Quelques paragraphes dans des manuels de Science et vie de
la terre (SVT) pour les lycéens, qui ont déjà mis le feu aux poudres, durant
tout l'été. Et la polémique risque fort de se poursuivre en cette rentrée
scolaire, s'ajoutant aux débats incessant sur l'évolution des programmes
scolaires, et les inquiétants aaambitieux projets de réforme
scolaire de Luc Chatel (citons au hasard la suppression de l'enseignement
d'histoire en terminale S prévue pour septembre 2012).
Début septembre, donc, les élèves de Première ES et L
aborderont un nouveau point de programme: la question du genre et de
l'orientation sexuelle, dans un chapitre sobrement intitulé
"Devenir homme ou femme". Une partie imposée par la Direction générale
de l'enseignement scolaire et annoncée au Bulletin officiel
du 30 septembre 2010. Ainsi, dans le manuel Bordas, sur une page (consultable ici en format
Scribd), il est expliqué que si l'on naît homme ou femme, l'orientation
sexuelle des individus peut varier au cours de la vie, et que si la majorité
des personnes sont hétérosexuelles, une partie de la population est
homosexuelle ou bi. La question de l'orientation sexuelle appartenant à la
"sphère privée".
Mise à jour du 31 août: preuve que le sujet est brûlant, ce
mercredi matin, on apprend que
80 députés UMP (!) ont demandé le retrait de manuels scolaires qui en
parlent (notamment celui de chez Hachette), adressant un courrier au ministre
en ce sens. Leur argument: ils estiment que ces manuels de SVT font référence à
"la théorie du genre sexuel", selon eux une "théorie philosophique
et sociologique qui n’est pas scientifique".
Interviewé sur le sujet sur France Inter, Bruno Julliard
(qui vient de faire son coming-out dans le magazine Têtu),
secrétaire national du PS à l'Education, déclarait y voir un "refus de
l'avancée de recherches qui démontrent que le genre n'est pas uniquement
l'issue d'un contexte génétique, mais aussi la construction culturelle,
sociale". Pas de preuves scientifiques avérées (argument des anti-), mais
"l'objet de recherches depuis 50 ans, notamment aux Etats-Unis".
Bordas
Réalité sociale & gender studies
Rien d'extraordinaire, nul militantisme de l'Education Nationale pour la
cause gay ou lesbienne. Elle prend juste acte de cette manière d'une réalité,
une de ces révolutions silencieuses mais majeures dans la société, qui s'est
déjà concrétisée à petits pas: par l'adoption du PACS, ou encore les premiers
cas de mariages (à New York le 24 juillet dernier) ou d'adoptions par des
homosexuels. Il m'a semblé d'autant plus intéressant et justifié d'aborder ce
sujet ici qu'il comporte des enjeux autant sociétaux que scientifiques, et
consacre l'importance des théories des genres (gender
studies) , qui appartiennent à un courant de pensée né dans les années
1970 dans les milieux féministes américains et la mouvance militante gay.
Sans nier les différences biologiques, la théorie des genres distingue le
sexe biologique du "sexe social". Inspirées de philosophes français comme
Deleuze, Foucault ou Derrida, les "gender studies" se sont développées aux
Etats-Unis. Elles cherchent à démontrer que c'est l'éducation au sens large,
dans le contexte historique et social, qui construit le "genre" de l'individu.
L’objectif de ces théories est de rejeter le déterminisme biologique de la
notion de sexe ou de différence sexuelle pour remettre en question les rôles
assignés aux hommes et aux femmes dans la société. Ce qui rejoint les combats
féministes sur les modes d'éducation, qui prédisposent les enfants. En 1993, La
Barbie Liberation Organisation militait dans cette vidéo contre les valeurs
transmises par les GI Joe et les Barbie.
En France, de telles études sont quasi inexistantes. Les débats affleurent
dans la société française avec la parité en politique ou les débats sur les
quotas. Ou encore des réalités imposées comme 80% de filles dans les filières
littéraires au lycée (parce "qu'elles ont un esprit littéraire" - c'est du vécu
;). Même si le sujet s'impose lentement dans le champ de la recherche: Rue
Saint Guillaume, à Sciences Po, les questions sur le genre ou
sexe social vont faire l'objet d'un enseignement obligatoire, assurée à partir
de cette rentrée 2011 par la philosophe Geneviève Fraisse. Quelques femmes
d'influence s'intéressent aussi de près à la place des femmes à la tête des
entreprises. Telle Natalie Rastoin, patronne de l'agence de
pub Ogilvy France, qui m'avait remis l'an dernier une étude McKinsey intitulée
"La place des femmes à la tête des sociétés: comment rendre cela possible"
(téléchargeable
ici en format PDF). Une étude publiée par le cabinet de conseil
outre-Atlantique depuis 2007, qui met en avant des projets de recherche
démontrant comment les femmes dirigeantes - encore trop sous-représentées -
contribuent à améliorer les performances des entreprises. La France est tout de
même en quatrième position en 2010 avec 15% de femmes au sein des boards
d'entreprises en du CACA 40 en 2010, loinnn derrière la Norvège (32%) et la
Suède (27%), mais à égalité avec les US. C'est déjà ça.
Le gender est d'ailleurs au centre du dernier film de Pedro
Almodovar, La piel que habito ("La peau que j'habite"), polar froid et
technologique qui pose la question de l'identité sexuelle et du changement de
sexe. Un sujet déjà abordé plus tôt cet été avec subtilité par Céline Sciamma
dans Tomboy ("Garçon manqué"), où Laure, dix ans, cheveux blonds
courts et physique androgyne, à la faveur d'un déménagement et d'un quiproquo,
se fera passer, le temps d'un été, pour un garçon. Peu ou pas de psychologie,
dans ce film. Ce garçon qu’elle devient ne cherche pas à expliquer le pourquoi.
Il est. Il ressent, Laure n’a pas de raison pratique ou extérieure pour devenir
Mickaël. C’est là sans doute que réside la subversion délicate du film.
La question de l'homosexualité
Nos chères petites têtes blondes seront-elles donc sensibilisées à la
liberté de choix sexuel ? Evidemment, cette pilule ne passe pas auprès
d'une partie de la droite catho. L'enseignement catholique, des associations
familiales ou encore des politiques multiplient les communiqués, e-mails,
pétitions et menaces de boycott des livres pour que cette partie du programme
soit retirée. Car le fond du problème est sans doute là. Les milieux qui
protestent ne veulent pas que l'on parle d'homosexualité. Avec un argument-clé:
en parler remettrait en question "la liberté de conscience" que ces
associations réclament.
Le 28 juillet, l'Association Familles de France
a adressé un nouveau texte à l'Elysée, expliquant : "Vous
connaissez parfaitement la théorie du genre. Cette idée philosophique,
contestable s'il en est, nous revient des milieux féministes d'outre
Atlantique", et ajoutant : "Les familles ont parfaitement compris les
objectifs des concepteurs : orienter les jeunes vers des expériences
sexuelles diverses, considérant que le sexe social est plus important que le
sexe biologique". Elizabeth Montfort, porte-parole de l'association pour
la Fondation de Service politique et ancienne député européenne du
Rassemblement pour la France de De Villiers,
confiait ainsi à ''Libération'' que "ce sujet touche à l'anthropologie
de l'homme et de la femme, à la condition humaine et finalement engage l'avenir
de notre civilisation".
Sans grande surprise, Christine Boutin est partie elle
aussi en croisade contre ces enseignements "contre-nature". Pas surprenant, et
pas neutre: la candidate à la présidence de la République entend placer cette
question (les gender studies et la place des homos dans la société)
"au cœur de son programme", a-t-elle annoncé
mercredi 24 août sur Europe 1, dans l'émission "Des clics et des claques",
où nous l'avions interrogée (merci Twitter) sur son positionnement sur le
sujet. Sans exprimer nettement son opposition, la réponse qu'elle nous a
apportée était joyeusement floue - en résumé "la différence physique entre
les hommes et les femmes est le fondement de toute société . Le gender parle de
distinctions culturelles et sociales". Avant de reconnaître, en fin de
séquence, cette phrase - qui flirte avec l'homophobie - qu'on lui prête :
"Les civilisations qui ont reconnu l'homosexualité ont connu la
décadence".
A côté de cela, plus de 2000 personnes - chercheurs en tête - ont ainsi
signé la pétition
"contre une censure archaïque" mise en ligne par l'Institut Émilie du
Châtelet (IEC), qui vise à promouvoir et à diffuser les recherches sur "les
femmes, le sexe et le genre" et insiste sur le danger qu'il y aurait à laisser
politiques et religieux "juger de la scientificité des objets, des méthodes ou
des théories". "
Enseignement public vs enseignement catho ?
Cette réforme éducative a réactivé la ligne de fracture entre établissements
publics (laïcs) et privées (cathos). Le 8 juin dernier, le Snes (principal
syndicat des enseignants du second degré) estimait dans ce
communiqué qu'avec cette réforme, "des questions au centre de la
construction de l’individu sont abordées à l’Ecole, sans tabou, mais aussi sans
idéologie et dans le respect des sensibilités de chacun". Et s'inquiétait
du danger des "esprits chagrins réactionnaires qui luttèrent et continuent
de lutter contre la contraception et l’avortement, instrumentalisent
aujourd’hui l’école pour médiatiser leur croisade contre l’homosexualité".
Deux jours après, L’Unsa éducation dénonçait un "retour à l’ordre
moral", suivi par le Le Groupe national information et éducation sexuelle
(Gnies, qui inclut plusieurs syndicats d’enseignants, le mouvement
français du planning familial, le conseil national des associations
familiales laïques...) estime de son côté que "l’école a pour mission
d’instruire et d’éduquer, dans le respect des sensibilités", alors que
dans les établissements scolaires, "l’ensemble des personnels est confronté
au désarroi de jeunes en difficulté avec leur orientation sexuelle".
Reste à voir comment les profs de SVT appliqueront (ou pas) ce changement au
programme. Sur le fond, ils seront libres de l'enseigner ou pas en cours:
"Certains collègues ne sont déjà parfois pas à l'aise avec le fait
d'enseigner la reproduction en 4ème et certains du lycée sont très coincés
là-dessus", me disait récemment Sophie, prof de biologie (et qui reprécise
cela en commentaire ci-dessous). Un tel cours sera sans doute utile à des
lycéens qui cherchent parfois leur identité. Mais il est peut-être trop
théorique, issu de réflexions sociologiques très pointues et dans l'air du
temps (certain soupçonnent d'ailleurs un phénomène de mode autour de son
enseignement en lycées), pas forcément à portée de tous En tous cas, les
manuels de SVT des Première L et ES ont choisi des angles parfois très
différents. Surprenant de lire ainsi chez Bordas que "si, dans un groupe
social, il existe une forte valorisation du couple hétérosexuel et une forte
homophobie, la probabilité est grande que la majorité des jeunes apprennent des
scénarios homosexuels". Une phrase qui est en fait un raccourci d’études
certainement sérieuses mais qu’il est hasardeux de vouloir présenter en deux
lignes. La polémique est loin d'être enterrée...
Chez Bordas:
"L'identité sexuelle est le fait de se sentir totalement homme ou femme.
Cette identité dépend, d'une part, du genre conféré à la naissance, d'autre
part, du conditionnement social".
"L'identité sexuelle se réfère au genre sous lequel une personne est
socialement reconnue".
"L'orientation sexuelle se révèle le plus souvent au moment de l'adolescence
et elle relève totalement de l'intimité des personnes".
"Si dans un groupe social, il existe une très forte valorisation du couple
hétérosexuel et une forte homophobie, la probabilité est grande que la majorité
des jeunes apprennent des scénarios hétérosexuels".
Chez Hachette:
"L'identité sexuelle est la perception subjective que l'on a de son propre
sexe et de son orientation sexuelle".
"Seul le sexe biologique nous identifie mâle ou femelle, mais ce n'est pas
pour autant que nous pouvons nous qualifier de masculin ou féminin".
"L'orientation sexuelle doit être clairement distinguée du sexe biologique
de la personne".
"Le mineur de 15 à 18ans est libre d'entretenir des relations sexuelles à
condition qu'il soit consentant et que ce ne soit pas avec une personne ayant
autorité sur lui".
"Le mineur est libre de ses orientations sexuelles, c'est-à-dire qu'il peut
avoir des relations sexuelles soit avec un homme soit avec une femme".
"Durant cette période de fragilité psychologique et affective
(l'adolescence), il est souvent difficile de faire face à une orientation
sexuelle différente de la norme hétérosexuelle".
Chez Hatier:
"En sociologie, l'identité sexuelle se réfère au genre par lequel une
personne est socialement reconnue".
"Montrez que d'autres facteurs peuvent intervenir pour définir l'identité
sexuelle d'une personne". (Enoncé d'un exercice).