C'est un des films du moment, en train de devenir un des succès de ce début d'année au box office, avec plus de 25 millions de dollars récoltés dans le monde pour à peine 10 millions de budget, malgré sa longueur exigeante (près de 4 heures !) rarissime pour un long métrage hollywoodien. Il est, forcément, calibré pour les Oscars 2025 (qui se tiennent cette nuit !), dont il est un des grands favoris, avec dix nominations. Il n'empêche, ce film-fleuve m'a chavirée ; par sa longueur, son design moderniste, sa musique contemporaine, son hommage absolu à l'architecture, et... son entracte, il casse les codes du cinéma. Voici en quoi.
C'est un film monumental, réalisé par un jeune cinéaste quasi méconnu, Brady Corbet, un film-fleuve, qui couvre trois décennies du destin tant extraordinaire que douloureux d'un architecte juif hongrois, László Tóth (formidable Adrien Brody), qui va vivre son rêve américain à partir de 1947 après avoir été rescapé des camps de la Shoah.
1. Design furieusement moderniste
Il y a déjà cette ambition esthétique du film, sorte de mise en abyme de l'architecture par sa forme: le générique de début défile à l'horizontale, de gauche à droite, cassant d'emblée les codes du cinéma (qui veut que le générique défile à la verticale), puis le générique de fin en diagonale, dans un noir et blanc dépouillé. Comme une pièce de théâtre, il est très construit: ouverture, deux parties, épilogue.
Et puis, il est tourné en VistaVision, un procédé de prises de vues sur pellicule 35 mm, délaissé ces dernières années, qui fut notamment employé par Hitchcock (Vertigo). Ce qui donne à The Brutalist un grain si particulier. Lors de la séquence d'ouverture, on suit littéralement l'immigrant Laszlo qui arrive à New York à bord d'un immense paquebot, jusqu'à voire le symbole du début du rêve américain, d'en-dessous, la statue de la Liberté.
2. Ode à l'architecture
Le personnage principal, László Tóth, est un architecte de génie, une sommité dans son pays d'origine, passé par la fameuse école du Bauhaus, qui donnera un mouvement artistique avant-gardiste, honni par les nazis. A la fin du film, on le voit consacré comme une star. Le film est aussi une ode à l'architecture, au brutalisme (qui donne son titre au film): la commande gigantesque de son mécène, le milliardaire Van Buren, consistera en un immense ensemble de béton brut censé rassembler une bibliothèque, une église et un gymnase. Dans cette fresque, son personnage imaginaire, starchitecte avant l'heure, semble emprunter à Le Corbusier ou à un Renzo Piano.
3. L'Amérique des 50's, un style, une leçon de mode
Certains films sont devenus cultes pour leurs costumes, pour leur capacité à capter l'air d'une époque: celle des 50s et des 60s, dans l'ensemble de la filmographie de Hitchcock (les tailleurs - chignons parfaits de ses principaux personnages féminins), ou ceux où jouait Audrey Hepburn (Breakfast at Tiffany’s). Brady Corbet et Kate Forbes, la costumière du long-métrage aux multiples nominations, rejoue l'exercice en retraçant une épopée de la mode de l'époque: la puissance old money de la dynastie familiale Van Buren se reflète dans les choix des vêtements, entre le raffinement des matières soyeuses des robes 50's des femmes, et des détails - les cravates en soie, couleurs saphirs profonds et rouges ardents (et des étoiles pour le patriarche).
4. Entracte !
Au bout d'1h40, surprise, cette photo vintage nous invite à un entracte bienvenu au milieu du film, qui dure exactement 3h35 (hormis publicités et bandes annonces). En soi, l'instauration de cette coupure, qui était jusque là l'apanage des opéras et pièces de théâtre, bouscule elle aussi le petit monde du cinéma. Avec des difficultés logistiques inédites pour les diffuseurs. Mais la délicieuse impression pour le public, d'assister à un événement, un spectacle que l'on déguste en prenant le temps. Et l'oblige à redonner de son attention à une époque où celle-ci, sollicitée par les multiples écrans et réseaux sociaux, est devenue précieuse. Et pourquoi pas créer là un nouvel usage, alors que depuis quelques années, Hollywood semble apprécier de sortir des films de plus en plus longs...