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dimanche 8 janvier 2012

"Lego Friends": quand l'industrie du jouet cède à la vogue girly

Et voilà; Un des géants de l'industrie du jouet cède à son tour à la vogue du marketing sexué (gender marketing). Comme l'a révélé vendredi Rue89, le constructeur danois Lego va lancer mercredi 11 janvier une gamme de Lego... pour les petites filles, intitulée (avec une certaine prudence - pas fou, le constructeur) Lego Friends. Gamme qui a été lancée aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne en décembre dernier.

En se baladant sur le site dédié, on découvre donc cinq personnages, quelque peu stéréotypés, et leurs univers respectifs. Entre Emma, esthéticienne, et son salon (ouf, elle dispose d'un bureau avec laptop) Mia et sa "clinique vétérinaire", Andrea, pop star qui dirige un café, Stéphanie, jeune fêtarde invétérée, qui a sa "cuisine d'extérieur" (sic) et sa bagnole (mais pas de job), et Olivia, scientifique (voilà qui sauve la mise), qui a une villa, une cabane et un "atelier scientifique", avec pas (trop) de rose (un bon point). atelier_olivia.jpg

Les petites filles auront donc leurs propres Lego, des pièces aux tons pastels et aux coins arrondis - bien différentes des briques carrés et aux couleurs vives des Lego traditionnels - pour construire des univers forcément très girly: villas, salons de beauté, cliniques vétérinaires... Au menu: 30 thèmes donc, de la villa au café, et 5 petites poupées, dont on peut changer la coiffure et les tenues.

La campagne de com' de Lego Friends ("100% Lego, 100% pour les filles" dixit les spots TV) est du même acabit, avec une tentative de campagne marketing 2.0 (des vidéos diffusées sur YouTube) qui altèrent bien peu des clichés atterrants. Et même, Lego se tire une balle dans le pied d'emblée, en enfermant sa nouvelle gamme... On y voit donc le clan Legoni (des fans de Lego), qui veulent elles aussi jouer aux Lego. Mais leur revendication tient en continuer à jouer selon leur “propre univers”, qui reprend nombre de clichés pour petites filles (rose prédominant, d'intérieur, de beauté, de soins pour animaux..). La seule nouveauté est qu'il existera sous forme de Lego...

Cette contradiction se reflète dans les vidéos-teasing.

"On est des filles, des vraies, et on veut un jouet qu'on peut personnaliser, on veut créer notre propre univers, c'est pourtant pas compliqué. .... J'en ai marre de me déguiser en garçon et de jouer à leurs jeux, ... il faut que les gens sachent. Ouais, on est des filles, des vraies".

"Moi, j'adore la construction, alors y a des jeux que je pique à mon frère, mais chut, ne le dites pas, ça pourrait jaser".

Jouets sexués, théorie des genres

Image prise par Mix-Cité pendant leur campagne Jouets.

Alors oui, le débat sur les jouets sexués n'a rien de nouveau. J'en parlais déjà dans ce billet en 2007 : les longues travées jouets enfants des JouéClub et autres hypermarchés sont séparées en deux, entre jouets pour les petites filles (où le rooose est nettement prédominant) et jouets pour les garçons. Et cela fait des décennies que ça dure: il y a des modes de jouets, clairement sexués (les GI Joe pour les garçons et les Petit Poneys pour les petites filles avaient la cote dans les années 80). Et bien sûr, les poupées sont plutôt prédestinées aux filles, et les soldats, petites voitures et jeux de construction aux garçons.

Mais il s'est intensifié ces dernières années, et s'est entremêlé à celui sur la théorie des genres. Est-ce que l'on ne conditionne pas les enfants à un rôle social dès leur petite enfance avec des jouets clairement orientés ? Pour les petits garçons, tout est fait pour en faire des mecs, des vrais : jouets de guerriers, chevaliers ou pirates, bagnoles, une perceuse comme papa (au passage, perceuse brandée Black & Decker - ou comment faire des enfants de futurs consommateurs, comme je l'évoquais dans mon billet de 2007), et pour les petites filles, futures femmes au foyer, des Barbies sexy (ouf, les premières Barbie journaliste ou ingénieur en informatique sont apparues... en 2010, c'est déjà un progrès), fers à repasser, cuisinières...

Lego, dernière marque de jouets asexués

Là, avec cette initiative de Lego, créée en 1934, c'est une des dernières marques de jouets asexuées qui franchit le Rubicon. Un des avantages des Lego est (était?) que filles et garçons pouvaient y jouer ensemble indifféremment. Petite, je jouais au centre équestre, au bateau pirate... La marque danoise a pour autre avantage d'être intemporelle - les cartons de Lego peuvent se transmettre de générations en générations.

A l'inverse, par exemple, d'une des dernières créations du mastodonte américain Mattel: la gamme de poupées punks et gothiques Monster High, qui ont fait un malheur depuis leur lancement il y a un an. On aime ou pas (mon voisin de bureau déteste celle posée sur mon bureau ;), elles ciblent clairement les pré-ados, mais elles ont pour avantage de sortir des clichés gnangnan des poupées.

Alors que Lego reste un des leaders dans l'industrie du jouet (en quatrième position mondiale), il n'avait pas pris trop de risques jusqu'à présent: tout juste a-t-il lancé des gammes à coup de rachats de licences qui, certes, visaient plutôt les garçons (Star Wars, Lego City et ses camoins de pompiers, Constructors, Alien...). Lego était une des dernières marques à occuper - volontairement - ce positionnement marketing du jeu "asexualisé", qui remporte un certain succès, forcément davantage chez les parents de CSP + - surtout dans ces débats actuels sur l'égalité entre les sexes (qui va bien au-delà du combat féministe).

Une des marques les plus proches de Lego - personnages intemporels, transmission entre générations, très forte notoriété - Playmobil, n'a pas encore (trop) cédé à la tentation, malgré quelques princesses (pas trop nunuches) et chevaliers. Jusque quand ?