rassurer les investisseurs.

L'offre de produits en streaming vidéo va donc s'étendre en 2020 - mais la part de gâteau des revenus ne va pas s'élargir. Ces firmes et d'autres - telles Apple, Amazon, ViacomCBS, etc - se battent pour capter les mêmes téléspectateurs qui disposent d'un nombre d'heures limitées pour binge watcher la télévision chaque jour, et d'un budget restreint.

jeudi 26 novembre 2015

Quand Facebook, Google & co deviennent fournisseurs d'accès à internet

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Facebook est-il en train de devenir un fournisseur d'accès à internet (et/ou un opérateurs télécom, au choix) ? L'info, tombée cette semaine, est passée inaperçue en ces temps pour le moins troubles. Et pourtant, loin d'être anecdotique, elle traduit très bien cet idéal un brin messianique, commun à plusieurs des GAFA, et géants de l'industrie tech américaine.

Il y a cette initiative ambitieuse de Facebook, Internet.org, de fournir des services d'accès à internet gratuits aux pays en développement. Elle est maintenant disponible pour l'ensemble des Indiens avec le Free Basics app du réseau Reliance Communication. Reliance Communications est donc accessible à l'ENSEMBLE des Indiens, "1 milliard de personnes sans accès à internet" selon Facebook - sachant que l'Inde compte 1,2 milliard d'habitants! Reliance Communications est ainsi devenu le quatrième plus gros opérateur d'Inde: il comptait déjà 110 millions d'abonnés en juin, raconte Techcrunch.

Concrètement, Free Basics permettra aux Indiens d'accéder - oh surprise - à Facebook et Facebook Messenger (ce service de messagerie instantanée est essentiel, j'y reviens), et une multitude de sites tels que Wikipedia, BBC News, Bing, et des services locaux.

Alors oui, bien sûr, Mark Zuckerberg nous raconte sur la page (Facebook) dédiée, dans un post daté du 23 novembre, cette belle histoire de Ganesh Nimbalkar et son épouse Bharati, "qui subviennent aux besoins de leur famille en cultivant une terre de 5 acres depuis des générations à Maharashtra". Et comment grâce à Free Basics et internet, il a découvert des services tels que AcuWeather, pour mieux gérer la saison de la mousson, qui lui ont (un peu ) changé la vie.

Philanthropie supposée

Mais est-ce là vraiment le rôle de Facebook, à l'origine d'un réseau social devenu mondial, de devenir FAI ? Peut-on vraiment croire en la philanthropie supposée d'une des plus puissantes entreprises tech mondiales ? Ses détracteurs lui reprochent de ne proposer via Internet.org qu'une sélection de services, privilégiant ses partenaires (certains médias, etc), et rompant ainsi allègrement la neutralité du Net.

Qu'une société aussi puissante que Facebook contrôle ainsi des millions de nouveaux utilisateurs d'internet pose question. Free Basics a déjà étendu sa toile, outre l'Inde, à 30 pays à travers l'Afrique, l'Asie du Sud et du sud-est, et l'Amérique Latine. Ce projet, lancé en août 2013, vise tout simplement à élargir l'accès à Internet à 5 milliards de personnes de plus dans le monde. Encore en octobre dernier, Facebook annonçait avec Eutelsat le lancement d'un projet d'accès à internet (carrément) en haut débit par satellite pour l'Afrique, grâce à ses satellites géostationnaires.

D'autant que, en leur proposant un accès internet et, dans les services par défaut, la messagerie instantanée Facebook Messenger, Facebook se substitue à un opérateur. Comme nous l'avons déjà découvert en Europe, FB Messenger permet - ô surprise - de téléphoner gratos, au nez et à la barbe des opérateurs classiques, comme j'en parlais dans cet article..

Qu'est-ce qui motive Mark Zuckerberg ? Comme je l'écrivais en 2013, cette initiative venait à point nommé pour les partenaires industriels de Facebook (Nokia, Samsung, Ericsson, Qualcomm...): les marchés matures étant saturés, les zones pauvres comme l'Afrique, l'Amérique latine et certains pays d'Asie sont des réservoirs de nouveaux clients.

Messianisme des Gafa

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Couv' de The Economist, janvier 2010

Cela répond à un certain idéal messianique à l'américaine pour Facebook. Oui, c'est sûr, les technologies, le Réseau, vont changer la vie des gens, l'humanité. Tout comme Apple a toujours estimé fabriquer des produits qui vont changer la vie des gens (voir cette profession de foi de Tim Cook dans cet extrait de Inside Apple de Adam Lashinsky, "Nous pensons que nous sommes sur Terre pour fabriquer de grands produits. (...) Nous sommes constamment focalisés sur l'innovation. Nous croyons à la simplicité, on à la complexité") , Google prétend rendre le savoir accessible à l'Humanité via son moteur de recherche, et même changer le monde ("Notre ambition est de créer le meilleur des mondes", conclut Eric Schmidt dans The new digital age - coucou Aldous Huxley), Amazon faire des livres des biens de consommation courante...

Messianisme, mégalomanie ? En août 2013, Zuckerberg revendiquait ainsi un certain droit commun à la connexion, déclarant: "Tout ce que Facebook a fait jusqu'à présent est de donner aux gens à travers le monde l'opportunité de se connecter". Certes. Mais Facebook dépasse ainsi allègrement son rôle d'éditeur du plus grand réseau social au monde.

Opérateurs telcos

Il n'est plus le seul à s'improviser opérateur telco mondialiste. Dès 2010, Google annonçait le déploiement de Google Fiber, un service de fibre optique (ultra haut débit donc). Début 2014, il publiait déjà une liste de 34 villes américaines susceptibles d'être raccordées en 2015! En avril 2015, la firme de Mountain View provoquait frontalement les "vieux" opérateurs avec son premier service de téléphonie mobile (s'associant, quand même, à Sprint et T-Mobile US pour l'occasion), Project Fi, accessible uniquement sur invitation. Il permet aux utilisateurs de se connecter au réseau le plus rapide. Proposé 20 dollars par mois, surprise, il n'est utilisable avec un seul smartphone, le Nexus 6, développé... par Google, avec Motorola.

Même Apple envisagerait de se lancer comme opérateur mobile virtuel. Après tout, il dispose déjà d'une carte maîtresse, l'Apple SIM, une carte SIM "universelle", déjà fournie avec l'iPad Air 2 cellulaire aux États-Unis et en Grande-Bretagne (nooon, pas en France, les opérateurs ne le tolèreraient nullement).

jeudi 19 mars 2015

Tous émojis - du LOL à la langue vernaculaire pour smartphones (et objets connectés)

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_D_'ici cet été, l'arrivée d'une douzaine de nouveaux émojis aura un impact énorme sur un pan de la pop-culture. Une nouveauté dans ce "phone art" minuscule, mais qui montre que l'usage de ces minuscules figurines se mondialise - tout comme les smartphones, leur principal média. La décision a été prise "par un petit groupe de personnes dont vous n'avez jamais entendu parler", narrait récemment Gawker. Nom de code: Unicode, un très sérieux consortium international technique. Imaginez : c'est ce petit groupe qui sélectionne et valide méticuleusement chaque émoji, chaque nouvelle figurine virtuelle, chaque personnage (comme le montre ce rapport technique non moins sérieux). Car cette étrange assemblée ésotérique est responsable de toutes les lettres et caractères que vous voyez et utilisez sur vos écrans. C'est elle aussi, ces dernières années, qui a été submergée par la brutale popularité des émojis.

Les émojis, ce sont ces petites figurines de dessins animés, qui traduisent un mot, un sentiment, en une image, un picto. La nouvelle grammaire de appareils mobiles et des objets connectés de demain ? Après tout, les écrans des Apple Watch et autres montres connectées, trop petits, poruront recevoir surtout des SMS, notifications et autres micro-messsages... Les émojis y seront donc les stars, d'après Venture Beat.

Les émojis, dignes héritiers des "badges «Acid»" du début des années 80, emblèmes de l'acide house, un genre de musique électronique dérivé de la house, qui préfigurait la techno au début des années 80.

Rock to the beat. Aciiid, ecstasy ! Petit souvenir d'un tube 80s qui a fait polémique à l’époque

Puis sont venus les "smileys" apparus avec les débuts d'internet à la fin des années 90, entre :-) côté mainstream et :) pour la version initiés ;) Puis ces figurines jaunes se sont développées sur les premières messageries instantanées, telles ICQ et MSN.

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Emojis 絵文字

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Quelques émojis-stars chez Line

Les émoticônes (émojis en japonais, donc) sont nés au Japon, fidèles reflets de la culture japonaise. Certains sont d'ailleurs très spécifiques à la culture japonaise, comme un homme se prosternant pour s'excuser, une fleur blanche signifiant un "travail scolaire brillant", ou encore un groupe d'emoji représentant de la nourriture typique : nouilles ramen, dango, sushis. Les principaux opérateurs japonais, NTT DoCoMo et SoftBank Mobile (ex-Vodafone), ont chacun défini leur propre variante des emoji dès 1999. Line, une des applis mobiles de chat qui cartonnent au Japon, doit une partie de son succès à ses émojis, permettant à ses utilisateurs d’acheter et envoyer des "stickers" customisés (personnages, animaux, etc.) pour accompagner chaque message.

En 2007, c'est bien afin d'étendre son influence au Japon et en Asie que Google s’est associé avec l’une de ces trois entreprises pour intégrer les emojis dans Gmail. Il a alors décidé d’uniformiser la liste des émoticônes. Preuve de la mondialisation de ce phénomène, les émojis ont commencé à refléter les influences culturelles: américaine française

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Partout dans le monde, ils se sont développés sur les smartphones et ordinateurs, et ont même commencé à envahir les SMS, mails, statuts sur Facebook ou Twitter... Et même les écrans du notre bonne vieille télé, dans des émissions qui se veulent branchées ;)

Les émojis résument en une image un mot, une expression, mais sont même utilisés pour des ruptures, engueulades, crimes, baisers à distance , dans des millions de conversations partout dans le monde. Pour une génération entière, il est difficile d'imaginer une conversation numérique dans ces figurines de dessin animé. Ils sont devenus une langue vernaculaire pour smartphones.

L'intégration de nouveaux émois dans le précieux alphabet Unicode commence même à susciter d'intenses débats de société. Mais qui montre aussi que ces pictos ont quitté la sphère du LOL pour que les institutions soient désormais obligées de les prendre au sérieux, les consacrant comme un langage à part entière. Chez Unicode, on commence à être dépassés par ces millions de consommateurs qui utilisent ce langage vernaculaire pour smartphone.

Emojis ethniques

Imaginez : c'est bien parce qu'il commençait à être taxé de racisme qu'Apple a accepté d'introduire, d'ici cet été, des émojis ethniques dans sa prochaine mise à jour de iOS 8.3. Un acte politique fort. Preuve que les émojis deviennent une langue vernaculaire, une grammaire, un vocalubaire.

Une pétition en ligne appelait Apple à agir davantage pour la diversité sur ses icônes. De nombreux graphistes ont d'ailleurs créé leurs propre emojis, pour représenter des personnes noires ou de la communauté homosexuelles. Mais ces icônes n'étaient pas intégrées à la «norme» Unicode, très rigide.

Il serait temps: l'iPhone - et le smartphone - ne sont plus l'apanage des seuls WASP et "white collars". La diversité des mobinautes se devait d'être reflétée dans la diversité ethnique des émoticônes. Avec l'arrivée fulgurante de constructeurs de smartphones low cost, tels ZTE, Huawei, Nokia et Samsung, ceux-ci commencent à irriguer nombre de pays en développement. Des pays où les ménages ne possèdent pas d'ordinateurs, ce smartphone étant ainsi le premier appareil connecté pour la famille.

Dans la même veine, la Toile a été agitée, ces derniers jours, par la nécessaire intégration des roux dans le langage Emoji. Une pétition vient d'être lancée sur Change.org par Ginger Parrot, un site d'actualité qui consacre ses pages à promouvoir la rousseur.

A l'inverse, trop délicat de représenter par un émoji le sentiment de "se sentir gros". Alors que Facebook s'est lui aussi emparé du phénomène en proposant ses propres émojis (il y est désormais possible d’afficher son "humeur" à côté d’un post, pour traduire au mieux son état d’esprit ou ce que l’on est en train de faire), parmi sa palette d’humeurs, l’une d’elles a suscité la polémique. Elle représentait le sentiment de "se sentir gros" par un émoji affublé d’un double menton. Les sentinelles de la Toile ont pris le sujet à bras-le-corps et publié des photos sur lesquelles elles mentionnaient que "Gros n’est pas un sentiment". Face à la pression populaire et une pétition en ligne (encore !) de 16 000 signatures, Facebook a abdiqué et retiré ce statut, admettant "que l’inscription «Feeling fat» comme option de statut pouvait renforcer l’image négative de son corps".

L'émoticône caca (oui, oui) a lui aussi fait débat : très populaire sur les messageries du Japon et d’abord incompris par les Américains. Popularisé au Japon par la diffusion de la bande dessinée Dr Slump, dans les années 1980, il y a pris un sens humoristique, alors que les Américains ont longtemps pincé le nez, raconte Fast Company.

Langue vernaculaire et institutionnalisée

Mais assurément donc, les émojis s'institutionnalisent. En février, la ministre des Affaires étrangères australienne a accordé une interview politique au site Buzzfeed en répondant... uniquement par émojis ("Que pensez-vous de Poutine? ").

Les émoticônes sont même pris en compte dans des décisions de justice. Cet ado américain a été arrête par la police en janvier pour avoir - entre autres - publié l'émotionne policier suivi de celui du flingue ( )

Le récent procès de Ross W. Ulbricht, fondateur présumé de Silk Road (le marché noir du Net) est un autre exemple. Un smiley, présent à la fin d’un message de l’accusé, y a joué les invités surprise. Son avocat s’en est saisi pour relever l’omission qui en avait été faite lors de la lecture, par le procureur, d’une conversation de son client sur le chat. Un oubli effectivement fâcheux qui incita le juge à ordonner au jury de prendre dorénavant note de tous les symboles présents dans les messages de l’accusé. Une première dans l’histoire judiciaire, qui pose une question importante, relative au contenu de la communication textuelle.

lundi 18 février 2013

"Passion" de Brian De Palma, mise en abyme d'un univers ultra-technologique, placement de produit sur mesure pour Panasonic

Dès le plan d'ouverture, un long plan-séquence, il y a ce focus sur la pomme du Macbook d'une des protagonistes, au point qu'il suscite quelques petits rires dans la salle.Puis deux jeunes femmes, à la beauté glacée, qui bossent sur leur prochaine campagne publicitaire, pour le lancement du smartphone Eluga de Panasonic. Deux placements de produits les premières secondes du film.

Durant près de deux heures, ce polar esquisse un monde du travail qui fait frissonner, dans des locaux au design gris et parfait, avec des personnages aux traits trop lisses et au look trop recherché, des formes discrètes de pression et de harcèlement moral - l'"héroïne" subit humiliations publiques, piquage d'idées et manipulations diverses par sa boss. Au passage, dans ce film allemand, les personnages parlent en allemand, sauf à l'agence ou dans les séquences liées au monde du travail, où ils parlent en anglais.

Et surtout, il y a dans ce film l'omniprésence de ces produits technologiques ultra-modernes, noirs et argent. Nulle recherche de l'accumulation de placements de produits, pas de profusion de marques, Brian De Palma n'a pas cédé à la tentation. Mais deux marques ont une place de choix durant tout ce film.

Apple-mania

Apple d'abord, avec des MacBooks pros du début à la fin du film. Normal, dans une grande agence de pub comme celle du film, c'est la marque de prédilection pour les créatifs et "artistes" putatifs. L'omniprésence d'Apple dans le cinéma, et tout ce qu'il incarne - pour l'instant - j'en avais déjà parlé dans ce billet, avec notamment la saga Millenium, où l'actrice Noomi Rapace (que l'on retrouve ici chez De Palma en jeune créative publicitaire à double visage) s'était révélée avec son personnage de geekette post-punk. Mais l'omniprésence de la firme à la pomme - dans les films et séries n'est pas anodines: elle imprègnerait presque le spectateur... Au passage, la légende veut qu'Apple n'a jamais signé de contrats de placements de produits, ou n'est jamais passée par des agences de placements de produits telle que Casablanca. Pas besoin.

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Mais Brian De Palma accorde surtout une place de choix à Panasonic et son smartphone Eluga, qui fait donc l'objet du spot publicitaire "volé" puis diffusé sur YouTube, au cœur de l'intrigue du film. Il n'a même pas inventé une marque, un produit pour les besoins de cette fiction, mais est parti d'une marque existante: le constructeur japonais Panasonic, qui - ça tombe bien - lançait il y a pile un an au Mobile world Congress de Barcelone (une des grand-messes annuelles de l'univers des télécoms) sa gamme de smartphones Eluga. Des smartphones haut de gamme, au design fin et racé, qui ont pour particularité de pouvoir être immergés dans l'eau.

Exactement ce que montrent les premières minutes du film. Mais alors, De Palma a-t-il poussé la logique du placement de produit jusqu'au bout ? Au point de mettre en scène une gamme de produits dans son scénario ? Certes, pas de vulgaire placement de produit, où les actrices manipulent ostensiblement leur smartphone Panasonic. Trop grossier.

Spot publicitaire sur-mesure pour l'Eluga

De Palma esquisse comment une agence de pub va monter une campagne pour vendre un smartphone comme tant d'autres. Et montre ce qui pourrait être perçu comme un spot publicitaire réussi, la vraie bonne idée que tout créatif aurait rêvé d'avoir : le smartphone placé dans la poche arrière du jean slim d'une jeune femme, qui, allumé, permet de filmer avec la caméra intégrée ce qui se passe dans la rue, dans le dos de la jeune femme... Une jeune f allumeuse, qui parle crûment, et fait de son smartphone un accessoire sexuel.

Hasard ? Le constructeur japonais, qui bénéficie d'une vraie aura grâce notamment à la notoriété de ses téléviseurs, a connue une année 2012 difficile, entre ventes à la baisse, chiffres préoccupants (une perte nette de 6,1 milliards d’euros au terme de 9 mois de son exercice décalé 2012-2013), et production chahutée après le tsunami qui a affecté le Japon. Et sa gamme Eluga n'a finalement pas été lancée en Europe, et ne le sera pas cette année, comme le confirmait il y a quelques jours son nouveau DG France dans une interview à Challenges.

Ecrans multiples

Certes, rien d'anodin là-dedans. Ce qui intéresse De Palma, avec ce thriller d'entreprise, c'est de dénoncer une société de consommation qui prône l'ultra-performance au travail, et la quête perpétuelle de perfection, entre bureaux et appartements trop design. Même dans la scène de ballet, il nous montre essentiellement les corps et les visages (trop) parfaits, trop souriants, des danseurs. Le film montre aussi une certaine omniprésence des écrans, des ordinateurs aux smartphones, en passant par les caméras de vidéosurveillance, et un écran placé au bord de la baignoire d'une des actrices, des affrontements menés via Skype et des "call confs", des vidéos balancées sur YouTube... Sans compter les sonneries stridentes de smartphones dans la scène finale, lointain rappel de la musique de la scène-clé de Psychose de Hitchcock...

Une intégration d'écrans multiples pour mieux dénoncer ce phénomène. "Aujourd’hui, presque tout le monde marche dans la rue le regard plongé dans son téléphone au lieu de regarder la rue, ce qui est quand même un peu étrange… Dans Passion, j’ai détourné une vraie campagne de publicité pour une marque de smartphones, avec cette idée de placer un téléphone dans la poche arrière du pantalon d’une jeune femme, photographiant ainsi les passants qui matent son cul. Aujourd’hui, tout le monde possède une caméra par le biais des smartphones, c’est très bien d’un point de vue sociologique mais cela signifie la fin des beaux travellings, des plans travaillés, des séquences d’action soigneusement composées", explique-t-il dans cette interview accordée aux Inrockuptibles.

Ce n'est peut-être qu'un hasard, une marque parmi d'autres... En tous cas, Panasonic Marketing Europe Ltd est bien cité dans les remerciements pour les partenariats produits, en fin de générique. A quand la pub Panasonic qui mettra en avant des scènes du film, comme Sony avec James Bond ?

jeudi 2 février 2012

Apple sponsor de films ?

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Est-ce que les produits Apple seraient devenus omniprésents au point que l'on ne pourrait plus s'en passer ? Ont-ils pénétré notre quotidien, nos vies, sont-ils entrés massivement dans les usages? Sont-ils devenus indispensables ?

La geekette Lisbeth Salander pour ses recherches de hacher, tout comme le journaliste d'investigation Mikael Blomkvist dans Millenium de David Fincher, Les très bobos personnages de L'amour dure trois ans de Frédéric Beigbeder, Juliette Binoche qui incarne une journaliste dans Elles, sur les écrans depuis hier, Tom Cruise dans Mission Impossible 4, les protagonistes de la (très bonne) série Les hommes de l'ombre, actuellement diffusée sur France 2...

Ce sont quelques-uns des derniers films ou séries que j'ai vus. Ils ont tous un point en commun: les personnages y reçoivent des appels ou envoient des SMS depuis leur iPhone, écoutent de la musique depuis... leur iPhone, écrivent, codent, hackent, envoient des mails sur leur Macbook Pro, surfent sur Internet ou font des montages d'images sur leur iPad. Le logo Apple y est à peine dissimulé, bien au contraire: on reconnaît de toute façon facilement un iPhone par sa seule ergonomie (la photo des personnages qui appellent sur un iPhone) et un Macbook par son design (la pomme blanche sur la coque grise du Macbook)...

C'est dire à quel point l'univers Apple est devenu omniprésent dans nos vies. En tous cas, c'est ce que reflète un certain pan du cinéma, avec sa part de rêve, sa prime à la technologie, et donc la nécessité de mettre en scène les marques branchées du moment et/ou qui sont entrées dans les usages. Du moins pour certaines catégories de la population. Il faut rappeler au passage que l'iPhone est loin d'être le téléphone mobile le plus utilisé: il ne représente encore "que" 8,7% de parts de marché dans le monde fin 2011, d'après l'institut IDC.

Bien sûr, le placement de produits est monnaie courante dans le cinéma depuis ses débuts (une pratique que l'on voit aussi débarquer dans la littérature, que j'évoque ici et ). Il est plutôt l'apanage de blockbusters américains, voire fait sens dans la logique narrative de nombre de films (on pense bien sûr aux James Bond)... Même Almodovar y recourt depuis longtemps, depuis Talons aiguilles (ah! Victoria Abril et ses tailleurs Chanel...) à La piel que habito, entre les bagnoles BMW et les écrans plasma Panasonic. Mais il est par essence multimarques, les scénaristes intégrant des marques dès l'écriture du scenar pour apporter du réalisme au récit... et très prosaïquement bénéficier d'avantages en nature (prêts de produits...), en formalisant la pratique par la signature de contrats, en passant par des agences spécialisées, telles Marques et films.

Avec Apple, on franchit un cap. Ce sont bien les produits d'une même marque qui sont mis en scène dans plusieurs films (je vous laisse le soin de compléter ma liste très exhaustive par d'autres exemples de films en commentaires ;). A tel point que l'on a l'impression que certains sont carrément sponsorisés par Apple, tellement les produits sont intégrés dans le récit, mis en scène durant de longues secondes (ou minutes...) avec démos grandeur nature entre les mains des acteurs ! Et je suis prête à parier que les scénaristes desdits films ne sont pas passés par une société de placement de produits pour intégrer des produits Apple dans leurs films ! De toute façon, il n'est pas sûr qu'Apple aurait accepté, culte de la rareté et du secret oblige...

Petit passage en revue...

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Dans Millenium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, c'est manifeste: on a au bas mot 10 minutes d'utilisation de Macbook Pro (logo et nom bien visibles) par les deux personnages principaux, pour écrire, envoyer des mails, hacker en loucedé, faire des agrandissements de photos... Un mode d'emploi grandeur nature pour Mac ;) Alors certes, dans cette magnifique adaptation, David Fincher n'a fait que reprendre des placements de produits déjà (trèèès) omniprésents dans le roman de Stieg Larssen, me faisait-on remarquer sur Twitter la semaine dernière. Pas de jaloux: dans le film US, Nokia, Epson, HP, Canon ont aussi droit à leurs quelques secondes d'apparition.

Si on poursuit l'exercice, dans le très mielleux (et moyen) L'amour dure trois ans de Frédéric Beigbeder, le catalogue de produits est assez hallucinant, de GQ à la marque de décor Bo (je vous laisse le plaisir d'admirer la très impressionnante liste de remerciements dans le générique de fin...), en passant, donc, par le Macbook Pro (lorsque le héros esquisse son roman... forcément), et bien évidemment par l'iPhone, utilisé par le héros pour téléphoner, écouter de la musique (le fil blanc des écouteurs reconnaissable entre tous...), envoyer des SMS. A munira 10 minutes de placements de produits Apple.

Autre atout: mettre en scène les nouveaux usages de produits qui constituent eux-mêmes des innovations de rupture. Telle l'iPad, utilisée de manières diverses par Tom Cruise dans Mission Impossible 4, dont dans une impressionnante scène où elle sert de vidéoprojecteur dans un couloir... Certes, on entrevoit à peine la pomme... En tous cas, la tablette est mise en scène parmi d'autres joujoux technos, tels ces gants autogrippants sur des parois vitrées, ou ces lentilles de contacts dotées de caméras infrarouges. Au passage, on apprend au détour de ce billet que son réalisateur Brad Bird, fan d'Apple, a travaillé... chez les studios Pixar, et a ainsi eu l'occasion de travailler avec Steve Jobs.

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Le Macbook Air utilisé par Tom Cruise...

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...Et son iPhone avec une app dédiée

Et dans Les hommes de l'ombre, la grosse production française du moment, une fiction de 8 épisodes sur les spin doctors, réalisée par Dan Franck, les personnages travaillent sur des Mac, et reçoivent leurs appels.... sur des iPhone.

Ce ne sont que quelques exemples, pris sur des productions de ce dernier mois. Je pourrais aussi citer pour l'an dernier le blockbuster d'horreur Scream 4, qui donne la part belle à l'iPhone... jusqu'à la sonnerie récurrent dans le film, qui est la sonnerie par défaut de l'iPhone. Maaagnifique "placement sonore" de marque...

Mais c'est bel et bien une habitude pour Apple, une des marques les plus citées dans les films. Près d'un film sur trois aux Etats-Unis, parmi les films en tête du box office ont fait apparaître un produit de la marque à la pomme en 2010, d'après le site Brandchannel, qui tient un classement annuel de placements de produits.

mardi 1 novembre 2011

Steve Jobs, Apple, contre-culture et capitalisme - "Mieux vaut être pirate que de rejoindre la marine"

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Un pavé de 667 pages, blanc, quatrième de couv' toute simple et photo neutre en noir et blanc de Steve Jobs. Un bel objet, "qui trouvera sa place à côté des derniers produits Apple", me soufflait avec ironie mon voisin de bureau, qui sera probablement un des must-have pour les cadeaux de fin d'année, aussi bien pour les Applemaniacs que pour le grand public. Moins d'un mois après le décès de Steve Jobs, sa biographie officielle - donc écrite à sa demande par Walter Isaacson, journaliste passé par la CNN et Time Magazine - paraissait le 24 octobre aux US. Elle sort en France demain (2) - dont sur l'iBookStore en français. Un best-seller devenu numéro un des ventes chez Amazon US (papier et livre numérique) et sur l'iBookstore d'Apple. Un des livres-cultes de 2011 ?

Au fil des pages, dans ce qui relève plus d'une enquête au long cours, peu complaisante, que d'une hagiographie comme on pouvait le craindre, on en apprend énormément sur celui qui fut un des entrepreneurs les plus créatifs et visionnaires de ses dernières décennies: sa vie privée, sur laquelle il était très discret (le livre comporte notamment un portfolio de photos personnelle de Steve Jobs et sa famille), ses failles héritées de son enfance, sa jeunesse total post-beatnik des années 70, ses amours (on découvre avec surprise qu'il eut une longue aventure avec la chanteuse Joan Baetz, reine du protest song), l'idéal de contre-culture qui va perdurer - puis s'effilocher - dans Apple, ses échecs, ses relations avec les médias, les "piquages"' d'idées aux concurrents... Et un personnage incroyablement complexe.

Après avoir décliné à plusieurs reprises, Walter Isaacson a accepté la commande de Steve Jobs. Résultat: deux années de recherches, d'entretiens avec une centaine de personnes, plus de 40 heures d'entretiens avec Steve Jobs... Ce qui donne ce bouquin très documenté, incroyablement vivant, où l'on a l'impression de suivre Steve Jobs dans ses réunions internes, ses mythiques présentations de produits, ses luttes intérieures. Un boss énigmatique, parfois fragile, qu'Isaacson n'hésite pas à décrire à plusieurs reprises en larmes, torturé, visionnaire, manipulateur, charmeur.

On y découvre donc sa vie personnelle complexe: orphelin, il grandit au sein d'une famille adoptive aimante de la middle class. Enfant précoce - voire surdoué comme le laisse entendre le biographe - il est poussé par ses parents. Mais le fait qu'il soit orphelin le marque à vie: il grandit "avec le sentiment d'avoir été abandonné, mais aussi la certitude d'être quelqu'un d'atypique. C'est ce qui a forgé toute sa personnalité.", souligne Isaacson.

Il refuse de rencontrer son père biologique qu'il accuse d'avoir abandonné sa mère biologique et sa soeur, la romancière Mona Simpson. A 23 ans - l'âge de ses parents biologiques à sa naissance -, Jobs devient père d'une petite fille, Lisa, qu'il commencera par renier, avant de la reconnaître peu avant l'introduction en Bourse d'Apple, en décembre 1980. Elle avait alors deux ans. Jobs s'est très peu occupé de sa Lisa durant son enfance, jusqu'à son entrée au lycée, où elle vivra quatre ans avec la famille de son père. Il s'est marié depuis et a eu trois autres enfants.

Jeunesse beatnik et contestataire

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Le plus fascinant étant cette quête perpétuelle de Steve Jobs pour ne pas (totalement) perdre l'héritage de sa jeunesse hippie, qu'Apple continue d'incarner la contre-culture, la contestation, la rébellion. "Un monde "cyberdélique". Et la culture des systèmes ouverts… enterrés par Jobs dès la fin des 70's, preuve supplémentaire que capitalisme et cette forme de contre-culture sont consubstantiels", m'indiquait à juste titre Nicolas Demorand dans un échange de tweets, ce qui se vérifie effectivement dans ce bouquin.

Dès le lycée, il plonge dans le mouvement contestataire: on commence alors à parler de geeks et de hippies, il se passionne autant pour les maths, l'électronique, que le LSD et les paradis artificiels, "en vogue dans la contre-culture de l'époque". Il découvre les kits d'appareils Heathkit à monter soi-même, les magnétophones à bandes TEAC, bosse ses weekends dans le magasin d'électronique Haltek,... Avec son pote Steve Wozniak, tous deux conçoivent une Blue Box, qui permet de téléphoner gratuitement, sur le modèle de celle de John Draper, un pirate surnommé "Captain Crunch", une des icônes du hacktivisme d'alors (dont je parle notamment dans ce billet). Steve Wozniak - qui, hasard de reconnaissance ou quête de reconnaissance, vient de publier sa propre autobiographie (2) - deviendra un discret collaborateur dans l'aventure Apple, "le gentil magicien, qui viendrait avec ses inventions de génie, et Jobs imaginerait comment les présenter, les rendre conviviales, et les lancerait sur le marché", résume (un peu trop?) Isaacson.

Etudiant, Steve Jobs s'engage dans la spiritualité orientale et le bouddhisme, vie bohème pieds nus, séquences LSD, avec Bob Dylan en boucle, et un mode d'alimentation radical, qu'il conservera toute sa vie - régime végétalien et jeûnes, Une jeunesse hippie autant que rock'n roll, inhérente à son parcours par la suite - mais à mille lieues de ce que l'on sut de lui de son vivant... "Je suis né à une époque magique. Notre conscience était éveillée par le zen et aussi par la LSD. (...) Cela a renforcé mes perceptions, savoir ce qui était essentiel - créer plutôt que de gagner de l'argent, mettre à flot le plus de choses possibles dans le flot de l'histoire et de la conscience humaine", confie-t-il à son biographe.

Atari, culture open source au Homebrew Computer Club

En février 1974, premier boulot chez le fabricant de jeux vidéos Atari, là "où tout le monde voulait alors travailler", entrecoupé par un voyage initiatique de quelques mois en Inde auprès de Shunryu Suzuki, un des gourous-stars de l'époque. La Silicon Valley de la fin des années 60 est alors à la croisée de plusieurs révolutions: technologique (les contrats militaires y avaient attiré des sociétés d'électronique, d'ordinateurs...), et surtout, "il y avait une sous-culture, celle des pirates - des inventeurs de génie, des cyberpunks, des dilettantes comme des purs geeks", des beatniks - elle va marquer Steve Jobs à vie, même s'il va progressivement la fouler aux pieds.

Jobs et Wozniak commencent à fréquenter le jeune groupe Homebrew Computer Club ("Club des ordinateurs faits à la maison"), basé sur cet idéal de libre-circulation de l'information, prémices à la culture des systèmes ouverts et des systèmes open source. Ils planchent sur leur premier ordinateur, l'Apple I, qui naît en même temps que leur société Apple au printemps 76. "Apple Computer" ("Ordinateur pomme"), un peu de contre-culture et d'absurdité dans ce titre... Première faille entre deux, Jobs dissuade Wozniak de partager les codes de cet ordinateur avec leur club, dont les membres prônaient un libre accès aux lignes de codes, où chacun pouvait modifier à sa guise les programmes, l'écriture de standards open source, le contournement des logiciels propriétaires... Une ligne de partage entre systèmes ouverts et systèmes fermés.

On connaît la suite, l'ascension avec quelques accrocs de Steve Jobs, émaillée par des innovations marquantes, avec l'Apple II, lancé en 1977, commercialisé à 6 millions d'exemplaires durant 16 ans. Et - autre révélation de cette biographie - les quelques "piquages" d'idées aux concurrents, comme la technologie de la Zerox PARC en 1980, On a souvent dit que, du Mac à l'iPod, Steve Jobs avait souvent "réadapté" des produits préexistants, mais avait sur les rendre désirables au grand public. Steve Jobs répliquait - sans nier - en citant Picasso, "Les bons artistes copient, les grands artistes volent". Chez Apple, on a jamais eu de scrupules pour prendre aux meilleurs". CQFD.

Rébellion, "pirates" vs capitalisme

Par petites touches, Steve Jobs entre peu à peu dans l'ère du capitalisme, avec ce même paradoxe: se réclamer de la contre-culture tout en l'enterrant. Fin 80, Apple est introduite en Bourse et transformée en grande société, malgré les réticences de Wozniak. Si l'Apple II - conçu par Steve Wozniak - comportait des logements pour des cartes d'extension pour y connecter ce que l'on voulait, il n'en n'est plus question avec le Macintosh, conçu par Steve Jobs et lancé en 1983: premier appareil au logiciel et au matériel liés, où toute modification est impossible, premier système fermé - et vendu très cher... Autre viol du code de la piraterie. La même année, il organise un des premiers séminaires d'Apple, intitulé "Mieux vaut être pirate que de rejoindre la marine". Le siège d'Apple sera (temporairement) orné d'un drapeau où s'entrecroisent la pomme d'Apple et une tête de mort avec des tibias croisés.

En 1984, LA publicité de lancement du Mac scelle la légende Apple, en un somptueux spot réalisé par Ridley Scott avec l'agence Chiat/Day et Lee Clow, par lequel Steve Jobs espère s'imposer comme guerillero, la liberté contre "Big Blue" (IBM), assimilé dans ce spot au Big Brother orwellien... Une manière aussi de "se rattacher à la culture cyberpunk de l'époque", rappelle Walter Isaacson. Une image de marque rebelle et so cool, versus des méthodes de management interne musclées, et un écosystème fermé qui sera la clé d'Apple: un des immenses paradoxes de cette entreprise, que j'abordais notamment dans cette enquête.

En juillet 1997, lors de son retour d'une semi-traversée du désert, pour creuser ce sillon de la rébellion, Steve Jobs conçoit avec Chiat/Day une campagne d'affichage avec pour slogan "Think different", et pour icônes Einstein, Gandi, Lennon, Chaplin, Picassso... Rien de moins.

"Foyer numérique", système fermé

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Même angle d'enquête dans Les Inrocks et Stratégies en décembre 2010

Parallèlement, Steve Jobs bâtit ce système qui s'inscrit dans une logique d'intégration globale: il a la conviction que l'ordinateur personnel va devenir le foyer numérique, permettant de connecter facilement un ordinateur de bureau à une flopée de terminaux mobiles. Les années 2000 scellent ce système, incroyable décennie d'innovations: iTunes, puis l'iPod, l'iPhone, l'iPad, s'inscrivaient dans ce système clos. "On allait pouvoir synchroniser tous ces appareils grâce à l'ordinateur et ainsi gérer musique, photos, vidéos et données personnelles, soit tous les aspects de notre 'mode de vie numérique'", expliquait Steve Jobs. Apple ne serait ainsi plus une entreprise dédiée aux seuls ordinateurs, mais à l'origine d'une gamme de nouveaux appareils - qui allaient ainsi fidéliser les utilisateurs de Windows au système Apple.

Avec le système de gestion et d'achat de musique iTunes, avec pour slogan en 2001 "Rip, Mix, Burn" ("Récupérez, mixez, gravez"), puis l'iTunes Store, la boucle est bouclée. Il convainc Bob Dylan en 2004, les Beatles en 2010, d'y proposer l'intégralité de leurs œuvres sous forme de coffret numérique - "Jobs serait leur dépositaire pour l'ère numérique", pointe Isaacson. La logique est la même dans le secteur de l'édition et du journalisme, lorsqu'Apple crée l'iBook Store, qui vend des livres numériques de la même manière qu'iTunes vend de la musique. Pour y figurer, les éditeurs devront verser à Apple 30% de leurs revenus tirés de ces ventes. Enfin, iCloud, dévoilé en juin 2011, permet à chacun de stocker ses données non plus sur son ordinateur, mais dans un "nuage", ère du "cloud computing" oblige.

Les derniers années de Steve Jobs, son rapport avec son cancer - le déni, les divers traitements suivis, la transition chez Apple - sont largement abordées dans cette biographie. Où l'on apprend qu'il suivait ce memento mori, avertissement donné par un médecin: "Dans la Rome antique, quand un général victorieux paradait dans les rues, la légende voulait qu'il soit suivi d'un serviteur dont le rôle était de lui répéter "memento mori" ("Rappelle-toi que tu es mortel").

(1) Steve Jobs, Walter Isaacson, JC Lattès, 667p., 25€. Sortie le 2 novembre. (2) iWoz, Steve Wozniak et Gina Smith, Ecole des Loisirs, 323p., 14,80€.'

A lire également, sur MondayNote, ce long billet de Jean-Louis Gassée (ex-DG France d'Apple, que Steve Jobs accuse dans sa biographie d'avoir "poignardé dans le dos" en 1985), et ce très émouvant article de sa soeur Mona Simpson publié par le New York Times.

mercredi 18 août 2010

"So long" le Web ? (C'est "Wired" qui le dit)

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Le Web est mort, vive Internet ? En tous cas, c'est 'Wired'' qui le dit, dans un article (avec le graphe qui va bien) publié en ligne hier, signé par le patron du magazine, Chris Anderson... Comme il l'espérait :) il n'a pas manqué de provoquer un afflux de réactions sur la Toile.

Déjà en juin, au salon All hings Digital, Steve Jobs, le patron d’Apple annonçait crânement que c'était bientôt la fin de "l’ère des ordinateurs de bureau", remplacée par celle des terminaux dédiés à certains usages.

Le XML se substitue au HTML

On en est peut-être pas si loin, à en croire le magazine. Car c'est là le grand changement induit par les outils nomades connectés à Internet- smartphones, tablettes tactiles, netbooks - qui se sont multipliés ces derniers mois. Plus besoin de surfer sur le Web, d'y mener de fastidieuses recherches: Apple a inauguré les applications mobiles, qui nous permettent d'accéder en un clin d'oeil à des contenus et services ciblés sur Internet. Alors que jusqu'à il y a peu, à l'ère du Web old school, il fallait passer uniquement par des pages web en http:// pour y accéder.

Et de souligner: l’Internet est la véritable révolution, aussi importante que l’électricité; ce que nous en faisons est encore en train d’évoluer. En passant de votre ordinateur à votre poche, la nature du Net se transforme.

Wired s'est basé sur une étude publiée récemment par l’institut Cisco, qui a mesuré le ratio des différents usages dans le trafic global du réseau. Résultat: le web ne représente plus que que 23% du trafic, soit autant que les échanges en peer to peer. Désormais, la vidéo en ligne représente plus de 50% du trafic sur Internet - certes, la généralisation du haut débit aide...

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Source: Wired

Pour reprendre un de ces schémas que Wired affectionne, les applis remplace(ro)nt donc le navigateur, le modèle éco du freemium (gratuit +premium) le tout-gratuit, le XML le HTML...

Croissance du trafic Web

L'analyse de Wired est polémique, donc forcément un peu biaisée :) Alors que l'étude de Cisco se base sur des pourcentages, et non sur le quantitatif, comme l'a pointé Nick Bilton dans le New York Times. En clair, la jolie thèse de Chris Anderson s'effondre comme un château de cartes en omettant la croissance du trafic web.

De fait, comme le souligne Frédéric Filloux dans son article sur Slate, "le trafic total mesuré sur internet en 1995 était de 10 téraoctets. Dix ans plus tard, il a été multiplié par 10.000, et on estime que d’ici la fin de l’année 2010, il atteindra 7 millions de téraoctets. L’augmentation du trafic touche donc tous les domaines, le web y compris, même s’il progresse moins vite que la vidéo ou les applications, par exemple".

Idéologie

Mais pour Chris Anderson, les faits sont là: en privilégiant l'utilisation des "applis", les internautes adhèrent de facto au modèle fermé et propriétaire créé par Apple avec ses applis iPhone - et tant décrié, au point que l'on a pu soupçonner Steve Jobs de virer réac' . Alors que par essence, les pages web sont ouvertes, puisque leur code est consultable...

mardi 27 octobre 2009

Apple se met (presque) au low-cost avec un ordinateur à 999 $

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L'info est tombée mardi, comme l'a annoncé Cnet, Aple prépare son MacBook le plus low-cost qui soit (pour lui du moins), à 999 $.

Concrètement, Apple reste en fait dans le milieu-haut de gamme qui lui est propre : ce MacBook Pro n’est que le modèle d’entrée de gamme de son catalogue. Ce MacBook White comporte un écran LED rétro-éclairé, un trackpad Multi-touch en verre, et une plus grande autonomie grâce à la batterie intégrée, qui pourrait atteindre jusque 7 heures, d'après Apple. Mais les faits sont là : pour beaucoup, à défaut de s'aventurer sur le terrain du netbook, Apple se frotte tout de même à l'entrée de gamme...

Probablement une réponse à sa façon aux PC laptops et netbooks (bien low-cost, eux), qui ont déboulé sur le marché depuis 18 mois, alors qu'il est le seule à n'avoir pas lancé de netbook - précisément parce que cela l'aurait obligé à s'engouffrer dans le low-cost.

Bien vu, alors que les résultats d'Apple ont rarement été aussi bons - pour le moins, la firme californienne n'a pas connu la crise cette année, avec un bénéfice net en hausse de 18% à 8,704 milliards de $ pour l'année 2008-2009, et une hausse de 12,5% pour le chiffre d'affaires, à 36,5 milliards de $.

Alors que la concurrence s'aiguise... Notamment du côté d'Acer, qui s'apprête à devenir n°2 mondial devant Dell. Et que les netbooks, malgré leur faible marge, s'imposent comme un segment porteur. Et il y a fort à parier que les laptops et PC seront dopés, en cette fin d'année, par le nouveau Windows 7, attrait de la nouveauté oblige... D'autant que "une nouvelle génération de laptops bon marché, sous Windows 7, légers et sans lecteur de DVD", ont été dévoilés par la même occasion, d'après CNET.

jeudi 7 juin 2007

Fausse pub iPhone, ou les vertus du buzz

L'iPhone d'Apple n'est pas encore sorti — attendu le 29 juin aux Etats-Unis et en décembre pour l’Europe — mais il fait énormément parler de lui. Avec notamment cette fausse pub qui circule sur la Toile. Les véritables démos sont .

A propos de l'iPhone, à lire dans le mensuel "Management" de juin, un benchmark très instructif entre l'iPhone et les autres mobiles "multimedias", qui relativise beaucoup les aspects innovants de l'iPhone, sous la plume d'Amaury Mestre de Laroque.