lundi 23 avril 2012

Radio Londres, ou l'impertinence de Twitter face à la loi

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Le Schtoumpf Bleu, le Fouquet's, Flamby, la Hongrie versus les Pays-Bas, le printemps Vert, le bleu marine... On se doutait que, inévitablement, des estimations du premier tour des élections présidentielles fuiteraient sur Internet et les réseaux sociaux avant le délai fatidique de 20 heures. C'est surtout sur Twitter que les internautes ont rivalisé d'inventivité, dès vendredi, pour contourner la loi. Certains "twittos" ont pris l'initiative de lancer un vocabulaire et des métaphores dédiées, et même un hashtag spécifique, #RadioLondres, au délicieux goût d'impertinence et de résistance ("Ici Londres. Les Français parlent aux Français"...). Et aussi, certes, une certaine manie de l'entre-soi dans Twitterland, avec "ce côté très énervant 'nous on sait avant les autres'", me soulignait à juste titre Emmanuel Tellier hier matin sur Twitter.

Ce qui s'est confirmé dans la journée de dimanche, où RadioLondres était certes en tête des trending topics sur Paris... Mais nullement en France (merci @krstv pour cette très bonne info), ce qui reflétait le décalage évident entre les préoccupations des élites twittos parisiens... et des autres utilisateurs de Twitter en France en ce jour d'élections.

Une manière aussi de signifier par le jeu l'archaïsme du CSA - ie l'interdiction pour tout média de mentionner avant 20 heures toute estimation après la fermeture des premiers bureaux à 18 heures, sous peine d'une amende de 75 000 euros, conformément à la loi de 1977. Une loi qui s'appliuque aussi - et c'est là la nouveauté - aux quelques millions de citoyens-internautes ((25 millions de Français inscrits sur Facebook, 5 millions sur Twitter) désormais habitués à partager en temps réel des infos sur les media sociaux. Ce qui a fait débat dès jeudi, au point que la Commission des sondages a dû organiser précipitamment, dès vendredi, une conférence de presse pour sonner le rappel à l'ordre, aussi destiné aux instituts de sondage.

Web & réseaux sociaux 1 - TV 0

Dès vendredi donc, des twittos ont organisé la riposte: je ne vais pas épiloguer sur cela, c'est déjà très bien résumé entre autres dans ce billet et cet article. Mais au long de ce dimanche après-midi, une évidence s'est imposée: le décalage entre le Web et la télévision, avec une multitude d'informations sur le Web, notamment - comme redouté par la Commission des sondages - des informations et premiers résultats de sondages publiés sur des sites étrangers (dont Rtbf.be, surchargé une partie de l'après-midi) et Twitter, où les twittos jouaient à #RadioLondres, tandis que les chaînes de télévision en ont été réduites à meubler jusque l'heure fatidique, 20 heures... D'ailleurs, faute de mieux, vers 18 heures, la radio Nova s'y met aussi et nous annonce, citant Twitter (joli paravent...) un "sirop de fraises qui recouvre la coupe bleue"...

Embargo explosé

La question sur Twitter était: qui allait craquer ? Un old media allait-il lâcher les premières estimations avant 20 heures ? Dans un édito publié deux jours avant, Libération avait donné rendez-vous à ses lecteurs à 18h30 sur son site. Las, trop risqué... Nicolas Demorand expliquait dimanche après-midi pourquoi Libé y renonçait finalement.

A 18h46, craquage en direct: l'AFP balance les résultats du premier tour de "sources concordantes" - uniquement à son fil d'abonnés, en les intimant de ne pas les divulguer auprès du grand public. Ou comment jouer sur le fil rouge... Et exploser la loi non-écrite de l'embargo. Aussitôt après la RTBF publie la dépêche presque in extenso sur son site. Contrefeu de l'AFP suite aux résultats partiels (premières estimations, résultats partiels des DOM-TOM...) publiés par des sites étrangers (comme la radio-télé francophone publique (RTBF), le journal Le Soir, la radio-télévision suisse (RTS), le site 20minutes.ch, ou Radio Canada) ? Coup de pression face à ce qui fuitait sur Twitter ?... Elle se justifie en ce sens sur sa page Facebook. Au passage, dans un papier du JDD de ce dimanche 22 avril, signé Camille Neveux, on apprend que "Dans une note diffusée à ses clients, l'AFP a indiqué qu'elle 'mettrait à disposition les informations dont elle dispose' dans le cas où un média, en France ou à l'étranger, 'briserait ce qui s'apparente à un embargo'". Depuis, une enquête ouverte par le Parquet sur la publication des résultats avant l'heure, par ces media étrangers et par l'AFP.

A 20 heures, ouf, les old media peuvent enfin donner les premières estimations à l'antenne. Plus tard dans la soirée, vers 23 heures, David Pujadas lâche sur le plateau de France 2 "Bon sur Twitter, y'a rien eu de transcendant finalement". Mais bien sûr...

mercredi 18 avril 2012

Bulle "sociale": media sociaux, mobiles, communauté d'utilisateurs, (sur)valorisation

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Cela ne vous aura pas échappé: le 9 avril, Instagram, start-up de 14 salariés, connue pour son application mobile qui permet de partager sur Twitter et Facebook des photos vintage style Polaroïd, a été rachetée par Facebook pour quelque 1 milliard de dollars - son fondateur, Kevin Systrom, en voulait même le double, 2 milliards. Elle avait effectué quelques jours avant une levée de fonds de 50 millions de dollars qui débouchait sur une valorisation boursière de 500 millions de dollars.

Spectre d'une nouvelle bulle de la "neteconomie" version 2012, 12 ans après la première, folie autour de ces boîtes gonflées artificiellement par des survalorisations boursières... Et volonté pour Facebook de s'ancrer davantage dans l'image, la photo, en acquérant ce service simple, et surtout dans l'univers mobile - puisque c'est désormais là que tout se passe. Je ne vais pas entrer dans les détails de ce rachat, déjà commenté ici et - et qui fait l'objet d'une analyse (par ma pomme) dans Stratégies en kiosques demain.

Mais ce fait est le dernier révélateur de plusieurs mouvements de fond que l'on observe dans ce nouvel écosystème de startups "sociales" - souvent des médias sociaux, avec des fonctions de création et de partage de contenus autour de "cercles" d'amis, où les pépites sont désormais non plus simplement le nombre de visiteurs uniques ou d'acheteurs, mais le nombre d'utilisateurs - et donc la puissance de leur communauté d'internautes abonnés.

Aujourd'hui, les stars médiatiques sont ainsi Zynga (éditeur de "jeux sociaux" qui cartonnent sur Facebook, tel Farville) , Pinterest (qui permet de "pinter" ses jolies images sur son tableau virtuel, comme j'en parle dans ce papier), Twitter (le site de microblogging bien connu...), Tumblr (autre plateforme de microblogging), Klout (outil d'analyse des media sociaux, censé délivrer le "degré d'influence" des internautes), Path (réseau social limité à 150 amis, uniquement sur téléphones mobiles), Pair (un réseau social pour vous et votre moitié ;), Foursquare (où l'on se géolocalise, de préférence depuis son mobile) et autres Storify (l'outil de "curation")...

On voit aussi apparaître de plus en plus de micro-réseaux sociaux, de niches, tels Path, FamilyLeaf, et Pair.

Levées de fonds records et (sur)valorisations

Mais ce qui est nouveau est que nombre de ces start-ups ont, ces derniers jours, souvent levé des fonds qui donnent le tournis - un nouvel indicateur de valorisation ? Ce qui s'est accompagné pour plusieurs d'entre elles d'une (sur?)valorisation boursière surprenante - d'autant plus pour celles valorisées de manière "grise", alors qu'elles ne sont même pas (encore) cotées en Bourse ! L'an dernier, Tumblr levait 85 millions de dollars. Ces derniers jours, Path a ainsi levé 40 millions de dollars, l'appli "talkie walkie" Voxer 30 millions de dollars.

Mercredi, Le Figaro reprenait ainsi une information de l'agence Bloomberg, selon laquelle Zynga, après avoir acquis 23 sociétés pour 350 millions de dollars en 2 ans, Zynga dispose de 1,8 milliard pour des achats d'autres sociétés. La valorisation boursière est à l'avenant: 200 millions de dollars pour Pinterest et pour Klout, 250 millions pour Path, 8 milliards pour Zynga, près de 10 milliards pour Twitter et Linkedin… sans compter Facebook lui-même, qui devrait être valorisé 100 milliards de dollars sur le Nasdaq lors de son introduction courant mai. Et l'on apprenait ce soir que Square, lancée par Jack Dorsey, fondateur de Twitter, s'apprêtait à atteindre une valorisation de 4 milliards de dollars.

Meta - réseaux sociaux

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Autre fait, plusieurs ont été rachetées par les media sociaux"leaders", à tel point qu'un nouvel écosystème est en train de se façonner, où plusieurs meta-réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Groupon...) se dotent ainsi de services supplémentaires. Dans ce nouvel écosystème "social", on distingue les petits réseaux sociaux, destinés à un cercle limité, les méta-réseaux sociaux, tels que Facebook et Linkedin, et les plateformes de géolocalisation mobile. Le cas d'Instagram est bien sûr emblématique. Ce mercredi, Twitter révélait l'acquisition du service de social media analytics Hotspots.io.

Quelques jours avant, Facebook s'offrait la start-up US Tagtile, qui a développé un système de fidélisation client sur mobile (elle permet de réunir dans un même espace les coupons de réductions et promotions après avoir effectué une visite ou un achat en ligne), compatible avec la norme NFC (on se souvient de l'échec, l'an dernier, du service Facebook Places), et Groupon acquérait l'app de recommandation "sociale" Ditto.me, qui édite depuis mars 2011 une application mobile de recommandation sociale de lieux et d'activités.

mardi 27 mars 2012

Assurance tous-risques (numériques): le secret, déjà un luxe

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Spot publicitaire Axa Assurances / Publicis Conseil

Une immense tâche d'encre noire qui jaillit de l'écran d'ordinateur d'une jeune femme, horrifiée, avant de se transmettre à un homme, une femme, un enfant, et cette voix off non moins menaçante: "Quand votre réputation est salie sur Internet, c'est votre famille entière qui est touchée". Il est diffusé sur TF1, M6 et Canal+ depuis le 21 mars, c'est le premier spot TV qui met en scène le sujet de la e-réputation sur Internet, et le risque de la divulgation d'informations malveillantes pouvant désormais ternir tout un chacun - un risque potentiel qui concerne désormais tout consommateur - internaute.

Toi aussi, protège ta famille "contre les dangers d'Internet"

Le service mis en avant est lui-même sans précédent: la "protection familiale intégrale, une toute nouvelle assurance qui nettoie les informations malveillantes et vous protège également des autres risques d'Internet". C'est l'assureur Axa qui vient de lancer ce service. Une assurance tous-risques en somme: assurance automobile, habitation, antivols, contre les accidents de la vie domestique, et... "contre les dangers d'Internet" (sic). Un état de fait, alors que 17,6 millions de foyers sont connectés à Internet, et donc exposés aux risques inhérents à la vie numérique: atteinte à l'e-réputation, usurpation d'identité, utilisation frauduleuse des moyens de paiements, litiges avec des e-marchands.

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Comme il le détaille sur sa page Web, l'assureur Axa propose donc une assurance qui combine pèle-même protection contre les accidents domestiques, catastrophes naturelles, assistance juridique, et... usurpation d'identité, ou encore "atteinte à la e-réputation". Dans les détails du contrat, il propose même un service de "nettoyage des données malveillantes sur internet", assuré par un prestataire dont le nom n'est pas communiqué. Il faudra tout de même compter la coquette somme de 10,40 euros par mois minimum (et encore, c'est le tarif de lancement).

C'est dire les promesses juteuses - bien plus qu'une quelconque assurance domestique classique - qu'offrent ces nouveaux services d'assistance à nos vie numériques, une double vie virtuelle où l'on s'expose à de plus en plus en plus de risques, alors que l'on y gère une bonne part de notre vie, entre réseaux sociaux, forums, sites de rencontres, voyagistes et autres e-commerçants. L'assureur pousse jusqu'à affirmer dans son communiqué de lancement qu'il veut "faire prendre conscience aux gens que leur vie virtuelle peut détruire leur vie réelle et celle de leurs proches" - CQFD. Argument imparable: si vous faites une connerie sur Internet, votre famille doit elle aussi être protégée.

D'autres assureurs commencent déjà à s'engouffrer dans la brèche. La semaine dernière, l'assureur SwissLife y allait lui aussi de son assurance anti-risques numériques, SwissLife e-réputation (ou "numérisque", comme le soulignait joliment David Abiker dans cette chronique pour L'Express), en proposant pour 9,90 euros par mois un service d'assistance juridique, de nettoyage de "traces" numériques assurée par la start-up Reputation Squad.

Reputation Squad, précisément, était jusqu'à présent connue des seules entreprises, professionnels et autres stars diffamés et à la réputation ternie pas une affaire de "bad buzz" en ligne... ces services sur mesure, jusqu'alors assurés par des avocats et start-ups pointues, existent désormais "pour le grand public, dans la flamme prêt-à-porter", souligne David Abiker, qui laisse entrevoir une autre perspective vertigineuse: demain, pourquoi notre employeur, notre banquier ou notre propriétaire ne pourraient pas nous demander un "certificat de virginité" numérique ?

Le secret, bientôt un luxe (payant)

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La Home de Personal, un outil pour gérer ses données personnelles

Et alors, avec ces premiers services commerciaux qui se tissent autour de notre toujours plus précieuse e-réputation, on en revient à cette question qui m'obsède depuis quelques mois: l'intimité, la vie privée, le secret sont-ils en train de devenir un luxe? Je l'évoquais dans ce billet sur les tendances numériques 2012, et dans cette enquête prospective dans Stratégies, je suis persuadée que, de plus en plus, le secret va devenir un luxe qui va se monnayer. Ce qu'aborde d'ailleurs Hubert Guillaud sur InternetActu. Pas faux, car les start-ups d'aujourd'hui et de demain, telles Google, Facebook et Twitter (qui a déjà vendu nos tweets), nous proposent des services gratuits, tout en sachant qu'elles ont auront une chose à monétiser demain : nos données personnelles.

Des services gratuits, mais dont nous pouvons de moins en moins nous passer. "Google et Facebook sont devenus si dominants qu’il est impossible de les éviter. Les utilisateurs qui choisissent d’éviter Google se trouvent marginalisés et contraints d’utiliser des services disjoints à partir d’une gamme de fournisseurs. Ceux qui choisissent de quitter Facebook (ou n’importe quel réseau social) sont délaissés des réseaux dont les autres profitent", rappelle Hubert Guillaud. Impossible d'abandonner son compte Gmail ouvert il y a 8 ans (et quelques méga-octets d'archives virtuelles) ou son Facebook (où l'on a quelques centaines d'"amis" virtuels) comme on changerait de banque ou de caviste, faute d'alternative...

A lire aussi chez Owni, E-réputation et bénéfs assurés

mardi 20 mars 2012

Neon: insolite + culture + mixité

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C'est un des nouveaux-venus dans les kiosques: depuis ce matin, Prisma media (ex-Prisma Presse) a lancé son dernier-né, le bimensuel Neon, titre orange flashy, sous-titre qui nous promet "Soyons sérieux, restons allumés !". La couv', photo aux couleurs légèrement passées à l'appui, ose titrer sur "l'amour, là, tout de suite" (c'est le printemps!). Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas prêtée à l'exercice du feuilletage d'un nouveau magazine, alors là, c'était l'occasion. Car trois ans après le lancement en tir groupé des féminins Grazia, (feu) Envy et autres Be, c'est ici un des projets mag les plus attendus du moment qui voit le jour.

La presse en a largement parlé: pour cette adaptation française d'un mag à succès lancé en Allemagne en 2004 par Grüner + Jahr, Prisma s'est certes limité à un budget de lancement de 3 millions d'euros et une rédaction d'une dizaine de personnes, avec Olivier Carpentier (ex- Ca m'intéresse) rédacteur en chef, et Hugo Lindenberg (ex- Mediapart) chef de rubrique.

Le prix de lancement est de 1,50 euro, pour ensuite 3,50 euros, et Prisma vise à terme une diffusion payante de 80 000 exemplaires. Un site web sra lancé le 24 mars. Il a vocation à être mensuel, mais le groupe l'a lancé en bimestriel à titre de test. Mais il exploite un créneau assez osé: ce magazine vise un lectorat de 25 à 35 ans, et surtout mixte. Entre actus, reportages, (un peu) culture et (un tout petit peu) mode et conso, on est bien sur un créneau assez complémentaire de la presse culturelle (Technikart, Les Inrocks) ou masculine branchée (GQ).

Qu'est-ce que cela donne au feuilletage ? On a donc 146 pages dont 30 pages de pub, avec une forte prédominance de pubs pour des voitures et motos (Mercedes, Peugeot, Ducati...), qui côtoient des pubs pour des alcools (Bacardi, Martini), vêtements (Lacoste, Sandro, Pepe Jeans), et parfums (Bleu de Chanel). Preuve que le magazine est résolument mixte.

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A l'ouverture, un découvre un sommaire avec une répartition un peu surprenante en rubriques partager", "avoir", "ressentir", "connaître", "avoir", "respirer", "le reste". Au fil des pages, on découvre des rubriques et concepts amusants: le traditionnel micro-trottoir avec "la" question de Neon, annoncée comme "brillante et farfelue": ici, "Vous faites quoi le 22 décembre 2012, le lendemain de la fin du monde?", ou encore un très drôle "arbre à palabres" qui héberge une assez délirante infographie autour de cette question existentielle, "faut-il prendre un chat?".

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On y découvre aussi des enquêtes fouillées, comme celle-ci de 6 pages, très bien troussée, sur de jeunes artistes anars en lutte contre Poutine, où "l'engagement politique c'est foutre le bordel dans les magasins, dessiner des bites géantes ou pisser sur les flics", ce touchant papier sur des "souvenirs d'adoptés", qui racontent leur adoption à partir d'une relique, ce témoignage assez drôle (et avec des infos très scientifiques ;) où le journaliste raconte dans un papier-carnet de bord comment il a (sur)vécu "4 jours sans dormir", photos à l'appui. Et cette enquête en couv', "Amour - impact imminent", avec 8 pages sur le sujet, où la journaliste va de L'Education sentimentale de Flaubert au Banquet de Platon, et Schaupenhauer, en passant par des témoignages plus contemporains pour essayer de cerner le fameux coup de foudre... A mille lieues des clichés de la presse féminine.

Et des angles originaux, comme la cruciale question des positions politiques divergentes au sein du couple ("Je t'aime... sauf quand tu votes"), cette (potentielle) mode culinaire des insectes, le retour en vogue de l'absinthe, ou encore un papier très pratique sur les instructions de lavage pour nos fringues (si, si).

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L’incontournable rubrique mode, elle, est rapidement évacuée dans une amusante double "le jeu des 7 erreurs" pour les nanas et les mecs - preuve que ce magazine est résolument mixte. Quant à la culture, elle est rassemblée de manière originale sur une double "Ma dose de culture pour 40 euros", qui nous propose donc un panier de biens culturels pour 40 euros, entre expo, ciné livre et musique.

Bilan ? Le magazine est riche, plein d'angles et des sujets originaux, que l'on ne trouverait pas en presse culturelle, ni dans les hebdos ou magazines orientés lifestyle comme M le mag. Je suis pourtant restée un peu sur ma fin quant à la maquette, assez classique, et le ton, l'écriture, peut-être trop sage des articles. A suivre...

mardi 13 mars 2012

La résurrection du Photomaton, Polaroid: la photo de la nostalgie à l'ère du numérique

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Le Photomaton, ses photos noir et blanc qui tirent vers le jaune, Polaroid, les photos instantanées avec le fameux liseré blanc... Elles avaient disparu depuis quelques décennies, les photos noir et blanc des années 50 - 60 ressurgissent à l'ère du numérique triomphant, sur Facebook, sur Twitter, sur Instagram. Deux pratiques photos d'un autre temps, à l'ère de l'argentique, qui trouvent paradoxalement une seconde vie grâce au numérique.

Photophones

Simple phénomène de mode vinage? Pas forcément. Paradoxe ou snobisme, mais pas anodin, car ces nouvelles pratiques et cette esthétique vintage se développent avec des smartphones toujours plus perfectionnés, des petites bombes d'innovation technologique... Y compris sur leurs fonctions de photos: on commence à parler pour certains de "photophones", appareils hybrides autant smartphones qu'appareils photos. Au point qu'ils grappillent des parts de marché sur les appareils photo compacts. Il y a 15 jours au Congrès mobile de Barcelone (résumé sommaire des principales tendances par ici), c'était assez frappant en voyant la surenchère photo sur certains joujoux technos: Nokia dévoilait son 808 Pureview, smartphone comportant un appareil photo avec une résolution de de 41 megapixels. HTC dévoilait sa gamme HTC One, qui intègre cinq niveaux de flashs différents, un logiciel de montage photo... Panasonic, sa gamme de photophones Lumix... qui portent le même nom que sa gamme-star d'appareils photos numériques.

Cabines Photomaton & collectifs

Prenez le Photomaton. Avec le passage au numérique, l'entreprise Photomaton, qui en possédait le monopole depuis 1936, avait bien remisé ses cabines, forcément obsolètes. Elles commencent pourtant à ressurgir, lentement. Les jeunes branchés adorent. Un papier de M le Mag l'évoquait la semaine dernière, des collectifs de passionnés commencent à ressusciter des vieilles cabines à Paris. Igor Lenoir et Camille Pachot, créateur de la bien-nommée La Joyeuse de la photographie, ont décidé de rétablir la photo d'identité à l'ancienne, en ouvrant 4 cabines dans des lieux-phares des branchés. Le collectif FotoAutomat a ouvert de vieilles cabines allemandes à la Cinémathèque et au Palais de Tokyo, respectivement haut lieu du cinéma d'antan et d'aujourd'hui, et de l'art le plus moderne - un lien du passé au présent. La nouvelle génération de cabines Photomaton, signées Starck, permettent d'envoyer sa photo sur Facebook.

Le mythique studio Harcourt, prisé des stars, a lui aussi ressuscité sous forme de cabine, installée dans le cinéma MK2 Bibliothèque, et dans certains cinémas Pathé et Gaumont en régions, pour permettre aux amoureux d'immortaliser leurs portraits. So romantic... A l'excellente expo "Tous fichés", dans la cour des Archives nationales à Paris, les visiteurs pouvaient aussi se faire tirer le portrait en Photomaton à l'ancienne, dans une cabinet Photomaton, estampillé "Terroriste", "Fille facile" ou "Poête".

Instagram, le Polaroid numérisé

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Ce qu'illustre aussi Instagram, un de ces réseaux sociaux alternatifs aux Facebook et autres Twitter désormais trop maintream. Un réseau social de photo en soi doublé d'une fonctionnalité, qui permet de revêtir de simples photos prises avec son smartphone d'un vernis vinage, avec ce cadre blanc et ces couleurs passées, usées... Là encore, de quoi rendre n'importe quel paysage ou portrait quelconque empreint d'une certaine patine, qui serait presque touchante. Précisément, il surfe sur l'esthétique propre aux photos Polaroid, qui fut une des pratiques photographiques- stars des années 80, où (résumé pour les plus jeunes, qui n'ont pas connu cela ;) on pouvait prendre une photo avec son appareil Polaroid, et la tirer immédiatement sur papier avec ce même appareil).

Mais pourquoi cet engouement pour ces photos aux contours imparfaits, au grain parfois approximatif et au noir et blanc brut? Il y a comme un parfum de nostalgie, dans ces photos au petit goût de madeleine, au même goût un peu suranné que lorsque l'on regarde des anciennes photos de familles, ou des trésors dénichés chez les grand-parents, photos d'anciennes générations à l'ère des premiers appareils argentiques. Peut-être une manière de sacraliser un peu, de rendre intemporels ces clichés, ces traces numériques que l'on laisse sur la Toile, sur les réseaux sociaux.

Avec le numérique, les médias sociaux, tout va vite, toujours plus vite, c'est le triomphe de l'instantanéité, de l'immédiateté (une info ou photo trop "vieille" revêt très vite du statut maudit de "oooold"): on peut partager ses photos, liens et informations en temps réel avec ses contacts, "followers" sur Twitter" ou "amis" sur Facebook", en deux clics sur son smartphone. Alors bien sûr, à l'ère de l'immédiateté obligatoire, sur ces mêmes réseaux sociaux, ces photos patinées permettent de créer une illusion d'intemporel...

dimanche 4 mars 2012

"Zita dans la peau d'une femme obèse", succédané de la trash TV, de la désinformation du "docu-réalité"

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C'est un étrange "documentaire" que diffusait M6 en prime time mercredi soir, d'un genre en vogue chez M6 depuis peu, que la chaîne qualifie elle-même, au choix, de "docu-réalité", reportage "incarné", où un journaliste ou animateur entre dans la peau de quelqu'un d'autre pour vivre, durant un temps limité, son quotidien. Un étrange objet télévisuel, qui prend un relief particulier alors que M6, petite chaîne qui a "monté" en partie en se lançant la première dans la télé-réalité avec Secret Story il y a 10 ans - format constitutif de son ADN - fêtait cette semaine ses 25 ans, sous les félicitations de la presse économique...

Au menu, donc, "Zita, dans la peau d'une femme obèse". Dans ce nouveau programme, Zita Lotis-Faure propose d'entrer dans la peau de plusieurs personnes: une femme obèse, puis une femme de ménage, une naturiste, et une aide-vétérinaire... Un "Vis ma vie" à la sauce M6 en quelque sorte, où la jeune femme choisit de vivre l'"expérience", durant un mois, 24 heures sur 24, de vivre comme une femme obèse, pour mieux comprendre leur vie. Aux manettes, face caméra, Zita Lotis-Faure, journaliste paraît-il, visiblement spécialiste des reportages en immersion (elle a notamment oeuvré pour Marie-Claire), qui a droit à une brève page Wikipedia, et dont on découvre, plus étonnamment, qu'elle était présentée il y a quelques années comme "chanteuse" installée à Londres (sic) dans les pages de Marie-Claire. Quelques extraits au zapping de Canal+ le lendemain m'ont interloquée, j'ai presque hurlé en regardant le replay ce matin, comme cette blogueuse téléphage. On notera que l'émission a attiré 12,5% des parts d'audience, avec 3,3 millions de téléspectateurs.

Durant une heure, on voit donc la jeune femme mener son "enquête" en se mettant en condition: suivie par un nutritionniste, elle attaque un régime à 6 000 calories par jour, avec au menu une baguette pour le petit-dej (eh oui, car elle explique calquer ainsi le régime alimentaire de Véronique , 50 ans, 140 kgs et à première vue bien dans ses pompes), pâtes, pots de Nutella... Ce "docu" alterne séquences où Zita se rend en "reportage" chez quelques personnes souffrant d'obésité et séquences où, face caméra, elle nous montre ses fringales nocturnes, repas pantagruéliques qu'elle s'inflige, difficultés à supporter un tel régime... Et évidemment, on n'échappe pas aux séquences où elle est aux bord des larmes, effarée face au nutritionniste qui lui indique qu'elle a pris 2 kilos en 15 jours (dur...), et où elle met en scène son dégoût, quitte à mîmer un vomissement. "Déprimée, je n'arrête pas de m'empiffrer, de bouffer", explique-t-elle face caméra. "Ca y est, je crois que je suis droguée", nous assène-t-elle.

Au fil de l'émission on est pris d'un certain malaise - qui laisse place à la colère - en regardant cet ovni télévisuel, entre docu et télé-réalité, même s'il se veut une "enquête". Déjà parce que l'expérience elle-même est biaisée: "je mettrai mon corps et mon mental à l'épreuve", annonce Zita d'emblée. Durant 4 semaines, elle va suivre "le régime alimentaire d'une femme obèse de 140 kilos", pour voir "combien de temps il faut pour verser dans l'excès alimentaire". Bon... Mais cette pseudo-incarnation apparaît bien dérisoire dès lors qu'elle ne dure qu'un mois... Même si certes, il s'agit d'éviter tout risque grave pour sa santé, on ne s'empêcher de s'esclaffer aux mines dépitées de la jeune femme lorsque le nutritionniste lui annonce, au bout d'un mois (fin de l'expérience donc), qu'elle gagné... 4 kilos et 15,5 cm de tour de taille. On est loin des 30 kilos que prit Robert de Niro pour jouer dans Raging Bull de Martin Scorsese, ou dernièrement Matthias Schoenaerts dans le magnifique et glaçant Bullhead de Mickaël R. Roskam. Même s'il est vrai que, pour Super size me, son docu-brulôt anti-Mac Do, Morgan Spurlock a lui aussi mené son expérience durant un mois, en s'obligeant à ne manger que chez McDonald's sur cette période, sous la surveillance attentive de trois médecins et d'une nutritionniste, en cherchant à respecter le nombre maximum de 5 000 pas par jour qu'il s'impose (moyenne par américain). Il avait pris 11 kilos sur la même durée.

Malhonnêteté intellectuelle, raccourcis, pas de sources scientifiques

Pire, il est truffé de raccourcis et contre-vérités. Pointons déjà la malhonnêteté intellectuelle du casting, qui tend à nous présenter comme banals des obèses aux parcours alimentaires spécifiques. Telle Véronique, 40 ans, yperphage, boulimique et consomme de la nourriture dans des quantités pantagruéliquescomme le souligne Le Nouvel Obs. "La choisir comme exemple est une manipulation grossière ; il est en effet plus sensationnel de montrer à l'écran une grosse qui se goinfre à heures régulières qu'une femme à l'alimentation équilibrée", soulignent-ils.

La "journaliste" nous assène des affirmations et généralités sans sources, sans caution scientifique d'un spécialiste pour préciser ses dires. Florilège: "ça y est, je crois que je suis droguée. (...) Plus ça va, moins j'ai envie de manger des trucs qui ont du goût, je préfère du pain, des pâtes..." (avec la musique d'ambiance dramatisante qui va bien, au cas où l'on n'aurait pas compris). Avant de nous asséner royalement, à la fin de son "enquête": "Un mois d'expérience suffit donc pour prouver que l'on peut tous facilement basculer dans la maladie de l'obésité". C'est là qu'est révélée la fausseté monumentale de cette émission. Elle confond obésité et boulimie, et nous sort cette énormité: cette "maladie" peut s'attraper du jour au lendemain, comme un virus. Pire, elle nous laisse croire que les personnes qui sont obèses le sont forcément à cause d'un régime alimentaire excessivement déséquilibré, où elles s'empiffreraient... En oubliant au passage une réalité scientifique: la majorité des personnes obèses ou en surpoids le sont à cause de problèmes hormonaux, génétiques, connexes à d'autres problèmes de santé.Ce docu-réalité a donc un fond très réac', où il sous-entend que si ces personnes sont en surpoids, c'est de leur faute...

Du coté des contre-vérités, quelques affirmations hallucinantes en voix off parsèment le docu - le surpoids provoquerait une raréfaction de l'ovulation, l'obésité provoquerait l'infertilité - elle réduit la fertilité, ce qui est différent.

Sensationnalisme et impudeur

Enfin, les témoignages sont surtout des prétextes à un voyeurisme dévoyé, et où l'empathie de la jeune femme est très relative, ce qui révèle l'hypocrisie qui est l'essence même de cette émission. Sous prétexte de dénoncer une question grave de santé publique, l'émission met en scène présente quelques cas sans aucune pudeur. Lorsqu'elle va voir Stéphanie, 24 ans, et qu'elle lui assène "moi, si un mec refusait que je perde du poids, alors qu'il le faut pour que j'aie un enfant (...) je deviendrais dingue. Pas toi ?" - avant que Stéphanie ne s'effondre en larmes (face camera bien sûr) - on se demande si Zita ne fait pas preuve de davantage de puant mépris que d'empathie.

Quant à la séquence avec Cécile, 31 ans, qui a perdu 60 kilos (ou 80, on ne sait pas, car on a deux versions différentes données par la voix off), dans une séquence grotesque, on a évidemment droit aux gros plans-séquences sur le ventre déformé de la jeune femme, par une caméra totalement impudique, Zita mîmant l'apitoiement. Elle ira jusqu'à figurer dans le plan où la jeune femme subit une opération de chirurgie plastique.

Super Size Me avait clairement des visées militantes: démontrer preuves à l'appui la responsabilité des chaînes de fast food telles que le Mac Do dans l'engrenage de l'obésité aux Etats-Unis, les procès intentés par des particuliers y ayant échoué, avec en lus de son immersion un réel travail journalistique - Morgan Spurlock interroge des spécialistes dans plus de 20 villes, un ancien secrétaire à la Santé des États-Unis, des professeurs de gym, des cuisiniers de cantines scolaires, des publicitaires. Ici, Zita, sous couvert de partager un message préventif, sur une cause de santé publique majeure, surfe sur le voyeurisme le plus abjecte.

Zita femme de ménage, je n'ai pas pu regarder. Maintenant j'attends Zita naturiste, Zita bonne soeur (puisque cela figure dans la présentation de l'émission), ou pourquoi pas Zita camée.

jeudi 23 février 2012

Quand les candidats dévoilent leurs playlists

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Comment montrer que l'on est branché, familier avec les technologies, les réseaux sociaux et les nouvelles formes de consommation culturelle, tout en donnant l'impression de livrer - un peu - sa culture musicale ? Barack Obama a inauguré cette nouvelle tendance au début du mois, en dévoilant le 8 février sur son profil Twitter sa playlist musicale sur Spotify. Un coup de pub inespéré au passage, pour la start-up suédoise de streaming musical, qui ne boudait pas son plaisir le jour-même, et se fendait d'un communiqué de presse.

Une playlist d'une trentaine de titres, très... politique, avec un équilibre entre les groupes pour teenagers (No Doubt), indépendants (Arcade Fire, Sugarland), pop-rock 80s (U2, Bruce Springsteen)... Très majoritairement US, pas de world music ou de musique classique. Et une symbolique aussi très politique de certains titres ("Raise Up", "Stand Up", "No nostalgia", "Everyday America", "Home", "My town")...

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En tous cas, les deux principaux candidats français ont tôt fait de reprendre le concept. Après tout, Barack Obama a été à la pointe de la communication politique sur Internet en 2007, autant reprendre ses recettes... Nicolas Sarkozy annonçait ce matin sur son fil Twitter que ses "classiques sur Deezer" (on remarque ici le recours à une boîte française de streaming musical), dévoilés sur sa page Facebook. Au programme, 9 titres, tous français, excepté le classique du rock'n roll "Love Me Tender" d'Elvis Presley. Sinon, du Brassens, Enrico Marcias, Julian Clerc, Aznavour, et - seule femme - Carla Bruni (forcément). Mention spéciale pour les titres très France profonde ("Chanson pour l'Auvergnat", "Les gens du Nord").

Au passage, l’internaute curieux découvrira les goûts cinématographiques du locataire actuel de l'Elysée, qui ne prend guère trop de risques: il est (forcément) fan des films à succès Une séparation, Intouchables, l'oscarisable The Artist, Des hommes et des dieux...

Quant au candidat François Hollande, comme l'a relevé Vincent Glad sur Twitter aujourd'hui, il a été amené à dévoiler sa propre playlist, sollicité par le blog skeudsleblog. Au programme ici, 10 titres, eux aussi presque tous français (à la seule exception du tube "Rolling in the deep" d'Adele - fédérateur et sans risques...). La moyenne d'âge des chanteurs est bien plus jeunes que la playlist précédentes, et on admirera l'effort d'avoir une palette variée, entre classique 80s (Jean Louis Aubert, "Temps à Nouveau"), voire très classique (Léo Ferré, "Jolie Môme"), plus contemporain mainstream (Olivia Ruiz, "Elle panique", Nolwenn Leroy, "Ohwo"), avec forcément une dose de titres engagés (le fameux "Chant des partisans" repris par Les Motivés en 2007, ou émouvants - terriblement bobo ("Pourquoi battait mon cœur" d'Alex Beaupain, issu de la B.O. des Chansons d'amour du très parisien Christophe Honoré).

Une nouvelle arme de com' politique assez habile: rien de tel que des titres ou groupes connus pour fédérer, des internautes-électeurs sensibles à ce côté "je livre mes goûts perso, ce que j'écoute sur mon lecteur MP3". Mais peut-être et surtout le gadget politique absolu, et finalement très secondaire. Affligeant, très léger, simple accessoire séduisant. A prendre donc au second degré...

dimanche 12 février 2012

"Siri (Angie/ Vlingo), commande-moi une pizza..."

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Zapper d'une chaîne à l'autre sur son téléviseur, lancer une recherche de fichier Word sur son ordinateur, émettre un appel, dicter et envoyer un e-mail, commander une pizza... Juste par la voix, en quelque sorte en passant un ordre à son téléviseur, son ordinateur ou son smartphone, sans toucher un clavier ou même effleurer un écran. J'en parlais en fin d'année dernière, et en début d'année dans cette enquête pour Stratégies, la commande vocale est une des innovations les plus importantes de ces derniers mois, au point qu'elle pourrait révolutionner nos usages, notre rapport aux machines ces prochaines années. Une nouvelle révolution, après celle du tactile, initiée avec le premier iPhone, et du pilotage par la gestuelle, lancé avec la Kinect de Microsoft. Concrètement, elle permet de donner des instructions à une machine par la voix, étant parfois couplée à la reconnaissance de mouvements.

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Le téléviseur à agrandisseur intégré piloté par commande vocale dans Blade Runner, Ridley Scott, 1982

Une technologie qui pourrait, à moyen terme, entraîner la disparition des claviers, télécommandes et joysticks, ces interfaces et outils qui permettent d'interagir avec une machine. Cette image de l'ordinateur sans clavier ni souris, fantasme classique des films de science-fiction (on en a une vision fugace dans Blade Runner de Ridley Scott, ou encore dans IA - Intelligence Artificielle de Steven Spielberg), pourrait bientôt devenir réalité...

C'est Apple qui a rendu désirable cette étrange pratique, avec une des dernières petites bombes (à retardement) concoctées par Steve Jobs avant son décès: Siri, implanté sur l'iPhone 4S en octobre dernier, qui permet à l'utilisateur de "dialoguer" en langage naturel – autrement dit par phrases entières – pour lui demander d'effectuer toutes sortes de tâches. Apple a rendu cette nouvelle pratique "désirable" auprès du consommateur lambda à forcé de spots publicitaires, mettant bien en scène, et de manière très rassurante, comment cet outil pouvait lui faciliter le quotidien.

Preuve que ce système de commande vocale se popularise - pour l'instant - sur ce segment très précis des smartphones, les autres constructeurs sont en train de dégainer, les uns après les autres, leurs propres applications de commande vocale, sur leurs AppStores. Certes, Google a tiré le premier, avant Apple, avec Vlingo pour Android, proposé en France en septembre dernier.

Google travaillerait sur un service Siri-like, sous le nom de code "Majel". L'éditeur de logiciels de reconnaissance vocale Nuance, qui a lancé en juillet 2011, aux US Dragon Go, une application pour iPhone dotée d'une technologie de recherche en langage naturel, annonçait fin décembre dernier le rachat de Vlingo. Enfin, la start-up française xBrainsoft, que j'évoque dans mon enquête, annonçait cette semaine aux TechDays de Microsoft le lancement de son propre assistant vocal, Angie, disponible sur le marketplace du Windows Phone. Un kit de développement permettra aux geeks développer leur propre agent conversationnel.

Du téléphone aux ordinateurs, téléviseurs et consoles de jeux, il n'y a qu'un pas. Côté jeux d'abord: depuis le 7 décembre dernier, une mise à jour de la Kinect de Microsoft permet de piloter la console de jeux Xbox 360 par la voix. Certes, cela reste aléatoire, il faut prononcer des mots-clés (titres de jeux, rubriques du menu...), impossible d'émettre une demande en langage naturel. Mais c'est déjà un début. La commande vocale pourrait aussi remplacer la télécommande des téléviseurs. Il se murmure que Steve Jobs en a équipé la future Apple TV, annoncée pour fin 2012. En janvier, le constructeur sud-coréen dévoilait au CES de Las Vegas une nouvelle version de sa télécommande LG Magic Motion, dotée d'un micro.

Par la même occasion, la société Vlingo annonçait elle aussi lancer cette année un assistant personnel à commande vocale pour téléviseur. "Vous pouvez commander votre téléviseur, votre décodeur ou votre câble, tout en restant assis sur votre canapé, avec le simple contrôle de votre voix. Votre télé vous répondra avec son programme d'assistance vocale virtuelle: demandez ce que vous voulez et l'assitant cherchera ce que vous souhaitez. C'est comme le Siri d'Apple mais en mieux, pour votre téléviseur", expliquait alors Chris Barnett, vice-président de la start-up, annonçant des partenariats avec plusieurs constructeurs.

La semaine dernière encore, c'est le sud-coréen Sansung qui annonçait le lancement d'une nouvelle télécommande de Samsung (elle n'apparaîtra qu'avec les Smart TV qui sortiront dans le courant de l'année) à commande vocale.

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Nao / Aldebaran Robotics

Bien sûr, rien ne dit que cette innovation de rupture entrera dans les usages. C'est socialement assez incongru de parler à son téléphone en permanence - imaginez la scène de chacun donnant des ordres à son téléphone dans le métro... Mais le phénomène est troublant. C'est la première fois que des constructeurs industrialisent des procédés permettant de donner des ordres à une machine, voire d'interagir avec elle. Ce sont les premières interfaces dotées d'intelligence artificielle - des capacités intellectuelles comparables à celles des êtres humains, telles que la mémorisation, l'apprentissage, et la capacité à imiter certains comportements humains. Une brèche est ouverte...

jeudi 2 février 2012

Apple sponsor de films ?

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Est-ce que les produits Apple seraient devenus omniprésents au point que l'on ne pourrait plus s'en passer ? Ont-ils pénétré notre quotidien, nos vies, sont-ils entrés massivement dans les usages? Sont-ils devenus indispensables ?

La geekette Lisbeth Salander pour ses recherches de hacher, tout comme le journaliste d'investigation Mikael Blomkvist dans Millenium de David Fincher, Les très bobos personnages de L'amour dure trois ans de Frédéric Beigbeder, Juliette Binoche qui incarne une journaliste dans Elles, sur les écrans depuis hier, Tom Cruise dans Mission Impossible 4, les protagonistes de la (très bonne) série Les hommes de l'ombre, actuellement diffusée sur France 2...

Ce sont quelques-uns des derniers films ou séries que j'ai vus. Ils ont tous un point en commun: les personnages y reçoivent des appels ou envoient des SMS depuis leur iPhone, écoutent de la musique depuis... leur iPhone, écrivent, codent, hackent, envoient des mails sur leur Macbook Pro, surfent sur Internet ou font des montages d'images sur leur iPad. Le logo Apple y est à peine dissimulé, bien au contraire: on reconnaît de toute façon facilement un iPhone par sa seule ergonomie (la photo des personnages qui appellent sur un iPhone) et un Macbook par son design (la pomme blanche sur la coque grise du Macbook)...

C'est dire à quel point l'univers Apple est devenu omniprésent dans nos vies. En tous cas, c'est ce que reflète un certain pan du cinéma, avec sa part de rêve, sa prime à la technologie, et donc la nécessité de mettre en scène les marques branchées du moment et/ou qui sont entrées dans les usages. Du moins pour certaines catégories de la population. Il faut rappeler au passage que l'iPhone est loin d'être le téléphone mobile le plus utilisé: il ne représente encore "que" 8,7% de parts de marché dans le monde fin 2011, d'après l'institut IDC.

Bien sûr, le placement de produits est monnaie courante dans le cinéma depuis ses débuts (une pratique que l'on voit aussi débarquer dans la littérature, que j'évoque ici et ). Il est plutôt l'apanage de blockbusters américains, voire fait sens dans la logique narrative de nombre de films (on pense bien sûr aux James Bond)... Même Almodovar y recourt depuis longtemps, depuis Talons aiguilles (ah! Victoria Abril et ses tailleurs Chanel...) à La piel que habito, entre les bagnoles BMW et les écrans plasma Panasonic. Mais il est par essence multimarques, les scénaristes intégrant des marques dès l'écriture du scenar pour apporter du réalisme au récit... et très prosaïquement bénéficier d'avantages en nature (prêts de produits...), en formalisant la pratique par la signature de contrats, en passant par des agences spécialisées, telles Marques et films.

Avec Apple, on franchit un cap. Ce sont bien les produits d'une même marque qui sont mis en scène dans plusieurs films (je vous laisse le soin de compléter ma liste très exhaustive par d'autres exemples de films en commentaires ;). A tel point que l'on a l'impression que certains sont carrément sponsorisés par Apple, tellement les produits sont intégrés dans le récit, mis en scène durant de longues secondes (ou minutes...) avec démos grandeur nature entre les mains des acteurs ! Et je suis prête à parier que les scénaristes desdits films ne sont pas passés par une société de placement de produits pour intégrer des produits Apple dans leurs films ! De toute façon, il n'est pas sûr qu'Apple aurait accepté, culte de la rareté et du secret oblige...

Petit passage en revue...

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Dans Millenium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, c'est manifeste: on a au bas mot 10 minutes d'utilisation de Macbook Pro (logo et nom bien visibles) par les deux personnages principaux, pour écrire, envoyer des mails, hacker en loucedé, faire des agrandissements de photos... Un mode d'emploi grandeur nature pour Mac ;) Alors certes, dans cette magnifique adaptation, David Fincher n'a fait que reprendre des placements de produits déjà (trèèès) omniprésents dans le roman de Stieg Larssen, me faisait-on remarquer sur Twitter la semaine dernière. Pas de jaloux: dans le film US, Nokia, Epson, HP, Canon ont aussi droit à leurs quelques secondes d'apparition.

Si on poursuit l'exercice, dans le très mielleux (et moyen) L'amour dure trois ans de Frédéric Beigbeder, le catalogue de produits est assez hallucinant, de GQ à la marque de décor Bo (je vous laisse le plaisir d'admirer la très impressionnante liste de remerciements dans le générique de fin...), en passant, donc, par le Macbook Pro (lorsque le héros esquisse son roman... forcément), et bien évidemment par l'iPhone, utilisé par le héros pour téléphoner, écouter de la musique (le fil blanc des écouteurs reconnaissable entre tous...), envoyer des SMS. A munira 10 minutes de placements de produits Apple.

Autre atout: mettre en scène les nouveaux usages de produits qui constituent eux-mêmes des innovations de rupture. Telle l'iPad, utilisée de manières diverses par Tom Cruise dans Mission Impossible 4, dont dans une impressionnante scène où elle sert de vidéoprojecteur dans un couloir... Certes, on entrevoit à peine la pomme... En tous cas, la tablette est mise en scène parmi d'autres joujoux technos, tels ces gants autogrippants sur des parois vitrées, ou ces lentilles de contacts dotées de caméras infrarouges. Au passage, on apprend au détour de ce billet que son réalisateur Brad Bird, fan d'Apple, a travaillé... chez les studios Pixar, et a ainsi eu l'occasion de travailler avec Steve Jobs.

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Le Macbook Air utilisé par Tom Cruise...

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...Et son iPhone avec une app dédiée

Et dans Les hommes de l'ombre, la grosse production française du moment, une fiction de 8 épisodes sur les spin doctors, réalisée par Dan Franck, les personnages travaillent sur des Mac, et reçoivent leurs appels.... sur des iPhone.

Ce ne sont que quelques exemples, pris sur des productions de ce dernier mois. Je pourrais aussi citer pour l'an dernier le blockbuster d'horreur Scream 4, qui donne la part belle à l'iPhone... jusqu'à la sonnerie récurrent dans le film, qui est la sonnerie par défaut de l'iPhone. Maaagnifique "placement sonore" de marque...

Mais c'est bel et bien une habitude pour Apple, une des marques les plus citées dans les films. Près d'un film sur trois aux Etats-Unis, parmi les films en tête du box office ont fait apparaître un produit de la marque à la pomme en 2010, d'après le site Brandchannel, qui tient un classement annuel de placements de produits.

dimanche 22 janvier 2012

Huffington Post made in France: info, débats, entertainment

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Ett voilà. Lundi 23 janvier, le Huffington Post français était lancé lors d'une conférence de presse organisée dans les locaux du Monde, avec Ariana Huffington et l'équipe du jeune media, une dizaine de jeunes journalistes, Anne Sinclair pour responsable éditoriale et Paul Ackermann (ex-chef d'édition du Figaro.fr) pour rédacteur en chef.

Le débarquement dans l'Hexagone de cet étrange Ovni médiatique - on y reviendra - avait soigneusement été préparé par Ariana Huffington, entre buzz savamment orchestré et plan media réglé comme du papier à musique. Dès septembre dernier, la fondatrice du HuffPo inaugurait la session de rentrée du CFJ (Centre de perfectionnement des journalistes) - rien de tel pour asseoir sa notoriété et mettre un pied dans le journaliste traditionnel. Après tout, encore au printemps 2011, le HuffPo avait surtout une odeur de soufre à cause de la grève de ses contributeurs - blogueurs bénévoles bien malgré eux.

Plan médias pour le HuffPo français... Et pour Anne Sinclair

Dans les semaines qui ont suivi, la feuilleton s'est poursuivi: rumeurs d'arrivée de Marc-Olivier Fogiel, d'Anne Sinclair, survivance (ou pas) du Post, bruits de report du lancement, de difficultés à recruter un rédacteur en chef... Le 13 janvier, un visuel de la page d'accueil du Huffington Post français fuite sur Twitter.

tweet_Glad_2.jpg Le 16 janvier, la presse est conviée à la conférence de presse de lancement. Et a confirmation du même coup que qu'Anne Sinclair prend bien les rênes de ce media. Le fait n'est pas anodin: retour au journalisme pour celle-ci, exposée dans les media ces derniers mois uniquement en tant qu'épouse de DSK. Elle va étrangement faire office de vitrine médiatique pour le lancement du HuffPo français. Elle a conçu son propre plan media, visiblement avec Anne Hommel, conseillère en communication chez Euro RSCG, amie du couple Strauss-Kahn, déjà connue pour conseiller DSK. C'est aussi elle et l'agence Euro RSCG qui ont organisé la conférence de lancement du lundi 23 janvier.

Anne Sinclair choisit pour son retour en journalisme - et pour tourner la page médiatique de l'affaire DSK - l'hebdomadaire Elle, où elle a bénéficié d'une couverture favorable en plein tourment, ces derniers mois. Une interview-fleuve ("l'interview-vérité", nous promet-on) de 8 pages, où elle parle de ses années de retrait du journalisme, de son bouquin à venir, du HuffPo, de l'affaire DSK, bien sûr de ce qu'est être une femme trompée, mais sûrement pas de ses sentiments (avec cette chute déjà culte, à la question "Etes-vous une femme amoureuse ? Ca - ne - vous - re - garde - pas !). Si Elle sort habituellement en kiosques le vendredi, ici, des exemplaires sont envoyés dans une poignée de rédactions dès mercredi après-midi. L'émission C'est à vous dévoile la Une de Elle en direct et sur son fil Twitter ce mercredi soir.

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Ce matin, on en a eu confirmation. Ambiance surprenante pour cette conférence de presse, qui rassemblait au bas mot 250 journalistes, à l'importance peut-être surestimée, certains osant parler ce matin d'"événement médiatique de l'année". A l'évidence, cette nuée de caméras art de photographes étaient plus là pour voir Anne Sinclair que ce nouveau projet de media. Et c'est vrai qu'entendre ce matin sa voix grave et posée, exactement la même qu'à l'époque de 7 sur 7 - que beaucoup, comme moi, n'avaient probablement pas réentendue depuis - ne pouvait laisser indifférent.

Durant une heure, parallèlement à cette conférence de presse, il y avait presque une conférence bis, rythmée par cet étrange ballet des photographes, dont les flashes ont crépité à l'arrivée d'Anne Sinclair et Ariana Huffington (effet Fashion week ?), puis les rafales de photos se sont poursuivies au moindre geste, au moindre rire, au moindre aparté des deux femmes, donnant un côté people bizarre à cette conf'.

Actu, entertainment, débat...

'"En association avec le groupe Le Monde", indique le header de la page d'accueil, il ouvre sur le discours au Bourget du candidat à la présidentielle François Hollande, sondage maison à l'appui ("sondage ViaVoice pour Le HuffPost"), et balaie l'essentiel de l'actu: RTT des médecins, Fukushima, démission du PDG de RIM, taxe Tobin, le divorce Heidi Klum - Seal, la cravate "toujours dans le vent" durant la Fashion Week... De l'actu et de l'entertainment donc, comme sur le HuffPo'' version US. D'ailleurs, le rubricage du site est simple: A la Une - Présidentielle 2012s - Economie - International - Culture.

Le Huffington Post français reprend donc les recettes du HuffPo US: des articles maison, des synthèses d'articles publiés ailleurs, et surtout une flopée de blogs alimentés par divers contributeurs, connus ou pas - et tous bénévoles. "On sera un site de débats, avec des contributions très pointues. Ce qui nous différenciera des autres médias. On a déjà plus de 150 contributeurs qui vont apporter leur tribune au HuffPo, à la fois des experts très connus, mais aussi des gens de terrain (...)", dévoilait Anne Sinclair dans Elle. Parmi ces contributeurs, Ariana Huffington annonce dans son édito le constitutionnaliste Guy Carcassonne, la reporter de guerre Anne Nivat, Rachida Dati, Julien Dray, porte-parole de Lionel Jospin en 2007, l'historien Benjamin Stora, ou encore Nicolas Bedos.

Rubrique sponsorisée

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Quid du modèle économique ? La pub déjà: ce lundi matin, le site comporte une bannière publicitaire (avec L'Oréal pour annonceur), et une seconde en bas (Les 3 Suisses). Mais on découvre aussi une rubrique sponsorisée: la rubrique, tech, "La vie digitale", qui comporte la mention "Avec Orange". Dans la lignée de ce qu'il a fait l'an dernier - le sponsoring de dossiers high-tech dans Les Inrocks notamment, évoqué ici - l'opérateur télécoms sera donc le sponsor permanent de cette rubrique. Il fournit notamment des "articles" dans cette rubrique ("Des applis mobiles à prix mini Bénéficiez de promotions exceptionnelles !", ou encore des comptes-rendus du CES de Las Vegas écrits par Eric Dupin, alias Presse Citron), pudiquement intitulés "Contenu de marque", que Corine Mrejen (responsable de la régie publicitaire du Monde) nous a détaillés ici.

Indéniablement, le HuffPo made in France consacre une nouvelle tendance apparue dans les nouveaux media qui ont fleuri sur la Toile ces derniers mois. Entre Le Plus du Nouvel Obs, Quoi.info, Newsring, dans une certaine mesure Le Lab... Une nouvelle génération de pure players participatifs, qui reposent plus sur le participatif, les contributions des internautes, le débat, plutôt que la publication classique d'articles. On ne sait plus trop comment les qualifier: pas vraiment médias, ni sites d'information, en quelque sorte "plateformes de contenus".

mercredi 18 janvier 2012

Le punk récupéré par la pub ?

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Des clichés captivants pris au cœur de la révolte punk dans les années 70, captés au sein de la scène US (Iggy and The Stooges, MC5, New York Dolls, Television et Richard Hell, les Ramones et les Cramps), anglaise (Sex Pistols, The Clash, The Damned, Siouxsie & the Banshees), allemande (Nina Hagen) ou encore française (Stinky Toys, Asphalt Jungle, Metal Urbain). C'est un des rares et plus riches exposés y étant consacrés que j'aie eu l'occasion de voir, avec 127 photos, des tirages parfois rares et connus, signés par 19 photographes. Ne cherchez pas, cette expo photo 100% punk n'est pas dans une galerie ou un musée, mais... un magasin.

C'est dans la boutique Renoma, au fin fond du très chic (et un peu mort) 16ème arrondissement de Paris, rue de la Pompe, que l'on peut voir cette expo photo. Inutile de vous dire ma surprise le jour où j'ai franchi le seuil de cette boutique, alléchée par quelques billets flatteurs sur cette "expo" qui promettait d'être exceptionnelle. On se retrouve dans un concept store (plutôt désert le jour où j'y suis allée ;) de vêtements pour hommes, scrutée par les quelques vendeurs. Les clichés, en grands tirages, sans légendes, sont exposés sur les murs, entre deux rayonnages de pulls et quelques piles de jeans pour hommes, avec par-ci par-là des "No Future!" sur les murs, des bouquins sur la culture punk disséminés dans des caisses par terre, histoire de nous rappeler que oui, on est bien censés être dans une expo photo so punk.

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Johnny Rotten et Sid Vicious des Sex Pistols photographiés à bord d'un avion en novembre 1977 / Bob Gruen/www.bobgruen.com

En tous cas, cette expo, célébrée dans un certain nombre de magazines de mode et fanzines/blogs lors de son lancement en octobre dernier, a de quoi surprendre. C'est donc le couturier Maurice Renoma qui s'est offert cette "expo", moyennant des tirages rares, dans sa propre boutique. Ses faits sont connus: le styliste, photographe et créateur de 70 ans, précurseur de la mode "yé yé" dans les années 60, vend maintenant jeans déchirés et blousons en cuir (pour faire court). On hésite entre y voir habile récupération et mélanges des genres, tout en se hissant sur la pointe des pieds pour voir de près ces précieux tirages photos, situés à 2 mètres au-dessus des T-shirts. Evidemment, on lit sur certains blogs le résumé de cette expo par ce mécène: "Le punk est rebelle. Or j’ai toujours aimé la révolte". Ça n'engage pas à grand-chose.

Car après tout, ça reste incroyablement branché d'être punk. Au point que l'on on a même entendu, certains jours, des patrons hativment qualifiés de "rebelles" et punks" (sic), par la simple grâce de leur look déjanté. Certes, ce mouvement nihiliste et anar s'est évaporé à la fin des années 70. Mais voilà: les ex-punks de cette époque, alors jeunes adeptes du "No future" sont, eux, toujours là. Et n'aiment rien autant que de se replonger dans cette époque, tenter de se rattacher par certains symboles à cette jeunesse perdue. Des ex-punks maintenant quadras... Souvent CSP+ et hyper-consommateurs. Ce que les marques ont parfaitement bien compris.

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Alors on n'y échappe pas. La mode et les marques récupèrent la musique - et les icônes - punk à longueur de campagnes publicitaires... Et captent ainsi d'autant plus l'intérêt des quadras-consommateurs. Rien que l'année dernière, une des ex-icônes punks, l'"iguane" Iggy Pop, n'a pas hésité à se commettre dans des campagnes pour SFR, avec un peu d'auto-dérision, chantant à tue-tête dans une voiture décapotable, (évidemment) torse nu, pour la compagnie d’assurance anglaise Swiftcover, ou encore sur les affiches des Galeries Lafayette, toujours torse nu, à la veille des fêtes de fin d'année. Et, en ce début d'année, on le verra poser pour le film du parfum Black XS L’Excès de Paco Rabanne, tourné par son ami Jonas Akerlund.

Des ex-icônes elles-mêmes quadras (voire plus) qui n'hésitent donc plus à prendre la pause dans les symboles les plus forts de notre société de consommation - des publicités. Alors qu'eux-mêmes sont devenus des marques. J évoquais ici il y a quelques temps le lancement d'un parfum exploitant ainsi le nom Sex Pistols - avec l'accord des ayant-droits. Alors que John Lydon (alias Johnny Rotten, chanteur des Sex Pistols), dont le nom-marque figure sur de nombreux objets, des réveils-matin aux magnets pour frigos, Et s'est commis dans une pub télé pour une marque de beurre britannique. Ouch.

Punk Attitude, jusqu'au 21 janvier 2012, chez Renoma, 129 bis rue de la Pompe (Paris XVIe), prolongée jusqu'au 17 mars 2012.

dimanche 15 janvier 2012

Le rouge, les semelles Louboutin... sont-ils brevetables ?

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Il s'en est fallu de peu: Christian Louboutin, créateur des fameuses chaussures à talons aiguilles vertigineux, a bien failli faire déposer non pas une invention scientifique ou une innovation de rupture, mais... les semelles rouges dont sont dotés tous ses escarpins. Une particularité esthétique qu'il aurait ainsi fait protéger dans le monde entier. Nul autre chausseur n'aurait pu doter ses chaussures de semelles rouges. L'affaire traînait depuis plusieurs mois, cet très bon billet en retrace les différentes étapes.

Première étape: pour présenter ses semelles rouges comme exclusives, Louboutin a attaqué en justice les impétrants qui se permettaient de reprendre l'idée. Avec ainsi Zara, face auquel il a été débouté par la Cour d'Appel de Paris en juin dernier, et le groupe Yves Saint Laurent aux Etats-Unis, auquel Louboutin exigeait carrément un million de dollars de dommages et intérêts. Il était débouté le 10 août 2011 par un tribunal de New York. En août dernier, l'AFP citait aussi le cas de "la marque brésilienne Carmen Steffens, qui compte parmi ses clientes la top Gisele Bündchen", qui a reçu peu après l'ouverture d'une boutique rue de Grenelle à Paris une lettre du chausseur lui reprochant d'utiliser des semelles rouges dans ses modèles.

Mais ce n'est pas fini: d'après ce même billet, l’OHMI (Office de l’Harmonisation dans le Marché Intérieur, agence de l’Union Européenne chargée de gérer les systèmes d’enregistrement des marques et des dessins ou modèles) vient d'accepter l’enregistrement de la marque Louboutin pour désigner des "chaussures à talons hauts" - consistant en "la couleur rouge appliquée sur la semelle d’une chaussure telle que représentée" (le contour de la chaussure ne fait donc pas partie de la marque mais a pour but de mettre en évidence l’emplacement de la marque). Ce dépôt fait l’objet d’une procédure d’opposition, donc la marque n’est pas définitivement enregistrée. A suivre...

Breveter une idée, une couleur...

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Si, à défaut d'un dépôt de brevet comme en rêvait sans doute Christian Louboutin, l'OHMI - dont les décisions sont valables au niveau européen - valide finalement cette marque avec ces critères très particuliers, cela ouvrira une brèche.L'idée de Louboutin n'est pas de breveter ou de déposer un modèle de chaussure classique - procédé fréquent chez les marques de luxe pour éviter la contrefaçon - mais de breveter, ou a minima déposer un concept, une idée, la semelle rouge apposée sur chacune de ses chaussures. Un des éléments qui fait certes l'identité des chaussures Louboutin, et le seul qui lui permettait jusqu'à présent de se distinguer des nombreuses autres marques de chaussures de luxe. On imagine donc sa fébrilité à protéger juridiquement cette idée.

Tout comme la couleur: en théorie, les couleurs ne sont - heureusement - pas brevetables. Logique, et heureusement, se dit-on. Dans le cas du bleu Klein, souvent cité à tort comme cas d'école, ce n’est pas la couleur même qu'Yves Klein a déposé à l'INPI en 1960, mais le procédé de fixation du pigment, Et encore: s'ils n'acceptent pas le dépôt de couleurs primaires, l'INPI ou l'OHMI commencent à accepter des nuances précises (comme le mauvse Milka) ou des combinaisons de couleurs

Reste à voir donc quelle sera le verdict de l'OHMI. S'il va dans le sens de Louboutin, cela vaudra dire qu'une simple idée, un concept - teindre en rouge vif les semelles de chaussures - pourra être protégé, et réserver à une seule marque. Breveter une idée... Vieux débat, une pratique interdite en Europe, au nom de la défense du bien commun, alors que les pratiques sont plus floues aux Etats-Unis - Amazon a déposé son "one clic", et Mickael Jackson a bien tenté de déposer son moonwalk en 1993.

dimanche 8 janvier 2012

"Lego Friends": quand l'industrie du jouet cède à la vogue girly

Et voilà; Un des géants de l'industrie du jouet cède à son tour à la vogue du marketing sexué (gender marketing). Comme l'a révélé vendredi Rue89, le constructeur danois Lego va lancer mercredi 11 janvier une gamme de Lego... pour les petites filles, intitulée (avec une certaine prudence - pas fou, le constructeur) Lego Friends. Gamme qui a été lancée aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne en décembre dernier.

En se baladant sur le site dédié, on découvre donc cinq personnages, quelque peu stéréotypés, et leurs univers respectifs. Entre Emma, esthéticienne, et son salon (ouf, elle dispose d'un bureau avec laptop) Mia et sa "clinique vétérinaire", Andrea, pop star qui dirige un café, Stéphanie, jeune fêtarde invétérée, qui a sa "cuisine d'extérieur" (sic) et sa bagnole (mais pas de job), et Olivia, scientifique (voilà qui sauve la mise), qui a une villa, une cabane et un "atelier scientifique", avec pas (trop) de rose (un bon point). atelier_olivia.jpg

Les petites filles auront donc leurs propres Lego, des pièces aux tons pastels et aux coins arrondis - bien différentes des briques carrés et aux couleurs vives des Lego traditionnels - pour construire des univers forcément très girly: villas, salons de beauté, cliniques vétérinaires... Au menu: 30 thèmes donc, de la villa au café, et 5 petites poupées, dont on peut changer la coiffure et les tenues.

La campagne de com' de Lego Friends ("100% Lego, 100% pour les filles" dixit les spots TV) est du même acabit, avec une tentative de campagne marketing 2.0 (des vidéos diffusées sur YouTube) qui altèrent bien peu des clichés atterrants. Et même, Lego se tire une balle dans le pied d'emblée, en enfermant sa nouvelle gamme... On y voit donc le clan Legoni (des fans de Lego), qui veulent elles aussi jouer aux Lego. Mais leur revendication tient en continuer à jouer selon leur “propre univers”, qui reprend nombre de clichés pour petites filles (rose prédominant, d'intérieur, de beauté, de soins pour animaux..). La seule nouveauté est qu'il existera sous forme de Lego...

Cette contradiction se reflète dans les vidéos-teasing.

"On est des filles, des vraies, et on veut un jouet qu'on peut personnaliser, on veut créer notre propre univers, c'est pourtant pas compliqué. .... J'en ai marre de me déguiser en garçon et de jouer à leurs jeux, ... il faut que les gens sachent. Ouais, on est des filles, des vraies".

"Moi, j'adore la construction, alors y a des jeux que je pique à mon frère, mais chut, ne le dites pas, ça pourrait jaser".

Jouets sexués, théorie des genres

Image prise par Mix-Cité pendant leur campagne Jouets.

Alors oui, le débat sur les jouets sexués n'a rien de nouveau. J'en parlais déjà dans ce billet en 2007 : les longues travées jouets enfants des JouéClub et autres hypermarchés sont séparées en deux, entre jouets pour les petites filles (où le rooose est nettement prédominant) et jouets pour les garçons. Et cela fait des décennies que ça dure: il y a des modes de jouets, clairement sexués (les GI Joe pour les garçons et les Petit Poneys pour les petites filles avaient la cote dans les années 80). Et bien sûr, les poupées sont plutôt prédestinées aux filles, et les soldats, petites voitures et jeux de construction aux garçons.

Mais il s'est intensifié ces dernières années, et s'est entremêlé à celui sur la théorie des genres. Est-ce que l'on ne conditionne pas les enfants à un rôle social dès leur petite enfance avec des jouets clairement orientés ? Pour les petits garçons, tout est fait pour en faire des mecs, des vrais : jouets de guerriers, chevaliers ou pirates, bagnoles, une perceuse comme papa (au passage, perceuse brandée Black & Decker - ou comment faire des enfants de futurs consommateurs, comme je l'évoquais dans mon billet de 2007), et pour les petites filles, futures femmes au foyer, des Barbies sexy (ouf, les premières Barbie journaliste ou ingénieur en informatique sont apparues... en 2010, c'est déjà un progrès), fers à repasser, cuisinières...

Lego, dernière marque de jouets asexués

Là, avec cette initiative de Lego, créée en 1934, c'est une des dernières marques de jouets asexuées qui franchit le Rubicon. Un des avantages des Lego est (était?) que filles et garçons pouvaient y jouer ensemble indifféremment. Petite, je jouais au centre équestre, au bateau pirate... La marque danoise a pour autre avantage d'être intemporelle - les cartons de Lego peuvent se transmettre de générations en générations.

A l'inverse, par exemple, d'une des dernières créations du mastodonte américain Mattel: la gamme de poupées punks et gothiques Monster High, qui ont fait un malheur depuis leur lancement il y a un an. On aime ou pas (mon voisin de bureau déteste celle posée sur mon bureau ;), elles ciblent clairement les pré-ados, mais elles ont pour avantage de sortir des clichés gnangnan des poupées.

Alors que Lego reste un des leaders dans l'industrie du jouet (en quatrième position mondiale), il n'avait pas pris trop de risques jusqu'à présent: tout juste a-t-il lancé des gammes à coup de rachats de licences qui, certes, visaient plutôt les garçons (Star Wars, Lego City et ses camoins de pompiers, Constructors, Alien...). Lego était une des dernières marques à occuper - volontairement - ce positionnement marketing du jeu "asexualisé", qui remporte un certain succès, forcément davantage chez les parents de CSP + - surtout dans ces débats actuels sur l'égalité entre les sexes (qui va bien au-delà du combat féministe).

Une des marques les plus proches de Lego - personnages intemporels, transmission entre générations, très forte notoriété - Playmobil, n'a pas encore (trop) cédé à la tentation, malgré quelques princesses (pas trop nunuches) et chevaliers. Jusque quand ?

jeudi 22 décembre 2011

7 tendances technologiques, innovations so 2012 (et au-delà...)

En cette fin d'année, on n'échappe pas aux best-of, bêtisiers et autres rétrospectives. En technologies, on a l'impression que tout va toujours plus vite, une tendance, un produit chasse l'autre - le netbook serait déjà en voie de devenir ''out''. Même si une innovation de rupture ne s'impose pas toujours dans le temps, puisqu'elle ne trouve sa raison d'être que lorsqu'elle entre dans les usages.

On a vu cette année se confirmer un fait inédit: les produits technologiques sont un des rares secteurs technologiques en croissance continue, dopé par l’attrait du même grand public pour des joujoux pointus : Microsoft avec sa Kinect (et Nintendo avec sa Wii) ont élargi leur public-au-delà des gamers, Apple a rendu utiles des gadgets, de l'iPhone à l'iPad... Des produits simples, d'usage intuitif, qui rendent l'innovation technologique moins effrayante, on parle alors d'affordance. Quelles innovations technologiques, quels usages vont s'imposer en 2012 - voire au-delà ?

Après le tactile, la révolution de la commande vocale

On a connu la révolution du tactile, que préfigurait la table Microsoft Surface, popularisée par Apple avec l'iPhone. L'an dernier, Microsoft a instauré la commande gestuelle avec la Kinect, et pour la première fois, la possibilité d'interagir avec des contenus par le geste, à distance. Les usages pourraient s'étendre au-delà du jeu vidéo vidéo: jusqu'à la musique, au secteur médical... Comme il montrait dans ce spot TV prospectif diffusé fin novembre.

Cette année, on a vu apparaître le premier assistant vocal, qui obéit à la voix... Siri, intégré à l'iPhone 4S, sorti en novembre dernier, permet à l'utilisateur de "dialoguer" avec l'iPhone, en langage naturel, pour lui demander par exemple le temps qu'il fait à tel endroit, de noter un rendez-vous demain à 15h, ou d'envoyer un SMS ou un mail dicté à un de ses contacts. Le téléphone fournit une réponse orale et écrite, et exécute les ordres. 2videmment, des précedents existaient, mais - c'est bien là le génie d'Apple - il a rendu cette technologie "désirable", concrète, auprès du grand public, comme le soulignait ce papier de L'Expansion.

La bataille des assistants vocaux pourrait bien s'ouvrir en 2012: cette semaine, le géant Nuance (éditeur de l'app' Dragon Notes) a annoncé le rachat de Vlingo... la principale solution concurrente de Siri, qui existe sous Android. Google préparerait lui aussi une solution concurrente, Majel. Plusieurs start-ups, dont en France, préparent aussi des Siri-like. J'y reviendrai bientôt, ici et ailleurs ;) La rumeur court à toute vitesse sur le Net, Siri serait implémenté sur la première TV d'Apple, la future iTV. Le pilotage vocal à distance, grand fantasme des films de science-fiction, pourrait bientôt entrer dans les usages.

Frontières brouillées entre mondes mobile et numérique

Les perspectives sont assez vertigineuses, dans un univers où le mobile devient une passerelle entre le monde réel et le monde numérique, et au consommateur d'interagir avec son environnement direct, comme le souligne Thomas Husson, de Forrester, dans cette très bonne tribune.

Il faut s'attendre à de plus en plus de campagnes autour des code-barres mobiles et de la réalité augmentée (avec toujours autant de "hype" pour une technologie qui mettra plusieurs années à voir le jour). Le NFC s'inscrit dans cette tendance et va enfin décoller avec plusieurs dizaines de millions de terminaux vendus en 2011. Le marché français devrait atteindre environ le million de terminaux d'ici la fin de l'année mais il y a encore fort à faire pour inscrire les usages dans le quotidien... (...)

La notion même de "mobilité" évolue. Sans rouvrir le débat "les tablettes sont-elles vraiment mobiles?", il n'y a pas de doute que la floraison de tablettes annoncées à Las Vegas et la multiplication des terminaux connectés brouillent les frontières traditionnelles entre les environnements PC et mobiles. La différence majeure est que seules les téléphones se vendent par centaines de millions et tiennent dans la poche de leurs utilisateurs.

La biométrie, une norme...

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Une d'Owni, vendredi 23 décembre

Après plusieurs années de bataille, un premier projet (du doux nom d'"Ines", Indentité nationale sécurisée) lancé en 2003, rétorqué entre autres par le Forum des droits sur l'Internet en 2005, la carte d'identité biométrique va voir le jour en 2012. Et instaurer la lecture de nos empreintes digitales (voire plus...) comme élément d'identification.

L'Assemblée nationale a adopté, la nuit du mardi 13 au mercredi 14 décembre, la proposition de loi "contre l'usurpation d'identité", déposée par les sénateurs UMP Jean-René Lecerf et Michel Houel, qui instaure la carte d'identité biométrique. Dotée de deux puces électroniques, l'une contiendra les données sur l'identité (état civil, empreintes digitales, photographie...), l'autre, facultative, servira de signature électronique sur Internet pour des échanges commerciaux et administratifs. Un article restait en débat: quelle architecture donner au fichier centralisé qui recueillera les éléments d'état civil et les données biométriques? La Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) avait récemment émis un avis d'alerte sur le stockage des données en un seul et même fichier géant.

... Et la vie privée, un luxe

lLes médias sociaux: jamais on y a autant partagé d'éléments de sa vie privée – et accepté de céder l'utilisation de nos données personnelles aux entreprises. Même si on a l'impression d'être dans des espaces protégés, où l'on partage des contenus avec des cercles d'amis, tels les «cercles» de Google+. Facebook, Twitter et YouTube permettent de partager en un clic un texte ou une vidéo avec les internautes. Et de rendre publique l'info la plus intime, puis la médiatiser.

Cela est vrai, pour l'instant, pour les people. Mais il est déjà possible de retransmettre en direct, de partager. Précurseur, Jacques Attali l'écrivait il y a quelques années sur son blog : à ses yeux, la vie privée, l'intimité et l'anonymat seront un luxe qu'il faudra payer pour conserver. Déjà, des nettoyeurs du Net" proposent leurs services payants pour purger vos traces numériques, référencées sur des moteurs de recherche comme Google.

"Bioluddisme"

Ce néologisme, apparu dans le roman de science-fictionGoogle Démocratie, met en scène un nouveau combat, celui des "bioluddistes" opposés au tout-technologique. "Nous serons tellement submergés par les technologies qu'il y aura forcément des clivages entre pro et antitechno", m"expliquait David Angevin, son o-auteur. Aujourd'hui, l'impact éventuel sur la santé des ondes émises par les téléphones mobiles et les réseaux Wifi est devenu le cheval de bataille d'associations comme Robins des toits.

Des particuliers "électrosensible"» aux ondes, regroupés au sein de l'association Une terre pour les EHS (électrohypersensibilité), demandent la création de "zones blanches", des portions de territoire non exposées. Le 6 mai 2011, le Conseil de l'Europe adoptait une résolution en ce sens. Une première.

3D or not ?

Avatar avait, semble-t-il, installé la 3D au cinéma. Cette année, Steven Spielberg s'y est mis pour sortir son adaptation de Tintin, en version blockbuster familial. Martin Scorsese vient de sortir Hugo Cabret, magnifique récit couleurs sépia qui remonte jusque Louis Lumière... Mais la 3D va-t-elle s'imposer durablement sur les écrans, grands et petits ? Le sujet a fait débat cette année, entre les résultats mitigés de films à gros budgets, des adaptations trop rapides de films en 3D... Ce qui n'empêche pas certains de ressortir leurs succès d'antan en 3D: vous n'échapperez pas à la Saga Star Wars en 3D, qui ressort en salles à partir de février 2012.

Et, dans les foyers, les équipements 3D (téléviseurs, camescopes, premiers smartphones...) à écrans 3D ne séduisent que quelques initiés. Mais une fois encore, l'industrie du X pourrait venir au secours de la 3D : Canal+ va diffuser, courant janvier, une production Marc Dorcel en 3D (à titre de test".

Toujours plus social...

Quels sont les premiers réseaux sociaux ? Facebook bien sûr... Mais aussi Instagram (15 millions de membres), à première vue simple appli iPhone qui permet de donner une touche vinage à ses photos, et réseau social - lequel a pour particularité de ne rassembler que des utilisateurs d'iPhone. Pas sûr que les réseaux sociaux vous se multiplier, mais ils vont se concentrer par usages: réseaux sociaux généralistes (Facebook), de microblogging - où le partage en temps réel d'infos prime sur une utilisation de plus en plus complexe d'un Facebook (Tumblr, qui a connu un retour en force cette année, Twitter, autre grand gagnant de 2011, qui s'est imposé auprès des médias lors de l'affaire DSK), professionnels (LinkedIn, Viadeo)...

dimanche 11 décembre 2011

Le numérique, au centre de la campagne électorale ?

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Lundi dernier, il inaugurait l'ouverture du site de données publiques Datagouv.fr. Mardi matin, il s'offrait l'inauguration du siège de Google, avec Sergey Brin en personne, et une poignée d'entrepreneurs médiatiques. Mercredi, à l'occasion de l'ouverture de la conférence LeWeb'11, grand-messe annuelle des start-ups (et des fonds d'investissement) fondée par Loïc Le Meur, il recevait à dîner à l'Elysée 300 entrepreneurs et blogueurs. Le tout en pleine "Semaine du numérique", montée par son conseiller Nicolas Princen, émaillée de plusieurs raouts et conférences autour des technologies - qui permettait d'emblée de mettre Sarkozy au cœur de cette actualité.

Il avait déjà inauguré son "tournant numérique" - du moins auprès des médias - en mai dernier, en organisant l'eG8 du Web aux Tuileries, en direct avec l'agence Publicis, quitte à zapper quelque peu les ministres habituellement en charge du sujet, comme nous le détaillions dans cette enquête. En préalable, il avait installé le 27 avril dernier un Conseil national du numérique (CNN), organe consultatif (déjà contesté sur la Toile) comptant... des entrepreneurs - ça tombe bien - comme le patron de Rentabiliweb Jean-Baptiste Descroix-Vernier, Giuseppe Di Martino (Dailymotion, Asic), Frank Esser (SFR, FFT), Gabrielle Gauthey (Alcatel-Lucent), un anti-sarkozyste (belle prise) Nicolas Voisin (Owni), et avec pour président Gilles Babinet (Eyeka, CaptainDash...).

Le numérique et l'innovation, sujet de campagne à truster

Nicolas Sarkozy est en campagne, à 5 mois des élections présidentielles. Pour lui comme pour François Hollande - et les autres candidats - le numérique et l'innovation pourraient bien en être un des sujets-clés. Il drague assidûment les acteurs du numérique, pas totalement en vain. "Jean-Baptiste Descroix-Vernier, Gilles Babinet, étaient tous retournés lors de son discours au nouveau siège de Google", me racontait un entrepreneur (libéral) la semaine dernière.

C'est peut-être en quelque sorte son discours d'Hourtin. Chez Google, son échange, près d'une heure de questions-réponses avec des entrepreneurs, blogueurs ou salariés de Google (sélectionnés au préalable), a été largement tweeté, relayée sur Facebook. Retour sur image garanti pour l'Elysée, avec ce book de photos "entrepreneuriales".

Internet, cette étrange chose, où il faut réfléchir à "comment mettre un minimum de règles en gardant la liberté du Web", il reconnaît s'"être trompé quand je parlais de régulation. J'ai pris le risque de crisper un univers qui est fondé sur le partage et la liberté". On est loin dans le discours de la "jungle sauvage où il serait permis de piller les oeuvres des créateurs", qu'il fustigeait en 2009, en pleine promo acharnée pour la loi Hadopi. Maintenant, c'est promis, il comprend les entrepreneurs du numérique: "Il a fallu que je m'y mette pour comprendre les valeurs derrière (...). Le Web n'est pas simplement une technologie, c'est aussi une façon d'être".

En 2006, le candidat aux élections présidentielles était fraîchement accueilli à la conférence LeWeb. cette année donc, il organisait mercredi 7 décembre un dîner post - Web'11: pour défendre son programme sur la compétitivité de la France dans les technologies ? Retour sur images garanti : trop content d'y être invités, nombre de privilégiés ont posté vidéos, twitpics ou photos via Facebook.

Reste à voir qui il comptera comme relais médiatiques pour son programme numérique - et qui mènera sa net-campagne, laquelle en est à peine à ses débuts, à gauche comme à droite. Parmi ses ministres, celui en charge de l'Economie numérique, Eric Besson, ne cache plus son ennui, et tweete à tout-va. A l'Elysée, seul Nicolas Princen est présenté comme conseiller numérique. A 27 ans, le normalien diplômé d'HEC, arrivé pour gérer la net-campagne de Sarkozy en 2006, fustigé sur le Net en 2008, décroche ce mois-ci la 33ème place dans la "powerlist" du très branché Technikart. Il y a certes des parlementaires pointus, comme Laure de la Raudière, Patrice Martin-Lalande ou Lionel Tardy (ce dernier n'avait pas hésité à exprimer ses réserves sur Hadopi), très bons connaisseurs des dossiers mais "qui n'auront pas forcément une vision d'ensemble pour un programme numérique", me confiait la même source.

L'agence en charge depuis quelques mois de la stratégie digitale de l'UMP, Emakina, dirigée par Manuel Diaz, demeure discrète pour l'instant. Mais l'entrepreneur de 32 ans, initialement aux côtés de son frère, fondateur de BlueKiwi, a croisé depuis ses 19 ans la fine fleur des start-ups et des grandes agences digitales. Un avantage non négligeable.

Quid à gauche ?

Au PS, les candidats ont bien présenté des semblants de programmes numériques avant les primaires, comme Martine Aubry. Mais depuis, François Hollande a changé plusieurs fois de positions sur Hadopi. Pourtant, il commence à bien s'entourer sur le sujet : Fleur Pellerin, 37 ans, énarque, conseillère à la Cour des Comptes, peu connue mais pointue, chargée de théoriser son programme numérique, a commencé à le dévoiler dans les médias (comme sur Electron Libre ), elle prend ses marques sur Twitter...

nuage_sur_les_pistes_de_reforme_0__2_.jpg Nuage de tags "sur les pistes de la réforme" - Eco89

Elle a lancé un appel à contributions sur la politique numérique du PS sur Eco89. "Hussarde de la diversité", présidente du très influent club XXIe siècle, elle avait été portraitisée par'' Libé'' dès 2009. Mais habile, elle apparaît de nouveau dans la presse grand public, comme ce papier dans Elle où elle humanise son image, en tant que "working mum".

En tous cas, preuve qu'elle ne laisse pas indifférent, elle commence à essuyer des attaques très directes sur Twitter, comme de la part d'Arnaud Dassier, entrepreneur, ex-responsable de la campagne Internet de Nicolas Sarkozy - et lui-même en campagne pour les législatives.

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Dans cette équipe, Vincent Feltesse, responsable de la campagne digitale du candidat, a fait venir à ses côtés Marie-Morgan Le Barzic, 36 ans, ex-déléguée générale de Silicon Sentier et directrice de La Cantine, spot parisien qui accompagne les acteurs du numérique. Elle y sera chargée des opérations. Autre nouvelle recrue, selon mes informations, Antonin Torikian, ex-responsable du programme étudiant Imagine Cup chez Microsoft. Et Challenges évoquait récemment le nom de Jean-Noël Tronc, nouveau patron de la Sacem (et auteur du discours d'Hourtin, je dressais son portrait en 2002), qui le conseillerait à titre personnel. François Hollande doit lancer son site officiel en janvier prochain.

D'autres candidats innovent davantage sur la Toile. Surtout les petits candidats, moins relayés par les médias, qui se doivent d'affirmer leur présence numérique. Jean-Luc Mélenchon surprend déjà: avec pour directeur de campagne web le prolixe Arnaud Champrenier-Trigano (ex-responsable de l'Une, chroniqueur web, fondateur du magazine TOC), il dispose d'un site web novateur, et dévoilera à la presse son appui iPhone ce jeudi 15 décembre. Mieux, son équipe a conçu une web-série hebdomadaire, En marche, lancée le 21 novembre. Sous influence Lost et autres séries US, tous les lundis, elle suit les pérégrinations du candidat, ralentis et flash-backs à l'appui. Le premier docu-soap de campagne. A suivre...

mercredi 7 décembre 2011

Co-branding Wired + GQ: ballon d'essai ?

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Une première. La couv' du numéro de décembre de GQ a de quoi surprendre. Lui aussi s'offre un dossier high-tech, dans une période de l'année où, par tradition, nombre d'hebdos et de quotidiens (des Inrocks à Libé en passant par L'Express, Le Point...) foisonnent eux aussi de leurs traditionnels dossiers techno, mine d'idées de cadeaux pour les lecteurs à la veille des fêtes de fin d'année - et attrape-pub efficace et bienvenu pour les journaux.

Mais GQ va plus loin, en publiant son dossier techno sous la marque Wired, mise en avant en Une, et dans le dossier, de manière très flatteuse. Alors évidemment, cela offre une caution on ne peut plus "branchée" (littéralement) au mensuel masculin (lui-même sur un positionnement djeun's haut de gamme).

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La volonté de "vendre" Wired aux néophytes à l’intérieur de ces pages est frappante. Ce dossier de 22 pages, ouvert par une photo d'Omar et Fred qui prennent la pose avec une numéro de Wired et un iPad entre les mains - on admirera au passage le placement de produit ;), est inauguré avec une double qui présente de manière élogieuse l'histoire assez exceptionnelle de Wired, depuis son lancement en 1993 par Janet Metcalfe et Louis Rossetto et le lancement du site Hotwired.com en 1994, en passant par son rachat par un fonds d’investissement en 1998, puis par Advance Publications, qui le rachète alors pour 390 millions de dollars (!) pour le confier à Conde Nast. Sans oublier ses couv' et son design avant-gardiste.

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On trouve ensuite un papier qui résume sur une page les principales théories de Chris Anderson, de sa théorie de la long tail à "The Web is dead" de septembre 2010, puis sur 3 pages la traduction d'un article sur la Kinect. Quelques pages comportent une traditionnelle sélecrtion de produits tech, "approuvés par Wired", précise une icône. Et enfin un article assez drôle, plus dans le ton propre à GQ, propose "53 règles pour devenir un gentleman digital".

Une icône dans le mag nous signale que Wired est également "invité spécial de GQmagazine.fr jusqu'au 20 décembre". De fait, en allant y faire un tour, dans l'onglet dédié, on trouve quelques articles tech / culture numérique ave des angles que n'aurait déniés Wired: "Coder pour durer", "Et si Apple lançait l'iCam?", "Kinect: comment Microsoft soutient les hackers", "Comment supprimer des fichiers rapidement"...

Précisément, ils se trouve que le lancement d'un Wired français par sa maison-mère, le groupe américain Conde Nast (aussi éditeur de GQ, lui-même déclinaison française d'un titre US) est actuellement en suspens. Le lancement d'un Wired en VF est devenu une lapalissade, un rêve pour de nombreux journalistes et techies, nostalgiques de l'époque des Transfert, Newbiz et autres Futur(e)s du début des années 2000.. Il y a même eu la tentative avortée, j'ai encore le seul numéro lancé en VF - d'un lancement en France de Technology Review.

C'est devenu une lapalissade, qui avait encore été évoquée en 2008. Il y a 6 mois, le patron français de Conde Nast annonçait que le groupe avait tranché - d'abord - pour la lancement d'un Vanity Fair français.

Dimanche dernier, dans l'émission Soft power sur France Culture, il a réaffirmé que des numéro zéro étaient en test, et que Vanity Fair serait lancé en 2012 si le marché publicitaire le permettait. Quant à un Wired français... il n'a pas exclu un lancement "sous format numérique" ou en supplément papier d'un autre magazine du groupe. Ce qu'il n'avait guère évoqué jusqu'à présent. Ce GQ co-brandé Wired ressemble alors étrangement à un ballon d'essai. A suivre...

dimanche 27 novembre 2011

Newsring et Quoi.info: entre débats et Wikipedia de l'actu

Assurément, sur la Toile, on est en plein bouillonnement, avec une foison de nouveaux projets qui mêlent participatif et actu, le tout étant d'autant plus porté par les échéances électorales de 2012, qui incitent médias old school ou start-ups des médias à proposer au grand public de nouvelles expériences, de nouvelles approches de l'actu. Il y a eu le lancement ce printemps du Plus du Nouvel Obs, France Télévisions qui a lancé il y a 15 jours son très prometteur site Francetv.info (site qui se revendique du "live", de "l'actu en continu"), et consacre ainsi le format journalistique du live, dont je parlais dans ce billet), Canal+ qui a lancé Présidentielle2012, son site d'infos dédié aux présidentielles, Le Lab du groupe Lagardère (site d'actu dédié aux présidentielles commun aux rédactions d'Europe 1 et Paris-Match, piloté par Laurent Guimier, directeur général adjoint chez Lagardère Active) qui est attendu ces prochains jours, et bien sûr l'arrivée très attendue (surestimée ?) du Huffington Post en France, au mieux pour décembre (s'ils parviennent à trouver un rédacteur en chef...). Peut-être simple effet de hype, comme l'adore la Toile, en tous cas, ces nouveaux médias tentent d'innover, de proposer d'autres lectures de l'actu à l'internaute.

Pour aujourd'hui, j'ai testé deux de ces petits nouveaux, Newsring.fr et Quoi.info, qui viennent de s’entrouvrir en version beta privée, annoncés sur la Toile respectivement pour début décembre et le 30 novembre, que j'ai parcourus. J'en ai parlé dans cet article et celui-là fin octobre pour Stratégies: on a donc Newsring.fr, site de débats thématiques qui privilégiera les contributions des internautes, experts et blogueurs, et Quoi.info, site d'information sélectionnant des sujets d'actualité, où les internautes pourront contribuer. Dans les deux cas, tous les contenus sont en accès libre, mais il faut créer son profil pour pouvoir contribuer. Aux manettes pour Newsring.fr, Julien Jacob (cofondateur d'Obiwi, ex-vice président de CBS France), qui s'est associé au groupe Webedia (PurePeople, Ozap, etc.), Philippe Couve (ex- RFI, Rue89 et Owni) et Frédéric Taddeï jouera un rôle transversal, tandis que Quoi.info a été cofondé par Cyrille Frank (ex-rédacteur en chef d'AOL France), Frédéric Allary (ancien DG des Inrockuptibles), rejoints par Serge Faubert. Le premier projet a levé 3,5 millions d'euros, et le second 400 000 euros.

Newsring.fr, "amener ceux qui discutent dans des cafés sur la place du marché"

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C'est l'image employée par Frédéric Taddéi à propos de Newsring.fr, en quelque sorte un Ce soir au jamais en version totalement numérique... Le sous-titre de Newsring.fr est d'ailleurs "Faire progresser le débat". Le découpage thématique, classique (Politique, Société, Monde, Economie, Culture, Local, Medias & tech, Planète & sciences, Philo) est affiché dans le header du site. Les sujets d'actu pour lesquels le site propose des débats sont affichés dans une colonne centrale, avec par exemple, en ce dimanche soir, "Faut-il empêcher l’Iran d’avoir l’arme nucléaire ?", "Les bons sentiments font-ils de bons films ?" (en rapport avec le succès phénoménal d'Intouchables, qui vient d'atteindre les 9 millions de spectateurs), "Eva Joly est-elle la meilleure candidate écolo ?", "Pour ou contre le droit de vote des étrangers aux élections locales ?", "Les réseaux sociaux nuisent-ils à la productivité des salariés ?"...

En colonne de gauche sont affichées les contributions / tribunes de personnalités. Et en colonne de droite les fonctions "sociales" du site: le bloc Activité compile commentaires, votes, contributions... des membres, mais aussi qui suit qui. On trouve plus bas un classement des "Top contributeurs", puis les "Débats du moment", où les sujets les plus débattus (donc qui suscitent le plus de commentaires et de votes) remontent automatiquement en tête, dans un système similaire à Digg.

Par exemple, en cliquant sur le sujet Les réseaux sociaux nuisent-ils à la productivité des salariés ?, qui m'intéresse particulièrement, en cliquant sur "Le contexte", un court article (un feuillet environ) me précise le contexte. En cliquant sur "Le débat", j'ai plusieurs points de vue, entre la blogueuse Agnès Maillard, l'entrepreneur Olivier Cambournac, l'entrepreneur Nicolas Le Gall, et la community manager Anne-Laure Raffestin, chargés au préalable par les journalistes - "orchestrateurs" de Newsring de lancer le débat en donnant leurs points de vues. Là encore, on visualise l'activité du débat, les Top contributeurs, ainsi que le nombre et le pourcentage de votes (oui ou non) sur le sujet. L'internaute-membre peut voter ou commenter ces points de vue, ou cliquer sur "Suivre le débat", ce qui lui permet de recevoir les notifications sur ce débat par e-mail.

Sympa, ce volet très "culture numérique", qui permet à l'internaute de suivre sur le Tumblr de l'équipe les conférences de rédaction en direct via un live sur Coveritlive: modéré par un journaliste, les internautes peuvent commenter les choix de sujets.

Quoi.info, "l'actu expliquée", Wikipedia de l'actu

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Dans le cas de Quoi.info, site qui revendique comme angle en sous-titre "l'actu expliquée", outre un rubricage classique pour les contenus - politique - éco - société - justice -people - international - pratique - culture - sciences - le découpage de la home est simple, entremêlant "social" et infos. e qui reflète l'ADN de Quoi.info, site hybride "social" et d'actu: des fonctions "sociales", avec commentaires des membres et liens vers des réseaux sociaux mis en avant, et bien sûr de l'actu

Côté infos, on a donc l'actu du jour en "Une", suivie des actus présentées sous forme de questions dans un menu déroulant de haut en bas, similaire à celui que l'on trouve sur les sites d'infos. Comme sur des sites d'infos tels que 20minutes.fr, les articles sont "compilés" de bas en haut en colonne centrale, au fil de l'actualité. J'ai bien aimé quelques rubriques marrantes comme "Question bêtes" (Pourquoi les restos japonais sont tenus par des chinois, D'où vient l'expression "Les éléphants du PS"...), "Que suis-je" (les citations qui font l'actu), en alternance dans un même bloc avec "Ça veut dire quoi" (le mots que l'on entend beaucoup: offshore, bien sûr bunga bunga...), "Merci pour l'explication" (À quoi ressemble l’"humain moyen" ?)... On voit clairement l'angle très pédago / Wikipedia de Quoi.info, qui ressort dans ce rubriquage.

Au menu pour ce dimanche 27 novembre, l'Egypte fait la Une, avec tout un dossier dans un même bloc - là encore que l'on pourrait retrouver dans un site d'informations tel que 20minutes.fr ou Lefigaro.fr: "Pourquoi la révolution reprend", "Qui sont les Frères musulmans et que veulent-ils ?", quelle différence entre Chiites, sunnites, alaouites, et druzes, "Pourquoi l'armée égyptienne ne lâche rien ?", "Qu'est-ce que la charia ?". S'ensuivent des articles très divers, où la variété des sujets est vraiment très appréciable, entre actu internationale exigeante ("Syrie : pourquoi la Ligue arabe lâche-t-elle Bachar el-Assad ?, "Pourquoi les Israéliens veulent-ils bombarder l’Iran ?"), faits divers et société - un dossier intitulé "Que font les autres pays face aux délinquants sexuels?" qui rebondit sur le meurtre de la jeune Agnès, un papier sur les changements d’horaires à la SNCF annoncés le 11 décembre, ce MOX qui embarrasse les socialistes, pourquoi le film de Matthieu Kassovitz fait polémique - et sujets plus... légers, comme "Où acheter, en Europe, une Rolex, du Chanel et un costume Hugo Boss pas chers ?", ou encore "Miss Monde, miss Univers, miss France : qui est la plus retouchée ?" (dont on remarquera qu'il figure dans les articles les plus lus ;).

Dans une colonne plus étroite figurent les fonctions "sociales" de Quoi.info, de manière assez classique : un bloc affiche les articles les plus vus ou les plus commentés, un autre les "activités" récentes (commentaires par les abonnés, ...), un autre la fanpage Facebook, un autre, dédié à Twitter, présente en temps réel les tweets relatifs à Quoi.info, et enfin, on trouve un attendu nuage de tags, qui permet, comme dans un blog, d'afficher en un clic l'ensemble des articles relatifs au tag sur lequel on clique.

Membre expert correcteur - rédacteur

En entrant plus dans les détails,j'ai davantage l'impression de lire des notules très pédago plutôt que des articles: avec le ton simple, clair, les éléments-clés surlignés en gras, et le découpage très pucé qui permet de les parcourir en diagonale. Logique, c'est bien là la vocation de Quoi.infos, "site d'information et outil serviciel, avec de l'info et des décryptages d'actualité", m'indiquait courant octobre Cyrille Frank. L'idée est de donner les clés, les bases de l'actualité, à un internaute pressé.

Comme pour son lointain cousin Newsring, Quoi.info innove dans ses fonctions participatives, avec pour originalité qu'il permet à l’internaute de corriger ou commenter l'article, à condition qu'il se soit préalablement inscrit comme membre. Là encore, pour cela, on peut passer par Facebook connect. "Il y aura un côté Wikipédia : nous voulons favoriser les corrections et compléments apportés par les internautes-membres", me précisait Frédéric Allary. A la fin de chaque article, il peut en effet proposer une correction, si elle est approuvée par la rédaction, elle sera intégrée dans l'article et il apparaitra comme contributeur. Le contributeur-commentateur régulier peut gagner le statut d'"expert", ce qui lui permettra même de publier ses propres papiers sur le site dans son domaine de compétence, et obtenir un badge par niveau d'expertise (amateur, connaisseur, ou expert), selon le nombre de commentaires publiés et de votes obtenus par les lecteurs.

Bilan ? Évidemment, on n'en n'est qu'aux débuts. L’internaute se voit proposer la possibilité de voter, commenter, corriger, voire - le Graal - de publier ses propres articles s'il atteint le stade d'expert sur Quoi.info. Des expériences intéressantes, prometteuses. Reste à voir si l'effet "média social" sera assez fort pour créer de vraies communautés, et donner l'envie à l'internaute - déjà sollicité par plusieurs réseaux sociaux - d'y revenir régulièrement, voire provoquer chez lui une certaine addiction ;) A suivre...

mercredi 16 novembre 2011

Prémices de net-campagne 2012

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Presidentielles.net, premier site d'infos satirique consacré aux présidentielles, en 2001

La campagne électorale pour les élections présidentielles et législatives de 2012 pourrait se dérouler (encore plus) sur Internet, qui serait plus qu'un simple média d'information. J'ai eu l’occasion de me pencher sur le sujet ces derniers jours (j'y reviendrai). Même si évidemment, on n'en n'est qu'aux frémissements.

La première fois, c'était il y a pile dix ans: pour les municipales de 2001, et les présidentielles de 2002, où Internet a fait une incursion remarquée dans les campagnes électorales. Bien sûr, les premiers outils de com' politique sur le Net restaient aléatoires, comme j'en parlais alors dans la première enquête que j'y consacrais: sites officiels de candidats, avec forums de discussion, "chats" par SMS ou vidéos, premières opés de spams politiques, buzz via des sites parodiques, comme Gauche-Story.com, monté par Arnaud Dassier avec quelques autres jeunes loups libéraux...

En 2006, on a vu émerger les blogs de candidats, et des sites qui tentaient d'acquérir une dimension réseau social - comme la tentative de Segosphère. Entretemps, le débat sur la Constitution européenne, en 2005, avait grandement contribué à installer Internet comme contre-pouvoir face aux media traditionnels, comme l'a montré le succès du blog d'Etienne Chouard

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Photo @eni_kao

Mercredi, le RSLN organisait au siège du Microsoft un débat sur ce sujet, avec Valério Motta (patron du web du PS), Manuel Diaz (DG de l'agence Emakina, prestataire et stratège de l’UMP pour le web), et Frédéric Neau (Europe Ecologie), ainsi que Jonathan Bouchet Petersen (Libé et Libé.fr). Déjà à l'occasion des primaires, le PS a amorcé sa campagne de com' digitale : il s'est doté d'une direction des systèmes informatiques, et a étoffé ses équipes Web. Du côté des sites de campagne, l'UMP a ouvert discrètement sou nouveau site cette année. Valério Motta nous confiait hier que celui de François Hollande serait mis en ligne "début 2012", tandis que celui d'Europe Ecologie / Les Verts ouvrira "en version beta privée à la fin du mois".

Nouveaux outils

Qu'y aura-t-il de nouveau cette année ? Il y a bien eu des tentatives de réseaux sociaux maison par le passé: L'UMP avec la tentative avorté du Créateur des possibles - "recréer un réseau était une erreur", avouait Manuel Diaz, avait de lâcher prudemment "on essaie d'injecter de l'ADN digital en politique". En tous cas, une étude MSN / Ipsos publiée mercredi montre clairement que de nouvelles formes de militantisme, plus discrètes que de prendre sa carte à un parti, émergent sur la Toile. Un phénomène qui reste émergeant: 33% des sondés déclarent s'informer via Internet, mais seuls "6% des Français (19% des internautes) apprécient les commentaires des internautes sur les articles ou les forums, 13% (16% des internautes) apprécient les discussions sur les réseaux sociaux et 10% (12%) les discussions sur messageries instantanées". Outil d’expression citoyenne et politique (pour 71%, "Internet donne la parole aux gens comme moi"), il restera utilisé de manière limitée pour le militantisme.

Dans le cadre de la campagne Présidentielle, une majorité des internautes (51%) comptent s’informer sur les sites/blogs des candidats. En revanche, seuls 14% comptent discuter politique sur les forums/articles durant la campagne (et 9% sur Facebook ou Twitter), seuls 11% pensent publier des liens vers du contenu politique sur un réseau social, seuls 8% comptent donner leur e-mail à un parti politique pour participer activement à la campagne et 6% comptent faire la promotion d’un candidat sur le web.

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En 2011/2012, de nouveaux outils vont s'imposer: les comptes Twitter de candidats forcément. Même si Twitter n'est pas devenu un réseau social grand public, il est lu par les journalistes.... Et permet aux politiques de créer une impression de proximité inédite. S'y ajouteront les blogs de candidats, les fanpages Facebook, voire des applis iPhone, et de manière plus hypothétique les comptes Tumblr, comme celui que vient d'ouvrir Barack Obama (même si j'y crois moins).

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Surtout, on pourrait voir "des directs, des livestreams pendant des événements, pour co-constuire des événements avec des internautes", estime Valério Motta. Sur le modèle des live, format journalistique qui s'est imposé cette année sur le Web (dont je parlais dans ce billet), les partis "liveront" sûrement leurs événements-clés (-congrés, élctions..) sur leur site officiel. Une co-construction de contenus qui passera aussi par des fact-chekings avec les internautes. "Lors des régionales de 2010, on a passé en revue sur une Google Map avec les internautes les 40 chantiers de transports publics annoncés par Valérie Pécresse, pour montrer que plusieurs étaient déjà prévus", explique Valério Motta.

samedi 12 novembre 2011

Le couple Guetta est-il devenu une marque ?

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Vous ne pourrez pas y échapper: à partir d'avril 2012, une websérie un peu particulière, One night and one day with Cathy & David Guetta (titre provisoire) sera diffusée sur la Toile, via une page dédiée sur Dailymotion. Huit épisodes de 4 minutes, qui montreront le quotidien (supposé) so glamour du couple Guetta, entre jets privés, teufs à Paris, Cannes et Ibiza. Et accessoirement quelques placements de produits HP. Si, pour l'heure, nous n'avons pu voir des extraits vidéos de cette websérie (en cours de production), nul doute que l'on y verra David ou Cathy bosser avec leur tablette, leur smartphone ou leur laptop HP... C'est l'agence Fuse (groupe OMD) qui a imaginé cette opération, donc une websérie qui associe le couple Guetta et HP. Laquelle s'inscrit parfaitement dans ces nouvelles formes de pubs très intégrées qui prolifèrent sur les différents media, comme j'en parlais récemment dans ce billet.

Dans le milieu publicitaire, on parle de plus en plus de "brand content" (littéralement "contenu de marque") pour qualifier ces contenus où la marque est intégrée de plus en plus finement. Voire lorsqu'elle produit elle-même ces contenus. Des contenus à la frontière de la publicité, l'entertainment, et l'info. Des agences, comme Fuse chez OMD ou NewsVast/Vivaki (Publicis), nées depuis 2/3 ans, se sont d'ailleurs spécialisées dans ces contenus d'un nouveau genre, qui permettent de monter des opérations publicitaires sur mesure pour certains annonceurs.

Avec cette web-série donc, Fuse a imaginé un contenu pour deux annonceurs à la fois, le couple Guetta et la marque HP. Certes, HP n'en n'est pas à son premier coup d'essai pour se mettre en scène dans le monde de la musique - il y a deux, ans, la marque américaine faisait poser Tania Bruna-Rosso, alors chroniqueuse musique sur Canal+ et DJette dans les soirées parisiennes. Là, que l'on trouve cette "opé" des Guetta maligne ou affligeante, elle préfigure sans doute la publicité du futur. Il est d'autant plus intéressant de voir le couple Guetta y participer, et pousser un peu plus loin la pub intégrée.

Le couple Guetta devient ici annonceur autant que partenaire de HP. Et si le couple Guetta était devenu une marque ? Evidemment, les Guetta sont devenus des pros du marketing, et gèrent à la perfection leur business - et leur marque, alors que David Guetta est devenu en quelques années un DJ star, autodidacte au parcours qui laisse rêveur, devenu un des plus gros vendeurs de disques au monde, et qui compte une solide communauté de fans sur la Toile - plus de 25 millions de fans sur sa fanpage Facebook. Une nouvelle incarnation de la pop mainstream, ou l'utilisation des réseaux et le marketing comptent autant que la production musicale - comme pour Lady Gaga, dont je parlais ici et il y a quelques mois.

Un business rentable aussi, décrypté récemment par GQ dans une enquête qui lui a valu l'ire dudit concerné, et une certaine méfiance vis-à-vis de la presse. Comme je le relevais alors, fin octobre, Emmanuel Marolle (journaliste musique au Parisien), en citant implicitement cette enquête, évoquait sur son blog les nouvelles conditions fixées par David Guetta pour accepter des interviews avec la presse - comprenez une relecture préalable des citations.

Agence de marketing musical créée par Cathy Guetta

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Avant cette web-série, tout un dispositif marketing associe étroitement, depuis quelques mois, le couple Guetta à la marque HP: en décembre, un jeu-concours (toujours organisé par Fuse) sera lancé sur les pages Facebook de HP et David Guetta. En septembre dernier, lors de la Technoparade, un char aux couleur d'HP défilait, diffusant un single écrit pour l'occasion (et pour la marque) par David Guetta. En juin dernier, lors des Cannes Lions (une des grand-messes annuelles du milieu publicitaire), on apprenait que HP nouait un partenariat avec David Guetta, à l'occasion du lancement de sa tablette tactile HP Touch Pad. Au menu: un dispositif plurimédia avec un spot TV de 30 secondes et du placement de produit dans ses deux prochains clips.

Par la même occasion, Cathy Guetta annonçait à la presse le lancement de sa propre agence de marketing musical, My Love Affair, avec Raphaël Aflalo (débauché à l'agence OMD Digital). Comme on parlait alors en avant-première dans ''Stratégies'', les premiers contrats publicitaires tombent alors, avec la compagnie aérienne Vueling, HP, donc, ainsi que Renault, avec un premier placement de produit (la Renault Twizy) dans le clip du morceau de David Guetta "Where Them Girls At ft. Nicki Minaj, Flo Rida". Et de fait, elle s'apprête à lancer MyProductPlacement.com, place de marché web de placement de produits dans les clips.

La boucle est bouclée, pour le couple qui, au fil des années, a progressivement su rentabiliser son image, avec quelques juteux contrats publicitaires: David Guetta avec Activision, en 2009, pour être l'ambassadeur en Europe du jeu DJ Hero, et avec la marque de casque audio Sennheiser depuis la même année, tandis que Cathy Guetta gère les nuits Unighted, qui réunissent depuis deux ans 40 000 spectateurs au Stade de France ainsi que les soirées "F*** Me I'm Famous" au Pacha, la plus grande boîte de nuit d'Ibiza.

Progressivement, David Guetta a adapté son produit (ses clips) à ses clients les plus importants (les annonceurs). Au lieu de montrer un simple panneau de publicité à l'enseigne de la marque, il va plus loin : intégrer la marque de son client dans ses clips, en écrivant le scénario autour du produit phare de la marque. Citons comme exemples Nokia, Franck Provost ou Vueling.

mardi 1 novembre 2011

Steve Jobs, Apple, contre-culture et capitalisme - "Mieux vaut être pirate que de rejoindre la marine"

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Un pavé de 667 pages, blanc, quatrième de couv' toute simple et photo neutre en noir et blanc de Steve Jobs. Un bel objet, "qui trouvera sa place à côté des derniers produits Apple", me soufflait avec ironie mon voisin de bureau, qui sera probablement un des must-have pour les cadeaux de fin d'année, aussi bien pour les Applemaniacs que pour le grand public. Moins d'un mois après le décès de Steve Jobs, sa biographie officielle - donc écrite à sa demande par Walter Isaacson, journaliste passé par la CNN et Time Magazine - paraissait le 24 octobre aux US. Elle sort en France demain (2) - dont sur l'iBookStore en français. Un best-seller devenu numéro un des ventes chez Amazon US (papier et livre numérique) et sur l'iBookstore d'Apple. Un des livres-cultes de 2011 ?

Au fil des pages, dans ce qui relève plus d'une enquête au long cours, peu complaisante, que d'une hagiographie comme on pouvait le craindre, on en apprend énormément sur celui qui fut un des entrepreneurs les plus créatifs et visionnaires de ses dernières décennies: sa vie privée, sur laquelle il était très discret (le livre comporte notamment un portfolio de photos personnelle de Steve Jobs et sa famille), ses failles héritées de son enfance, sa jeunesse total post-beatnik des années 70, ses amours (on découvre avec surprise qu'il eut une longue aventure avec la chanteuse Joan Baetz, reine du protest song), l'idéal de contre-culture qui va perdurer - puis s'effilocher - dans Apple, ses échecs, ses relations avec les médias, les "piquages"' d'idées aux concurrents... Et un personnage incroyablement complexe.

Après avoir décliné à plusieurs reprises, Walter Isaacson a accepté la commande de Steve Jobs. Résultat: deux années de recherches, d'entretiens avec une centaine de personnes, plus de 40 heures d'entretiens avec Steve Jobs... Ce qui donne ce bouquin très documenté, incroyablement vivant, où l'on a l'impression de suivre Steve Jobs dans ses réunions internes, ses mythiques présentations de produits, ses luttes intérieures. Un boss énigmatique, parfois fragile, qu'Isaacson n'hésite pas à décrire à plusieurs reprises en larmes, torturé, visionnaire, manipulateur, charmeur.

On y découvre donc sa vie personnelle complexe: orphelin, il grandit au sein d'une famille adoptive aimante de la middle class. Enfant précoce - voire surdoué comme le laisse entendre le biographe - il est poussé par ses parents. Mais le fait qu'il soit orphelin le marque à vie: il grandit "avec le sentiment d'avoir été abandonné, mais aussi la certitude d'être quelqu'un d'atypique. C'est ce qui a forgé toute sa personnalité.", souligne Isaacson.

Il refuse de rencontrer son père biologique qu'il accuse d'avoir abandonné sa mère biologique et sa soeur, la romancière Mona Simpson. A 23 ans - l'âge de ses parents biologiques à sa naissance -, Jobs devient père d'une petite fille, Lisa, qu'il commencera par renier, avant de la reconnaître peu avant l'introduction en Bourse d'Apple, en décembre 1980. Elle avait alors deux ans. Jobs s'est très peu occupé de sa Lisa durant son enfance, jusqu'à son entrée au lycée, où elle vivra quatre ans avec la famille de son père. Il s'est marié depuis et a eu trois autres enfants.

Jeunesse beatnik et contestataire

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Le plus fascinant étant cette quête perpétuelle de Steve Jobs pour ne pas (totalement) perdre l'héritage de sa jeunesse hippie, qu'Apple continue d'incarner la contre-culture, la contestation, la rébellion. "Un monde "cyberdélique". Et la culture des systèmes ouverts… enterrés par Jobs dès la fin des 70's, preuve supplémentaire que capitalisme et cette forme de contre-culture sont consubstantiels", m'indiquait à juste titre Nicolas Demorand dans un échange de tweets, ce qui se vérifie effectivement dans ce bouquin.

Dès le lycée, il plonge dans le mouvement contestataire: on commence alors à parler de geeks et de hippies, il se passionne autant pour les maths, l'électronique, que le LSD et les paradis artificiels, "en vogue dans la contre-culture de l'époque". Il découvre les kits d'appareils Heathkit à monter soi-même, les magnétophones à bandes TEAC, bosse ses weekends dans le magasin d'électronique Haltek,... Avec son pote Steve Wozniak, tous deux conçoivent une Blue Box, qui permet de téléphoner gratuitement, sur le modèle de celle de John Draper, un pirate surnommé "Captain Crunch", une des icônes du hacktivisme d'alors (dont je parle notamment dans ce billet). Steve Wozniak - qui, hasard de reconnaissance ou quête de reconnaissance, vient de publier sa propre autobiographie (2) - deviendra un discret collaborateur dans l'aventure Apple, "le gentil magicien, qui viendrait avec ses inventions de génie, et Jobs imaginerait comment les présenter, les rendre conviviales, et les lancerait sur le marché", résume (un peu trop?) Isaacson.

Etudiant, Steve Jobs s'engage dans la spiritualité orientale et le bouddhisme, vie bohème pieds nus, séquences LSD, avec Bob Dylan en boucle, et un mode d'alimentation radical, qu'il conservera toute sa vie - régime végétalien et jeûnes, Une jeunesse hippie autant que rock'n roll, inhérente à son parcours par la suite - mais à mille lieues de ce que l'on sut de lui de son vivant... "Je suis né à une époque magique. Notre conscience était éveillée par le zen et aussi par la LSD. (...) Cela a renforcé mes perceptions, savoir ce qui était essentiel - créer plutôt que de gagner de l'argent, mettre à flot le plus de choses possibles dans le flot de l'histoire et de la conscience humaine", confie-t-il à son biographe.

Atari, culture open source au Homebrew Computer Club

En février 1974, premier boulot chez le fabricant de jeux vidéos Atari, là "où tout le monde voulait alors travailler", entrecoupé par un voyage initiatique de quelques mois en Inde auprès de Shunryu Suzuki, un des gourous-stars de l'époque. La Silicon Valley de la fin des années 60 est alors à la croisée de plusieurs révolutions: technologique (les contrats militaires y avaient attiré des sociétés d'électronique, d'ordinateurs...), et surtout, "il y avait une sous-culture, celle des pirates - des inventeurs de génie, des cyberpunks, des dilettantes comme des purs geeks", des beatniks - elle va marquer Steve Jobs à vie, même s'il va progressivement la fouler aux pieds.

Jobs et Wozniak commencent à fréquenter le jeune groupe Homebrew Computer Club ("Club des ordinateurs faits à la maison"), basé sur cet idéal de libre-circulation de l'information, prémices à la culture des systèmes ouverts et des systèmes open source. Ils planchent sur leur premier ordinateur, l'Apple I, qui naît en même temps que leur société Apple au printemps 76. "Apple Computer" ("Ordinateur pomme"), un peu de contre-culture et d'absurdité dans ce titre... Première faille entre deux, Jobs dissuade Wozniak de partager les codes de cet ordinateur avec leur club, dont les membres prônaient un libre accès aux lignes de codes, où chacun pouvait modifier à sa guise les programmes, l'écriture de standards open source, le contournement des logiciels propriétaires... Une ligne de partage entre systèmes ouverts et systèmes fermés.

On connaît la suite, l'ascension avec quelques accrocs de Steve Jobs, émaillée par des innovations marquantes, avec l'Apple II, lancé en 1977, commercialisé à 6 millions d'exemplaires durant 16 ans. Et - autre révélation de cette biographie - les quelques "piquages" d'idées aux concurrents, comme la technologie de la Zerox PARC en 1980, On a souvent dit que, du Mac à l'iPod, Steve Jobs avait souvent "réadapté" des produits préexistants, mais avait sur les rendre désirables au grand public. Steve Jobs répliquait - sans nier - en citant Picasso, "Les bons artistes copient, les grands artistes volent". Chez Apple, on a jamais eu de scrupules pour prendre aux meilleurs". CQFD.

Rébellion, "pirates" vs capitalisme

Par petites touches, Steve Jobs entre peu à peu dans l'ère du capitalisme, avec ce même paradoxe: se réclamer de la contre-culture tout en l'enterrant. Fin 80, Apple est introduite en Bourse et transformée en grande société, malgré les réticences de Wozniak. Si l'Apple II - conçu par Steve Wozniak - comportait des logements pour des cartes d'extension pour y connecter ce que l'on voulait, il n'en n'est plus question avec le Macintosh, conçu par Steve Jobs et lancé en 1983: premier appareil au logiciel et au matériel liés, où toute modification est impossible, premier système fermé - et vendu très cher... Autre viol du code de la piraterie. La même année, il organise un des premiers séminaires d'Apple, intitulé "Mieux vaut être pirate que de rejoindre la marine". Le siège d'Apple sera (temporairement) orné d'un drapeau où s'entrecroisent la pomme d'Apple et une tête de mort avec des tibias croisés.

En 1984, LA publicité de lancement du Mac scelle la légende Apple, en un somptueux spot réalisé par Ridley Scott avec l'agence Chiat/Day et Lee Clow, par lequel Steve Jobs espère s'imposer comme guerillero, la liberté contre "Big Blue" (IBM), assimilé dans ce spot au Big Brother orwellien... Une manière aussi de "se rattacher à la culture cyberpunk de l'époque", rappelle Walter Isaacson. Une image de marque rebelle et so cool, versus des méthodes de management interne musclées, et un écosystème fermé qui sera la clé d'Apple: un des immenses paradoxes de cette entreprise, que j'abordais notamment dans cette enquête.

En juillet 1997, lors de son retour d'une semi-traversée du désert, pour creuser ce sillon de la rébellion, Steve Jobs conçoit avec Chiat/Day une campagne d'affichage avec pour slogan "Think different", et pour icônes Einstein, Gandi, Lennon, Chaplin, Picassso... Rien de moins.

"Foyer numérique", système fermé

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Même angle d'enquête dans Les Inrocks et Stratégies en décembre 2010

Parallèlement, Steve Jobs bâtit ce système qui s'inscrit dans une logique d'intégration globale: il a la conviction que l'ordinateur personnel va devenir le foyer numérique, permettant de connecter facilement un ordinateur de bureau à une flopée de terminaux mobiles. Les années 2000 scellent ce système, incroyable décennie d'innovations: iTunes, puis l'iPod, l'iPhone, l'iPad, s'inscrivaient dans ce système clos. "On allait pouvoir synchroniser tous ces appareils grâce à l'ordinateur et ainsi gérer musique, photos, vidéos et données personnelles, soit tous les aspects de notre 'mode de vie numérique'", expliquait Steve Jobs. Apple ne serait ainsi plus une entreprise dédiée aux seuls ordinateurs, mais à l'origine d'une gamme de nouveaux appareils - qui allaient ainsi fidéliser les utilisateurs de Windows au système Apple.

Avec le système de gestion et d'achat de musique iTunes, avec pour slogan en 2001 "Rip, Mix, Burn" ("Récupérez, mixez, gravez"), puis l'iTunes Store, la boucle est bouclée. Il convainc Bob Dylan en 2004, les Beatles en 2010, d'y proposer l'intégralité de leurs œuvres sous forme de coffret numérique - "Jobs serait leur dépositaire pour l'ère numérique", pointe Isaacson. La logique est la même dans le secteur de l'édition et du journalisme, lorsqu'Apple crée l'iBook Store, qui vend des livres numériques de la même manière qu'iTunes vend de la musique. Pour y figurer, les éditeurs devront verser à Apple 30% de leurs revenus tirés de ces ventes. Enfin, iCloud, dévoilé en juin 2011, permet à chacun de stocker ses données non plus sur son ordinateur, mais dans un "nuage", ère du "cloud computing" oblige.

Les derniers années de Steve Jobs, son rapport avec son cancer - le déni, les divers traitements suivis, la transition chez Apple - sont largement abordées dans cette biographie. Où l'on apprend qu'il suivait ce memento mori, avertissement donné par un médecin: "Dans la Rome antique, quand un général victorieux paradait dans les rues, la légende voulait qu'il soit suivi d'un serviteur dont le rôle était de lui répéter "memento mori" ("Rappelle-toi que tu es mortel").

(1) Steve Jobs, Walter Isaacson, JC Lattès, 667p., 25€. Sortie le 2 novembre. (2) iWoz, Steve Wozniak et Gina Smith, Ecole des Loisirs, 323p., 14,80€.'

A lire également, sur MondayNote, ce long billet de Jean-Louis Gassée (ex-DG France d'Apple, que Steve Jobs accuse dans sa biographie d'avoir "poignardé dans le dos" en 1985), et ce très émouvant article de sa soeur Mona Simpson publié par le New York Times.

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