lundi 16 mai 2011

Affaire DSK : Twitter 1 - TV 0, immédiateté, émotion, approximations

Un fait presque sans précédent. Ces dernières 36 heures, Twitter a supplanté les dépêches, la radio et la TV, traditionnels relais d'info immédiate. Dès dimanche au petit matin, l'info a fait l'effet d'une bourrasque: Dominique Strass-Kahn, président du FMI, un des potentiels présidentiables socialistes les plus prometteurs, venait d'être arrêté pour agression sexuelle dans un hôtel à New York. Une information dévoilée presque en temps réel sur Twitter, à peine DSK interpellé à bord de son avion Air France en partance pour Paris.

Viralité de l'information

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Le tweet qui a agité la tweetosphère (et les noctambules français) dès la nuit de samedi à dimanche, c'est Jonathan Pinet qui l'a lâché. Ce qui n'a pas manqué de susciter, dès lors, des rumeurs de manipulation : le jeune Franco-Canadien, étudiant à Sciences Po, est par ailleurs militant aux Jeunesses Populaires. Voire: prévenu par un ami new-yorkais, il publiait ce tweet à peine une heure après l’arrestation.

Mais clairement, Twitter s'est imposé comme un outil de veille et de viralité. Il permet à tout un chacun - journaliste ou pas - de publier l'info du jour en temps réel, sans filtre, et ce avant même les plus grands médias. En quelques minutes, en une poignée d'heures, tout le monde était au courant sur Twitter et Facebook, sur la Toile, avant que les chaînes de télé et les radios ne s'emparent à leur tour du sujet. Avec l'immédiateté de l'enchaînement, la vitesse de la chute de DSK n'en paraît que plus vertigineuse.

Une viralité hors-médias, qui déplaît à certains de la garde rapprochée de DSK. Dimanche soir, missionné par les conseillers de DSK à Euro RSCG au 20 heures de France 2, Jean-Marie Le Guen, un des plus proches de DSK, ne peut s'empêcher de lâcher : "il se passe de choses parfois un peu bizarres sur le web"... Raccourci anti-Web qui pourrait sembler délicieusement suranné dans un autre contexte.

Effet à double tranchant

Un outil d’information, et aussi le lieu de débats, tout comme Facebook, au sujet des rumeurs de manipulation… Durant 24 heures, Twitter, tout comme Facebook, a été le relais en temps réel des multiples informations publiées par les médias - la presse US surtout. Classique.

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Mais ce lundi après-midi, on a franchi un cap supplémentaire. DSK est convoqué devant le juge, les caméras sont interdites d'entrée - dans un premier temps - à l'audience. Qu'à cela ne tienne, une poignée de journalistes vont tweeter en direct l'audience. @valeria_e crée illico une liste Twitter avec quelques-uns des journalistes twittos : JP Balasse (@balasseNY), correspondant d'Europe 1 aux Etats-Unis, Yannick Olland de RMC, Emmanuel Duteil (@EDUTEILBFMRADIO), correspondant de BFM Radio, Jon Swaine -@jonswaine), correspondant du Daily Telegraph, Stéphane Jourdain de l'AFP (@daftkurt)... Le live-tweet, une source première et unique pour suivre le procès. Tweets de 140 signes, souvent factuels, parfois touchants, entre arguments du procureur et de l'avocat, brèves descriptions d'un Dominique Strauss-Kahn complètement défait. Jusqu'au verdict : refus du procureur de la libération sous caution de DSK pour 1 million de dollars, placé en détention préventive jusqu'au 20 mai.

Sur les chaînes de télé, Twitter devient une source par défaut pour relater la tenue du procès fermé aux caméras. Et devance les bonnes vieilles dépêches. Des tweets sont cités comme source par les chaînes d'information continue : sur iTélé, le présentateur évoque le "dernier tweet qui nous parvient..." . Au prix d'approximations, tel ce journaliste de France 24 qui source "selon Twitter"... sans donner le nom de l'auteur dudit tweet, pointe alors @gillesbruno.

De 20minutes.fr à France24, en passant par LeMonde.fr, Les sites d'information relaient abondamment le procès historique en recourant au live-tweet, un format journalistique dans l'air du temps, adapté à la couverture de ces actus chaudes, comme j'en parlais dans ce billet.

Une trentaine de minutes plus tard, une fois l'audience achevée, iTélé rediffuse les images en différé. Images en plans serrés, voyeuristes, gros plans sur le visage de DSK anéanti. Autre étape après les images de lundi matin montrant DSK sortant du commissariat de Harlem, où il avait été inculpé pour tentative de viol. Une crucifixion médiatique en temps réel, diffusée par la plupart des chaînes d'info du monde. J'apprendrai quelques minutes plus tard par un twittos, @diabymohamed, que la chaîne populaire ABC est la seule autorisée à tenir une caméra dans la salle d'audience - image rediffusée ensuite par les autres chaînes d'infos.

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La viralité et l'immédiateté de l'info telle que diffusée sur Twitter entraîne les autres médias dans son sillage. Source d'infos pour iTélé, qui, lundi après-midi, reprend illico presto un tweet présenté comme issu du compte de @Tristane_Banon , une jeune journaliste et auteure qui prétend avoir été agressée sexuellement par DSK en 2002, et avait jusque là refusé de porter plainte, dont Agoravox a opportunément ressorti l'extrait d'une émission enregistrée en 2007 avec Thierry Ardisson. Un compte Twitter authentifié par personne... mais quand même cité en direct à l'antenne, relève alors sur Twitter le journaliste Vincent Glad. Pendant plusieurs minutes, la chaîne diffuse un bandeau indiquant que l'écrivaine et journaliste a déposé une plainte contre DSK, comme le relate ensuite Arrêtsurimages.net. Quelques minutes après, plusieurs journalistes sur Twiter, puis LeMonde.fr, démontreront qu'il s'agit d'un fake, Tristane Banon n'ayant pas de compte Twitter, précise alors son avocat.

Donc les tweets ont supplanté les dépêches ce lundi soir, sous nos yeux.

Mise à jour jeudi 19 mai : évidemment je suis loin d'être la seule à avoir écrit sur ce sujet... Allez butiner chez mes confrères: la métarédaction web à l'ouvrage chez Sébastien Bailly, Erwan Gaucher qui se demande si les médias ont basculé, Benoît Raphael si Twitter est un "nouveau média historique ?", "le bruit et la fureur documentaire" chez Olivier Ertzscheid, ou encore le décryptage de la mécanique du live sur Twitter chez Laurent Dupin.

jeudi 12 mai 2011

La couv' de la semaine: Capital, storytelling et pipolisation économique

Capital

Il était temps que je reprenne cette rubrique, avec ce titre que vous connaissez forcément, qui incarne une certaine idée du journalisme économique. Couv' (sur)chargée aux couleurs vives, titraille et mise en page accrocheuse, et bien sûr l'inimitable ton popu qui lui donne parfois un côté café du commerce : pas de doute, vous avez bien entre les mains Capital, le titre de presse économique le plus vendu, avec une diffusion payante de plus de 320 000 exemplaires par mois (chiffres OJD). Eh oui, car l'un des fleurons du groupe Prisma Presse fête ses 20 ans ! Né à la fin des années 80, "années-fric" incarnées par Bernard Tapie, le culte de la compétition et de la gagne pour des jeunes cadres sup' qui se rêvaient en yuppies.

La naissance de ce titre n'a rien d'anecdotique. Mine de rien, tout comme son lointain cousin en télé sur M6, Capital a créé une ligne éditoriale, un ton journalistique (souvent crispant, il faut le dire). L'économie, une science ennuyeuse ? Qu'à cela ne tienne, les concepteurs de Capital ont eu l'idée, dès le début, de raconter des histoires aux lecteurs, force anecdotes : les prémices du storytelling... Quitte à y ajouter ce ton crispant à la Capital, qu'il a inventé (et repris par beaucoup), avec formules accrocheuses, formules-clichés (je vous laisse savourer ce délicieux billet de mon confrère Erwann Gaucher sur les tics de langage de Capital en télé - toi aussi fais ton reportage Capital...), et tournures de phrases trèès familières qui assurent le lecteur. Et situent Capital à la lisière du mag de divertissement.

C'était l'occasion rêvée de revenir sur ce titre ici, où je m'était déjà adonnée au plaisir du feuilletage des pouffe-mags (ici et ), alors que le mensuel économique s'est offert un sérieux lifiting pour son bithday, avec une nouvelle formule lancée en avril, accompagnée dans la foulée de sa première appli iPad payante, et le lancent imminent d'une appli mobile, dédiée aux conseils boursiers de Capital.fr.

Le nouveau Capital, donc. On remarquera déjà la couverture parfaitement adaptée à la vente en kiosques (où il ne pourra échapper à votre regard): élégante couleur de fond rose vif, titres de Une divers et variés mis en avant, avec une légère tendance alarmiste ("les acteurs trop bien payés", "pourquoi votre facture santé s'envole", le "nouveau Big Brother" Facebook..).

Le feuilletage réserve quelques surprises. Déjà, visiblement, la nouvelle formule a plu aux annonceurs, avec 39 pages de pub (ainsi que 6 pages de publi- flotte d'entreprise - un classique dans la presse éco) sur une pagination totale de 154 pages.

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Dès l'édito, François Genthial nous promet "de nouvelles rubriques plus proches de l'actualité". Et de fait: après l'interview d'ouverturedu DG d'Air France - KLM (bon, une page de photo, une page de texte...), on enchaîne sur cette maagnifique infographie "big business du Festival de Cannes"

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S'ensuit cette non moins magnifique double info-people, que l'on pourrait volontiers imaginer dans d'autres magazines ("soirées business", tout de même).

On retrouve ensuite les traditionnelles rubriques de Capital: Hommes et affaires, avec la touche hommes d'affaires peopolisés propre à Capital, tel François-Henry Pinault ("people malgré lui" depuis son mariage à l'actrice Salma Hayek, sa "coûteuse passion écolo" y sont abordés entre autres indiscrétions)

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Puis la rubrique Succès et dérapages d'entreprises. Là, agréable surprise, Capital donne de la place à l'enquête. 13 pages sur Facebook, alors que le journaliste Gilles Tanguy s'est rendu au siège de la société, à Palo Alto en Californie (un reportage que je rêve de faire...): il raconte l'ambiance de travail dans cette ruche, le management interne (il "règne sur une bande de copains", eh oui), ses rapports étroits avec les annonceurs...

Quelques prémices de format bi-média s'esquissent, avec ce prolongement vidéo ("exclusif" bien sûr) bien vu, où il a suivi Mark Zuckerberg.

S'ensuivent un long dossier sur le coût de la santé et le traditionnel comparatif des cliniques... tiens, un marronnier classique que l'on retrouve régulièrement dans certains hebdos généralistes), un portfolio ("l'économie en images"), la rubrique "révélations" (dont ces vilains comédiens cloués au pilori car "peu rentables")...

Et ensuite, une partie "Votre Capital pratique" enrichie, désormais dans un cahier entier: ces fameuses rubriques services - infos pratiques dont la presse mag raffole... C'est bien connu, les lecteurs adooorent ce côté boîte à outils. Infos carrière, droit, argent et placements, ou encore vie privée (où l'on mêle cours de cuisine et high-tech...) y sont abordés.

Bilan ? Capital reprend cette recette qui a fait son succès : quelques enquêtes et documents prestigieux (intéressante enquête sur les dérives du trading assisté par ordinateur, traduction de Wired), un peu de paillettes, et beaucoup de sujets d'actus tirés sous un angle très vendeur, voire polémique.

mardi 3 mai 2011

Mad Men, photo à la Hitchcock, reflets du machisme (racisme, homophobie...) de l'époque, bouscule le cinéma

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Une ombre en costume qui s'avance dans un bureau, dont les pièces s'éparpillent comme un puzzle, puis chute dans le vide sans fin, entre des gratte-ciels aux reflets d'affiches publicitaires d'époque, sur une musique, version instrumentale de A Beautiful Mine de RJD2.... Le générique d'ouverture, visuellement magnifique et déjà (un peu) glaçant, à l'élégance des génériques de James Bond et des films de Hitchcock (dont Sueurs Froides), on croirait y déceler la patte d'un Saul Bass.

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Mad Men, je l'ai découverte il y a quelques semaines... Episode par épisode, saison par saison, je l'ai savamment dégustée, par petits bouts. Cela faisait longtemps que je voulais écrire quelque chose dessus, ici ou ailleurs, parce que c'est sans doute une des meilleures séries que j'ai vues ces dernières années. Dont la qualité la rapproche dangereusement d'un film cinématographique. Et en la matière, les références ne manquent pas. Les mad men, expression US de la fin des années 50 (néologisme - jeu de mots avec Ad men, littéralement "les hommes de la pub", qui en anticipe d'autres, tels les yuppies des 80s), ce sont ces cadres publicitaires de l'Avenue Madison.

Cette série met donc en scène des publicitaires américains des années 60, en plein dans les années Kennedy, dans une société US opulente, où la population découvre les joies du consumérisme de la consommation... et la publicité qui suscite chez eux de nouveaux besoins.

Pourquoi j'en parle maintenant ? La série, à peine connue en France il y a encore un an (elle est diffusée sur Canal +ainsi que sur TPS Star depuis 2008, la saison 3 sort tout juste en DVD en France), titille gentiment l'industrie du cinéma. Une nouvelle illustration de cette nouvelle génération de séries haut de gamme, qui esquisse leur rapprochement avec des films. La série, créée en 2007, diffusée sur AMC, est déjà bardée de 13 Grammy awards et 4 Golden Globes - une première pour une série diffusée sur une chaîne câblée. Consécration, un des trublions de la diffusion web, Netflix, vient d'en acquérir les droits de diffusion - exclusifs - sur le Web, comme j'en parle dans cette enquête pour Stratégies. Ce qui n'a rien d'anecdotique, puisque grâce à la télévision connectée, dont commencent à s'équiper les foyers, la distribution des contenus issus du Web devient possible.

Bienvenue chez les Mad Men à New York, dans les années 60, sur Madison Avenue, dans la grande agence de publicité fictive Sterling Cooper. Série faussement rétro, absolument pas nostalgique, incroyablement actuelle sur le fond. On y voit donc le quotidien d'une équipe de pubeux : Peggy Olson, Pete Campbell, Roger Sterling... Et avant tout le personnage de Don Draper, interprété par Jon Hamm, directeur créatif de Sterling Cooper et associé de Sterling Cooper Draper Pryce, créatif brillant et manipulateur. Au travers des différents personnages et des évènements, la série dépeint les changements sociaux et moraux qui ont eu lieu aux États-Unis dans les sixties. C'est une de ses forces.

Premier épisode, premier plan: dans un bar chic, musique 50s, travelling avant par-derrière un brun élégant, cheveux gominés, l'air préoccupé. Il sonde le serveur sur sa marque de clopes - des Old God, alors que lui fume des Lucky Strike. Et tente de le convaincre de passer aux Lucky. Long travelling sur la clientèle so schic, au look 60s, de ce bar huppé où tous clopent...

Consumérisme et publicité

C'est bien sûr l'un des thèmes-phares de la série: Mad Men décrit les composantes de la société et de la culture américaine des années 1960 : le tabagisme, l'alcool, le sexisme, l'adultère, l'homophobie, l'antisémitisme, le racisme et l'absence totale de préoccupations envers l'environnement, sont régulièrement abordés dans la série. Minutieusement documentée, sans aucun anachronisme (du moins m'a-t-il semblé, dans mes souvenirs en tant qu'historienne de formation..), la série accentue ainsi les différences entre cette époque et aujourd'hui, lors de la diffusion. Matthew Weiner a d'ailleurs eu pour consultant publicitaire Robert Levinson, qui a travaillé chez BBDO de 1960 à 1980. Dans cette très longue enquête publiée par le NY Times, il souligne: "Ce que Matthew a filmé est tellement réaliste. L'alcool était une pratique courante, le tabagisme était constant, les relations entre les cadres et leurs secrétaires étaient semblables".

Le claquement raffiné d'un briquet qu'on referme ou le tintement des glaçons dans un verre: un des leitmotivs de la série, où le whisky coule à flots dès le matin, et la fumée envahit chaque image. Omniprésent à l'époque, et dans la série, presque tous les personnages sont filmés en train de fumer très souvent tout au long des saisons - inimaginable aujourd'hui... L'épisode pilote annonce la couleur: les gérants de la marque de cigarettes Lucky Strike y embauchent Sterling Cooper pour une nouvelle campagne de pub, suite à un rapport publié dans le magazine féminin Reader's Digest, affirmant que le tabagisme peut entraîner un cancer du poumon. L'argumentaire de l'annonceur Lucky Strike à l'agence est clair: "La manipulation des médias ? C'est pour cela que je vous paie".

Le secteur publicitaire est un métier encore naissant à l'époque, mais les créatifs et commerciaux sont déjà des pros. Les séances de brainstorming et présentations de pitchs autour de campagnes de pubs à des clients sont des occasions rêvées pour nous esquisser un portrait des formes émergentes de consommation - et comment les publicitaires créent de nouveaux besoins les accompagnent. Et répondent ainsi aux attentes de leurs clients, des annonceurs qui souhaitent modeler les attitudes sociales des consommateurs. Les publicitaires sont censés ressentir l'air du temps et anticiper les changements de société pour les faire passer dans leurs campagnes de pub. Une lame de fond rêvée pour la série, dont scénario met constamment en scène des personnages qui ressentent les frémissements du changement - les prémisses de Mai 68... - dans l'industrie de la publicité. Dans Mad Men, la toile de fond du monde publicitaire est le prétexte à une approche didactique des stratégies publicitaires alors conçues, telle la fabrication du consentement.

Un des premiers révélateurs, cette tirade cynique et désabusée de Don Draper sur l'amour, "un slogan publicitaire. "Elle ne veut pas se marier parce qu'elle n'a jamais été amoureuse" - j'ai écrit cela pour vendre des bas le crois L'amour, le vrai, le grand, ce lui qui vous transperce, où vous ne pouvez plus manger, vous fait fuir, ça n'existe pas. Ce que vous appelez amour a été inventé par des gens comme moi pour vendre des bas. On naît et on meurt seul, ce monde vous abreuve de règles pour vous faire oublier cela".

Au fil des épisodes, Mad Men sème des indices sur la "révolution silencieuse" en approche des années 1960 : les problèmes d'anxiété de Betty, la Beat Generation découverte par Don à travers Midge, les remarques sur l'éventuelle dangerosité du tabac sur la santé (le plus souvent ignorées), l'émancipation du peuple noir-américain...

Sans doute un des plus beaux dialogues - remarquablement écrit de la série, ce discours brillant de Don Draper (Saison 1, épisode 13) sur la valeur nostalgique et sur le potentiel commercial du projecteur Kodak - une des premières apparitions du marketing de la nostalgie... Juste pour le plaisir, verbatim, en VO please.

"Nostalgia. It’s delicate, but potent… Teddy told me that in Greek, nostalgia literally means the pain from an old wound. It’s a twinge in your heart, far more powerful than memory alone. This device… isn’t a spaceship, it’s a time machine. It goes backwards, forwards. It takes us to a place where we ache to go again. It’s not called the Wheel. It’s called the Carousel. It lets us travel the way a child travels. Around and around and back home again, to a place where we know we are loved".

Machisme, racisme et homophobie ordinaires...

Si la série peut parfois laisser filtrer une nostalgie pour une époque antérieure, magnifiée (j'en parlerai plus bas), la cruauté, la mobilité sociale et les diverses formes de rejet "ordinaires" de l'époque y sont traitées sans concessions. En réponse au frémissement que promet le discours de Martin Luther King ("il est peut-être un peu trop tôt", commente naturellement Betty Drapper à sa nurse noire en regardant le discours sur son téléviseur), dans Mad Men, les Noirs occupent des fonctions subalternes: serveur de bar, portier, dans l'ascenseur, nurse...

L'homosexualité est taboue à l'époque: le créatif Salvatore découvre son penchant au fil des épisodes, jusqu'au jour où il est ouvertement dragué par un gros client de l'agence (saison 3). Il repousse ses avances. Le client menace alors de quitter Starling Cooper à moins que Salvatore ne soit exclu de sa campagne... Salvatore sera sacrifié, licencié illico - par tactique, Don refusera de croire à ses explications (qui brisent un tabou ?).

... Et prémices fragiles d'émancipation de la femme

Betty Draper

Betty Draper, héroïne hitchcockienne de la série

Les femmes dans la série ? Le développement des divorces, l'égalité des sexes sont aussi une des révolutions silencieuses de l'époque, omniprésentes dans la série. Parallèlement, autre constante de Mad Men, elle dépeint aussi une sous-culture où les hommes mariés s'engagent fréquemment dans des relations extra-conjugales avec d'autres femmes.

Les maîtresses de Don sont des figures de femmes émancipées de l'époque : seules, indépendantes financièrement, telles Midge, créatrice publicitaire indépendante qui travaille chez elle, créatrices d'entreprise, Rachel Menken, repreneuse de la boîte familiale, l'institutrice Suzanne... A contrario, l'émancipation de plusieurs des héroïnes est progressive et fragile. Betty Draper, blonde glacée (grande bourgeoise mère au foyer) épouse de Don, finit certes par demander le divorce, en apprenant ses écarts extra-conjugaux - mais pour se recaser aussitôt avec un notable local.

Peggy Olson, sage et discrète secrétaire de Draper, illustre les espoirs de mobilité et d'émancipation pour une nouvelle génération de femmes. Elle devient concepteur-rédacteur dans l'équipe de ce dernier - une première au sein de l'agence, elle y sera la seule femme à occuper un tel poste. Les portraits des autres salariées révèlent hélas moins de promesses de mobilité sociale : les autres femmes de Starling Coopers sont toutes des secrétaires, sur lesquelles les créatifs exercent à l'occasion un "droit de cuissage", et dont l'objectif secret reste de trouver un mari.

Conseils de Joan Holloway, à la tête du secrétariat de Sterling Cooper, à Peggy Olson, lorsqu'elle arrive comme nouvelle secrétaire: "Suis mes conseils et tu ne commettras pas d'erreurs. Dans quelques années, si tu as une bonne promotion, tu seras en ville comme nous tous. Bien sûr, si tu as une très bonne promotion, tu ne travailleras plus du tout (sous-entendu 'Si tu as le chance de faire un beau mariage'). Munis-toi d'aspirines, compresses, fil, aiguilles. Ils veulent une secrétaire, mais cherchent souvent quelqu'un entre la mère et la bonne". Tout est dit.

Magnétisme hitchcockien

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Du côté photo et montage, Matthew Weiner a collaboré avec le directeur de la photographie Phil Abraham et avec le créateur de décors Dan Bishop, pour développer une style visuel qui serait "davantage influencé par le cinéma que par la télévision". Dans cet immense hommage à Hitchcock, il s'autorise tout: travellings de dos des personnages, gros plans sur un verre, une cigarette ou une main, caméra qui glisse de haut en bas des buildings, dans les pieds des employés franchissant la porte tournante de leur immeuble...

Hitchcock est évidemment omniprésent dans Mad Men, chez les personnages mêmes: une des héroïnes, Betty Drapper, est une blonde glacée à l'élégance un rien surannée, clone de Tippi Heddren, tout comme Don Drapper, dont le charisme rappelle Cary Grant ou James Stewart.

Mode, design: le "rétro-chic", ou comment "Mad Men" remet le passé au présent

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Là je ne vous apprendrai rien, le style fifties, looks de pin-ups aux formes généreuses, avec gaines, serre-taille, lunettes à écailles et jupes-crayons ont fait un retour en force dans la presse féminine, depuis un an en France. Un vintage retour aux sources, teinté de nostalgie (pas forcément bienvenue), symbole de retour aux valeurs sûres à l'ère du jetable... Ce qu'explique Nathalie Azoulay dans Mad Men, un art de vivre (ed. La Martinière), qui paraît le 26 mai.

Après la première saison, le couturier Michael Kors a dédié un défilé entier à la série. Après la troisième, la styliste de la série, Janie Bryant, qui s'est inspirée des collections Brook Brothers des années 60, a aidé la griffe pour hommes à lancer une ligne spéciale Mad Men, écrivait Adèle Smith dans Le Figaro, le 8 février dernier. Dernièrement, Tom Ford, Marc Jacobs, Céline ou Prada se sont réemparés du style rétro-chic (certains parlant de style "néo-bourge").

Ce style des Trente Glorieuses dépoussiéré a un nouveau nom, le style "rétro-chic", avec pour icône la pulpeuse actrice Christina Hendricks, la secrétaire rousse de Man Men. Encore cette semaine, Grazia y consacre 4 pages, avec un focus sur les blitz parties, entre reproductions historiques et soirées underground, ressuscitées à Londres. Chignons crêpés et bas résilles obligatoires pour les femmes, le cha-cha-cha, le twist et le rock'n roll sont les danses obligées.

dimanche 1 mai 2011

Ben Laden & Twitter; Netflix HBO du Web; Storify; Beastie Boys; Apple & datas; Filtrage dans les box...

Et hop une petite revue de liens au débotté (en français... et en anglais VO, eh oui, nouveauté de la semaine !), sélection de news, tweets et billets en médias, nouveaux médias et high-tech pour ces derniers jours...

  • Twitter was the very first (media ?) this morning to reveal the death of Ben Laden, before official sources - and Barack Obama... A story that Twitter Broke (Fast Company). Right from this monday morning, there was already an "Osama Bin Laden is Dead" Facebook page. 120,000 Likes and counting. And this paper, right from this morning, about the 'coulisses" of the death of Bin Laden (NYT).
  • L'Internet illimité c'est fini ? AT&T l'enterre aux US.. (Wired)
  • Portrait du futur HBO du Web ? J'en parle ici dans Stratégies (accès abonnés sorry) : non content d'avoir acquis les droits de Mad Men, Netflix se lancer à corps perdu dans la production de séries, d'après le Hollywood Reporter. A suivre !
  • Storify, opening this monday: Filtering the Social Web to Present News Items, according to the New York Time.
  • Du bon son - avant sa sortie le 4 mai, le nouvel album des Beastie Boys (so 90s... toute mon adolescence) en écoute intégrale chez les Inrocks.
  • Que se passera-t-il le jour où les ordinateurs seront plus intelligents que les humains ? (InternetActu.
  • Apple's Data Collection Practices - Europe is beginning its own investigations, according to the New York Times... But he's not alone, Android smartphones too are attempting to the privacy (Guardian).
  • Une de mes découvertes de Pâques - l'existence d'oeufs brandés. L'omniprésence des marques...
  • Nouvelle étape dans la sédition des blogueurs du Huffington Post: ils réclament leur part du gâteau (Les Inrocks). Notre enquête (accès abos) sur cette rébellion des blogueurs dans Stratégies.

lundi 25 avril 2011

Royal wedding digital vs anti-monarchistes sur la Toile

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Cela ne vous aura pas échappé, vendredi 29 avril à 8h15 tapantes dans l'abbaye de Westminster, aura lieu un des événements (so kitsch) les plus attendus, le royal wedding de la relève de la Couronne britannique, le prince William et Kate Middleton. Un mariage qui sera sans doute le plus médiatisé, puisqu'il est le premier à se dérouler à l'ère de l'Internet, avec une audience de plus en plus connectée. Même s'il est loin de susciter le même intérêt pour les sujets britanniques que les mariages royaux précédents.

Présence numérique

Alors évidemment, comme dans toute bonne stratégie marketing, on trouve une kyrielle de produits dérivés, conçus avec ou sans l'assentiment du staff de la famille royale: de la mug aux capotes, en passant par les sachets à thé (petite sélection par ici) : je vous renvoie à l'enquête - accès abonnés - sur le Royal marketing que l'on a publiée dans Stratégies cette semaine). Mais également, la Couronne a mis les moyens pour assurer la présence numérique du futur couple royal, avant, pendant et après la cérémonie du 29 avril.

Le site officiel, ouvert il y a quelques semaines, proposera un live-stream video fourni par YouTube le jour J, mais agrège déjà des infos à propos du mariage. S'y ajoutent une page YouTube officielle, The Royal Channel (déjà 45 000 abonnés...), qui comportera les vidéos officielles, une page Flickr avec des photos du couple en pleins préparatifs, un fil Twitter @ClarenceHouse (du nom de la résidence du prince William), avec plus de 41 000 followers, et une page Facebook The British Monarchy, avec plus de 346 000 fans.

Donc tout est bien parti pour ce royal tapage mariage médiatique, événement politico-diplomatico-populaire (et so kitsch), mais aussi symbole d'une monarchie britannique qui veut se réaffirmer par cette même occasion.

De la parodie d'un opérateur à la mobilisation anti-monarchiste

Mais les anti-monarchistes de tous poils en profitent aussi pour donner de la voix, de préférence sur la Toile, formidable caisse de résonance. Il y a ces contenus humoristiques qui fleurissent sur la Toile: comme cette reprise humoristique d'un tube de Lady Gaga, Royal Romance, par des élèves de St. Andrews University, où se sont rencontrés Kate et William pour leur première romance. Au passage, des marques bien malignes s'offrent un peu de récup': tel l'opérateur britannique T-Mobile (agence Saatchi & Saatchi), qui s'est offert les services de sosies du futur royal couple pour diffuser sur la Toile cette vidéo d'un mariage destroy. Objectif viralité magistralement atteint, avec 8 millions de visionnages depuis sa mise en ligne.

Un degré plus trash, l'industrie du X s'est emparée de l'événement pour réaliser une parodie (porno) de la future cérémonie royale, avec des sosies plus ou moins crédibles...

Au cran supérieur, c'est un mouvement anti-monarchiste très structuré qui se manifeste sur le Net, et profite de l'occasion pour faire entendre ses revendications, comme l'expliquait Guy Birenbaum la semaine dernière, dans cette chronique sur Europe 1. Sur Republic.org.uk, le mouvement "pour une alternative démocratique à la monarchie" revendique 15 000 partisans. Sur leur site, on peut d'ailleurs trouver des (contre-)produits dérivés, comme ces mugs royaux "I'm not a royal wedding mug".

Le 29 avril, en même temps que le royal wedding, il organisera une contre-manifestation à 11h30 dans la rue, "Not the royal wedding street party" au Red Lion square. D'ailleurs, des Suédois, des Danois, des Irlandais, des Belges, des Espagnols membres de l'Alliance des mouvements républicains et européens, seront aussi dans la rue, refusant d'être des sujets de leurs royaumes respectifs.

Un message anti-monarchiste qui reste très minoritaire au Royaume-Uni, mais que n'auraient pas dénié les très peu puritains Sex Pistols. God save the Queen !

vendredi 22 avril 2011

Les "concerts privés": les concerts sont-ils devenus un loisir de luxe ?

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Il y a quelques semaines, j'ai assisté à un concert de PJ Harvey à La Maroquinerie, une petite salle parisienne de quelques centaines de places, très prisée pour la qualité de son acoustique. Joli concert, j'étais à 4 mètres de PJ, que j'écoute depuis 15 ans et ses débuts avec le très énervé et jouissif Dry. Je n'ai pas boudé mon plaisir, malgré l'auditoire un peu froid...

Nous étions une poignée de privilégiés à voir la grande dame trash british, qui mêlait punk-rock et mélodies folk. D'autant plus privilégiés que la lady n'a donné que deux concerts en France ce printemps, à l'occasion de la sortie de son dernier album, Let England shake: l'un, à l'Olympia - tarifs prohibitifs (60 € la place), et l'autre, à La Maroquinerie, auquel j'ai donc eu la chance d'assister en tant qu'invitée... Comme l'ensemble de l'auditoire. Il s'agissait en effet d'un "concert privé", auquel n'assistaient que des invités, et des gagnants à un jeu-concours organisé par les partenaires, Deezer et Arte Live Web. Eh oui! Car ce concert organisé par la plateforme d'écoute de musique à la demande Deezer était réservé aux heureux internautes membres de sa communauté ayant gagné des places via un jeu-concours en ligne - et bien sûr aux habituels invités de ce genre d'événements.

Loisir de luxe

En résumé, outre un concert à prix prohibitif pour le commun des mortels (non-invités donc ;), bien loin derrière les places à 30 € de sa tournée de 2002 - preuve que la star néo-punk s'est embourgeoisée ? - ce concert très privé était la seule alternative. Les concerts seraient-ils devenus un loisir de luxe ?

Ou tout simplement, ce n'est peut-être plus une activité rentable pour les maisons de production... Une étude menée sur quatre ans par le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), publiée cette semaine, montre en effet la galère pour les jeunes artistes à se produire en tournées. Sur 650 demandes d'aide à la production déposées entre 2006 et 2009 (par de jeunes artistes, mais aussi par des musiciens confirmés comme Thomas Dutronc Jean-Louis Murat), l'étude révèle une baisse de 22% de la durée moyenne par projet et un recul de 21% de la fréquentation. Ouch...

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En fait, les "concerts privés" sont un format, une sorte de package de luxe très marketé en plein développement. Terrible révélateur d'une industrie musicale en pleine déconfiture. En recherche de nouvelles recettes. Depuis quelques années, ce nouveau format de concert se fait discrètement sa place dans les grilles de concerts.

Il y a le cas particulier de concerts privés au premier degré - ces cas caricaturaux de chanteurs qui se produisent lors d'anniversaires de milliardaires, payés rubis sur l'ongle, ou qui font des sortes de gigantesques ménages, assurant l'ambiance musicale lors de défilés de mode ou de soirées corporate, comme le cas récent de Sting lors d'une teuf pour la lancement de l'Audi A8 (hélas... tout se perd).

Mais une autre sorte de "concert privé" commence à avoir les faveurs des majors: organisé par une marque, il est destinés à sa seule communauté, formée des gagnants à un jeu-concours en ligne, tirage au sort ou autre. On est bien loin du modèle de concerts simplement sponsorisés par des marques - radios, majors musicales, marques de produits high-tech..

Des concerts qui relèvent autant de l'offre musicale que d'un nouveau package marketing, organisé - certes toujours par des radios et chaînes musicales, mais aussi des marques qui ont plus ou moins à voir avec cet univers : Deezer (le site de streaming musical) et Arte Live Web pour le concert privé de PJ Harvey, la Fnac pour ses Fnac Live (prochain jeu-concours: Moriarty...).

L'occasion de générer des contenus exclusifs, qui seront accessibles en ligne à sa seule communauté: ce que propose SFR sur son portail SFR Live Concerts. Car l'opérateur téléphonique s'est lui aussi engouffré dans la brèche, en ouvrant son Studio SFR et ses showcases en 2008.

Co-branding Société Générale + Universal Music

Pour d'autres, les concerts privés sont un produit d'appel marketing pour attirer la clientèle prisée des djeuns... Jackpot pour la Société Générale, qui s'est associée à Universal Music pour organiser les concerts So Music. C'est en septembre 2008, lorsqu'ils ont lancé une carte bancaire co-brandée (un "nouvel espace publicitaire", comme j'en parlais alors dans ce billet), "So' Music", destinée aux djeuns (important de les fidéliser.. pour qu'ils restent ensuite dans ladite banque), leur offrant entre autres des places de concerts à tarifs réduits... Concerts privés organisés exclusivement pour eux. Une forme de sponsoring d'un nouveau genre, en somme.

Même le charity business s'empare de ce format de micro-show exclusifs. Depuis le 4 avril, plusieurs chanteurs - Raphaël ouvrait le bal au Grand Palais - se sont succédés à des concerts privés réservés aux bénéficiaires d'un tirage au sort parmi des prêteurs (au minimum 20 euros) de MicroWorld, une plateforme de mircrocrédit qui met en relation prêteurs et entrepreneurs.

dimanche 17 avril 2011

Kit de data visualisation, un community manager Facebook; 3D sur iPad; rétribution des blogueurs; lobbying cookies IAB; SF...

Après une petite pause, retour de ma sélection de liens hebdomadaires, repérages d'actus technos, médias, innovation, marketing, people...

  • Une mise en abyme... Quand le réseau social mainstream Facebook investit dans ses relations avec les journalistes... en nommant un community manager (si, si) rien que pour eux.
  • L'IAB Europe lance un site pour gérer ses données personnelles, où elle nous explique que non, il n'y a rien de mal dans les cookies publicitaires, qui ne font que repérer votre parcours sur le Web. En toute innocence... L'enjeu étant la transposition, d'ici le 25 mai, d'une directive européenne, dont un des volets prévoit justement d'encadrer plus sévèrement lesdits cookies. C'est dire que les publicitaires sont très attentifs - et que la bataille de lobbying est engagée, comme j'en parlais dans cette enquête.
  • Coup médiatique ou retour du journalisme engagé? Les Inrocks n'y allaient pas de main-morte avec cette couv' cette semaine...
  • Et nous, on s'est penchés cette semaine dans Stratégies sur le mythe de l'économie de la gratitude, qui a agité la blogosphère dernièrement: Faut-il payer les blogueurs? Enquête (en accès abonnés) ici.
  • Gros #fail de la semaine, Cisco a décidé d'arrêter les frais avec la caméra Flip. Normal: la Flip déjà has-been face aux smartphones, d'après le ''New York Times''...
  • Flipboard lève 50millions de $ pour une valorisation à 200 millions de $, d'après AllThingsDigital... Petit goût de survalorisation , nouvelle bulle ?
  • La 3D sans lunettes sur iPad. On en reparlera sans doute, alors que, pour l'instant, les constructeurs se bagarrent entre écrans TV 3D avec ou sans lunettes, et lunettes actives ou passives...
  • Salvador Allende, ce héros. 38 ans après, la justice chilienne enquête sur sa mort. Jean-Christophe Féraud rend un vibrant hommage à ce héros oublié.
  • Last but not least, mercredi prochain, ruez-vous dans les salles obscures. Duncan Jones sort le 20 avril un nouveau film de science-fiction, Source Code, après le culte et trop méconnu. Chronique à venir...

dimanche 3 avril 2011

Crowdsourcing + direct + journalisme "de bureau" = Le "live", un format journalistique confirmé

A côté des articles, billets, vidéos, chats, diaporamas, webdocumentaires et autres infographies (datajournalism oblige), il s'est imposé comme un format journalistique à part entière, prisé des rédactions web. Une consécration au bout de 3/4 ans d'existence, au gré d'une actualité internationale en plein bouillonnement - de l'Afrique du Nord au Proche-Orient, en passant par le Japon, et, ces tous derniers jours, la Côte d'Ivoire. Le live donc, entre live-blogging et live-tweet, se présente sous forme d'enchaînements de phrases courtes, où le journaliste commente en direct un événement, tout en interagissant en direct avec les internautes qui peuvent y publier leurs commentaires.

Le live, concentré des nouvelles pratiques journalistiques online

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Cela faisait un certain temps que je ne m'étais pas penchée sur les nouvelles pratiques journalistiques sur le web, et ces nouveaux formats qu'utilisent - voire créent - les médias en ligne, comme le webdocumentaire, que j'avais décrypté ici. Car les rédactions web sont les mieux placées pour inventer de nouvelles pratiques journalistiques online, mêlant des écritures journalistiques propres au web (écriture simple et factuelle, brièveté des articles, journalisme de liens avec liens hypertextes pour partager ses sources), une organisation du travail propre (avec des journalistes de permanence à tour de rôle jusque tard en soirée, les weekend, et jours fériés) une ligne éditoriale propre (culte de l'instantanéité, du grand public, voire du popu - on y reviendra), des impératifs de mise en page et d'infographie...

Une nouveau format journalistique, avec ses travers, mais particulièrement innovant, qui m'avait déjà frappée lors de mon (bref ;) passage par la rédaction de 20minutes.fr l'année dernière, clairement la rédac web qui y recourt le plus, sous diverses déclinaisons. L'occasion était rêvée pour décrypter ce format du live, un concentré de compétences parfois d'un nouveau type que revêtent les rédactions web. Un format également révélateur des nouvelles pratiques des internautes: ils vont sur des sites d'info pour suivre des événements en direct lorsqu'ils sont au bureau, et interroger en direct le journaliste qui le "couvre". Le soir, ils commentent depuis leur laptop ou leur smartphone une émission qu'ils suivent sur leur téléviseur.

Le Monde a frappé fort en ouvrant un live de cinq jours, du 14 au 17 mars, pour couvrir les événements au Japon. Cinq jours! Imaginez: durant cinq journées d'affilée, des journalistes se sont succédés pour assurer la couverture en permanence des événements au Japon. Une première dans les pratiques liées à cet outil, le live - quitte à en essuyer les plâtres, en comme l'a longuement décrypté Vincent Glad dans ce billet, reprenant André Gunthert.

Ces dernières semaines, plusieurs média en ligne ont aussi monté des lives spéciaux, autour des événements en Libye et dans le monde arabe (comme par exemple France 24, sur l'Egypte, puis la Libye), Slate France, ou encore Owni, puis à propos du séisme du Japon et la centrale nucléaire de Fukushima. Des media plus confidentiels l'ont adopté aussi, comme le site web de Jeune Afrique depuis vendredi dernier, à propos de la Côte d'Ivoire et l'entrée à Abidjan des pro-Ouattara.

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Via Vincent Glad

C'est là, à la lumière de ces soubresauts de l'actu internationale, que l'on a pu prendre toute la mesure de l'adaptabilité de ce format journalistique: complémentaire des articles en ligne et des longues enquêtes publiées sur le print, le live permet d'informer le lecteur en temps réel des bribes d'information. Comme le souligne Vincent Glad, les media en ligne y trouvent un format qui se rapproche dans sa forme des éditions spéciales des chaînes d’infos en continu qui associent les images à un bandeau défilant de breaking news, alimenté par des dépêches d'agences, "avec une insistance sur l’événementialité avec un logo 'édition spéciale'".

Pourquoi le recours à a un tel dispositif ? "Sur de gros événements internationaux, les live sont un outil assez fantastique, ils permettent de suivre rapidement et dans les détails un événement, d'agréger rapidement des sources issues d'autres médias, d'être très précis, de relativiser ou de corriger immédiatement une information", me précise Samuel Laurent, journaliste politique au Monde.fr, ex-Figaro.fr.

Et d'évoquer "tous les apports que nous donne l'audience, que ce soit en posant des questions qui nous obligent à préciser des infos, en apportant des informations locales (pour des événements comme le conflit des retraites), en donnant des liens (lives "internationaux"), des éclairages techniques spécialisés (Fukushima...) et même de l'information brute lorsque les personnes sont sur place (Tunisie, Egypte...). Il y a un travail à faire pour vérifier l'info, évidemment, mais l'apport est fantastique".

Flux d'infos, crowdsourcing, articles évolutifs

Le live, c'est donc un flux continu d'infos, de l'ordre des infos factuelles ou des commentaires, publié sur un outil de publication ad hoc. Le journaliste publie donc en direct des infos concernant un événement, très souvent à partir d'un direct en télé, via une chaîne généraliste ou d'infos continues. D'autres media, comme Owni, l'utilisent surtout pour partager des ressources - articles, blogs, vidéos.

Sur cet outil de publication "ouvert", comme pourrait l'être un blog, les internautes peuvent publier en direct (donc sans modération à priori) leurs commentaires et questions, auxquels le journaliste répond, autant que possible en y ajoutant à l'envi des compléments d'infos glanées dans les dépêches, des liens hypertextes vers des articles publiés par son média sur le sujet, ou vers d'autres sources. Un flux d'infos qui constitue une sorte d'article évolutif, complété au fil de l'eau par les commentaires et compléments des internautes. Le journalisme participatif dans toute sa splendeur, assicé à une certaine transparence, et à un crowdsourcing...

Les premiers lives ont débarqué sur les sites web d'information en 2006. On en était alors encore au stade d'expérimentation: la technologie était encore lourde. Du côté du Figaro, "les journalistes de sport24 devaient utiliser un back office spécifique aux live, qui étaient des modules javascript assez pénibles. A l'époque, il y avait les chats du Monde.fr ou de 20minutes.fr où l'on utilisait des technologies pour faire du temps réel, mais elle était peu employée ailleurs et pas pour faire des suivis d'actus", me raconte Samuel Laurent. CoverItLive, l'outil maintenant utilisé par la majorité des rédacs pour monter des "live", n'existait alors pas.

Après 20minutes.fr, LeFigaro, puis leMonde.fr, d'autres médias en ligne l'ont adopté. Marianne2.fr (par exemple ici pour les Européennes de juin 2009 - où l'on observe que le live n'est pas ouvert aux commentaires extérieurs)

Sport, TV réalité, politique...

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Les thèmes concernés ? Depuis quelques années, progressivement, 20minutes.fr l'a étendu à divers sujets: du sport à des actus politiques, en passant par l'international, et bien sûr des émissions de télé-réalité trash. Le Figaro.fr, lui, s'est toujours cantonné à l'actu sportive. En 2006, c'est à la faveur du rachat du site Sport24.fr que le groupe Figaro y a lancé ses premiers lives sport.

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Chez 20minutes.fr, le sport s'imposait d'emblée: c'est l'un des thèmes qui génère le plus d'audience sur le site d'informations de 20 Minutes (à côté des sujets people, télé, et des faits divers). Durant des matchs-clés (de foot et rugby essentiellement, mais le basket et le tennis s'y prêtent aussi bien), un des journalistes du service sport, devant son ordi, et en regardant la rediffusion en direct à la télé, devient commentateur sportif sur le web. Après avoir publié un avant-papier pour annoncer l'événement, et un chapo d'introduction, il se lance dans le live, racontant en direct le match, les passes de balles entre tel et tel joueur, les réactions du public... Sans manquer d'y ajouter ses émotions, retranscrites dans le texte, ou via une typographie ad hoc (typo couleurs par exemple).

Le genre est prisé des services sports depuis belle lurette, comme le décryptent Florian Vautrin et Laure Gamaury sur Journalismes.info : "Le principal site généraliste sportif, lequipe.fr, utilise ce procédé quotidiennement pour éviter la diffusion en streaming qui est très coûteuse. Mais il n’est pas le seul à s’être lancé dans l’aventure : notons football 365, France football, rugbyrama, etc. C’est le cas également du site eurosport.fr".

Durant le Mondial de foot en été 2010, 20minutes.fr avait imaginé des compléments à ce dispositif. Notamment en faisant venir des invités de marque pour commenter certains matches: j'ai vu passer des journalistes spécialisés qui venaient commenter un live avec leur propre regard, mais aussi des people ou politiques footeux, comme Jean-Paul Huchon.

20minutes.fr a également testé, très tôt, les live des émissions de télé-réalité. Logique: le genre était en pleine éclosion sur les chaines de télé. Et c'est l'occasion rêvée de traiter du people trashy, gros vecteur d'audience pour le site d'infos généralistes. Là, on demande au journaliste - pas forcément spécialisé en médias, mais doté d'un semblant de culture télé - de commenter en direct le déroulement de l'émission, les personnalités des participants à l'émission. Pas besoin d'analyse pointue, juste du commentaire léger et déconnant, pour être dans le même mood que l'internaute...

Le format se prête aussi très bien à la couverture d'événements politiques: soirées électorales, discours, meetings, émissions politiques... "Le format est très efficace pour une soirée électorale, il permet de suivre le fil des déclarations, réactions, chiffres qui tombent de toute la France... Pour une émission ou une interview présidentielle, par exemple, on tente généralement de fournir à la fois le verbatim des propos tenus et de décrypter rapidement, de vérifier les chiffres donnés, de fournir du contexte à telle ou telle annonce... En politique aussi, la participation de l'audience fait l'essentiel de la richesse du live. D'une part elle peut elle aussi apporter des précisions ou du contexte, d'autre part elle peut réagir et nous poser des questions", estime Samuel Laurent.

"Journalisme de bureau"

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James Nachtwey; photoreporter

La quintessence du journalisme web: ce format permet de restituer de manière incroyablement vivante un événement, une actualité immédiate, de le faire vivre à l'internaute, avec offrant une grande variété de registres, entre info factuelle et commentaire (sérieux ou total déconnant, selon le sujet traité.

A défaut de voir le grand reporter sur une zone de conflits raconter, images à l'appui, sur une chaîne de télé, ce qui se passe, l'internaute peut "vivre" l'info en direct, poser des questions au journaliste, qui lui apportera ses infos et son expertise sur le sujet. Cet exercice journalistique requiert des compétences d'un nouveau type du côté du journaliste: ultra-réactivité, bonne expertise sur son sujet (du moins dans le cas d'actus pointues: actu internationale, politiques, ou encore scientifique dans le cas de Fukushima) pour pouvoir répondre en temps réel aux questions des internautes, et aussi capacité à adapter son ton (son "angle" dans un sens) au ton de l'actu commentée - et des internautes.

Accessoirement, il consacre le "journalisme de bureau" qui se pratique de plus en plus dans les rédactions, par économie, et pour faire face aux manques d'effectifs. Dans certains cas, le journaliste "live" parfois en direct depuis l'événement (conférence de presse, Assemblée Nationale...), mais dans les effets, en général, grâce aux diffusions télé en direct (surtout sur les chaînes d'information), il "live" souvent depuis son bureau, en regardant le direct depuis un des écrans télé disséminés dans la rédaction. Revers de la médaille, l'info risque d'y être schématisée, à du consommable, de l'écume, au détriment de l'analyse.

Autre grain de sable, un tel dispositif qui met l'accent sur le caractère exceptionnel de ces actus, les met en scène, crée la surenchère dramatique (par rapport aux autres médias), leur donne un côté (trop ?) spectaculaire.

dimanche 27 mars 2011

Pirat@ge: du hacktivisme au hacking de masse

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Ils sont quatre, dont trois frères, jeunes et (à première vue ;) innocents, et leur clip, "Double Rainbow song", bidouillé non pas au fond d'un garage mais dans le salon familial, avec un piano, a attiré plus de 20 millions de visiteurs. Un clip parodique qui a généré un buzz énorme, à partir d'une simple vidéo amateur d'un homme à la limite de la jouissance devant un phénomène rare : deux arcs en ciel.. Au point - le comble - que Microsoft a recruté le "Double Rainbow guy" pour sa nouvelle pub pour Windows Live Photo Gallery. Ou quand l'industrie pirate les pirates...

Les Gregory Brothers ont réalisé sans le faire exprès quelques tubes par la seule voie numérique grâce à un petit outil, Auto-Tune the News (Remixe les infos en français dans le texte), qui permet à tout un chacun de détourner des reportages TV en y superposant des montages de sons, avec le logiciel de correction musicale Auto-Tune. Comme "Bed intruder song", un remix de reportage qui montre Antoine Dodson interviewé par une chaîne TV suite à un fait divers (l’intrusion d’un inconnu dans la chambre de sa sœur). Un témoignage qui va le propulser en superstar du web lorsque les Gregory Brothers transforment ses paroles en une mélodie hip-hop vraiment efficace. Plein d'internautes ont été prêts à la voir - et la payer en ligne - une fois qu'elle était disponible sur iTunes - CQFD. Je vous laisse le plaisir de déguster cette mise en bouche...

"La propriété c'est le vol"

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De détournement satirique à piratage, il n'y a qu'un pas. J'ai eu la chance, cette semaine, de voir en avant-première le documentaire "Pirat@ge", réalisé par les journalistes Étienne Rouillon (magazine "Trois couleurs") et Sylvain Bergère, diffusé le 15 avril sur France 4 (1). Pour la première fois, un docu retrace l'histoire du piratage, avec un parti-pris du côté des hackers, parfaitement assumé. "A quoi ressemblerait Internet sans les pirates ? Au Minitel ! Depuis cinquante ans, des petits génies ont façonné le web, souvent en s’affranchissant des lois. Des pirates ? Ils sont à la fois grains de sable et gouttes d’huile dans les rouages de la grosse machine Internet". Voilà le postulat des auteurs de ce docu.

Un docu malin, forcément un peu brouillon à force de vouloir englober tout ou presque de la culture du hacking (en effleurant l'hacktivisme et les engagements citoyens qu'il implique) en 1 heure 30, parfois en surface. Mais il offre une plongée assez passionnante dans cette culture des flibustiers des temps modernes, apparus dans les années 80 - bien avant l'Internet. Dès 1983, lorsque lorsque les premiers ordinateurs font leur apparition dans les foyers (remember l'Apple I de Steve Wozniak et Steve Jobs en 1976...), les hackers font leurs débuts en essayant de casser les protections anti-copie ou en détournant les règles des jeux informatiques. Ils font leur le dicton de Pierre-Joseph Proudhon, "La propriété c'est le vol".

Dans un esprit très post-70s, l'éthique du hack, élaborée au MIT (mais que l'on peut retrouver dans le Hacker Manifesto du 8 janvier 1986), prône alors six principes:

  • L'accès aux ordinateurs - et à tout ce qui peut nous apprendre comment le monde marche vraiment - devrait être illimité et total.
  • L'information devrait être libre et gratuite.
  • Méfiez-vous de l'autorité. Encouragez la décentralisation.
  • Les hackers devraient être jugés selon leurs œuvres, et non selon des critères qu'ils jugent factices comme la position, l’âge, la nationalité ou les diplômes.
  • On peut créer l'art et la beauté sur un ordinateur.
  • Les ordinateurs sont faits pour changer la vie.

Eh oui! Car dès ses débuts, le hacking a été théorisé au mythique MIT: "Au MIT, le besoin de libérer l'information répondait à un besoin pratique de partager le savoir pour améliorer les capacités de l'ordinateur. Aujourd'hui, dans un monde où la plupart des informations sont traitées par ordinateur, ce besoin est resté le même", résume ce billet chez Samizdat. Dans l'émission, Benjamin Mako Hill, chercheur au MIT Media Lab, ne dit pas autre chose: développeur, membre des bureaux de la FSF et Wikimedia, pour lui, "l’essence du logiciel libre est selon moi de permettre aux utilisateurs de micro-informatique d’être maître de leur machine et de leurs données".

Pour ce docu, Étienne Rouillon et Sylvain Bergère sont allés voir plusieurs apôtres du hacking, tel John Draper, hacker, alias "Captain Crunch", un des pionniers hackers en télécoms. Un détournement qui tient du simple bidouillage, mais qui a contribué à créer la légende, la blue box. Il s'agissait d'un piratage téléphonique qui consistait à reproduire la tonalité à 2600 Hz utilisée par la compagnie téléphonique Bell pour ses lignes longue distance, à partir d'un simple sifflet ! Une propriété exploitée par les phreakers pour passer gratuitement des appels longue distance, souvent via un dispositif électronique - la blue box - servant entre autres à générer la fameuse tonalité de 2600 hertz.

"Napster a ouvert la voie à l'iPod"

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Leur théorie ? Internet a été construit par des hackers pour faire circuler l'information. Mais peut-être Internet a-t-il marqué la fin du hacking et son éthique d'origine. Car avec Internet, après l'ère idéaliste d'un Internet libertaire, l'industrialisation des réseaux prend vite le dessus. Les pirates du net, cybercriminels et contrefacteurs en ligne prennent le pas sur les hackers, la confusion est largement entretenue...

1999: Napster, cette immense plateforme d'échange de fichiers musicaux en ligne à tête de chat, débarque sur la Toile. Elle est fermée deux ans après mais a ouvert une brèche: le partage de fichiers musicaux entre internautes. "Napster a ouvert la voie à l'iPod", ose le documentaire. Vincent Valade bidouillera eMule Paradise - presque par hasard, comme il le raconte aux auteurs du docu, encore étonné. Sa fermeture avait fait grand bruit - initialement simple site de liens Emule, Vincent Valade est poursuivi pour la mise à disposition illégale de 7 113 films, son procès doit avoir lieu cette année. D'autres s'engouffrent dans la brèche, comme The Pirate Bay, entre autres sites d'échanges de fichiers torrents.

Les industriels de l'entertainment s'emparent aussi de ce modèle naissant. TF1 - face au piratage massif de ses séries TV ? - lance sa plateforme de vidéo à la demande - payante bien sûr, à 2,99 euros puis 1,99 euro l'épisode. "C'était un projet de marketing. C'est mon job", lance face à la caméra Pierre Olivier, directeur marketing de TFI Vidéo et Vision. Rires dans la salle.

Hacktivisme journalistique

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Et aujourd'hui? Le culture hacktiviste a imprégné plusieurs pratiques: dans le domaine du logiciel libre bien sûr, même si le docu aborde à peine ce sujet. Mais elle rayonne aussi sur de nouvelles pratiques journalistiques. Indymedia, né en 1999 pour couvrir les contre-manifestations de Seattle, lors de la réunion de l'OMC et du FMI, fut un des précurseurs: ce réseau de collectifs, basé sur le principe de la publication ouverte et du "journalisme citoyen" en vogue au début des années 2000 ("Don't hate the media, become the media"), permet à tout un chacun de publier sur son réseau.

De jeunes médias expérimentent des méthodes d'investigation en ligne, comme le site d'information Owni (dont j'ai déjà parlé ici et là notamment). Qui a pour particularité de compter dans ses équipes autant de développeurs que de journalistes - voire des jeunes geeks qui ont le double profil. Son dernier fait d'armes: cette enquête, et sa révélation selon laquelle Orange aurait "monnayé" son implantation en Tunisie en surévaluant sa participation dans une société détenue par un gendre de Ben Ali. Ici, plus d'enquête sur le terrain ou de rendez-vous avec des informateurs: le jeune journaliste Olivier Tesquet et Guillaume Dasquié (journaliste précurseur de l'investigation en ligne, qui s'est fait connaître au début des années 2000 avec Intelligence Online, une lettre professionnelle consacrée à l’intelligence économique), s'appuie sur des documents officiels (comme le rapport d''activité 2009 d'Orange), et d'autres plus confidentiels, et est illustré a renfort de copies de ces documents et de visualisations, datajournalism oblige.

Un vent nouveau dû à l'éclosion ces derniers mois de Wikileaks - là encore, son impact est effleuré dans "Pirat@ges" - dont l'ADN réside dans l'ouverture des frontières numériques - rendre accessibles à tous des données publiques, et son double, OpenLeaks. Car Wikileaks a instauré la "fuite d'informations" en protégeant ses sources, et a remis au goût du jour la transparence et le partage de données si chères aux premiers hackers. Au point que, courant 2010, les révélations de WikiLeaks ont été relayées par une poignée de grands quotidiens nationaux (dont Le Monde), qui en ont eu l'exclusivité, au prix de conditions fixées en bonne partie par Julian Assange, comme j'en parlais dans cette enquête pour Stratégies.

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Parmi les dignes successeurs des premiers hacktivistes, citons bien sûr les Anonymous, des communautés d'internautes anonymes qui prônent le droit à la liberté d'expression sur internet (j'y reviendrai dans un billet ultérieur...). Une de leurs dernières formes d'actions (évoquées sur la page Wikipedia dédiée) rappelle bien celles des premiers hackers: les attaques par déni de service (DDOS) "contre des sites de sociétés ciblées comme ennemis des valeurs défendues par le mouvement". Ce fut le cas avec le site web de Mastercard en décembre 2010, qui avait décidé d'interrompre ses services destinés à WikiLeaks.

... et hacking culture de masse

La donne a changé: le hacking n'est plus l'affaire de seuls bidouilleurs de génie. L'arrivée de plusieurs industries de l'entertainment sur le numérique, et de nouvelles barrières sur les contenus mis en ligne, implique que tout le monde est aujourd'hui concerné par le piratage numérique. Comme des Mr Jourdain qui s'ignorent, nombre d'internautes ont déjà été confrontés, de près ou de loin, au piratage numérique, en le pratiquant (qui n'a jamais téléchargé illégalement de films, de musique ou de logiciels ?), ou y étant confrontés (fishing).

De culture underground, le hacking frôle la culture de masse, avec une certaine représentation cinématographique, entre Matrix, Tron, Millenium et Lisbeth Salander, geekette neo-punk qui parvient à rassembler des données personnelles en ligne en un tournemain..

Et bien sûr The social network, qui a fait de la vie du fondateur de Facebook un bioptic. Qui a même sa version parodique, consacrée à... Twitter. En bonus, un petit aperçu du trailer de "The twitt network" ;).

Car Facebook, après tout, est un lointain dérivé de la culture du hacking, né d'une association de piraterie + industrie numérique: son fondateur l'avait créé en bidouillant un réseau local affichant les plus jolies filles de son campus... Mais pas sûr que Mark Zuckerberg ait retenu ces deux principes de la culture des hackers :

  • Ne jouez pas avec les données des autres.
  • Favorisez l’accès à l’information publique, protégez le droit à l’information privée.

(1) produit par MK2 TV avec la participation de France Télévisions, "Pirat@ge" sera diffusé sur France 4 le 15 avril prochain à 22h30

mardi 8 mars 2011

Futurise-moi.com = Meetic à la sauce ésotérique

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Un site - réseau social qui vous promet "une expérience qui permettrait de prévoir votre futur", et de trouver votre "sosie", votre double virtuel, dont "le passé peut être votre futur" : la promesse marketing de Futurise-moi.com, un site français qui vient juste d'ouvrir en version beta, est surprenante, et met vaguement mal à l'aise... Imaginez: ce réseau social vous promet de pouvoir rechercher votre "sosie existentiel", ayant le même parcours de vie, mais plus âgé que vous, donc avec davantage d'expérience. Et si cette personne avait aujourd’hui 55 ans et vous 30 et que de 0 à 30 ans vous aviez eu un parcours similaire ? Son passé entre 30 et 55 ans pourrait alors être votre futur…Voilà le postulat de base. Bon.

Le concept est plutôt fascinant : Futurise-moi ne se présente pas comme un site de rencontre, mais il a plusieurs caractéristiques d'un réseau social : un profil personnel que l'on est invité à enrichir, qui sera recroisé avec d'autres profils censés être proches, la possibilité de contacter d'autres membres au profil "proche" par e-mail, et d'avoir un groupe de contacts en ligne.

J'ai quelque peu froncé les sourcils en découvrant ce site, mais ni une ni deux, j'ai décidé de le tester cette sorte de boule de cristal virtuelle : la promesse est tellement gonflée que j'étais curieuse de le tester ;)

Une fois inscrit, pour compléter notre profil, on nous demande des éléments déjà très persos : date et ville de naissance, nationalité, sexe, situation maritale, enfants, ville, "déménagements" et villes habitées. Ensuite, l'internaute est invité à répondre à une première série de questions de base, mais qui annoncent déjà la couleur: êtes-vous majeur, avez-vous plus ou moins de 60 ans, êtes-vous retraité, avez-vous des enfants ou petits-enfants, "autonomes" ou "à charge", avez-vous un emploi... Viennent ensuite une kyrielle de questions psychos (délicieusement parsemées de fautes d'orthographe), pour déterminer vos "sphères" (sic) physique, cognitive et spirituelle, et donc votre parcours de vie, etc. Là, il faut s'accrocher au vu de l'étrangeté des questions : pour déterminer notre "sphère physique", viennent des questions surprenantes sur notre "dynamisme", notre "équilibre physique", nos "objectifs pour améliorer vos capacités physiques" ; côté cognitif, si l'on est "éveillé", "curieux"...

Etape suivante, on est invité à "ajouter une rencontre", en sélectionnant le lien avec cette personne dans une liste avec différents degrés relationnels et la "sphère relationnelle" (rencontre au boulot, en assoc, "enseignement", justice"... on apprécie au passage la novlangue qui est ici de rigueur), puis faire part de l'état de la relation au début puis à la fin. Et tant qu'à faire, on nous demande d'entrer les prénom et nom de ladite personne (ben voyons). Je fais simple, je choisis "conjoint" (un de mes ex- donc), et m'"efforce de "qualifier la relation" en choisissant dans une liste de termes "attraction" au début, "rupture" à la fin. sur le même principe, on nous invité à entrer nos "relations", avec bien évidemment nom et prénom, et lien relationnel.

L'idée, en ajoutant progressivement des relations (donc en continuant de remplir ces formulaires en ligne) étant de décrire en ligne notre "sphère relationnelle", qui "marquent votre vie et influencent fortement son cours. Vos faits marquants futurs sont peut-être les faits marquants passés de quelqu'un d'autre", nous affirme-t-on carrément, en guise d'explication, sur le site. On nous invite également à entrer des "faits marquants".

Algorithme Google puissance 1000

Enfin, étape très attendue, le clou du spectacle : "vos matches". Car voilà la promesse, le vernis scientifique de Futurise-moi.com: un algorithme est censé définir votre vie en fonction des réponses données pour voir qui a le parcours de vie qui vous correspond le plus. "Notre algorithme déterminera alors votre profil, et notre moteur de recherche vous proposera des sosie existentiels qui vous correspondront le plus", promet Futurise-moi. On peut alors solliciter ces "sosies" pour comparer les expériences.

Alors forcément, je me suis interrogée sur cet incroyable algorithme : imaginez, c'est un Google puissance 1000, que l'on n'aurait osé imaginer dans nos rêves les plus fous ! En fouillant un peu sur le site, on apprend que "cet algorithme a été mis au point à la suite de recherches sur les comportements humains. L’auteur vous propose de tester sa pertinence et son exactitude. Bien évidemment l’algorithme évoluera en fonction des résultats constatés". Il s'agit donc d'un outil évolutif... Manque de bol, Futurise-moi ne communiquera jamais sur ce sujet. est-il indiqué en gras dans les FAQ du site - voilà qui est embêtant.

"Sosie existentiel"

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Dans la rubrique "matches", donc, on me conseiller bien sûr de compléter au max mon profil, et d'inviter tous mes contacts à s'inscrire sur Futurise-me.com: forcément, j'aurai plus de chances de "trouver mon sosie existentiel", me promet le site. Et donc je découvre mes "sosies virtuels" potentiels: ce n'est pas encore gagné, puisque Chloé, Catherine, Sylvain, Aurore, Denis, Grégory... sont mes doubles virtuels à hauteur de 11,85% pour presque tous d'entre eux (vous admirerez la rigueur toute scientifique du pourcentage). Re-manque de bol, je ne saurai rien sur eux, je peux juste les contacter en leur envoyant un message...

A terme, ce site doit permettre d'avoir une base de données qui facilite la rencontre de personnes qui se correspondent - à condition d'avoir une base de données importante, qui sera hyper-qualifiée au vu de la batterie de questions auxquelles l'internaute est invité à répondre. On sera curieux de voir ce qu'on feront les concepteurs du site, même s'ils promettent une confidentialité absolue sur le traitement des données. Au fait, qui est à l'origine de ce site saugrenu ? Loin d'être une start-up qui se rêverait un avenir à la Facebook en devenir, c'est une société de conception de sites web, l'agence Révolutions (filiale du groupe Leo Burnett France, Publicis Groupe), qui a lancé Futurise-moi.com.

Bon, ce type de site me laisse perplexe, avec un vague arrière-goût de délire ésotérique à la sauce 2.0: c'est cool, maintenant, après les plates-formes pour se faire des amis, pour flirter ou pour échanger des connaissances pointues, en voilà une qui vous promet de vous dire votre avenir. Alors là, un site qui me promet de me trouver mon double virtuel, par la seule grâce d'un réseau social qui croiserait les données persos de ses membres grâce à un mystérieux algorithme... Enfin, peut-être est-ce l'avenir de la voyance.

dimanche 6 mars 2011

Orange en Tunisie; Transmedia; dress code; Julian Assange Inc.; Atlantico

Comme de coutume (même si vous aurez remarqué que je ne tiens pas vraiment le rythme hebdo ;) ma sélection de liens hebdos, entre les billets que j'ai appréciés, l'actu tech, médias, innov... de la semaine.

  • Avec un peu de retard, cette enquête que j'avais publié dans Stratégies - Quand les musées accueillent des expos dédiées aux marques... Une vitrine idéale pour mettre en avant leur patrimoine et leur histoire, mais cette association marques-musées fait débat.
  • Quand des médias s'insurgent contre la transparence. qui minent modèles d'affaires et scoops : à lire chez

governingpeople.com.

  • S'il se confirme, assurément c'est un des premiers scoops du jeune média (dont j'ai parlé ici) Owni: d'après cette enquête, Orange aurait monnayé son implantation en Tunisie.
  • Comment s'habiller quand on a du pouvoir? Le dress code mûrement réfléchi de Steve Jobs et Mark Zuckerberg, entre autres personnes de pouvoir, passé en revue par le NYT.
  • A 19 ans, il lève 5 millions de $ et s'attaque à Google sur le social search... Chez Ink.
  • L'apôtre de la transparence Julian Assange dépose son nom comme marque commerciale, décrypte Numerama. Business is business...
  • C'était le lancement de de la semaine, le dernier-né pure player de l'info en ligne, on en parlait en avant-première dans Stratégies la semaine dernière: Atlantico se lance à la conquête du Web.
  • Et enfin, RIP Pierre Bilger - ancien PDG d'Alstom, un des rares patrons-blogueurs, que j'ai eu l'occasion d'interviewer il y a qques années, investisseurs chez Owni lors de son lancement (10 000 € pour 5% du capital de la société à la création).

lundi 28 février 2011

"Nous sommes tous des cannibales"

diable

Lady Gaga qui se présente aux MTV Video Music Awards vêtue d'une robe de viande saignante, le succès auprès des ados de Twilight et des romans de vampires, les 33 mineurs qui "auraient songé au cannibalisme", sans compter de récents "faits divers" , telle la pulsion cannibale de Nicolas Cocaign, sur laquelle @AbstraitConcret est revenu récemment dans ce passionnant billet... Pas de doute, cannibalisme (qui "se pratique en groupe avec un rituel ou comporte tout du moins un tenant culturel", rappelle @AbstraitConcret) et anthropophagie (acte d’un individu isolé, dépourvu de cérémonie) sont plus que jamais omniprésents, aussi bien dans la création artistique pointue que l'entertainment.

Inhumanité et nihilisme

J'en suis ressortie hier midi secouée. La Maison rouge (la bien-nommée...) propose "Tous cannibales", une étonnante exposition sur la chair et le cannibalisme dans l'art. Des classiques comme Cranach aux artistes contemporains, 47 artistes sont mis en avant dans cette expo sauvage et violente, qui vous prend aux tripes - c'est parfaitement le but recherché. Qui montre que le cannibalisme peut être trash, provocateur, mais aussi profondément nihiliste. Car ce phénomène, particulièrement tabou en Occident, en dit long sur la nature humaine - et fascine, étant une forme de crime ultime à la lisière de l'inhumanité, de l'animalité.

Surtout, de tous temps, la représentation de la dévoration a permis aux artistes de dénoncer la violence de la société. Le sujet est d'autant plus omniprésent que l'"on vit dans une époque aseptisée, où l'on procède à la chirurgie esthétique, au clonage, on assiste au retour de l'anorexie ; on quitte son cors pour un autre. Et, dans le même temps, l'homme contamine son espace vital et ce dont il se nourrit (vache folle, biosphère..)", expliquait très justement Jeanette Zwingenberger, commissaire de l'exposition, dans une interview à Télérama cette semaine. Bref, à ses yeux, la femme bionique accro à la chirurgie esthétique, la fascination pour les tatouages, piercings et autres formes de scarification, voire le transhumanisme relèvent du même phénomène.

Ingestion, injection, greffe, transplantation

Y a-t-il une différence réelle entre ingérer le corps de l'autre et en introduire volontairement des parties ou des substances dans son propre corps, par injection, greffe ou transplantation ? Il existe peut-être d'autres formes de cannibalisme, sous d'autres formes, parmi nous, voilà ce que veut nous démontrer cette expo très provoc'. Et nous pousser dans nos retranchements.

"Nous sommes tous des cannibales. Après tout, le moyen le plus simple d'identifier autrui à soi-même, c'est encore de le manger". Voilà ce qu'écrivait Claude Levi-Strauss dans La Repubblica en 1993, pour qui l’anthropophagie des peuples indigènes d’Océanie ou d’Afrique était un équivalent à l’eucharistie ou aux transferts d’organes pratiqués en Occident.

Il y a d'abord, bien sûr, les mythologies les plus anciennes de la dévoration: depuis la déesse Kali,Tantale et Polyphème qui font acte d'anthropophagie, ou Saturne (Chronos dans la mythologie romaine) qui dévore ses enfants à leur naissance, pour éviter que ne s'accomplisse la prédilection selon laquelle il serait détrôné par l'un d'eux...

De ce masque rouge de Giovanni Battista Podesta, une représentation du diable peu éloignée de celles du Moyen-Age, en passant par une gravure de Lucas Cranach L'Ancien du loup-garou, où l'homme dévore ses semblables,en passant par celle du sabbat des sorcières, où celles-ci se livrent à des rites et des orgies et s'abreuvent de sang (Goya s'en inspirera) - jusqu'au XVème siècle, l'anthropophagie est représentée comme une pulsion aux origines maléfiques, qui menacent la société et l'Eglise.

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Même dans des gravures d'époque, le Gargantua de Rabelais est représenté s'empiffrant joyeusement de bonshommes...

Sans compter le (faussement) univers des contes pour enfants, d'Hansel et Gretel et l'ogre dévorant ses enfants, au Petit Chaperon Rouge...

Une autre vision du cannibalisme succède au XVème siècle, lors des grandes explorations: des Antilles à l'Amérique, puis sur les premières photos du XXème siècle: des photos de "sauvages" primitifs, où le cannibalisme est assimilé à un instinct primitif, proche de l'état animal: une vision colonialiste que véhiculent alors les photos "ethnographiques", dont celles prises par les frères Dufty sur les îles Fidji.

Au XVIIIème siècle, la cannibale prend aussi la figure du buveur de sang: vampire popularisé par les contes et légendes populaires, depuis les contes pour enfants pour Grimm, et par Bram Stoker - repris à l'infini au cinéma, depuis le puissant muet Le Vampire de Murnau au gothique Dracula de Francis Ford Coppola.

Société de consommation

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Mais l'expo va bien plus loin qu'un passage en revue de l'art classique. Elle montre l'omniprésence du cannibalisme dans l'art contemporain - les artistes en font un relais destroy de messages non moins percutants. En 1987, Jana Sperbak revêt cette robe de chair (concept récemment repompé par Lady Gaga, comme je le disais plus haut), parure comestible et périssable, à notre image.

Avec le moulage d'un corps obèse qui se vide sur le sol, "Fatman", John Isaacs représente toute la cruauté de la société de consommation.

A coup sûr, le cannibalisme permet de remettre en cause des piliers sociaux - dont l'Église, bien sûr. La commissaire de l'expo a ainsi choisi d'inclure la tétée: le petit dévorant sa mère. Une manière de voir les choses... Côté classique est ainsi exposée une Vierge à l'Enfant d'un atelier de l'Europe du Nord du XVème siècle, qui nourrit l'enfant Jésus.

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Œuvre côtoyée par des cousines plus trash: une photo de Cindy Sherman représente une madone sans enfant qui tend un sein, étrange prothèse à l'artificialité évidente. Quelques mètres plus loin, une photo ("Lait miraculeux") de Bettina Rheims de sa série «Chambre close» de 1992, où l'on voit une jeune femme coiffée d'un voile noir et habillée d'un soutien-gorge d'allaitement, offrant au regard un sein volumineux dont coulent quelques gouttes de sang...

dimanche 13 février 2011

«Elle», ou la chirurgie plastique pour les nulles

Je vous parlais cette semaine de transhumanisme, il y a une certaine continuité avec le sujet ci-dessous. Prémisse possible à la femme bionique du futur, dont la quête de la perfection physique passe par le recours à la science - au bistouri donc.

Cela tombe bien, Elle de la semaine dernière y consacrait un (effrayant) dossier. Avec pour point de départ un marronnier ("Spécial rajeunir"), sur une vingtaine de pages, Elle nous laisse à penser que le recours à la chirurgie esthétique est la norme - eh non, vous n'y échapperez pas !

Étonnamment (enfin non...), dans ce numéro, les publicités pour les crèmes et sérums anti-âge sont surreprésentées: une dizaine de pubs (contre 3 dans le Elle suivant). Ah, et également, une pub pour la solution d'acide hyaluronique Juvéderm (labo Allergan). Bien sûr, il n'y a pas de pubs pour des labos ou les cliniques spécialisées en chirurgie esthétique - le Code de Déontologie Médicale le leur interdit... On imagine d'autant mieux la satisfaction des ((nombreux) médecins, chirurgiens et autres dermatos spécialistes à être cités comme "experts" dans Elle !

J'ai demandé à une de mes collègues, Delphine Le Goff, journaliste médias à Stratégies, qui avait elle aussi quelque peu halluciné en feuilletant Elle, d'analyser avec son regard la ligne éditoriale adoptée par le féminin sur ce sujet. Cela tombe bien, "Magazine junkie", elle revendique "une addiction au papier glacé". La presse féminine, française ou anglo-saxonne, faisant partie de ses plaisirs coupables. Je lui laisse la parole...

   - -

Elle

C’est un grand classique de la presse féminine, comme les «Spécial Mode» et les «Spécial Maigrir». Mais cette année, Elle a franchi un cap avec son numéro « Rajeunir », sorti le 4 février dernier. Déjà, le discours a subtilement changé. Là où, jadis, on promettait aux lectrices mille sortilèges afin de «rester jeune», là, il s’agit carrément de «gagner au moins dix ans»...

Dès la couverture, on a du mal à s’empêcher de rire : c’est Demi Moore qui a les honneurs de la «Une». «Je vis les plus belles années de ma vie», déclare l’actrice de 48 ans. On l'espère pour elle : l’actrice est connue pour être refaite du sol au plafond avec, paraît-il, 250 000 euros de chirurgie esthétique ! Le portrait consacré à l’actrice reste extrêmement discret sur ce point : « Si retouches il y a (elle refuse d’en parler), elles sont nickel. Son front est lisse, mais quelques petites rides, qui plissent joliment autour de ses yeux mordorés et une microcicatrice sur la joue montrent qu’elle maîtrise les limites du genre dans un milieu où la chirurgie et le Botox sont des drogues ».

Un peu plus loin, Demi nous donne gentiment les secrets de sa jeunesse éternelle : « Je souris beaucoup : ça rehausse le visage et l’être en général. Je me nourris bien, j’évite les sucreries, je bois énormément de lait de coco et je fais du sport ». Merci du tuyau, Demi.

«Réflexes esthétiques», ou comment faire de la chirurgie une norme

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Mais si on en croit les pages du dossier « Spécial Rajeunir » qui suivent, le sourire et le lait de coco, ça ne va pas suffire. Les sujets ont quasiment tous des relents de salles d’opération. A la question «Le "liquid lift" va-t-il tuer le lifting ?», la réponse semble être non, avec cet argument savoureux: «le lifting n’est pas si cher. Il coûte 5 000 euros, mais les injections c’est non-stop !».

Plus loin, dans l’article « Crèmes, piqûres : ce que les médecins choisissent pour elles », des dermatologues et des chirurgiennes esthétiques exposent leur propre traitement anti-âge. Tiens donc ! Elles passent quasiment toutes par la case «lifting dans quinze ans», «Toxine botulique trois fois par an» ou «chirurgie des paupières».

Une série de portraits intitulée « Elles ont tout compris ! » montre des femmes de 36 à 66 ans et leurs «réflexes esthétiques ». Là aussi, on est noyé sous la toxine botulique, la toxine hyaluronique (à ne surtout pas confondre, semble-t-il) et les projets de chirurgie. Dans ce numéro qui pourrait s’intituler « La chirurgie plastique pour les nulles », on nous explique même comme lire un devis d’acte esthétique avant ravalement, avec un glossaire «Spécial débutantes» pour bien faire la différence entre laser antitâche, laser fractionné, peeling moyen, méso-réjuvénation…

Pacte faustien

Elle essaie bien de nuancer son propos, avec un papier sur les ratés de la chirurgie («Ça devait me rajeunir, ça me vieillit», ah oui, c’est fâcheux !) et cette question, aux accents quasi-métaphysiques : «Le Botox rend-il heureuse ?». Soulagement pour l’accro aux injections : aux Etats-Unis (grande patrie de la chirurgie et du Botox) certains médecins affirment que la toxine botulique, qui a décidément tout pour plaire, est un remède contre la dépression…

En attendant, ce qui est vraiment déprimant, c’est la lecture de ce numéro, anxiogène au possible. Est-il possible de vieillir sans passer par le billard, et sans débourser des milliers d’euros ? Etrange pacte faustien que celui de Elle, qui en adoptant ces injonctions à la jeunesse éternelle, semble avoir vendu son âme aux chirurgiens plastiques. On ne peut s’empêcher de penser à la scène mythique du film Brazil, où la mère du héros, obsédée par son apparence, se fait étirer exagérément le visage. C’est peut-être cette femme, en fait, que Elle aurait du mettre en couverture…

Delphine Le Goff

vendredi 11 février 2011

Même pas mort dans ma deuxième vie numérique !

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Avez-vous déjà songé à ce que pourront devenir vos mails, vos tweets, votre page Facebook ou votre blog une fois passé à trépas ? Le fantôme de votre double numérique continuera-t-il à hanter le cyberespace à coup de posts automatiques et de "c'est votre anniversaire" sur le "Social Network"? Votre compte Twitter continuera-t-il à vivre alimenté par des posts en 140 signes robotisés ou sera-t-il usurpé par un proche ou un inconnu entretenant l'illusion pour vos 4000 followers ? Sans y penser, vous semez chaque jour, à chaque heure, parfois à chaque minute les traces de votre existence et de vos pensées sur les dizaines de milliers de serveurs qui font battre le cœur du Réseau. Et vous assurez ainsi une postérité numérique, une forme d'immortalité sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Demain, à partir de cet ADN digital, vos descendants pourront peut-être recréer votre personnalité sous la forme d'un avatar "3D" doté d'une intelligence artificielle avec qui ils pourront conserver: "C'était comment mon Aïeul au début du XXIème siècle ? Et qui était cette femme que tu as tant aimé ?".

Encore plus fou, n'avez-vous jamais rêvé (ou cauchemardé) de renaître à la vie par la grâce d'une manipulation de votre ADN biologique cette fois, cloné par quelque savant fou qui donnerait naissance à un Golem de chair qui serait un deuxième vous-même ? Et si d'aventure il était possible un jour de "sauvegarder" votre conscience, ce pur esprit que les croyants appellent l'âme, pour la télécharger sur un disque dur et ressusciter des morts tel Lazare sous la forme d'un homme-machine que l'on appelle Cyborg ?

Le sujet est troublant, dérangeant. Pourtant, il faudra bien se pencher dessus, alors qu’un business commence à émerger autour de la gestion de votre vie numérique, de l’archivage de votre vie numérique, avec notamment le projet Total Recall ourdi par un Docteur de Mabuse de Microsoft. Votre vie numérisée pour l'éternité, l’immortalité digitale, la transcendance de l'humanité et son "augmentation" par la machine...Justement, il en était question au cours de la soirée #jesuismort , organisée mardi à La Cantine par nos amis de L'Atelier des Médias de RFI, Silicon Maniacs et Owni. Une soirée-débat particulière, avec des invités étranges (entre autres un président de l'Association Française Transhumaniste, un membre de la Singularity University...) où l’on a beaucoup causé immortalité et transhumanisme, cette mouvance culturelle qui prône l'usage des sciences et des techniques pour améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains.

Un truc de doux dingues ? Pas si sûr quand Eric Schmidt de Google s'y met: "Ce que nous essayons de faire c'est de construire une humanité augmentée, nous construisons des machines pour aider les gens à faire mieux les choses qu'ils n'arrivent pas à faire bien"...

Cela faisait donc longtemps que nous voulions nous pencher sur ce sujet existentiel et vertigineux avec mon confrère blogueur et journaliste Jean-Christophe Féraud. A la faveur de l'évènement #Jesuismort, nous avons donc décidé d'écrire ce billet en commun et de l'accueillir sur nos blogs respectifs (vive les billets co-brandés ;)

Cimetière post-mortem

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Nos traces numériques esquissent déjà des prémices à notre postérité digitale. Vous êtes peut-être déjà tombés, au gré de vos pérégrinations sur Facebook, sur des pages de personnes décédées. J'ai déjà atterri par hasard sur la page Facebook du frère d'un ami, disparu en mer. Son wall était resté ouvert, en accès libre, ses amis et sa famille continuaient à y déposer des messages d’hommage post-mortem. Jean-Christophe a connu la même expérience suite à la mort soudaine d'un vieil ami journaliste...Troublant : Facebook devient alors un cimetière, où les gens développent des rituels funéraires virtuels.

Justement, mardi soir à #Jesuismort, Tristan-Mendès France, un temps assistant parlementaire, maintenant blogueur, documentariste et chargé de cours au Celsa, nous a longuement parlé de cela – ces rites funéraires qui commencent à se développer dans des mondes virtuels. La première fois, que cela s’est produit c'était dans le jeu en réseau "Word of Warcraft" en 2005 : suite au décès d’une gameuse, un véritable rituel funéraire a été organisé dans le monde de Warcraft pour lui rendre hommage…

Pour Tristan, c’est sûr, on est face à un véritable « cimetière virtuel » sur Facebook, qui compterait 5 millions de morts (ou plutôt de profils de personnes décédées), laissés ouverts, volontairement ou pas, par les familles. Et de fait : c’est un peu affolant, mais rien n’a été prévu par les Facebook, Twitter, LinkedIn et autres réseaux sociaux pour supprimer le profil d’une personne décédée ! Idem pour les plateformes de blogs, les moteurs de recherche… Au niveau juridique, c’est la jungle. Au point que quelques sociétés imaginent sûrement des solutions de marchandisation post-mortem. Imaginez : bientôt, à défaut d’être immortel physiquement, vous pourrez sans doute vous acheter une immortalité digitale, garder une présence en ligne, sous la forme d'une concession virtuelle éternelle ou réduite à 20, 30 ou 50 ans...

Parallèlement, des futurologues, gourous du transhumanisme, tels Raymond Kuzweil, Aubrey de Grey, et autres doux dingues le jurent: la mort est un phénomène dont on peut guérir. Certains prédisent l’immortalité dans 15 ou 20 ans grâce au séquençage du génome humain, entre autres évolutions technologiques. Lisez plutôt le Manifeste des Extropiens, une nouvelle religion conceptualisée par le bon docteur Max More :

"Nous mettons en question le caractère inévitable du vieillissement de la mort, nous cherchons à améliorer progressivement nos capacités intellectuelles et physiques, et à nous développer émotionnellement. Nous voyons l'humanité comme une phase de transition dans le développement évolutionnaire de l'intelligence. Nous défendons l'usage de la science pour accélérer notre passage d'une condition humaine à une condition transhumaine, ou posthumaine. Comme l'a dit le physicien Freeman Dyson, 'l'humanité me semble un magnifique commencement, mais pas le dernier mot" (Introduction à "Principes extropiens" 3.0).

Un délire de l’humain parfait flirtant dangereusement avec l'eugénisme et l'homme nouveau national socialiste qui a été abondamment inspiré la Science-Fiction d'avant et d'après guerre, du "Big Brother" d'Orwell au Meilleur des Mondes d'Aldous Huxley. Et que l'on a vu recyclé dans plusieurs films, notamment « Bienvenue à Gattaca » où des jeunes gens au patrimoine génétique parfaits étaient programmés pour partir à la conquête de l’espace…Pour mémoire, voyez plutôt ce petit extrait:

Etranges concepts

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C’est là, que défilent d’étranges concepts survolés lors de la soirée #Jesuismort. On a brièvement parlé de cryogénisation (vous savez, cette théorie – très en vogue il y a une dizaine d’années – consiste à se faire congeler pour ressusciter dans un futur proche ;) : déjà has been. Il fut aussi question d’ "uploading de l’esprit" ou comment transférer le contenu d'un cerveau sur disque dur, en l'ayant préalablement numérisé. Un ordinateur pourrait alors reconstituer l’esprit par la simulation de son fonctionnement, sans que l'on ne puisse distinguer un cerveau biologique « réél » d'un cerveau simulé...Totalement naïf et délirant vous diront tous les neurologues vu la Terra Incognita que reste notre cortex pour la science. Le concept apparaît pourtant dans "Matrix" et ses suites, mais aussi dans La Possibilité d’une Ile de Michel Houellebecq, où le "mind uploading" est évoqué comme un composant de la technique permettant de vivre, jeune, plusieurs vies successives avec un corps et un esprit identiques. De vaincre enfin l'obsolescence de l'humanité...

Les tenants du transhumanisme y croient dru comme fer: en plein débat sur la réforme de la loi sur la bioéthique (le texte est en débat au Parlement en ce moment), ils ne jurent que par les propositions « technoprogressistes ». Comme par exemple, « autoriser le libre choix de la gestion pour autrui, notamment dans le cas des mères porteuses », expliquait mardi soir Marc Roux, étrange président de l’Association Française Transhumaniste. Pour lui, c’est simple, « le législateur est très en retard sur ces sujets ».

Ces délires scientistes autour du transhumanisme connaissent déjà quelques prémisses. Vous voulez savoir si d'aventure vous n’avez pas quelques prédispositions pour avoir un cancer ou la maladie Alzheimer ? Une kyrielle de start-ups pullulent sur le Net, et vous proposent déjà d’analyser votre ADN, telle 23AndMe (oh tiens donc, fondée par l’épouse de Sergey Brin, un des fondateurs de Google…on y reviendra), d’explorer votre patrimoine génétique, ou plus prosaïquement de faire un test de paternité. Quitte à conserver dans leurs bases de données ces précieuses données très intimes vous concernant… au risque de les revendre dans quelques années.

"J'ai vu tant de choses que vous humains ne pourrez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l'épaule d'orion. J'ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l'ombre de la porte de Tannahauser.Tous ces moments se perdront dans l'oubli. comme les larmes dans la pluie...", déclamait Roy, le répliquant de "Blade Runner" qui, comme nous pauvres humains, ne voulait pas mourir. Il s'est trompé peut-être...

Pour conclure, voici un extrait de ce bouleversant monologue de Fin:

Capucine Cousin et Jean-Christophe Féraud

dimanche 6 février 2011

Superbowl; Tweet-article; Facebook Deals; Pierre Bergé; White Stripes; Love Confident...

Une fois n'est pas coutume, la traditionnelle revue (non exhaustive) du web, avec une sélection de liens sur ce qui a fait l'actu techno, médias, pipole, culturelle, et web cette semaine.

  • Ce soir sera diffusé le SuperBowl aux Etats-Unis... Un jackpot pour les chaînes, y compris en termes de vente d'espaces publicitaires, avec 60 spots prévus cette année (voir cette sélection), dont pour la tablette de Motorola, ou encore Groupon. La nouveauté, cette année, étant que les annonceurs ont bâti un dispositif plurimédia, qui privilégie Facebook, Twitter et YouTube.
  • Nicolas Demorand, futur patron de Libération, présentait jeudi matin devant la rédaction son projet. Le JDD en a rendu compte dans cet article avec une méthode journalistique inédite: l'article rédigé à partir de tweets. CQFD.
  • La ferme de contenu d’AOL, racontée par un ancien, ou le règne des billets sous-payés avec pour référent le classement par les moteurs de recherche. Cela tombe bien, RDV Wikio demain matin, je serai curieuse de connaître leur position sur le sujet...
  • Les vrais début de la géolocalisation mobile, grâce aux réseaux sociaux ? Une nouvelle piste pour les annonceurs, alors que Facebook vient d'ouvrir en France Facebook Deals.
  • Autre nouvelle forme de pub, les miroirs vidéos publicitaires dans des toilettes publiques: en l'occurrence, des miroirs publicitaires installés dans les toilettes de l’aéroport O’Hare de Chicago (d’autres lieux à venir) par Clear Channel Outdoor et Mirrus. . Eh oui...
  • Marion Cotillard vous gonfle ? Pourtant, les Américain l'adooooorent. Normal, c'est une pro du marketing.
  • EMI repris... par une banque, la fin d'une époque: Terra Firma cède 100% de ses parts à CityGroup, avant une probable cession à Warner, alors que la maison de disque est endettée à hauteur de 1,4 milliards d’euros.
  • Music (2): c'était the bad news de la semaine, les White Stripes annoncent leur séparation. It's over... Demain, je ressors mon T-shirt (rouge) de fan acheté lors de leur dernier concert parisien, il y a deux ans.
  • Pierre Bergé et son expo financée par la mairie de Paris (vous savez, celle consacrée à Yves Saint Laurent, accueillie par le Petit Palais durant 6 mois en 2010), entre autres exemples d'expos dédiées 100% à des marques et leurs patrimoines... Au risque, parfois, d'un certain mélange des genres. J'y ai consacré cette enquête (en accès payant sorry) dans Stratégies cette semaine.
  • Pointé par @LaPeste, Love Confident, un Meetic féminin qui flirte dangereusement avec la délation.

lundi 31 janvier 2011

Le plagiat, c'est branché

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La petite question provoc', lâchée par un des humoristes-maison de Canal +, lui a valu une réponse cinglante, d'une sincère colère. Et ça rassure. Jeudi dernier, pour sa pastille d' interview quotidienne dans le "Grand Journal" de Canal, Mouloud Achour a décroché cette semaine une interview avec James Ellroy, une des légendes vivantes de la littérature américaine, à l'origine de polars sombres et ultra-documentés. Lequel vient de publier un livre passionné, La Malédiction Hilliker, une esquisse d'autobiographie sous-titrée "mon obsession des femmes", et était de passage à Paris pour l'occasion (mon confrère et ami Jean-Christophe Féraud relate cela avec passion).

Le plagiat, un "crime"

En bon comique, Mouloud Achour chute son interview sur cette petite question : "Avez-vous déjà copié un livre de quelqu'un d'autre ?". LA réponse fuse, telle un uppercut : "C'est une question très offensante ! Au point que nous avons presque terminé cette interview. Vous me demandé si je suis un plagieur ! Non, je ne suis pas un plagieur ! Ce serait un crime ! Cette interview est finie". Visiblement, l'humoriste ne s'y attendait pas.

Une petite question, qui montre que le sujet du plagiat s'est imposé dans l'actualité littéraire, voire banalisé. Il est dans l'air du temps, parce que plusieurs cas de plagiat ont égratigné les milieux littéraires ces derniers mois. Les auteurs des dits trahisons *écarts* démentent, ou se taisent, ou parfois laissent passer de manière décomplexée. Contrairement à James Ellroy, qui exprime une froide colère à cette simple saillie. Une "réaction de vrai écrivain quand on lui parle de plagiat", remarque Mouloud Achour, ce qui est totalement juste.

Cela peut simple désinvolte, cynique, mais le plagiat s'est-il imposé comme une pratique branchée ? Sur ces derniers mois, plusieurs cas de plagiats, discrets ou grossiers, ont émaillé l'actu culturelle.

Houellebecq adore Wikipedia

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Septembre 2010. La carte et le territoire de Michel Houellebecq commence à faire parler de lui, il se murmure qu'il pourrait - enfin - décrocher le prix Goncourt . Pourtant, un accroc apparaît : quelques jours avant sa sortie, Vincent Glad, journaliste à Slate.fr, révèle que Houellebecq, un des écrivains français contemporains les plus connus, a carrément repris des extraits de Wikipedia pour certaines pages de son livre.

Une encyclopédie en accès libre en ligne comme source ! Le scoop du jeune journaliste est totalement avéré, l'écrivain ni la maison d'édition ne démentent. Loin de parler d'un "plagiat" gratuit, il nuance dans son article : il s'agit de "reprises" pouvant "s'apparenter à des «collages» littéraires", et qu'elle n'ont "rien de scandaleux en regard du style de Michel Houellebecq". Ce qui est juste, mais donc consacre la "reprise" d'extraits de textes antérieurs comme étant inhérente à un genre littéraire...

Cerise sur le gâteau, on a découvert que le titre du dernier opus de Michel Houellebecq était lui-même celui d'un autre ouvrage : il a été accusé de contrefaçon par Michel Levy, auteur d'un texte au titre homonyme, auto-édité en 1999 et déposé officiellement à la BNF. L’éditeur du livre aurait donc décidé de ressortir le recueil agrémenté d’un bandeau rouge où l’on peut lire "Édition Originale" (joli argument marketing)... En attendant, la justice tranchera sur ce "plagiat de titre" - Flammarion revendique estime tout à fait banale "l'association de deux mots de la langue courante".

Un exemple plus léger ? Pour le mondial de foot, l'été dernier, la très sexy chanteuse latino Shakira est retenue pour écrire le titre officiel du Mondial : elle sort, "Waka waka", un morceau aux tons africains, exotiques, léger, qui sera évidemment un tube. Juste, on découvre qu'elle s'est fortement inspirée du groupe camerounais Zangalewa (je vous laisse comparer les deux par ici). Bon, finalement, tout est bien qui finit bien, le groupe n'y voit qu'une simple "adaptation". Après quelques (juteuses) négociations entre son avocat et Sony Music.

Hemingway / PPDA

Le 19 janvier 2011, Jérôme Dupuis, journaliste à L'Express révèle une petite bombe : pour sa biographie - pavé consacrée à Ernest Hemingway, Hemingway, la vie jusqu'à l'excès, Patrick Poivre d'Arvor a purement et simplement plagié une centaine de pages d'une autre biographie de l'écrivain, écrite par Peter Griffin et publiée en 1985, épuisée en France depuis. Nous ne sommes plus là dans l'habile reprise de quelques passages, mais une centaine de pages, avec des passages parfois réécrits: L'Express propose des comparatifs sur son site web, puis enfonce le clou le 31 janvier, en comparant de nouveaux extraits (vous noterez en bas de cette page web la pub Fnac.com... pour acheter ledit livre de PPDA ;).

La biographie, qui sort en librairies le 21 janvier, est du coup précédée d'une publicité bien peu flatteuse. Et l'on découvre l'existence d'un nègre (pardon, une "lectrice") sur cet ouvrage, que PPDA charge bien peu élégamment. D'après l'"auteur" donc, le livre envoyé à la presse avant sa mise en librairie n'était qu'une version provisoire que PPDA n'avait pas validée... même s'il avait dédicacé de nombreux exemplaires. O tempora ! O Mores ! (oui, je pille là Ciceron sans crainte).

Certes, tout est loin d'être éclairci. Mais sans complexes, PPDA réplique à longueur d'émissions radio et de plateaux télé : toute la vérité sera éclaircie, et il entend bien déposer plainte pour diffamation pour ces infamies, assure-t-il. Encore jeudi soir, il joue le rôle de "réhabilitateur" de feu Hemingway - vous comprenez, il faut passer outre ces fausses polémiques, ce qui compte est de remettre en lumière l'œuvre de Hemingway, raconte-t-il tranquillement, dans l'émission de François-Olivier Giesbert jeudi soir.

Johnny écoute de la musique réunionnaise...

Le plus fou, donc, étant que même des monstres sacrés de la littérature ou de la musique empruntent à d'autres en "oubliant" de citer leur source d'inspiration. La semaine dernière, on a découvert que même Johnny, notre rockeur national, avait repompé un morceau antérieur pour le premier single de son dernier album, "Jamais seul", co-signé avec Matthieu Chedid. Il y a quelques jours, le patron de la radio Tropic FM, Claudy Siar, affirmait que la nouvelle chanson de Johnny Hallyday présentait une "similitude frappante" avec le morceau "Madagascar" du groupe réunionnais Ziskakan. Pas besoin d'être un musicos avertis pour entendre, à l'écoute, cette très forte "similitude"...

Reste qu'il est fort probable que ce plagiat cette coïncidence sera réglée par une généreuse transaction financière - Le Figaro révélait le 28 janvier que ses membres se refuseraient à intenter une action en justice… par amitié. D'autant que les musiciens connaissent une gloire inattendue, leur chanson fait actuellement le tour d'Internet… Merci Johnny.

samedi 29 janvier 2011

Anonymous; Science-fiction still relevant?; Malbouffe; Twitter Connections; Facebook Phone; Zélium; LCI Radio...

Eh oui, j'ai quelque peu délaissé me revue de liens hebdos ici dernièrement... Donc, petite moisson non exhaustive de liens récoltés sur le web, des blogs, Twitter et d'autres médias sociaux, à propos de ce qui a fait l'actu médias, tech, innovation, culture, people (eh oui, faut bien..). Et pour mémoire, vous pouvez me retrouver sur Twitter donc.

  • En pleine révolution tunisienne, alors que d'autres pays du croissant du Moyen-Orient commencent eux aussi à s'embraser, cette déclaration de principe des Anonymous, décrypté par le RWW, prend un certain sens. On a beaucoup parlé d'eux, alors que l'un de leurs membres (jeune crack techno âgé de 15 ans) vient d'être arrêté...
  • Le bouquin s'est déjà vendu à 30 000 exemplaires, et est en cours de réédition: le brûlot de Jonathan Safran Foer, Faut-il manger les animaux ? (Stock), dont Les Inrocks a été l'un des premiers à évoquer, enquête et réquisitoire contre l'élevage industriel, cristallise sous les débats sur l'alimentation, l'environnement, la malbouffe, et pourrait tous nous faire virer veggies...
  • Suite à mon billet où je me demandais si la science-fiction est en voie de disparition (dont la reprise chez Owni a suscité une bonne dose de commentaires... et un joli débat), Wired se pose à son tour la question ("Is Science-Fiction still relevant ?"), relayant ainsi un programme de l'Australian Radio National et son émission Future Tense, dédiée à l'avenir de la SF. Ça tombe bien.
  • Une des grosses infos media sociaux de la semaine: Twitter lance "Connections", sa propre version de l'outil "Mutual Friends" de Facebook. Lequel Facebook suscite de nouveaux des frayeurs chez les défenseurs de la privacy, en lançant un nouveau service pour les annonceurs, qui leur permettra d'exploiter dans leurs pubs les "likes" et commentaires des membres de leurs fan pages.
  • Facebook encore, à l'origine d'un petit bubuzz côté produits: il aurait missionné HTC pour lancer un (deux ?) téléphone mobile "Facebook" lors du Mobile World Congress de Barcelone, qui se déroulera du 14 au 18 février.
  • Cela ne vous aura pas échappé, Orange s'invite au capital de Dailymotion, à hauteur de 49%, pour un montant de 58,8 millions d'euros. Et se veut désormais "agrégateur et diffuseur de contenus".
  • Good news côté médias: alors que Bakchich s'éteint, le premier numéro de Zélium, un mensuel satirique, sera lancé le 11 février et tiré à 70 000 exemplaires en France et Belgique sur 24 pages et dans un format identique à celui du Canard enchaîné.
  • RIP Daniel Vermeille, co-fondateur contesté, en tous cas un des premiers collaborateurs à Rock & Folk, journaliste spécialisé dans le rock californien et le punk, compagnon de route des Rolling Stones lors de l'enregistrement de leur mythique Exile on Main Streets en 1972... Il est parti cette semaine, SDF presque anonyme.
  • Plus d'1,7 million de pages vues pour la reprise très rock et un rien destroy de Smooth Criminal de Michael Jackson... au violoncelle. J'adore. Joli coup de pub pour Stjepan Hauser et Luka Sulic.
  • RIP la French Connection. LCI Radio va fermer ses portes, faute de fréquence radio décrochée par TF1. Contente d'avoir parfosi contribué à cette émission. La dernière, enregistrée vendredi dernier, c'est par ici.

dimanche 23 janvier 2011

Monster High, marque gothique de Mattel pour pré-ados ou post-ados geeks ?

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Un univers noir et rose, gentiment trash et étrange, sous influences gothique, manga, de Twilight, Harry Potter, ou encore entre Edward aux mains d'argent et Les noces funèbres de Tim Burton : après ses gentilles Barbie et autres Polly Pocket, le mastodonte américain du jouet Mattel frappe fort en lançant en France une nouvelle marque, Monster High. Ici, ses héroïnes ne sont plus des gentilles petites filles en rose ou des poneys (souvenez-vous, "Mon petit poney", jouet du groupe Hasbro, qui cartonnait dans les années 80), mais des demoiselles dark un rien trash, de court vêtues, et descendantes de monstres.

Le pitch: six personnages descendants de monstres illustres (histoire de créer une continuité), Dracula et autres Frankenstein, et leur quotidien au collège. Les demoiselles, au look pas exactement enfantin, sont dans un univers fantastique, qui multiplie avec humour les codes gothiques, basé sur le noir et les couleurs sombres : fantômes, araignées, têtes de mort, cercueils=... Avec quelques touches de couleurs vives et des nœuds roses qui renvoient à un univers enfantin.

Toi aussi, deviens gothique

Pour lancer cet univers en France (déjà lancé aux Etats-Unis en juin 2010, et dans quelques autres pays européens ces dernière semaines), Mattel a déployé l'artillerie lourde: les six personnages donnent lieu à des poupées bien sûr, dans un autre genre que la Barbie blonde peroxydée ou que Ken...

Mais aussi une kyrielle de jouets et accessoires plus... particuliers: dans la lignée des teen movies à succès mettant en scène des vampires, le tome 1 de Monster High (signé par Lisi Harrison sera présenté au Salon du Livre en mars. Outre la web-série de 15 épisodes diffusée sur le site, vous n'échapperez pas au clip déjà diffusé sur YouTube ...

Sans compter les produits dérivés classiques - T-shirts, sacs, porte-clés, goodies.. Mais aussi des accessoires plus décalés: des nounours (accompagnés d'accessoires de poupées vaudoues), un "carnet secret des horreurs" (agrémente d'un hurlement enregistré à chaque fois que l'on l'ouvre - si si, j'ai testé), une "machine à tatouer" (qui permettent aux petites filles de se faire des décalcomanies ou tatouages éphémères de têtes de mort par exemple)... Une vraie trousse à outils pour tout futur gothique ;)

Bref, les parents vont adorer. Je plaisante bien sûr. Exceptés les fans de la culture underground gothique et post-punk des années 70, je serai curieuse de voir s'ils vont accrocher à cette nouvelle offre, en pleine vogue nostalgique, où plusieurs anciennes licences (un rien cuculs d'ailleurs) connaissent une seconde jeunesse, comme Hello Kitty ou Charlotte aux fraises - ce qui rassure les parents. Certes, l'enfant est prescripteur en achats, mais pas pour les poupées... incarnation par excellence d'un modèle féminin, et d'un cadre d'éducation pour les parents.

J'ai testé auprès de ma rédac, la plupart de mes collègues (jeunes parents surtout) m'ont semblé, au mieux, circonspects face à ces étranges jouets... On était quelques rares à trouver ça marrant ;)

Références post-punks

Le plus surprenant est que Mattel vise les enfants de 6 - 12 ans avec cette nouvelle offre. Peut-être qu'il n'a pas le choix, face à des concurrents tels que le groupe Hasbro ou des nouveaux-venus chinois sur le très juteux marché des jouets pour enfants. Mattel s'aventure donc dans un univers gothique post-punk... prisé des ados depuis quelques années - ça tombe bien, dans une période où les enfants aiment s'approprier un univers destinés à leurs grands frères / grandes sœurs, et avoir pour héros des personnages plus âgés qu'eux.

On avait d'ailleurs vu d'autres tentatives de jouets pour enfants un peu trash , comme avec les poupées -pouffes à maquillage outrancier et lèvres siliconées (des "poupées-salopes" dixit un ami - et papa bien informé ;). Mattel s'y est essayé en 2008 avec une nouvelle génération de Barbie un rien vulgos (ce point de vue d'une maman sur un forum est révélateur).

Mais surtout, Mattel surfe ainsi sur le même créneau que Emily the Strange et Bad Alice, dont je parlais ici, qui se sont déjà imposées comme des icônes rock et gothiques... auprès des ados, voire des adultes.

Et justement, je me dis que, là encore, à tous les cas, ces Monsters high vont faire mouche auprès de certains adultes, plutôt geeks, qui ont baigné ados dans un univers post-punk / new wave, avec pour références Kiss, Bauhaus, Siouxsie and the Banshees, Joy Division, Birthday Party, The Cure, UK Decay... Un univers aussi heroïc fantasy que ne renieraient pas non plus les rôlistes des années 90.

samedi 8 janvier 2011

Facebook en Bourse; Quora; Les Soirées de Paris; Bakchich; La Tribune; "Crevure néolibérale"; Branding; Wikileaks + "Le Monde"...

C'est la rentrée, alors on reprend les bonnes habitudes... Après quelques incartades musicales et en culture SF, petite sélection de liens hebdos en technologies, sciences, marketing, conso, médias, people etc.

  • C'était l'un des bubuzz de la semaine : Facebook pourrait entrer en bourse en 2012, d'après le ''WSJ''. Au point que sa valorisation monterait à 50 milliards de dollars, alors qu'il vient de boucler un nouveau tour de table de 500 millions de dollars. Ce qui a un petit goût de surévaluation, alors que Goldman Sachs étudie ses comptes, accessibles depuis peu…
  • Alors que le buzz monte aussi à propos d'un petit nouveau, Quora: les premiers testeurs ne sont pas forcement fans....
  • So chic: Philippe Bonnet ressuscite sur la Toile Les soirées de Paris d'Apollinaire, revue culturelle "fondée en 1912".
  • Bad news du côté des médias: Presse News l'annonçait vendredi, Mediapart semblait le confirmer samedi: Bakchich n'a plus les fonds pour continuer. Alors que la couperet était tombé la veille pour La Tribune, placée en procédure de sauvegarde, qui a 6 mois pour trouver des fonds.
  • Outre les nombreuses nouveautés (la tablette en guest star attendue) présentées au CES de Las Vegas, beaucoup ont glosé autour de la Keanu d'Orange ("riposte à la Kinect de Microsoft" pour certains): simple nouvelle nouvelle version de cette caméra 3D déjà présentée par Orange Valley en... janvier 2009 - et toujours pas commercialisée depuis.
  • La lettre ouverte - polémique "d'une crevure néolibérale aux jeunes chômeurs" publiée cette semaine sur Rue89 : objectif atteint en termes de VU, avec près de 150 000 visiteurs...
  • Free vient de lancer sa nouvelle campagne pour la Freebox v6, avec 4 nouveaux spots TV: orchestrée par Ogilvy, et une campagne d'affichage gérée en interne. Pas encore reçu la mienne, d'ailleurs...
  • Dans les coulisses du partenariat Wikileaks-Le Monde - Un joli coup pour fin 2010, qui lui a permis d'être associé à un des sites les plus secrets - et les plus en vue. En octobre 2010, Le Monde devient le cinquième média partenaire de Wikileaks, site spécialisé ... Enquête (accès payant sorry) dans Stratégies de la semaine, qui m'a valu quelques coups de fils dudit quotidien...

mercredi 5 janvier 2011

Et si la science-fiction était en voie de disparition ?

J'y ai passé près de 3 heures dimanche matin, j'en ai pris plein les yeux; Tous ces personnages, ces images me renvoyaient à mon enfance... ma culture SF en quelque sorte - accumulée dans les bouquins, séries et films. Il faut absolument courir voir l'expo "Sciences & science-fiction", qui se tient en ce moment à la Cité des Sciences. Comme souvent à La Villette, l'expo est d'une richesse inouïe, autant scientifique que culturelle.

La boutique de produits dérivés, à quelques pas de l'expo, vaut aussi le détour: mugs Star Wars, sabre laser grandeur nature (déboursez 150 €), DVD, BD, et même affiche de Star Wars en effet 3D...

C'est assez touchant, car notre culture SF se rejoint forcément avec notre culture culture geek: quel techie n'est pas fan de Star Wars, ne voue pas un culte absolu à Blade Runner, Terminator ou encore Minority Report ?

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Un couloir pédagogique impressionnant, où j'ai de nouveau 12 ans, des étoiles plein les yeux: entre ces exemplaires de livres de Mary Shelley, Edgar Poe et Jules Verne, qui ont été les premiers auteurs à s'emparer de la science comme support à des récits réalistes, les premiers films de science-fiction qui tournent en boucle (Voyage dans la Lune de Méliès en 1902, La femme dans la lune de Fritz Lang, 1919, Métropolis de Fritz Lang, 1929...), la culture SF a été jalonnée de plusieurs œuvres fondatrices... jusqu'aux premiers pas d'Amstrong sur la lune, où tout devenait possible. Pour Isaac Asimov, la SF est la branche de la littérature qui se soucie des réponses de l'être humain aux progrès de la science et de la technologie. Elle tient autant du divertissement, qui nous permet de nous évader, de rêver, que du récit d'anticipation, avec en creux une réflexion sur l'avenir de l'humanité (rien que cela...).

Une culture SF nourrie, donc, par une pléiade de livres anciens, mais aussi, véritables jalons pour une culture de fan, d'affiches, et des premiers produits dérivés et premières revues - les pulps, dont Science Wonder Stories, revue où apparaît pour la première fois le terme "science-fiction", en 1929.

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Le cinéma hollywoodien s'est emparé à merveille de la culture SF. Au fil des couloirs que l'on parcourt, on prend conscience de ces films et sagas (intergalactiques) qui ont nourri un imaginaire collectif, ont façonné notre univers mental. Les combinaisons et les robots conçus pour le cinéma s'alignent dans les couloirs, alors que des extraits des films-cultes tournent en boucle. Ils sont tous devenus cultes, font partie de la culture SF de l'honnête homme du XXIème siècle: Star Wars, la Planète des singes, Star Trek, Terminator...

Culture SF muséifiée

Est-ce que la culture SF parvient encore se renouveler, alors que ce qu'elle préfigurait - l'ère du numérique, des mondes virtuels, des nanotechnologies, des robots - se concrétise plus vite que l'on aurait pu le croire ? Il semblerait bien que la vraie culture SF soit en train de s'éteindre. Et que cette gigantesque expo, qui présente manuscrits, romans, pulps, storyboards (celui de Star Wars a déjà une valeur historique), extraits de films en pagaille, et vaisseaux grandeur nature retracent une culture SF (déjà) muséifiée, en voie d'extinction.

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Provoc' de ma part, vu le succès gigantesque qu'a rencontré en 2010 Avatar, incarnation d'une nouvelle génération de films de SF en 3D ? Par vraiment. Si on regarde la chronologie des films de science-fiction, la production hollywoodienne de ce genre en devenir connaît un pic dans les années 60-70, grâce à ce bon vieux Neil Armstrong qui en a fait rêver plus d'un en foulant de quelques pas sur la Lune - et surtout à la Guerre Froide, où les extraterrestres et autres petits hommes verts menaçants permettaient de symboliser l'Ennemi, l'hydre communiste...

Années 80-90 : sortie de sagas comme Star Wars, Terminator, Star Trek, Alien... Des films d'actions hollywoodiens certes, mais où s'entremêlent récits d'anticipation, une réelle réflexion sur notre avenir, les enjeux environnementaux et humains,

Philip K. Dick, génial inspirateur de scénarios hollywoodiens

Dans cette même période sortent trois films cultes pour moi (mais pas que ;): Blade Runner de Ridley Scott, sombre film où Harisson Ford incarne un flic face à des androides / répliquants qui semblent de plus en plus humains... Et qui sait, peuvent mîmer manifester des émotions.

Mais aussi Total Recall de Paul Verhoeven, et Minority Report de Steven Spielberg (en 2002, certes). Leur point commun: tous trois sont tirés de romans de Philip K. Dick. Seulement voilà, le maître des récits d'anticipation est décédé en 1982 - une source d'inspiration non négligeable pour l'industrie du cinéma s'est alors tarie.

Les films qui s'ensuivent sont plutôt des dérivés de SF : des space operas tirés de Star Wars. Mais aussi des récits d'heroic fantasy, films à grand spectacle pour enfants qui sortent souvent lors des fêtes de fin d'année - tels Le seigneur des anneaux ou Les contes de Narnia.

La culture SF condamnée ?

Les derniers films dans le sillage de la culture SF d'anticipation: Minority Report donc, qui anticipait plusieurs innovations technologiques qui commencent à s'inscrire dans notre quotidien - Steven Spielberg s'était d'ailleurs entouré de scientifiques du MIT entre autres.

Mais aussi le très sous-estimé Starship Troopers de Paul Verhoeven (1997): il y dénonce avec une ironie subtile une société dirigée par des militaires, et une diffusion en masse de la propagande par les médias: le film, d'avant-garde, qui sort à peine quelques années après la Guerre du Golfe, et coïncide avec l'arrivée du phénomène de l'internet dans les foyers, et injustement décrié par la presse US.

Ou encore la trilogie Matrix, entamée par les frères Washowski en 1999 - alors que le grand public commençait à s'emparer de l'univers du Net et des réseaux virtuels.

Les derniers en date ? 2012, qui tient plutôt du film-catastrophe (et blockbuster, avec plus de 225 millions de dollars de recettes), carrément épinglé par la Nasa comme "pire film de science-fiction" d'un point de vue scientifique... Laquelle a dû ouvrir un site pour contrebalancer les contre-vérités qu'il véhiculait !

Inception, certes gros succès outre-Atlantique, relevait plutôt du film complexe que du film qui nous projetait vers le futur. Avatar a avant tout installé la 3D sur le grand écran... Mais repose avant tout sur un scénario gentillet et écolo.

Comme me le signale @tiot en commentaire, il y a eu aussi le surprenant District 9 (qui avait pour particularité de se dérouler en Afrique du Sud), et surtout Moon, un Ovni cinématographique hommage à 2001, L'Odyssée de l'espace (réalisé par le fils de David Bowie, pour la petite histoire), que j'avais beaucoup aimé. Le pitch: Sam Bell vit depuis plus de trois ans dans la station lunaire de Selene, où il gère l’extraction de l’hélium 32, seule solution à la pénurie d’énergie sur Terre. Implanté dans sa «ferme lunaire», ce fermier du futur souffre en silence de son isolement et de la distance le séparant de sa femme, avec laquelle il communique par web-conférences. Il a pour seul compagnon un robot futé et (trop) protecteur... Jusqu’à ce que, à quelques semaines de l’échéance de son contrat, il se découvre un clone. Un film peut-être trop strangfe pour l'industrie du cinéma... Malgré deux ans de buzz sur la toile, le film est sorti au printemps 2010... directement en DVD!

Les sorties de films SF prévues ces prochains mois ? Pour l'essentiel des remakes ou suites des chefs d'œuvres passés... Preuve que l'industrie du cinéma a du mal à se renouveler dans ce registre. Il y a bien sûr Tron : Legacy, suite du cultissime Tron de... 1980. Et, pour 2012 est annoncé une réadaptation par Pierre Morel de Dune... En attendant Avatar 2 et Avatar 3...

Merci à Owni pour la reprise super bien maquettée de ce billet

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