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samedi 27 janvier 2018

Black Mirror, Electric Dreams, Altered Carbon... Pourquoi l'anticipation cauchemardesque est tendance

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Connecté, déconnecté... comment cela nous a pris, le rêve de nous déconnecter; nous qui rêvions à une époque, à la fin des années 90, aux débuts d'un internet libre et ouvert, d'un monde numérique où tout serait accessible, immédiat et partagé ? La dernière bande dessinée d'Enki Bilal, Bug (ed. Casterman) imagine un gigantesque black-out du monde connecté, où il faudrait tout réinventer. Dans un futur pas si éloigné, en 2041, toute la mémoire informatique du monde s'envole soudain, créant un chaos monstre. La Terre est confrontée à la disparition brutale et inexplicable de toutes les sources numériques planétaires, des plus gros serveurs de la toile aux plus petites clés USB. Dans une société où tous vivent à travers leurs écrans, leurs ordinateurs et leurs téléphones, qui sont les témoins de leur passé, et les complices de leur avenir.

Malaise de l'être hyperconnecté

La saison 4 de la série télévisée britannique Black Mirror, disponible sur Netflix, met elle aussi la lumière, dans chaque épisode, sur la violence insidieuse de nos écrans, et l'aliénation technologique. De même, dans sa première série anthologique de science-fiction, son rival Amazon Studios, Philip K Dick’s Electric Dreams, reprend dans 10 épisodes indépendants les prophéties, tantôt paranoïaques, tantôt réalistes, du romancier, à l'origine des cultissimes Blade Runner et Minority Report entre autres. Auparavant, ces derniers mois, il y a eu Westworld (HBO), Humans (adaptation sur AMC de la série suédoise Real Humans, chroniquée ici, diffusée sur Arte), la plus confidentielle Transferts, sur Arte...

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Et dans quelques jours, le 2 février, Netflix dégainera son nouveau blockbuster SciFi, Altered Carbon, tiré de l’oeuvre de Richard K. Morgan, un technothriller cyberpunk où un ancien soldat, seul survivant d’un groupe de guerriers d'élite vaincus lors d’un soulèvement contre le nouvel ordre mondial, a son esprit "emprisonné dans la glace" pendant des siècles. Jusqu’à ce qu'un homme extrêmement riche et vivant depuis plusieurs siècles lui offre la chance de vivre à nouveau. En échange, Kovacs doit résoudre un meurtre... Celui de Bancroft lui-même.

Décidément, la dystopie, ce registre de science-fiction qui imagine un futur horrifique à partir des travers de notre société, inspire tous azimuts, y compris les nouveaux mastodontes des séries télévisées, qui sont un des meilleures reflets mainstream du monde d'aujourd'hui. Et donc, tous cernent cette évolution un peu folle d'internet en une quinzaine d'années, depuis les utopies libertaires du début des années 2000. Maintenant, dans l'hypermodernité d'aujourd'hui, beaucoup interrogent sur le malaise de l'être connecté, du tout-numérique, puisque sur internet, on n'est plus tout à fait nous-mêmes, la spectacularisation de l'existence, où chaque intervention sur les réseaux tourne à la mise en scène de soi. Avec ce paradoxe, la déconnexion est-elle indispensable pour l'être sociable ?

Hommage à K. Dick chez Amazon

Avec Philip K. Dick’s Electric Dreams, disponible depuis le 14 janvier, Amazon Studios dégaine donc sa première série futuriste d'anthologie, avec des épisodes qui se superposent. L'adaptation de courtes nouvelles de K. Dick, trésors souvent méconnus. Amazon, qui s'est lancé à marche forcée (voir mon enquête ici), en toute discrétion, dans la production de séries et films prestigieux, avec pour coup d'essai en SF l'adaptation d'un autre bijou de Philip K. Dick, Le maître du très haut château, où il imaginait un monde où les nazis auraient remporté la Seconde guerre mondiale aux côtés des japonais.

Ici, avec castings de rêve (Steve Buscemi dans Boardwalk Empire) et réalisateurs-stars (Alan Taylor, Game of Thrones et Terminator Genisys), au fil des épisodes, on voyage dans des mondes désenchantés où l'homme a perdu le combat face aux nouvelles technologies. Dans ces mondes, des extra-terrestres prennent possession des esprits, et l’innovation asservit les consciences et l'autonomie au nom de la sécurité.

L'impossibilité de communiquer, les technologies qui nous enferment, l'humain perfectible en constante opposition à des machines (trop) parfaites.... On retrouve ainsi tous les ingrédients qui étaient déjà chers à K. Dick, et sont étrangement de nouveau d'une cruelle actualité : les pouvoirs télépathiques des mutants (The Hood maker), ou l'impossibilité de communiquer, dans Impossible planet (publié en 1953!), où ce sont deux employés désenchantés du tourisme spatial qui n'osent pas dire la vérité à une riche dame âgée, qui rêve d'un voyage vers une planète disparue, la Terre.

Autre obsession de K. Dick à quoi serions-nous prêts pour avoir la vie que l’on mérite ? Il est mis en scène dans l'épisode The Commuter, fable métaphysique où l'employé d'une gare découvre que des passagers prennent le train pour une ville qui ne devrait pas exister. Quand il enquête, il se retrouve face à face avec une "réalité alternative" qui le force à affronter ses propres difficultés dans sa "vraie" vie, sa relation avec sa femme et son fils.

S'accommoder d'une vérité alternative, cela perce encore plus dans l'épisode Human Is, où une femme souffrant d'un mariage sans amour voit son mari reenir d'une bataille avec des aliens, étrangement gentil. Il est désormais "habité" par un alien: elle le sait, mais préfère s'accommoder de cette nouvelle réalité. Cela nous plonge au cœur du questionnement principal de Philip K. Dick : Qu'est-ce qui nous définit vraiment comme humains ?

Autre sujet récurrent, les dangers de l'hypersécurité. Dans Safe and sound Une jeune fille originaire d'une petite ville et d'une "petite" planète, déjà atteinte de phobie sociale, emménage dans une grande ville futuriste avec sa mère. Exposée pour la première fois à l'intensité de la prévention sur la sécurité et le terrorisme de la société urbaine, ses jours d'école ne tardent pas à s'emplir de peur et de paranoïa...

Miroirs noirs et déformants

Des thèmes qui ne sont guère très éloignés de la saison 4 de Black Mirror, chef-d’œuvre signé Charlie Brooker. Depuis la diffusion de ses premiers épisodes sur Channel 4 en 2013, ce "noir miroir" veut nous avertir sur comment la présence grandissante des écrans change profondément notre rapport à ceux-ci. Ces écrans forment aussi le miroir noir et déformant d’une humanité qui s’y abandonne...

Hypersécurité toujours, dans le très réussi Crocodile, une détective privée membre d'une société d'assurances enquête sur un banal accident de la route à l’aide d’une technologie, sorte de test de vérité high tech, qui lui permet de matérialiser en images vidéos des souvenirs des témoins. En plongeant dans la mauvaise mémoire, elle va réveiller le souvenir d’un crime ancien d'une des témoins, et déclencher une spirale irrépressible de violence. ..

Dans Arkangel (réalisé par Jodie Foster hersefl), les dangers de l'hypertechnologie et de la surveillance liberticide sont aussi invoqués à travers le récit d'une jeune mère qui décide de faire implanter à sa petite fille une puce GPS, encore en phase de prototype, permettant de suivre à distance ses moindres faits et gestes sur une tablette. Mais aussi de voir à travers les yeux de sa fille, et de brouiller les pans du réel qu’elle estime potentiellement choquants…

Sans surprise, la thématique des robots qui se rebelleraient trouvent aussi leur place dans cette saga, avec le très réussi Metalhead, thriller entre Terminator et DuelPhilip K. Dick de Spielberg, où le noir et blanc sert d'écrin à un monde post- apocalyptique, où quelques humains survivent face à des petits robots (qui ressemblent étrangement aux bestioles robotisées de Boston Dynamics...). On y voit la terrible poursuite d'une femme par un robot-chien tueur impitoyable.

Je finis avec le meilleur, la romance 5.0 dans Hang the DJ, qui dénonce un des autres services de l'hypertechnologie à outrance, les sites de rencontre. Et imagine les dérives possibles des AdopteUnMec, Meetic et consorts en applis de rencontres bien intrusives. Ici, une application de rencontre hyper-développée qui permet à ses clients de rencontrer le ou la partenaire idéal(e) grâce à un algorithme complexe (ça ne vous rappelle rien ?). Dans un monde futuriste autoritaire (dictatorial?), soumis à des règles strictes, les utilisateurs sont obligés d'accepter des relations-tests destinées à préciser leur profil. L'appli choisit pour eux leur partenaire idéal. Mais des utilisateurs vont se rebeller...

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dimanche 26 mars 2017

De "Grave" à "Santa Clarita Diet", le retour du cannibalisme dans la culture pop

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C'est un film dont on ne sort pas indemne. Sur le coup, un peu sous le choc, inquiète, mais pas effrayée pour autant, et l'estomac noué. EC'est un de ces films qui marquent, car il s'agit d'un véritable Ovni cinématographique, insolite, inclassable, indéfinissable (film d'horreur? Pur film indé français fin d'études Femis?), qui apporte un ton nouveau. Parfois, il vous emmène dans des sensations à la limite du désagréable, un peu comme une craie qui crisse sur un tableau noir, vous détournez le regard, mais sans jamais franchir la limite de l'horreur. Quelques heures après, il en reste des sensations, des images fortes, ce ton échevelé, désinhibé, libre, mais pas gratuitement provoc'. Il nous emmène dans un voyage étrange, mais la cinéaste a l'habileté de le narrer à travers un récit banal, quotidien au premier abord (l'initiation à double sens d'une étudiante), pour aborder un des tabous absolus de l'humanité: le cannibalisme. Est-ce bien raisonnable de manger son prochain?

"Grave", c'est donc ce premier film français de la jeune réalisatrice Julia Ducournau, ultra-diplômée (de la Femis, un des écoles de cinéma françaises les plus select, et la l'université Columbia), produit par Julie Delpy, sorti il y a moins de quinze jours, et qui semble bien parti pour acquérir une notoriété mondiale. C'est donc l'histoire de Justine (on pense forcément à Sade), 16 ans, étudiante ingénue et brillante, qui intègre une école vétérinaire - tout comme sa soeur, encore étudiante, et ses parents avant elles. Sur place, les premiers jours sont loin d'être sagement studieux, avec le bizutage des novices, et son lot d'épreuves à la limite du dégradant. Justine s'y plie, bon gré mal gré, jusqu'à être forcée à gober un rognon de lapin cru - épreuve terrible, pour elle la végétarienne... Elle subit ensuite des effets secondaires qui nous font entrer dans un univers à la limite du fantastique: elle est peu à peu gagnée par un appétit irrépressible de viande crue, de chair fraîche, et très vite, de chair humaine.

Je ne vais pas vous spoiler ici tout l'intrigue du film ;) mais une des grandes réussites de Julia Ducournau est de traiter un sujet fantastique, qui relève du cinéma d'horreur - le cannibalisme - dans une fiction ordinaire. Et elle crée d'emblée un univers où s'insinue une vague inquiétude, quelque chose d'organique et d'étrange: l'omniprésence du sang, déjà: dès la scène de bizutage où, pour la traditionnelle photo de promo, les jeunes bizuts se voient déverser des flots de sang (l'image de Justine ensanglantée évoque Sissy Spacek dans Carrie de Brian de Palma). Omniprésence des animaux ensuite, morts ou vifs, en bocaux, ou disséqués en cours. Dans quelques scènes cruelles et fulgurantes, la cinéaste cerne bien des nouveaux comportements de la génération Y: mention spéciale pour ces scènes d'anthologie où la jeune Justine, en prise à ses démons cannibales, et filmées en direct par se camarades de promos avec leurs smartphones... Qui sont alors les plus barbares: la cannibale malgré elle, ou les autres étudiants qui la filment avec avidité?

On sent que la cinéaste a fait se classes pour traiter de ce sujet propre au fantastique, le cannibalisme, à une sauce ultra-réaliste: dans ses interviews, elle cite Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, bijou indé des 70s d'autant plus flippant qu'il est tourné caméra à l'épaule (comme un documentaire), Shining de Stanley Kubrick, Crash de David Cronenberg, plutôt que les classiques de l'horreur tels que La nuit des morts vivants de George A. Romero.

Drew Barrymore zombie chez Netflix

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La cannibale, nouvelle héroïne féminine? Ce personnage s'invite aussi à la télé. Le mastodonte de la série télé mainstream Netflix a lui-même commandé une série originale avec une héroïne cannibale. Dans Santa Clarita Diet, Drew Barrymore incarne une desperate housewife (ou presque) qui mène une vie vaguement ennuyeuse d'agent immobilier, dans une banlieue proprette. Jusqu'au jour où elle ressent subitement le besoin de dévorer de la viande rouge - et des êtres humains. Et redécouvre alors le bonheur familial et conjugal. Etrange série, où, comme chez Julia Ducournau, ce phénomène fantastique est mis en scène dans un univers un ne peut plus quotidien, avec humour potache de soap très américain, où son mari s'efforce de l'aider dans sa nouvelle quête (sans sembler paniqué). Il va même l'aider à tuer, de préférence des criminels ou des mauvaises personnes (coucou Dexter). Un ton étrangement absurde où la mère de famille qui devient zombie doit toujours vendre des maisons et entretenir de bons rapports avec ses copines du quartier.

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Mais pourquoi cette nouvelle incursion du cannibale dans le cinéma? Evidemment, c'est un classique du cinéma d'horreur. Mais son retour dans la culture pop a été consacré, dans les années 2000, avec la série The Walking Dead, succès continu depuis 2010. Que l'on voit même revenir ici où là dans des petites pépites du cinéma indépendant, aux quatre coins du monde. L'an dernier, au festival de Cannes, deux films abordaient ces ripailles vampiriques: l’un ­situé dans le milieu du mannequinat (The Neon Demon), l’autre en pays ch’ti (Ma Loute). Dans Dernier train pour Busan, film sud-coréen sorti en août 2016, où les voyageurs à bord d'un train se trouvent atteints d'une étrange maladie qui les transforme en zombies...

Révélateur contemporain

Le cinéma s’est toujours nourri de l’état du monde. Dès lors, les troubles qui affligent nos sociétés, nos économies, influencent la production contemporaine. Cette réapparition en salles d'un sujet horrifique et tabou - doit-on manger son prochain pour survivre? - se marie avec une époque, dans la France et le monde d'aujourd'hui, où il y a plusieurs motifs de terreur et d'angoisse. Un film sur le cannibalisme aborde le tabou ultime, et interroge avec brutalité sur les limites de l'humain. Le cannibale, c'est le sauvage, celui qui, par ses mœurs primitives, nous conforte dans notre sentiment de notre humanité. ou peut-être sur notre propre barbarie... De même que La nuit des mort-vivants, sorti en 1968, était une métaphore de la contagion du mal, du communisme qui effrayait alors les Etats-Unis, en pleine guerre du Vietnam, Grave incarne un monde contemporain où des dirigeants, tel Donald Trump, outrancier, extrémiste et grossier, et d'autres personnages populistes en Europe, incarnent une certaine violence.

dimanche 5 juillet 2015

L'e-cinéma, nouvelle forme de consommation des films ?

C'est un aimable divertissement, ce genre de film que l'on regarderait lors d'une soirée loose en zappant distraitement, ou alors le sacro-saint "film du dimanche soir", que l'on daigne précisément regarder à ce moment-là à la télé, après l’avoir sciemment ignoré lors de sa sortie en salle. Car il ne nous semblait pas "digne" de l'acquisition d'un billet de cinéma. Un incroyable talent, dernier film de David Frankel (Le diable s'habille en Prada, Marley et moi...), que j'ai donc regardé pour vous, chers lecteurs ;), raconte l'histoire (vraie) d'un certain Paul Potts (interprété par James Corden), sympathique et maladroit vendeur de téléphone portables de son état, dans la ville de Port Talbot, qui va trouver sa destinée grâce à sa voix exceptionnelle, devenant le premier gagnant de l'émission de téléréalité britannique «Britain’s Got Talent». Bref, un "feel good movie" inspiré d'une success story comme les adooorent les anglo-saxons, et qui surfe sur la vogue des émissions de télé-réalité musicales (coucou La Star Ac', The Voice, Nouvelle Star, et consorts). La présence d'acteurs britanniques renommés dans de seconds rôles (tels Colm Meaney, Mackenzie Crook) lui permet de se situer juste au-dessus du niveau du film "acceptable".

"Un incroyable talent", premier long-métrage programmé sciemment en VoD

Mais la particularité, la nouveauté réside dans son mode de distribution, et par conséquent de diffusion. Depuis ce vendredi 3 juillet 20 heures, il est distribué sur la quasi-totalité des services de vidéo à la demande (Filmo TV, iTunes, MyTF1VOD, Club vidéo SFR, Google Play, Orange, Pluzz Vad de France Télévisions...). Les créateurs de ce long-métrage ont gentiment ignoré la traditionnelle sortie au cinéma du mercredi matin.

Explication: son distributeur en France, Wild Bunch (dénicheur de talents, qui a notamment distribué Quentin Tarantino depuis Reservoir Dogs), a choisi volontairement de le sortir directement sur la plupart des plateformes de vidéo à la demande, et des terminaux OTT ("over the top" dans le jargon, comprenez mode de distribution de contenus via internet, sans intermédiaire, par les fournisseurs d'accès internet - sur TV connectées, ordinateurs, consoles etc.). Il est donc disponible en ligne depuis vendredi soir, pour 6,99 euros.

Il ne s'agit même pas du purgatoire réservé aux nanars ou films aux piètres performances dans leur pays d'origine, qui les condamnent à sortir directement en DVD (et jadis en cassette VHS). C'est un choix de distribution d'un nouveau genre: bienvenue dans l'ère du "e-cinéma". Mais derrière cette appellation au vernis d'innovation rassurant, sur le fond, le principe est assumé : zapper la sortie traditionnelle sur grand écran, et proposer un nouveau film directement au foyer des consommateurs téléspectateurs.

Wild Bunch s'est carrément doté d'une filière dédiée, Wild Side, qui gère donc les sorties e-cinéma. Et il compte sortir avec celle-ci, créée il y a quelques mois (comme le révélait alors Le Monde dans cet article), au moins cinq films par an.

Abel Ferrara en e-cinéma

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Certes, ce nouveau mode de distribution avait déjà été éprouvé par Wild Bunch pour la sortie de Welcome to New York d'Abel Ferrara, en mai 2014. Mais le contexte était alors très différent: par son sujet même, par sa (piètre) qualité, et son accueil pour le moins mitigé à Cannes en mai 2014, et surtout son mode de financement original, a poussé Wild Bunch à opter pour la VoD. A l'origine, aucune chaîne de télévision française n’avait voulu financer le film (qui avait pour inconvénient, pour elles, malgré la présence de la star Gérard Depardieu, de toucher à DSK), offrant du coup à Wild Bunch une liberté absolue sur la diffusion du film ("les chaînes de télévision, en échange de leur financement, demandent à disposer d'une fenêtre de diffusion exclusive", rappelait alors BFMTV.com). D'ailleurs, le bouche à oreille aidant (le fameux goût du scandale...), le film avait alors décroché 200 000 commandes.

Avec Un incroyable talent, Wild Bunch assume (et crédibilise) totalement l'utilisation de cette nouvelle "filière": il distribue par ce biais un blockbuster peu risqué, qui aurait probablement fait une carrière honorable sur grand écran.

Autre preuve qu'il assume, il a accompagné sa "sortie" d'une mécanique promotionnelle similaire à celle d'un film "classique": avant-premières pour la presse spécialisée, équipes ayant fait le déplacement à Paris pour accorder des interviews (campagne affichage ? ) Atout incroyable dans cette machine promo face au cinéma old school, l'e-cinéma a la droit de faire de la publicité à la télévision

Nouvelle forme de consommation du cinéma

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Reste à voir si cette nouvelle forme de consommation du cinéma va s'imposer dans les usages. Le modèle est le suivant: on paie 6,99 euros sur une des plateformes, pour "louer" le film pour une durée de 48 heures (comme naguère, une cassette vidéo ou un DVD chez son loueur favori, donc), que l'on regarde à sa guise, d'une traite ou pas, sur un écran (téléviseur, ordinateur...) chez soi. Le film reste diffusé en exclusivité pendant 6 semaines.

Le grand public est-il prêt à débourser 6,99 euros pour un film qu'il "loue" pour 48 heures ? Rappelons que bon nombre ont pris l'habitude de regarder une multitude de films et de séries chez eux pour 7 euros par mois (l'offre de base de Netflix), ou carrément sans rien payer (coucou le piratage et les offres illégales), prenant l'habitude de se "goinfrer" de cette multitude de contenus culturels (comme j'en parlais dans ce billet). Et si un billet de cinéma coûte en théorie autour de 10 euros (hors de prix, je vous l'accorde), la plupart des spectateurs déboursent en moyenne 4,50 euro par ticket de cinéma (entre les pass illimités, les pass 5 films, les chèque-cinéma fournis par tous les comités d'entreprise...). Et rien ne remplacera la sortie au cinéma, au sein d'un public, le cérémonial, le plaisir de l'écran noir avant (et du cônes en début de séance l'été... Enfin ça, c'est un de mes plaisirs de cinéphile :)

Mais l'e-cinéma pourrait vite s'imposer comme autre circuit de distribution : il est beaucoup moins cher que le réseau de salles de cinéma, pour un public-cible bien plus large (80% des foyers français ont par exemple potentiellement accès à Un incroyable talent). D'autant plus que les ménages français sont désormais (sur) équipés en téléviseurs HD et autres tablettes. Autre atout, il donnerait une chance de succès à nombre de films alternatifs et/ou à petit budget, n'ayant pas les moyens de "monter" en salle. Alors que le réseau de salles traditionnelles est saturé, avec en moyenne une dizaine de sorties de films par semaine. Accessoirement, l'e-cinéma permet aux distributeurs de contourner gentiment la chronologie des médias, (pour l'instant) inaliénable en France, soit laisser passer quatre mois entre les sorties en salles et en VoD.

TF1 eCinema... Et l'ombre de Netflix

Une chose est sûre, Wild Bunch n'est pas le seul. Le géant TF1 s'y met aussi. Le 1er mai, TF1 Vidéo lançait son offre eCinema , avec Son of a Gun (avec Ewan McGregor), puis le 3 juillet Everly (avec Salma Hayek). Il promet au second semestre des titres comme Momentum (avec Olga Kurylenko et Morgan Freeman), ou encore MI-5 Le film (avec Kit Harrington).

Tout comme Netflix, arrivé en France de manière fracassante avec son offre de SVoD en septembre dernier. A sa manière: il propose des séries exclusives de haut niveau, produites par -lui-même, et signées de cinéastes de renom (dernière en date, Sense8, série de science-fiction des Waschowski) , mais aussi des films qui ne sortiront jamais en salles (The Disappearance of Eleanor Rigby, ou encore St. Vincent de Theodore Melfi, une comédie avec Bill Murray et Melissa McCarthy). Ça y est, une brèche est bien ouverte.

jeudi 16 avril 2015

De Netflix à Spotify, le nouveau consumérisme culturel en "tout-illimité"

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"Tous les épisodes dès maintenant !". "A regarder où et quand vous le souhaitez, seulement sur Netflix". L'argumentaire publicitaire était assuré et un rien arrogant, pour les pleines pages de pub qu'il s'était offertes dans le JDD dimanche dernier. Pour le lancement, le 10 avril, de Daredevil, sa dernière série originale-blockbuster, première série télé de super-héros, adaptation du comic book de Marvel. Sept mois après son lancement en France, Netflix, le trublion américain de l'audiovisuel n'a plus peur de grand-chose. Pas très rentable, pas encore très connu en France... Peu importe, l'essentiel tient dans le choc culturel qu'il a déjà provoqué. C'est lui qui a créé cette nouvelle habitude, le "binge watching", équivalent télévisuel du "binge drinking", où l'on s'abreuve de séries télé.

"Binge watching"

Chacun en a, un jour, fait l'expérience. Même les téléphobes absolus. Qui arguent du fait qu'ils peuvent choisir *leur* série favorite du moment, et la consommer regarder quand ils veulent, sans être soumis au rythme du diktat télévisuel "old school". Car c'est une des autres révolutions culturelles induites par Netflix, et les autres services de vidéo à la demande par abonnement (SVoD) : plus question d'attendre religieusement la diffusion au compte-goutte, chaque semaine, de quelques épisodes de sa série préférée. La faute, pêle-mêle, à ces services de SVoD, évidemment aux divers services de téléchargement (ou visionnage en streaming) parfaitement illégaux, telle l'appli de streaming gratuite Popcorn Time (qui porte bien son nom). Et bien sûr la montée en gamme, ces dernières années, des séries télé, terrain de plus conquis par des grands noms (acteurs et réalisateurs) du cinéma.

Oui, mais Netflix est en train de rendre ces usages mainstream, tout comme la télévision de rattrapage (catch-up TV). Même moi, qui n'ai jamais été fan des séries télé, je me suis parfois surprise à engouffrer plusieurs épisodes à la suite lors de longues soirées, ou lors des classiques crèves et grippes hivernales. Certes, la première série haut de gamme à m'avoir entraînée fut Mad Men (parce que j'entrais à Stratégies, cette série sur les débuts des grandes agences de pub sur l'Avenue Madison avait pour moi une valeur documentaire, mais aussi parce que j'ai adoré son élégance visuelle et d'écriture, comme j'en ai alors parlé ici). Mais ces derniers mois, j'ai dévoré Orange is the new black, Real Humans, Girls, Silicon Valley, Bloodline. Certaines diffusées chez OCS (l'offre de SVoD d'Orange), mais la plupart chez Netflix.

L'ergonomie même du service nous incite à enchaîner allègrement les épisodes : inutile de les télécharger, on peut les lire instantanément, puisque Netflix et consorts passent par notre box ADSL Internet Le premier épisode de la série achevé, le service de SVoD me suggère de lire le suivant, sans publicité qui m'inciterait à m'arrêter. Mieux: sans que je bouge un orteil de mon canapé, au bout de quelques secondes, il le lance automatiquement.

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Vous l'avez reconnu...

Et, tiens donc, Netflix, en nouveau trublion de l'audiovisuel, dicte ses règles. Son modèle : proposer les épisodes de ses nouvelles séries non pas de manière perlée, mais par saisons entières ! Il a révolutionné le secteur de la fiction télé par ce modèle, initié avec sa vénéneuse série politique House of cards. Et les autres chaînes de télé ont suivi ! Canal+, pour qui Netflix est l'ennemi juré, a malgré lui adopté son mode de diffusion : alors qu'il a décroché les droits exclusifs de diffusion de House of cards en France (Netflix France ne la propose donc pas), lors de la sortie de la très attendue saison 3 dans L'Hexagone, il n'a pas eu le choix : il a proposé d'un bloc toute la saison sur son service maison de SVoD, CanalPlay, en même temps que son lancement outre-Atlantique, sur Netflix US?. Les abonnés au Canal+ classique ont, eux, dû attendre quelques semaines pour la découvrir - par épisodes égrenés. Le téléspectateur a désormais la liberté de visionner "ses" séries à son rythme (dont de manière compulsive ;), et non plus au rythme dicté par le diffuseur.

Canal+ avait déjà expérimenté cette nouvelle offre : lors de la sortie des dernières saisons de Mafiosa et ''Engrenages'', ses séries-stars Made in France, , il proposait le même jour l'ensemble des saisons précédentes en VoD. Même la très sage France Télévisions se fait violence : à la veille de la diffusion sur son antenne de la saison 2 de la série britannique Broadchurch, France 2 offrait une séance de rattrapage en rediffusant la première saison de huit épisodes, en une salve, dans la nuit de dimanche 5 à lundi 6 avril, dès 0h05. D’ailleurs, le festival de séries télé Series Mania, qui commence ce weekend au centre Pompidou à Paris, annonce dans son programmes des séances "marathons" de séries, à s’engloutir plusieurs heures d'affilée.

"Uberisation" de la culture

Ce qui est d'autant plus vertigineux est que ce modèle Netflix de consumérisme culturel semble contaminer d'autres secteurs culturels, comme le relatait récemment cet excellent article de GQ. Cela faisait longtemps que je voulais écrire sur cela, parce que je m'aperçois que ce nouveau type d'offres influe directement sur la manière dont je me cultive, je me divertis, dont j'acquiers des biens culturels.

Je m'en aperçois dans mon quotidien : de plus en plus de services me proposent des offres "à la demande" c'est-à-dire non pas à l'unité, mais par un abonnement (souvent mensuel) qui me donne un accès illimité à ces contenus et services. Au nez et à la barbe des acteurs classiques du secteur. Une forme d'"uberisation" de la culture, en somme. Evidemment, cette consommation dématérialisée est devenue possible avec ces nouveaux modes d'abonnement, mais surtout nos nouveaux joujoux, ces smartphones et tablettes que nous avons tout le temps avec nous.

Mon abonnement Netflix (ou OCS, CanalPlay...m'a donc habituée à engloutir des épisodes de séries, plutôt que de les déguster progressivement, épisode par épisode. Mais je m'habitue à ce mode de consommation dans d'autres secteurs : en musique, avec mon abonnement Spotify (ou Deezer, ou Beats Music, service racheté à prix d'or par Apple l'an dernier): qui me permet d'écouter des singles ou l'intégralité d'albums, classiques ou tout juste sortis, de manière illimitée. Je n'achète presque plus de disques physiques: pas grave, j'estime compenser en payant ma place de concert, ou en acquérant l'album physique lorsqu'il me plaît rainent, de préférence sous forme de vinyle (le bel objet que je conserverai - preuve que le vinyle a repris).

Les jeunes stars de la musique ont bien remarqué ce nouveau mode de consommation "à la Netflix". Beyoncé publiait d'un coup sur iTunes, en décembre 2013, l'intégralité des 17 clips de son dernier album fin 2013. Et ce sans promotion préalable ni teasing autour de l'album, intitulé en toute simplicité Beyoncé.

"Netflixisation" du jeu vidéo, du livre, du porno...

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Dans les jeux vidéos, des offres en illimité émergent aussi, telle Playstation Now . Évidemment, l'industrie du X s'est elle aussi engouffrée dans la brèche: à la manière de Netflix, avec PornEverest.com, qui promet "le porno illimité en streaming et téléchargement HD. Vous en avez marre des sites pornos où vous passez plus de temps à chercher des vidéos plutôt que vous faire plaisir ? Porneverest est là ! Grâce à ses filtres, le site vous suggère des films à la chaîne en haute définition correspondants à vos goûts. Vous n'avez plus besoin d'avoir les mains prises et pouvez vous adonner à votre activité favorite", souligne finement le site.

Pour lire la presse aussi, je me suis habituée à ce mode d'abonnement (presque) illimité. Avec un de ces kiosques numériques, tel Le Kiosk, qui me permettent de télécharger et lire sur ma tablette, sur abonnement (en moyenne 10 euros par mois pour 10 magazines), la version numérique des derniers magazines ou quotidiens. Sans possibilité de les annoter, les surligner, les imprimer ou de déchirer des pages. Là encore une expérience devenue immatérielle.

Pas beaucoup de place chez moi pour stocker des livres : de toute façon, les romans sont devenus éphémères, on lit celui qui "fait l'actu" avant de passer à un autre... Des services d'abonnement me permettant de lire sur ma tablette les dernières sorties littéraires apparaissent, telle Kindle Unlimited. Sans compter les services qui répertorient les classiques de la littérature tombés dans le domaine public. Et, de nouveau, les sites pirates.

"Tout-illimité"

Cette culture du "tout-illimité" consacrée en modèle économique débarque même dans les offres de services d'acteurs plus classiques. Tels les opérateurs télécoms. Des offres commencent à proposer des abonnements avec une consommation de datas en illimité. Le 11 novembre dernier, Bouygues Telecom proposait ainsi à ses abonnés "un week-end de datas illimitées". Et "se congratulait sur Twitter, via son PDG Olivier Roussat, du nouveau record de consommation de données (920 gigas !)" que venait d'atteindre un de ses clients, rapporte GQ.

Même dans les transports: la SNCF a lancé en février ses premiers abonnements "illimités", avec le forfait IDTGV Max, qui permet aux utilisateurs de voyager de façon illimitée sur l'ensemble du réseau iDTGV. Une sacrée rupture, alors qu'au fil des années, pour chaque trajet en train, on a pris l'habitude de faire joujou sur Voyages-Sncf.com pour décrocher les trajets les moins chers... Mais le tout-illimité couplé au low-cost à ses limites: l'effervescence passée, des utilisateurs ont rendu leur carte. Découvrant le manque de destinations, puisque le réseau iDTGV ne relie que une cinquantaine de destinations en France.

Et bientôt, les casques de réalité vituelles, tel le Oculus Rift, nous permettront de naviguer sans limites dans un monde virtuel; Sans limites.

vendredi 2 janvier 2015

Chat apps, notations sur réseaux sociaux, emojis, wereables... 8 tendances tech et nouveaux media pour 2015

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Et voilà, 2015, nous y sommes... Bonne année 2015 donc, chers lectrices et lecteurs, que je vous souhaite pleine de bonheur, douceur, santé, succès, créativité, curiosité, et d'innovations ! Bientôt 8 ans que vous me lisez sur ce blog, donc merci à vous ! J'en profite pour vous signaler ici, en légère avant-première, une (légère) évolution professionnelle: je suis toujours fidèle au poste, à la rédac' de Stratégies, mais je rejoins le service médias, où je continuerai de suivre l'électronique grand public (les nouvelles technos en somme) et les télécoms, mais aussi, de manière plus élargie l'univers du mobile et de la mobilité, et de la "convergence". A cela s'ajouteront bientôt de nouveaux projets :)

Une fois n'est pas coutume, l'entrée dans 2015 m'amène à passer au crible 10 tendances-clés dans les technos et les nouveaux médias, alors que la tenue du CES à La Vegas, à partir du 6 janvier, servira de révélateur à bon nombre de ces tendances. Exercice auquel je me suis déjà livrée pour les années 2014, 2013 (dont pour l'univers mobile), 2012... Il est amusant de comparer, d'une année à l'autre, les phénomènes qui se sont confirmés ou carrément vautrés.

D'autres se sont aussi livrés à cet exercice de synthèse: je vous renvoie par exemple aux billets d'Alice Antheaume, Olivier Ezratty, ou encore les 10 prévisions de conso 2015 de l'institut Deloitte.

Chat apps: réseaux sociaux mobiles et messageries éphémères

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Il y a eu en 2014 le succès fulgurant des Snapchat (qui vient de lever 20 millions de dollars, soit près de 500 millions en tout), Viber, Line, Secret, Backshat, et autres WhatsApp (acquis pour plus de 216 milliads de dolalrs début 2014 par Facebook). L'autre jour, un de mes frères me disait utiliser Whatsapp pour échanger textos et photos avec ses clients partout dans le monde. En zappant gentiment les opérateurs télécoms. Citons aussi l'émergent Firechat, qui s'est révélé lors des manifestations de Hong Kong. Leur pouvoir réside en partie dans leurs notifications push, ce qui devrait les rendre bientôt aussi puissants que les réseaux sociaux, prédit Techcrunch.

Mais il y a aussi ces sites de rencontres mobile nouvelle génération, tels Tinder et le Frenchie Happn, qui vient de lever 8 millions de dollars.

Des apps et réseaux sociaux dédiés aux usages mobiles: ici, on "skipe" (on passe d'un écran à l'autre en faisant glisser avec son doigt vers la droite), on scrolle, on like (la photo de quelqu'un), on partage...

Un modèle en soi. Une start-up lituanienne vient ainsi de lancer Plague, un "Tinder for information" diablement addictif, relatait The Next Web. Une appli mobile liée à un nouveau réseau social de partage d'infos, photos, vidéos et messages que l'on écrit ou partage avec les personnes situées à proximité (géolocalisation oblige), aussi utilisatrices de Plague.

Anonymat et déconnexion volontaire

L'ADN de ces applis mobiles nouvelle génération, basées sur les messageries éphémères et/ou anonymes, c'est tout de même un retour aux sources d'Internet: mettre en contact des gens qui ne se connaissent pas, sans contrepartie attendue. Et avec peut-être une volonté de retour à l'anonymat à l'ère du "tout-connecté", où les algorithmes de Facebook, Twitter et autres Linkedin nous suggèrent de manière parfois flippante troublante avec qui copiner. Troublante, l'appli "pour adultes" Fling permet d'envoyer de façon aléatoire une photo à 50 personnes dans le monde (coucou les exhibs ;). Tout comme, racontait Stylist en décembre dernier dans un papier passionnant ("Son nom est personne"), le MIT de Boston expérimente l'appli 20 Day Stranger, qui "permettra à deux étrangers de partager virtuellement leur quotidien en toute confidentialité". En tout anonymat, ils recevront des renseignements sur l'autre tout au longde la journée, de son réveil au coucher.

Phénomène corolaire, qui deviendrait presque un marronnier ici, la vogue de la déconnexion volontaire. Il y avait eu il y a 2 ans cette étude d'Havas Media qui préfigurait ce phénomène. Et ce retour récent des téléphones mobiles vintage. Je l'ai écrit plusieurs fois : un jour, l'anonymat, le secret deviendra un luxe qui sera payant. Courrier International y consacrait un dossier cette semaine : c'est devenu un argument marketing pour hôtels de luxe avec zéro wiki, et autres lieux de "détox connexion", même les gourous de la Silicon Valley mettent leurs enfants dans des écoles sans ordinateurs. CQFD.

La réalité virtuelle devient réelle

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Oui, c'est bien moi ;)

Le casque Oculus Rift avait été une des sensations des CES 2013 et 2014. Depuis, la start-up Oculus VR a été rachetée par Facebook pour près de 2 milliards de dollars (cash et actions). Ainsi, ce vieux fantasme de la réalité virtuelle, rythmé par des tentatives avortées, deviendrait enfin réalité. Oculus n'est d’ailleurs pas le seul projet : Samsung commercialise déjà aux US pour 199 dollars le Samsung Gear VR, son propre casque de réalité virtuelle (conçu avec... Oculus VR), Sony met la dernière main à Morpheus, et Microsoft aurait son propre projet de casque VR, qu'il dévoilerait au prochain salon E3. .

Ce sera peut-être la prochaine ère de l'entertainment. J’avais eu l'occasion de tester, à l'IFA à Berlin en septembre dernier, et à Paris Games Week en novembre dernier, quelques jeux de démos édités, entre autres, par Oculus, Dreamworks et le Cirque du Soleil. Le prochain enjeu sera du côté des contenus, sur lesquels les éditeurs de jeux vidéos préparent déjà leurs armes. On va voir ce qui est dévoilé au CES 2015...

Wereables

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C'est bien la tendance tech qui va marquer 2015 : les objets connectés, ces "wereables" que l'on prend l'habitude de porter à même le corps, en permanence, notamment ceux liés à la santé. Il y a cette mode des bracelets qui comptent le nombre de pas ou qui analysent le sommeil, et de montres, elles aussi trackers d'activité. Le lancement de la première montre connectée d'Apple, attendue ce début d'année, pourrait rendre ce nouveau gadget sexy auprès du grand public, après que des précurseurs comme Pebble, puis Samsung, LG... aient défriché le terrain. Mais quel que soit le fabricant, il faudra encore d'attendre un certain nombre d'applis-vedettes destinées à convaincre le consommateur d'acheter ce genre de gadget. La bataille est déjà en cours: les géants ont déjà lancé leurs plateformes d'apps santé, Apple avec HealthKit et Samsung avec Simband. Cocorico, bon nombre des jeunes étoiles dans le secteur des wereables (Withings, Netatmo, Sen.see...) sont françaises: elles sont du voyage parmi les 66 start-ups embarquées au CES par la French Tech, comme j'en parle ici.

Avec des capteurs toujours plus petits, plus précis et moins chers, bon nombre de nos objets du quotidien devraient devenir connectés. On imagine déjà l'impact sur la médecine de cette santé connectée, avec des médecins assistés par toujours plus de données compilées et analysées en temps réel, ae. les 'wearables' (gadgets portables) prometteurs. Quoi de plus normal, puisqu'en 2014, l'offre de contrôleurs de fitness et autres montres intelligentes s'est fortement étoffée. Sony et Samsung notamment se sont distinguées. En 2015, ce marché prendra encore de l'ampleur. Nous sommes curieux de voir si l'Apple Watch sera un exemple ou un disciple en matière de montres connectées. Mais quel que soit le fabricant, il s'agira encore d'attendre un certain nombre d'applis-vedettes destinées à convaincre le consommateur d'acheter ce genre de gadget. Autrement dit: des appareils électroniques qui font bien plus que compter vos pas et mesurer votre sommeil.

Gartner, qui réfléchit sérieusement à ce que nous réserve l'avenir, s'attend à ce que d'ici 2016 (soit dans une bonne année certes!) quarante pour cent des smartphones seront équipés de capteurs biométriques, comme un scanner de l'iris de l'oeil, un scanner des empreintes digitales, la reconnaissance de la voix, etc.

Se noter, s'évaluer: l'après-quantified-self

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Conséquence directe de ces objets connectés, dont ceux que l'on porte sur soi parfois en permanence pour s'auto-évaluer et partager ses exploits sur les réseaux sociaux: le quantified self est né il y a un peu plus d'un an avec les bracelets Fitbit et autres trackers Withings.

En plein débat sur les notes à l'école, après l’existence d'un éphémère site où les élèves pouvaient noter leur prof, conséquence de la sharing economy, il n'y a plus rien d'anormal de noter les autres en ligne : les autres couchsurfers sur Couchsurfing.com, d'évaluer quelqu'un qui met en "location" son appart sur Airbnb, ou encore son chauffeur Uber après une course. Et même, le verdict de la note s'applique désormais aussi aux sites de rencontres : The Grade évalue ses utilisateurs à partir de leur nombre de Likes, leur taux de réponses, et leurs qualités rédactionnelles. Pour les mauvais élèves, exclusion immédiate. Démocratique, vraiment ?

Après les smileys, les emojis ?

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Ce sont les dignes successeurs des smileys, ces premières icônes de la culture web, qui devaient représenter notre état d'esprit en une figurine. Les emojis, c'est un des phénomènes qui s'est imposé sur les réseaux sociaux et dans les SMS depuis 2013. Comme le rappelait ce super papier du New York Magazine (repris par Courrier International), du visage souriant au fameux bisou les yeux fermés, en passant par le verre de vin ou le tram, les emojis commencent à remplacer des mots ou des expressions. Le résumé par l'image, censé apporter une touche d'émotion.

Eux aussi, ils sont liés à l'explosion des smartphones - et donc la transposition des réseaux sociaux sur les mobiles. Ils sont proposés sur les smartphones dans le clavier virtuel, avec pour l'instant seulement 722 symboles, répertoriés sur Emojipedia, ceux qui appartiennent à la base officielle d'Unicode, une norme international de programmation.

En continu et en ligne

Le streaming. Il va continuer à s'imposer comme le mode de diffusion privilégié de l'information au sens large. Notons au passage que YouTube, vidéostreamer précurseur, fêtera son dixième anniversaire en février 2015. Le lancement de Netflix en France en 2014 ne fut pas le point de départ d'une révolution, mais bien la confirmation d'un plus que naissant : à l'avenir, nous regarderons nos images vidéo bien plus sur le web que sur des canaux TV classiques. Après tout, Michelle Phan ou Cyprien sont devenus célèbres à partir de ce qu'ils ont déposé sur YouTube. Ericsson affirme dans son étude qu'en 2015, nous allons pour la première fois recourir davantage au streaming qu'à la bonne vieille télévision programmée. D'ailleurs, l'IDATE, citée par Eric Scherer, en général prudente, prévoit 50% de part de marché en 2018 et 1,5 millions d'abonnés en France

Il faut nuancer: le décollage de Netflix en France est très moyen (surtout une fois passé le premier mois d'abonnement gratuit), et il dispose aux Etats-Unis de davantage d'abonnés (et d'un chiffre d'affaires supérieur avec ceux-ci) que la chaîne payante old school HBO. En France, Canal+ (CanalPlay) et plus encore Orange (OCS) disposent d'offre de vidéo à la demande plus que compétitives. LA bataille va maintenant se jouer sur les catalogues, entre film et séries, parfois coproduites maison. Et d'autres acteurs devraient arriver: Amazon est déjà en lice pour les Writers Guild of America Awards 2015 avec sa série Transparent.

Retour au "slow media"

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C'est ce long édito de Next Inpact qui m'a incitée à ajouter un item sur ce sujet : ok, Twitter, les live développés par les media en ligne (même Les Echos a lancé en 2014 un site intitulé Les Echos Live), le journalisme web ont imposé cette culture de l'immédiateté.

Mais on parle de plus en plus de slow journalism, que j'évoquais ici, consacré par les mooks, des initiatives comme Le Quatre Heures, De Correspondent... Et l'arrivée en 2015 de nouveaux projets journalistiques comme le prometteur L'Imprévu, monté par des anciens d'Owni. Autres projets de nouveaux media allant dans le même sens, qu'évoque Next Inpact, Ulyces, un "éditeur d'histoires vraies" à mi-chemin entre le journalisme et l'édition, qui propose des articles à l'unité (2,49 euros) ou par abonnement (5,49 euros par mois, 54,90 euros par an), et Ijsberg, en accès libre, qui propose - jolie innovation - des actualités découpées selon leur temps de lecture (promptement, calmement et longuement).

mardi 3 mai 2011

Mad Men, photo à la Hitchcock, reflets du machisme (racisme, homophobie...) de l'époque, bouscule le cinéma

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Une ombre en costume qui s'avance dans un bureau, dont les pièces s'éparpillent comme un puzzle, puis chute dans le vide sans fin, entre des gratte-ciels aux reflets d'affiches publicitaires d'époque, sur une musique, version instrumentale de A Beautiful Mine de RJD2.... Le générique d'ouverture, visuellement magnifique et déjà (un peu) glaçant, à l'élégance des génériques de James Bond et des films de Hitchcock (dont Sueurs Froides), on croirait y déceler la patte d'un Saul Bass.

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Mad Men, je l'ai découverte il y a quelques semaines... Episode par épisode, saison par saison, je l'ai savamment dégustée, par petits bouts. Cela faisait longtemps que je voulais écrire quelque chose dessus, ici ou ailleurs, parce que c'est sans doute une des meilleures séries que j'ai vues ces dernières années. Dont la qualité la rapproche dangereusement d'un film cinématographique. Et en la matière, les références ne manquent pas. Les mad men, expression US de la fin des années 50 (néologisme - jeu de mots avec Ad men, littéralement "les hommes de la pub", qui en anticipe d'autres, tels les yuppies des 80s), ce sont ces cadres publicitaires de l'Avenue Madison.

Cette série met donc en scène des publicitaires américains des années 60, en plein dans les années Kennedy, dans une société US opulente, où la population découvre les joies du consumérisme de la consommation... et la publicité qui suscite chez eux de nouveaux besoins.

Pourquoi j'en parle maintenant ? La série, à peine connue en France il y a encore un an (elle est diffusée sur Canal +ainsi que sur TPS Star depuis 2008, la saison 3 sort tout juste en DVD en France), titille gentiment l'industrie du cinéma. Une nouvelle illustration de cette nouvelle génération de séries haut de gamme, qui esquisse leur rapprochement avec des films. La série, créée en 2007, diffusée sur AMC, est déjà bardée de 13 Grammy awards et 4 Golden Globes - une première pour une série diffusée sur une chaîne câblée. Consécration, un des trublions de la diffusion web, Netflix, vient d'en acquérir les droits de diffusion - exclusifs - sur le Web, comme j'en parle dans cette enquête pour Stratégies. Ce qui n'a rien d'anecdotique, puisque grâce à la télévision connectée, dont commencent à s'équiper les foyers, la distribution des contenus issus du Web devient possible.

Bienvenue chez les Mad Men à New York, dans les années 60, sur Madison Avenue, dans la grande agence de publicité fictive Sterling Cooper. Série faussement rétro, absolument pas nostalgique, incroyablement actuelle sur le fond. On y voit donc le quotidien d'une équipe de pubeux : Peggy Olson, Pete Campbell, Roger Sterling... Et avant tout le personnage de Don Draper, interprété par Jon Hamm, directeur créatif de Sterling Cooper et associé de Sterling Cooper Draper Pryce, créatif brillant et manipulateur. Au travers des différents personnages et des évènements, la série dépeint les changements sociaux et moraux qui ont eu lieu aux États-Unis dans les sixties. C'est une de ses forces.

Premier épisode, premier plan: dans un bar chic, musique 50s, travelling avant par-derrière un brun élégant, cheveux gominés, l'air préoccupé. Il sonde le serveur sur sa marque de clopes - des Old God, alors que lui fume des Lucky Strike. Et tente de le convaincre de passer aux Lucky. Long travelling sur la clientèle so schic, au look 60s, de ce bar huppé où tous clopent...

Consumérisme et publicité

C'est bien sûr l'un des thèmes-phares de la série: Mad Men décrit les composantes de la société et de la culture américaine des années 1960 : le tabagisme, l'alcool, le sexisme, l'adultère, l'homophobie, l'antisémitisme, le racisme et l'absence totale de préoccupations envers l'environnement, sont régulièrement abordés dans la série. Minutieusement documentée, sans aucun anachronisme (du moins m'a-t-il semblé, dans mes souvenirs en tant qu'historienne de formation..), la série accentue ainsi les différences entre cette époque et aujourd'hui, lors de la diffusion. Matthew Weiner a d'ailleurs eu pour consultant publicitaire Robert Levinson, qui a travaillé chez BBDO de 1960 à 1980. Dans cette très longue enquête publiée par le NY Times, il souligne: "Ce que Matthew a filmé est tellement réaliste. L'alcool était une pratique courante, le tabagisme était constant, les relations entre les cadres et leurs secrétaires étaient semblables".

Le claquement raffiné d'un briquet qu'on referme ou le tintement des glaçons dans un verre: un des leitmotivs de la série, où le whisky coule à flots dès le matin, et la fumée envahit chaque image. Omniprésent à l'époque, et dans la série, presque tous les personnages sont filmés en train de fumer très souvent tout au long des saisons - inimaginable aujourd'hui... L'épisode pilote annonce la couleur: les gérants de la marque de cigarettes Lucky Strike y embauchent Sterling Cooper pour une nouvelle campagne de pub, suite à un rapport publié dans le magazine féminin Reader's Digest, affirmant que le tabagisme peut entraîner un cancer du poumon. L'argumentaire de l'annonceur Lucky Strike à l'agence est clair: "La manipulation des médias ? C'est pour cela que je vous paie".

Le secteur publicitaire est un métier encore naissant à l'époque, mais les créatifs et commerciaux sont déjà des pros. Les séances de brainstorming et présentations de pitchs autour de campagnes de pubs à des clients sont des occasions rêvées pour nous esquisser un portrait des formes émergentes de consommation - et comment les publicitaires créent de nouveaux besoins les accompagnent. Et répondent ainsi aux attentes de leurs clients, des annonceurs qui souhaitent modeler les attitudes sociales des consommateurs. Les publicitaires sont censés ressentir l'air du temps et anticiper les changements de société pour les faire passer dans leurs campagnes de pub. Une lame de fond rêvée pour la série, dont scénario met constamment en scène des personnages qui ressentent les frémissements du changement - les prémisses de Mai 68... - dans l'industrie de la publicité. Dans Mad Men, la toile de fond du monde publicitaire est le prétexte à une approche didactique des stratégies publicitaires alors conçues, telle la fabrication du consentement.

Un des premiers révélateurs, cette tirade cynique et désabusée de Don Draper sur l'amour, "un slogan publicitaire. "Elle ne veut pas se marier parce qu'elle n'a jamais été amoureuse" - j'ai écrit cela pour vendre des bas le crois L'amour, le vrai, le grand, ce lui qui vous transperce, où vous ne pouvez plus manger, vous fait fuir, ça n'existe pas. Ce que vous appelez amour a été inventé par des gens comme moi pour vendre des bas. On naît et on meurt seul, ce monde vous abreuve de règles pour vous faire oublier cela".

Au fil des épisodes, Mad Men sème des indices sur la "révolution silencieuse" en approche des années 1960 : les problèmes d'anxiété de Betty, la Beat Generation découverte par Don à travers Midge, les remarques sur l'éventuelle dangerosité du tabac sur la santé (le plus souvent ignorées), l'émancipation du peuple noir-américain...

Sans doute un des plus beaux dialogues - remarquablement écrit de la série, ce discours brillant de Don Draper (Saison 1, épisode 13) sur la valeur nostalgique et sur le potentiel commercial du projecteur Kodak - une des premières apparitions du marketing de la nostalgie... Juste pour le plaisir, verbatim, en VO please.

"Nostalgia. It’s delicate, but potent… Teddy told me that in Greek, nostalgia literally means the pain from an old wound. It’s a twinge in your heart, far more powerful than memory alone. This device… isn’t a spaceship, it’s a time machine. It goes backwards, forwards. It takes us to a place where we ache to go again. It’s not called the Wheel. It’s called the Carousel. It lets us travel the way a child travels. Around and around and back home again, to a place where we know we are loved".

Machisme, racisme et homophobie ordinaires...

Si la série peut parfois laisser filtrer une nostalgie pour une époque antérieure, magnifiée (j'en parlerai plus bas), la cruauté, la mobilité sociale et les diverses formes de rejet "ordinaires" de l'époque y sont traitées sans concessions. En réponse au frémissement que promet le discours de Martin Luther King ("il est peut-être un peu trop tôt", commente naturellement Betty Drapper à sa nurse noire en regardant le discours sur son téléviseur), dans Mad Men, les Noirs occupent des fonctions subalternes: serveur de bar, portier, dans l'ascenseur, nurse...

L'homosexualité est taboue à l'époque: le créatif Salvatore découvre son penchant au fil des épisodes, jusqu'au jour où il est ouvertement dragué par un gros client de l'agence (saison 3). Il repousse ses avances. Le client menace alors de quitter Starling Cooper à moins que Salvatore ne soit exclu de sa campagne... Salvatore sera sacrifié, licencié illico - par tactique, Don refusera de croire à ses explications (qui brisent un tabou ?).

... Et prémices fragiles d'émancipation de la femme

Betty Draper

Betty Draper, héroïne hitchcockienne de la série

Les femmes dans la série ? Le développement des divorces, l'égalité des sexes sont aussi une des révolutions silencieuses de l'époque, omniprésentes dans la série. Parallèlement, autre constante de Mad Men, elle dépeint aussi une sous-culture où les hommes mariés s'engagent fréquemment dans des relations extra-conjugales avec d'autres femmes.

Les maîtresses de Don sont des figures de femmes émancipées de l'époque : seules, indépendantes financièrement, telles Midge, créatrice publicitaire indépendante qui travaille chez elle, créatrices d'entreprise, Rachel Menken, repreneuse de la boîte familiale, l'institutrice Suzanne... A contrario, l'émancipation de plusieurs des héroïnes est progressive et fragile. Betty Draper, blonde glacée (grande bourgeoise mère au foyer) épouse de Don, finit certes par demander le divorce, en apprenant ses écarts extra-conjugaux - mais pour se recaser aussitôt avec un notable local.

Peggy Olson, sage et discrète secrétaire de Draper, illustre les espoirs de mobilité et d'émancipation pour une nouvelle génération de femmes. Elle devient concepteur-rédacteur dans l'équipe de ce dernier - une première au sein de l'agence, elle y sera la seule femme à occuper un tel poste. Les portraits des autres salariées révèlent hélas moins de promesses de mobilité sociale : les autres femmes de Starling Coopers sont toutes des secrétaires, sur lesquelles les créatifs exercent à l'occasion un "droit de cuissage", et dont l'objectif secret reste de trouver un mari.

Conseils de Joan Holloway, à la tête du secrétariat de Sterling Cooper, à Peggy Olson, lorsqu'elle arrive comme nouvelle secrétaire: "Suis mes conseils et tu ne commettras pas d'erreurs. Dans quelques années, si tu as une bonne promotion, tu seras en ville comme nous tous. Bien sûr, si tu as une très bonne promotion, tu ne travailleras plus du tout (sous-entendu 'Si tu as le chance de faire un beau mariage'). Munis-toi d'aspirines, compresses, fil, aiguilles. Ils veulent une secrétaire, mais cherchent souvent quelqu'un entre la mère et la bonne". Tout est dit.

Magnétisme hitchcockien

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Du côté photo et montage, Matthew Weiner a collaboré avec le directeur de la photographie Phil Abraham et avec le créateur de décors Dan Bishop, pour développer une style visuel qui serait "davantage influencé par le cinéma que par la télévision". Dans cet immense hommage à Hitchcock, il s'autorise tout: travellings de dos des personnages, gros plans sur un verre, une cigarette ou une main, caméra qui glisse de haut en bas des buildings, dans les pieds des employés franchissant la porte tournante de leur immeuble...

Hitchcock est évidemment omniprésent dans Mad Men, chez les personnages mêmes: une des héroïnes, Betty Drapper, est une blonde glacée à l'élégance un rien surannée, clone de Tippi Heddren, tout comme Don Drapper, dont le charisme rappelle Cary Grant ou James Stewart.

Mode, design: le "rétro-chic", ou comment "Mad Men" remet le passé au présent

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Là je ne vous apprendrai rien, le style fifties, looks de pin-ups aux formes généreuses, avec gaines, serre-taille, lunettes à écailles et jupes-crayons ont fait un retour en force dans la presse féminine, depuis un an en France. Un vintage retour aux sources, teinté de nostalgie (pas forcément bienvenue), symbole de retour aux valeurs sûres à l'ère du jetable... Ce qu'explique Nathalie Azoulay dans Mad Men, un art de vivre (ed. La Martinière), qui paraît le 26 mai.

Après la première saison, le couturier Michael Kors a dédié un défilé entier à la série. Après la troisième, la styliste de la série, Janie Bryant, qui s'est inspirée des collections Brook Brothers des années 60, a aidé la griffe pour hommes à lancer une ligne spéciale Mad Men, écrivait Adèle Smith dans Le Figaro, le 8 février dernier. Dernièrement, Tom Ford, Marc Jacobs, Céline ou Prada se sont réemparés du style rétro-chic (certains parlant de style "néo-bourge").

Ce style des Trente Glorieuses dépoussiéré a un nouveau nom, le style "rétro-chic", avec pour icône la pulpeuse actrice Christina Hendricks, la secrétaire rousse de Man Men. Encore cette semaine, Grazia y consacre 4 pages, avec un focus sur les blitz parties, entre reproductions historiques et soirées underground, ressuscitées à Londres. Chignons crêpés et bas résilles obligatoires pour les femmes, le cha-cha-cha, le twist et le rock'n roll sont les danses obligées.

dimanche 1 mai 2011

Ben Laden & Twitter; Netflix HBO du Web; Storify; Beastie Boys; Apple & datas; Filtrage dans les box...

Et hop une petite revue de liens au débotté (en français... et en anglais VO, eh oui, nouveauté de la semaine !), sélection de news, tweets et billets en médias, nouveaux médias et high-tech pour ces derniers jours...

  • Twitter was the very first (media ?) this morning to reveal the death of Ben Laden, before official sources - and Barack Obama... A story that Twitter Broke (Fast Company). Right from this monday morning, there was already an "Osama Bin Laden is Dead" Facebook page. 120,000 Likes and counting. And this paper, right from this morning, about the 'coulisses" of the death of Bin Laden (NYT).
  • L'Internet illimité c'est fini ? AT&T l'enterre aux US.. (Wired)
  • Portrait du futur HBO du Web ? J'en parle ici dans Stratégies (accès abonnés sorry) : non content d'avoir acquis les droits de Mad Men, Netflix se lancer à corps perdu dans la production de séries, d'après le Hollywood Reporter. A suivre !
  • Storify, opening this monday: Filtering the Social Web to Present News Items, according to the New York Time.
  • Du bon son - avant sa sortie le 4 mai, le nouvel album des Beastie Boys (so 90s... toute mon adolescence) en écoute intégrale chez les Inrocks.
  • Que se passera-t-il le jour où les ordinateurs seront plus intelligents que les humains ? (InternetActu.
  • Apple's Data Collection Practices - Europe is beginning its own investigations, according to the New York Times... But he's not alone, Android smartphones too are attempting to the privacy (Guardian).
  • Une de mes découvertes de Pâques - l'existence d'oeufs brandés. L'omniprésence des marques...
  • Nouvelle étape dans la sédition des blogueurs du Huffington Post: ils réclament leur part du gâteau (Les Inrocks). Notre enquête (accès abos) sur cette rébellion des blogueurs dans Stratégies.

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